L’Orbe pâle/Aujourd’hui sans mon pêcheur et sans sa barque

Eugène Figuière et Cie (p. 97-98).


AUJOURD’HUI, sans mon pêcheur et sans sa barque, j’ai nagé loin, loin dans la haute mer. Quelle infinie sérénité, dans cette suprême solitude, dans ce grand abandon. Mon corps si souple, sans crispation et sans révolte, semblait se mouvoir dans l’air, sans la tare de l’appui, sans la lourdeur des ailes. Il était fluide comme l’eau, et roulait et se tournait comme elle. Point de heurts, point de détours, point de résistances. Des caresses, des caresses, des caresses. L’amour de soi, mais avec des mains innombrables et fluides, et des chevelures lentes et des chevelures douces et des chevelures insaisissables, jamais nattées, jamais nouées, jamais liées. Une chevelure plus douce, plus souple et plus câline que la plus douce, la plus souple, la plus câline chevelure de ma plus douce, de ma plus souple, de ma plus câline amie. Et une chevelure immense comme la mer, où se perdre, où se perdre à jamais.

Quelle sérénité, dans cette suprême solitude, dans ce grand abandon, dans cette infinie caresse, dans l’azur… alors que la Mort, toute proche, guette, la Mort, qui seule épie, guette, attend.