Alfred Mame & fils (p. 140-148).

CHAPITRE V

MODE D’EXISTENCE DE LA FAMILLE


§ 25

ALIMENTS ET REPAS

Le régime alimentaire de la famille, suffisant à la rigueur pour donner aux forces physiques leur complet développement, est néanmoins soumis aux règles de la plus sévère économie ; on n’y voit jamais apparaître le superflu, même aux principales fêtes de l’année.

Ce régime a pour bases essentielles les céréales, la graisse et la viande de porc, le beurre, le sel et quelques légumes.

Les céréales se préparent sous quatre formes principales : 1° le pain de seigle et de froment mélangés ; 2° la mestura, sorte de pain de qualité inférieure, enfournée à l’état de pâte très molle composée d’un mélange d’orge, de maïs, de millet et de sarrasin ; 3° la bouillie de maïs préparée à l’eau et au sel, quelquefois au lard, et mangée chaude ; la même refroidie à l’état de pâte, tantôt assaisonnée de lait aigre, tantôt frite dans la poêle avec de la graisse ou du beurre ; 4° enfin des crêpes de maïs ou de sarrasin, à l’eau ou au lait, plus rarement aux œufs, cuites sur une poêle enduite de graisse ou de beurre.

Le beurre, la graisse et la viande de porc servent en outre à préparer des soupes au pain, plus rarement à assaisonner des légumes.

La famille fait chaque jour trois repas :

1° À 8 heures (matin), le dîner. Les jours gras : soupe au pain, à la graisse, aux choux, au porc salé ou fumé puis porc bouilli mangé avec le pain. ― Les jours maigres soupe au pain, au beurre, aux choux, ou aux haricots ; puis pain et fromage.

2° À 2 heures, le midi. Mets assez variés pommes de terre assaisonnées à la graisse et mangées avec la mestura, ou cuites à l’eau et mangées avec le pain et le sel ; mestura sortant du four, mangée avec le beurre ; crêpes de sarrasin et de maïs cuites sur la poêle ; bouillie de maïs cuite avec du sel et un peu de porc haché, etc.

3° À 8 heures (soir), le souper : bouillie chaude de maïs à l’eau et au sel ; la même, épaissie par refroidissement et mangée avec du lait froid écrémé ; mestura émiettée dans du lait écrémé bouilli, etc.

Les jours de grands travaux, et notamment lorsque les voisins sont convoqués pour aider la famille dans quelque corvée extraordinaire, telle qu’un transport de matériaux, la tonte des brebis, etc., les repas deviennent plus substantiels et comprennent une quantité modérée de vin et de viande de boucherie (§ 36).

Les noces sont la seule circonstance pour laquelle les repas prennent le caractère de l’abondance : ainsi, à l’occasion du dernier mariage célébré dans la famille et auquel étaient conviées 32 personnes, il a été consommé 22 kilogrammes de viande, 20 litres de vin, 1 hectolitre de froment, 2 kilogrammes de lard, 6 kilogrammes de beurre et 4 douzaines d’œufs ; dans cette consommation se trouvait comprise la tista, c’est-à-dire le panier rempli de provisions que, suivant un usage traditionnel, les jeunes mariés emportent chez eux en quittant la maison paternelle.


§ 26

HABITATION, MOBILIER ET VÊTEMENTS


La maison, solidement construite en maçonnerie épaisse et couverte en ardoise, offre, au rez-de-chaussée comme au premier étage, deux grandes pièces de 38 mètres carrés, à une fenêtre, séparées à chaque niveau par l’escalier et par un large couloir servant d’antichambre, de vestiaire et de magasin pour la farine.

Les deux pièces du rez-de-chaussée sont : 1° la cuisine avec une grande cheminée, le four, le râtelier à vaisselle, la table à manger et les trois lits dans chacun desquels couchent deux membres de la famille, savoir : le vieux père et le plus jeune garçon ; la maîtresse de maison et son mari ; la tante célibataire et la plus jeune fille ; 2° l’atelier pour la fabrication des sabots, la fabrication du mobilier agricole et en général la confection des objets de bois nécessaires à la famille.

Les deux pièces correspondantes du premier étage sont : 3° une chambre à 3 lits et à 2 armoires pour les filles et pour leur oncle valétudinaire ; 4° une chambre à quatre lits où couchent les autres hommes, le domestique et au besoin un parent venant visiter la famille.

