L’Italie et la révolution italienne de 1848/02

L’Italie et la révolution italienne de 1848
Revue des Deux Mondes, période initialetome 24 (p. 139-165).
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L'ITALIE


ET LA


REVOLUTION ITALIENNE DE 1848.




DEUXIEME PARTIE.
LA GUERRE DE LOMBARDIE, LE SIEGE ET LA CAPITULATION DE MILAN.




I

Lorsque la révolution milanaise éclata, je me trouvais à Naples. Je ne pus résister au désir de rejoindre aussitôt mes concitoyens, et je me hâtai de louer un bateau à vapeur qui devait me transporter à Gênes. A peine le bruit de mon départ s’était-il répandu, que je pus reconnaître combien la cause lombarde éveillait de chaudes sympathies dans la population napolitaine. Des volontaires de toutes les classes venaient me supplier de les emmener avec moi en Lombardie, et, pendant les quarante-huit heures qui s’écoulèrent avant mon embarquement, ma maison ne désemplit pas : près de dix mille Napolitains voulaient partir sur-le-champ, mais le bateau à vapeur que j’avais loué ne pouvait contenir que deux cents passagers. Ce fut donc un corps de deux cents volontaires seulement que je consentis à transporter en Lombardie, et la petite phalange, on le devine, ne tarda pas à se trouver au complet. On avait rarement vu toute une population s’arracher aussi brusquement à un long repos sous l’influence d’une même pensée de guerre et de dévouement. Parmi les jeunes gens qui demandaient à me suivre en Lombardie, les uns, appartenant aux premières familles de Naples, s’étaient échappés furtivement de leurs maisons pour venir me trouver, et n’emportaient sur eux que quelques carlins ; les autres, modestes employés, échangeaient sans regret contre la vie des camps la place qui les faisait vivre ; des officiers s’exposaient au châtiment des déserteurs pour aller porter le mousquet contre l’Autrichien ; des pères de famille s’éloignaient de leurs femmes et de leurs enfans, et un jeune homme, dont le mariage long-temps attendu devait être célébré le lendemain du jour fixé pour mon départ, faisait passer la défense de la patrie avant les plus chers devoirs.

Je n’oublierai jamais le moment de ce départ. Le temps était admirable, et l’embarquement devait avoir lieu à cinq heures du soir. Lorsque j’arrivai au bateau, la mer était déjà couverte de légères embarcations accourues de toutes parts afin de nous souhaiter un heureux voyage. Au milieu de cette foule de navires, le nôtre était aisément reconnaissable à la rangée d’armes étincelantes qui couvraient le pont et dépassaient le bordage. Mes volontaires m’attendaient. Pendant les courts instans qui furent remplis par les derniers préparatifs, nous fûmes encore assaillis d’innombrables demandes. De tous les petits bâtimens qui entouraient le nôtre s’élevaient des voix suppliantes pour nous conjurer d’inscrire un nom de plus sur notre liste, déjà complète. Nous ne pûmes malheureusement opposer que des refus réitérés à ces instances si pressantes, et, lorsque notre bateau se détacha du rivage, un seul cri partit de cent mille bouches ; tous nous laissaient pour adieu ces mots : « Nous vous suivrons ! »

