L’Orbe pâle/Sur l’immense terrasse

Eugène Figuière et Cie (p. 6-7).


SUR l’immense terrasse, en ses coussins, Elle écoute et Elle attend.

Elle rêve d’une esclave jeune et belle, aux chevilles encerclées de jade et d’or. Sa voix serait limpide et elle saurait d’interminables histoires, qu’elle dirait dans une langue qu’on ne comprendrait pas. Puis, sur des airs éteints, d’instruments inconnus et mélancoliques, imaginés par des âmes sauvages en quête de découvrir leur mélancolie, et faits par des mains habiles à la seule confection des armes primitives, — peut-être de l’arc qui est la première réalisation musicale, — la souple et jeune esclave danserait, ivre et silencieuse, comme les lièvres sous la lune.

L’esclave jeune et belle et étrangère et souple, danserait sous la lune, et sur l’immense terrasse, dans le silence parfois déchiré par le hibou et l’obus, pour Elle, Elle perdue dans les coussins, portant au creux chaud de son giron la jeune tête de l’Amant, lourde de tout le désir de la nature paisible, de tout le désir aussi des jeunes conquérants retenus au large par le simulacre stérile de la guerre stérile.

Mais c’est l’éternelle attente.