La valeur du mobilier et des vêtements peut être établie ainsi qu’il suit :

Meubles : suffisants pour les besoins du ménage les lits, en particulier, témoignent d’un véritable confort ; tous, sans exception, même celui du domestique (§ 3), sont à colonnes garnis de couvre-pieds et de rideaux fabriqués avec une solide étoffe de laine. 1, 171 fr. 05

Lits. — 10 lits pareils comprenant chacun : 1 bois de lit en sapin, 1 matelas à étui de toile rempli de paille de maïs, 1 matelas à étui de toile ou de cotonnade rempli de laine, 1 traversin à étui de toile rempli de plume de poule, 2 couvertures en laine, rideaux et couvre-pied en étoffe de laine de couleur foncée ; — total pour 1 lit, 89 f. 30 ; — 2 oreillers à étui de toile, rempli de plume de poule, pour les deux lits du maître et de Jean Dulmo, 9 f. 50. — Total pour les 10 lits, 904 f. 50.

Mobilier des chambres à coucher. 2 armoires (sapin et noyer) pour le linge des femmes et du ménage, 120 f. 00 ; — 1 commode de noyer au maître de maison, 45 f. 00 ; — 7 coffres en noyer avec serrures pour les effets particuliers des divers membres le la famille, 35 f. 00 ; 12 chaises en bois et paille, 15 f. 00 ; — 3 porte-manteaux,2 f. 50 ; 2 petites tables en noyer, 10 f. 00. — Total 227 f. 50.

Mobilier de la cuisine. — 6 chaises en bois et en paille, 6 f. 00 ; — 1 banc près du feu, 1 f. 30 ; — 10 tabourets en bois et à trois pieds (troubès), 5 f. 00 ; — 1 table (noyer et hêtre), 10 f.00 ; 1 vaissellier à buffet et à triple étagère, 15 f. 50 ; 1 planche à pain près du plafond, 1 f. 20. — Total 39 f. 05.

Ustensiles : solides, suffisant à l’usage journalier, comprenant quelques objets de prix pour les jours de noce. 223 fr. 85

Dépendant du foyer de la cuisine. — 1 crémaillère en fer, 2 f. 25 ; — 2 gros chenets en fer forgé de 8 kilogr., 16 f. 00 ; — 1 plaque de foyer en fonte de fer, 9 f. 00 ; — 1 pelle et 1 pincette en fer forgé, 2 f. 50 ; — 1 soufflet en cuir et en bois, 1 f. 25. — Total. 31 f. 00.

Dépendant du four à pain. 1 râble en fer pour éparpiller la braise, 3 f. 00 ; — 2 pelles en bois, 1 f. 25 — 1 pétrin en bois, 8 f. 00 ; vieux chaudrons pour la cuisson de la mestura 1 f. 20. — Total, 13 f. 45.

Employés pour la cuisson et la consommation des aliments. — 1 marmite à anse en fonte (melao) pour la soupe, 3 f. 50 — 1 marmite à trois pieds en fonte, 2 f. 75 — 3 chaudrons en cuivre de 11 f. 00, de 7 f. 50 et de 5 f. 00, 23 f .50 ; — 1poêle à longue queue en fer battu, 3 f. 00 ; — 1 poêle à courte queue en fer battu, 1 f. 50 ; — 1 gril en fer pour viande, boudins, saucisses, 1 f. 50 ; — 1 broche à rôtir, tournée à la main, 1 f. 75 ; — 1 tourtière en cuivre pour pâtisseries, servant les jours de noce, 14 f. 50 ; — 3 grandes cuillers et 12 cuillers ordinaires en fer battu, 8 f.00 ; — 3 casseroles en cuivre pour ragoûts, surtout pour les jours de noce, 12 f. 00 ; — 2 pots en terre vernissée allant au feu, 0 f. 70 ; — 1 couteau de cuisine, 2 f. 00, — 36 cuillers en bois pour soupes et bouillies, 3 f. 60 ; 6 terrines en terre vernissées pour servir les soupes, les bouillies et les légumes, 3 f. 00 ; — 24 assiettes en grosse faïence à émail opaque, 2 f. 40 ; — 18 assiettes en terre de pipe, 2 f. 10 ; — 2 grands plats en bois pour servir les soupes et les bouillies, 2f. 00 ; — 2 vases en bois (paraos) pour préparer les légumes, 2 f. 00 ; — écuelles en terre (vases à boire), 0 f. 70 ; — 5 écuelles à boire pour les enfants (coussets), 1 f. 25 ; — 6 bouteilles à vin en verre (grandes et petites), 1 f. 00 ; 12 petits verres à boire, 1 f. 80 ; — 2 cruches à eau en terre, 1 f. 20 ; — 1 moulin à poivre, 3 f. 00 ; — 1 égrugeoir à sel en bois, 0 f. 40 ; tonneaux et caisse pour liquides, viandes salées, etc., 6f. 60. — Total, 103 f. 75.