Notre traversée fut des plus rapides. A Gênes, nous trouvâmes un accueil vraiment cordial. La population milanaise s’était préparée également à saluer notre arrivée par des témoignages de sympathie auxquels le gouvernement provisoire jugea prudent de s’associer. Mes deux cents volontaires étaient, après les soldats piémontais, les premiers Italiens venus en Lombardie pour prendre part à ce que l’on appelait alors la croisade et la guerre sainte. La présence à Milan du premier corps de volontaires napolitains semblait garantir que la guerre contre l’Autriche allait devenir une guerre italienne, au lieu d’être une guerre lombardo-piémontaise. Les départs consécutifs de quatre autres légions napolitaines vinrent bientôt ajouter au sentiment de confiance que l’arrivée de ces premiers volontaires avait déjà inspiré. Quelques-uns de nos gouvernans se refusèrent pourtant à le partager. Appelée en quelque sorte à répondre du sort des jeunes gens qui m’avaient suivie de Naples à Milan, je cherchai plus d’une fois à appeler sur eux l’intérêt du gouvernement provisoire, et je me heurtai trop souvent contre une mauvaise volonté qui ne se déguisait guère. Il m’arriva, par exemple, de présenter mes volontaires napolitains comme l’avant-garde d’une armée de cent mille hommes, composée de toute la jeunesse italienne, qui n’hésiterait pas à accourir au moindre appel. — Dieu nous garde, s’écriait-on, d’un pareil secours ! — Je jugeai inutile de prolonger la discussion. Pourtant ce sont des volontaires napolitains qui ont concouru à la défense de Trévise et de Vicence, et aujourd’hui encore Venise renferme dans ses murs attaqués des défenseurs qui ont quitté pour la secourir les beaux rivages de Sorrente et les gorges sauvages de la Calabre.

Quand j’arrivai à Milan, les Autrichiens n’avaient quitté la ville que depuis huit jours, et les barricades encombraient encore les rues. C’était la première fois que je voyais les couleurs italiennes flotter sur les murs de la capitale lombarde. J’éprouvais une joie profonde et sans mélange. Tout m’annonçait que l’enthousiasme politique n’était pas refroidi, mais tout aussi ne tarda pas à me prouver que la situation du pays n’était pas comprise par ceux à qui était échue la difficile mission de la dominer et de la diriger.

Si je jetais les yeux sur le théâtre de la guerre, je ne me sentais rassurée ni par les mouvemens de l’armée piémontaise, ni par la direction donnée aux généreux efforts de nos volontaires. Charles-Albert, à la tête de plus de cinquante mille hommes de belles et de bonnes troupes, marchait, il est vrai, sur les places fortes encore occupées par les Autrichiens, tandis qu’un appel aux armes parcourait l’Italie, et forçait les princes à envoyer leurs contingens en Lombardie. Un moment (ce fut pendant les quelques jours qui précédèrent la capitulation de Durando et le rappel des troupes napolitaines), le chiffre des troupes régulières italiennes marchant contre l’Autriche s’éleva presque à cent mille hommes. En même temps, le général Perron organisait le contingent lombard, qui devait suffire, et au-delà, à réparer les pertes de cette armée. Personne pourtant ne suivait sans inquiétude la marche de la guerre. Entouré de son vieil état-major de comtes et de marquis piémontais, Charles-Albert se plaisait à tracer des plans stratégiques qui eussent peut-être fait honneur à Frédéric-le-Grand ou à Charles XII, mais qui n’avaient plus de sens depuis la révolution opérée par Napoléon dans l’art de la guerre. Les troupes piémontaises s’avançaient à pas lents vers Mantoue et Vérone, perdant un temps précieux à de longs travaux de siège, tels que chemins souterrains, redoutes, etc., qui ne devaient servir à rien, et chaque jour cependant de nombreux renforts arrivaient d’Allemagne. L’enthousiasme des soldats piémontais se refroidissait d’ailleurs, il faut bien l’avouer, devant les souffrances qui venaient les surprendre loin de l’ennemi. C’est surtout l’armée piémontaise qui eut à se plaindre du gouvernement provisoire. Les autorités communales, qui avaient été maintenues dans leurs fonctions, étaient pour la plupart aux gages de l’Autriche, de sorte que les vivres destinés aux Piémontais furent très souvent livrés aux Autrichiens. En même temps, aucune manœuvre de l’armée italienne n’échappait aux espions de Radetzky. De là une défiance qui devait bientôt séparer fatalement deux peuples dont l’union importait au salut de l’Italie.

