Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 31-33).


MIDI


Un store de paille est penché
Sur la vitre où le soleil donne ;
La cloche du déjeuner sonne,
L’air sent la rose et le pêcher ;

Des guêpes de vol et de lucre
Dans la claire salle à manger
Sont arrivées du potager
Pour le melon et pour le sucre.


Les compotiers sont pleins de fruits,
Les guêpes s’en vont et reviennent ;
Les plats de faïence ancienne
Se fêlent d’entendre du bruit.

— Soigneux de vos douces haleines,
Pour vous, beaux fruits d’un goût si fort,
Les couteaux ont des lames d’or
Et des manches de porcelaine…

Dans un coin près d’un broc d’étain
Une araignée alerte file :
— Les fruits qu’on mange au soir tranquille
Ne sont pas si bons qu’au matin.

Il faut qu’un peu de soleil dore
Le mal vif et doux qu’on leur fait,
Et que leur fraîche agonie ait
L’encouragement de l’aurore ;


Pour que, plus émus, nous pressions
Leur chair suave qui rayonne,
Il faut que le matin leur donne
Sa luisante exaltation

Il faut que la claire rosée
Ait attendri leur cœur juteux,
Et que leurs corps saignent un peu
La molle existence brisée…