Servant à l’éclairage. — 1 lampe à huile, à 3 becs, en laiton (gruzo), 4 f. 00 ; — 4 chandeliers en laiton, 30 f. 00 ; — 1 plaque en tôle pour brûler la téda (§ 23). 0 f. 25 ; — 1 sac en étoffe de laine pour porter la bougie que la maîtresse tient allumée pendant la messe, 0 f. 20. Total, 34 f. 4S.

Servant au blanchissage du linge. — 2 cuviers à lessive d’un volume total de 650 litres, 13 f. 00 ; — 4 pièces de grosse toile (siaré) recevant les cendres, 16 f. 00, — 6 battoirs à linge, 1 f. 80 ; 3 fers à repasser, 8 f. 40. Total 39 f. 20.

Linge de ménage : en toile solide, assez abondant. 527 fr. 40

30 paires de draps de lit en toile (lin et coton), 297 f. 00 ; 72 serviettes en toile, 68 f. 40 ; 6 nappes en toile, 69 f. 00 ; — 24 torchons en toile, 12 f. 00 ; — 4 pièces de toile en provision pour les besoins du ménage, 81 f. 00. — Total, 527 f. 40.

Vêtements : les vêtements sont, par leur forme et par la nature des étoffes [§ 32 (7) et (10)], parfaitement appropriés aux convenances du climat. Celui des femmes surtout offre un véritable cachet d’élégance : il contraste heureusement, sous ce rapport, avec le vêtement banal qui se propage, au détriment du goût et de la santé, chez beaucoup de populations. 3,543 fr. 25

Vêtements des hommes (6 adultes et 1 jeune garçon), selon le détail ci-dessous 1,532 f. 60.

Vêtements d'un homme (pour les dimanches). — 1 veste de drap fin, noir, 40 f. 00 — 1 gilet, noir ( drap ou soie), 10 f. 00 –

1 pantalon de drap fin, noir, 20 f. 00 ; 1 chemise de toile fine, S f.OO ;– 1 cravate de soie (noire ou de couleur), 5 f.00 ; t bonnet (bet’t'eic) de drap b)eu, 3 f. 00 ; – d paire de bas (coton

<)uiaine),2f .OO ; 1 paire de souliers, tOf.OO ;–1 mouchoir de poche (toile fine), 1 00 ; – manteau (point ),0f.00 . –Tota ),96f .OO.

2" Vêtements d’un AoMwe (pour le travaii). – 1 habillement complet en gros drap brun, comprenant veste, pantalon, gilet et guêtres, 15 f. 49 ; –

gilet de tricot, 6 f. 00 ; 1 chemise en toile, 3 f.60 ;- pantalon en toile, 2f.SO ; – 1 cravate en coton imprimé, 0 83 ; 1 mouchoir de poche en toile, 0 f. 90 ; 1 paire de bas de laine, 2 00 ;–1 paire de souliers, 10 f.OO ;– 1 paire de sabota, 1 f. 20, – 1 paire de gants tricotés, f.OO ; –~ bonnet en gros drap brun, 2f. 00 ; –1 surtout en drap noir, 40 f.00 . Totat,8Sf.S4.

3" Vêtements d’un /MMKme (en provision ou en double).– 10 chemises de toile, 3 paires de bas en laine, 5 mouchoirs de poche, 2cravates,48f. 20 .

4 Vieux ~em.cn<s. On suppose que leur valeur balance la diminution à faire sur les prix précédents, qui sont ceux de fabrication ou d’acquisition.

