L’Orbe pâle/Quelle nuit !

Eugène Figuière et Cie (p. 125-128).


QUELLE nuit !

Ce n’est plus l’attente sous la lune.

L’attente a toute la pâleur de la lune invisible, invisible pour moi, qui, dans ma chambre close, attend, attendait Celle qui est plus pâle que la lune, plus pâle que l’attente.

Celle-là, elle aurait pu me prendre tout au fond de la mer multicolore. Là, elle n’est plus pâle, elle a la couleur des algues et des goémons, des poissons multicolores, du sable sous-marin, de l’eau profonde et du soleil qui pénètre la mer.

Celle-là, elle aurait pu me prendre en plein élan, en toute vitesse quand ma volonté dompte les lois élémentaires. Là, elle n’est plus pâle, elle a la pourpre de l’orgueil.

Celle-là, elle aurait pu me prendre emmêlée avec Celui que j’aime, dans la possession qui crée et qui détruit. Là, elle a la couleur du vin et celle du sang, la couleur de l’ivresse.

Mais, lâche, elle est là, pâle, si pâle, guettant mon râle.

Je le sais et je la sens et je la méprise. Sous son regard blafard, blafard comme la lune, domptant mon mal, mon mal si soudain et si mystérieux, calmement, sans angoisse et sans peur, je fais autour de moi et sur moi le mystère.

Dans le silence nocturne, mon pouls qui bat, et le léger cri du papier que je déchire, du papier tout vibrant des pensées qui le marquent, de la musique d’âmes ardentes, d’âmes ardentes qui n’ont révélé que l’essence de leur amour.

Comment, avec un pouls si désordonné par le mal, mon âme est-elle si calme et clairvoyante ?

Maintenant, je sais que mon orgueil veille. Peut-être survivra-t-il cet indomptable, si rouge en face de la lâche qui est là, pâle, si pâle, guettant mon râle.

Le mystère autour de moi et sur moi est fait. Mon mépris ne peut pas grandir.

Quelle nuit !

Et voici l’aube, l’aube pâle comme la lune et comme l’attente.

Mon attente va donc finir.

Mais si c’était Elle, la lâche qui est là, pâle, si pâle, guettant mon râle, qui elle aussi devait attendre ?

Ceux qui m’ont aimée, sont là, avec moi, c’est-à-dire en moi.

Que diront-ils ? Que sentiront ils ?

Ce n’est pas une angoisse. Pour moi, maintenant, qu’importe ?

Mais Celui que j’aime ?

Mon cœur, mon cœur de chair bat violemment trois coups sourds.

Et je ne sais plus rien.

Je ne pleure pas sur moi.

Je pourrais sourire, sourire devant ma destinée.

Mais je ne souris pas.

Calmement, avec toute ma conscience, lucide comme elle fut toujours devant tout danger, lucide et sans crainte, j’attends.

J’attends, celle qui plus pâle que la lune, plus pâle que l’attente, est là, la lâche, qui aurait pu me prendre parmi la beauté, et qui derrière la porte de ma chambre que pénètre l’aube pâle, plus pâle que la lune, est là pâle, si pâle, guettant mon râle.

L’attente se précise.

C’était donc cela mon attente ! Sous la pâle lune, je croyais que j’attendais le soleil, je croyais que j’attendais la Vie, avec le plus pur de mon sang.

C’était donc cela que j’attendais.

J’attends celle qui est là, pâle, si pâle guettant mon râle.

J’attends Celle qui m’attend.