L’Orbe pâle/Cette nuit, avant que la lune ne soit levée

Eugène Figuière et Cie (p. 67-68).


CETTE nuit, avant que la lune ne soit levée, l’obscurité a été déchirée. Tout à coup, il a fait grand jour. Sur la terre, une rumeur obscure a passé, dans un immobile tressaillement. L’un des monstres de l’Escadre imposait le jour à la nuit.

Puis tout redevint obscur. Et j’ai pensé : « Être ainsi réveillée dans une ville assiégée, savoir que cette factice aurore est l’annonce de la mort. Puis entendre les coups sourds du canon et épier celui qui explosant dans votre demeure en jettera les débris aux quatre vents. Savoir qu’on n’aura pas peur pour soi, mais pour tout ce qui atteste votre vie et fait votre atmosphère. Si l’on n’est pas mis en pièces soi-même, rester seule au milieu de la destruction, sans plus de passé, comme à sa naissance, mais avec tous les regrets. Et scruter ce qui serait le plus horrible : recommencer sa vie ou se tuer alors que la fatalité vous a refusée. »

J’aime cette méditation dans la paix, dans la paix que trouble sans la détruire les canons, qui las d’attendre un moment héroïque, doivent tonner, pour que les poudres impatientes n’explosent pas en détruisant leurs créateurs. Les hommes seuls savent attendre, ils n’ont pas imposé à leurs créations l’interminable attente.