Vateur totale des vêtements d’un homme ; 229 f. 74. Vi’ :rEMENTs u !;s FEMMES (o adultes, 2 jeunes filles, 1 enfant) selon le détail ci-dessous (2,010f. 63). 1 K<~f ’wen<s d’M ?te /e)nme (pour le dimanche).– < robe de mérinos, couleur brune, 20 f. 00 ; 1 jupon en toile de coton, 6 fOO ; 1 tablier noir (laine ou soie), 9 f 20 ; 1 mouchoir de cou (en soie), 4 f. 00 ; –1 mouchoir de tcto en laine de couleur, 3 f. 80 ; –

châle en laine imprimé, 10 f.00 ;- i paire de bas blancsen coton, 2 f. 00 ; 1 paire de souliers, 6 f. 00 ;–1 chemise en toile) fine, 4 f. 8S ; 1 long surtout en mérinos noir, 56 f. 00 ; .1 court surtout en drap blanc fin. 9 f. M ; – mouchoir de poche en toile fine, 1 f. 00. — Total, 132 f. 35. — Total pour la maîtresse de maison, y compris une alliance en or valant 8 f. 00, 140 f. 35.

Vêtements d'une femme (pour le travail). — 1 chemise de toile, 3 f. 60 ; — 1 habit (corsage et jupe) en drap noir, 12 f. 80 ; — 1 jupon en étamine grise, 4 f. 67 ; — 1 habit d’indienne, 11 f. 95 ; — 1 tablier d’indienne, 3 f. 08 ; — 1 mouchoir de cou (coton ou laine), 3 f. 00 ; — 1 mouchoir de tête (coton ou laine), 1 f. 80 ; 1 paire de bas en laine, 1 f. 20 ; — 1 mouchoir de poche en toile, 0 f. 90 ; — 1 paire de souliers, 5 f. 50 ; — 1 paire de sabots, 1 f. 25 ; — 1 long surtout en drap commun, 17 f. 00 ; — court surtout en drap blanc commun, 5 f. 00. — Total 71 f. 75.

Vêtements d'une femme (en provision ou en double). — 10 chemises de toile, 36 f. 00 ; — 10 mouchoirs de cou, 30 f. 00 ; — 10 mouchoirs de tête, 18 f. 00 ; — 10 paires de bas en laine, 12 f. 00 : — 10 mouchoirs de poche, 9 f. 00. — Total, 105 f. 00.

Vieux vêtements (même remarque que ci-dessus).

Valeur totale des vêtements d’une femme, 309 f. 10.

Valeur totale du mobilier et des vêtements. 5,465 fr. 55

§ 27

RÉCRÉATIONS

La famille composée de 15 personnes, trouve dans la vie commune, dans les jouissances et dans les devoirs de la propriété, des moyens suffisants de récréation. Elle songe rarement à s’en créer d’autres au dehors. Les principales circonstances qui rompent agréablement pour la communauté le cours ordinaire de l’existence sont : les exercices du culte, auxquels tous les membres de la famille assistent successivement les fêtes et les dimanches les repas composés de viande de boucherie et de vin qui ont lieu tous les jours où la famille exécute seule ou avec le concours des voisins certains travaux extraordinaires (§ 36) ; enfin, les excursions faites aux foires de Lourdes et d’Argelès pour la vente ou l’achat des bestiaux. Les droits à ce dernier genre d’amusement sont garantis par la coutume à chaque membre de la communauté ainsi, ceux qui possèdent des bêtes à laine à titre individuel (§ 22), vendent eux-mêmes leurs produits ; la vente d’une vache appartenant à la communauté est toujours pour les jeunes filles l’occasion d’un voyage à la foire.

Pendant les journées d’hiver, les femmes qui ne sont pas obligées de vaquer aux travaux du ménage prennent plaisir à filer, en compagnie des voisines, dans les thermes de Cauterets (§ 23). Elles se plaisent surtout, pendant les veillées d’hiver, près du foyer domestique, à entendre les récits amusants que fait le père de famille, en vue de prolonger la durée du travail.

Les hommes s’abstiennent absolument de l’usage du tabac et des spiritueux ; ils vont seulement trois ou quatre fois par an faire une consommation modérée de café dans les auberges de Cauterets, de Lourdes ou d’Argelès.