L’Orbe pâle/Troisième soir de lune et de bataille

Eugène Figuière et Cie (p. 18-19).


TROISIÈME soir de lune et de bataille.

L’Escadre est toujours là. Ses canons tonnent, ses torpilles éclatent.

Toute ma maison frémit. Tous ses yeux clos menacent d’éclater.

Mon cœur est dur au milieu de mes nerfs tendus.

Le fracas est dans mon être qui semble éclater, comme les torpilles et les obus déchaînés par ces jeunes hommes qui guerroient stérilement.

Cette guerre, à son aube, a réveillé mon audace, essoré mon désir, exaspéré mon attente.

Mais elle dure. Ce qui dure sans se renouveler n’est qu’une agonie.

Cette agonie bruyante que crée l’Escadre au large, m’étouffe. J’ai assez attendu la stérile victoire.

Le désir de ces jeunes hommes prisonniers dans ces vaisseaux errants, loin de leurs amours, je les sens comme un vent insidieux et chaud, comme un simoun.

Qu’on les libère ! Qu’ils partent pour leurs fécondes étreintes, abandonnant cette illusoire maîtresse qui n’a que des appas sans réalité, cette guerre stérile dont seuls sont victimes les obus condamnés à une mort solitaire et aussi stérile, eux qui furent créés pour la destruction et qui réclament une auréole de fer et de sang.

Mon ardeur que leur porta ma pensée, se dispersera aux lits enfiévrés des jeunes marins étreignant leurs amantes rejointes.

Et que tout soit silence !