Du côté de la frontière, défendue par nos volontaires si dédaignés, la guerre avait un autre caractère. Il faut le dire à la louange des jeunes légions italiennes, les seuls passages à travers lesquels aucun Autrichien ne put se frayer un chemin, ce furent les défilés des Alpes tyroliennes, placés sous leur garde, dominant Brescia, Bergame et Salo. On accusait, il est vrai, les volontaires de manquer de discipline et d’unité dans leurs mouvemens. Pendant plusieurs jours, en effet, après l’ouverture des hostilités, les commandans Mannara, Anfossi, Thamberg, Griffini, Torre, Borri et Arcioini avaient été livrés à leurs propres inspirations, et chacun avait pu diriger ses colonnes comme bon lui semblait. Enfin, le bruit s’étant répandu que le Tyrol avait été occupé par nos volontaires, la crainte d’agir contrairement au droit des gens et d’attirer sur lui-même le courroux de la diète de Francfort décida le gouvernement provisoire de Milan à investir du commandement des colonnes de la frontière le général Allemandi, Piémontais d’origine, mais dont la Suisse était la patrie d’adoption. Les marches et contre-marches inexplicables qui furent exécutées sous les ordres de ce général, et dont les suites furent souvent désastreuses, firent bientôt crier à la trahison. Je ne rapporterai qu’un seul des faits qu’on mit en avant contre le général Allemandi.

Dans les premiers jours d’avril, quelques volontaires de la colonne Mannara s’étaient attardés dans le village de Castel-Nuovo, situé à quelques toises du lac de Garda, du côté de la grande route de Milan à Venise. Surpris pendant la nuit par un corps d’Autrichiens qui leur était dix fois supérieur en nombre, les volontaires lombards réussirent, à force de bravoure et de sang-froid, à se dégager en bon ordre du cercle fatal qui les enfermait ; mais Castel-Nuovo restait, et les Autrichiens résolurent d’assouvir leur rage sur les habitans. Le bruit de la fusillade et du tocsin ne tarda pas à avertir le corps des volontaires, campé à Riva, sur les bords du lac, que l’on se battait du côté de Castel-Nuovo. Le général Allemandi se décida à envoyer quelques hommes au secours de ce malheureux village. Tous les volontaires sont en un instant rassemblés et prêts à partir. Ils reçoivent des complimens sur leur zèle et l’ordre de s’embarquer sur un bateau à vapeur qui va les transporter à quelques pas de Castel-Nuovo. On part ; ces volontaires étaient, pour la plupart, des jeunes gens de bonne famille, accoutumés à une vie douce et même efféminée, n’ayant jamais vu le feu, ni supporté les fatigues des camps. Ils n’en étaient que plus impatiens et plus joyeux de se trouver en face de l’ennemi. Le bateau avait gagné le large ; les volontaires apercevaient à quelque distance un point lumineux dont le reflet colorait en rouge une partie du ciel ; ils comprenaient que c’était là Castel-Nuovo en feu, et ils eussent volontiers gagné la terre à la nage. Une heure, deux heures s’écoulent, et Castel-Nuovo ne semble pas se rapprocher. Un des volontaires qui avait servi jadis dans la marine autrichienne, soupçonnant quelque ruse, descend alors à la machine ; il trouve les robinets ouverts, de façon à ce que la vapeur s’échappât au lieu de pousser la roue. Il remonte, et le machiniste, interrogé sur un fait aussi étrange, répond en tremblant que tel est l’ordre donné par le capitaine du bateau. Le commandant du détachement des volontaires est alors averti, le capitaine du bateau est arrêté, le machiniste reçoit l’ordre de remettre la machine en mouvement ; mais il était trop tard. Lorsqu’au point du jour les volontaires purent atteindre le rivage[1], la dernière maison de Castel-Nuovo achevait de brûler, et la dernière victime des Autrichiens rendait l’ame. Le capitaine du bateau fut remis entre les mains du général AIlemandi et des magistrats civils de Riva pour qu’on instruisît son procès, précaution fort inutile, car, deux jours plus tard, il fut rendu à la liberté, et put remonter sur son bateau, qu’il continua de commander.

Le général Allemandi ne tarda pas à être rappelé par le gouvernement de Milan, qui enjoignit aux autorités de Bergame de lui donner une escorte jusqu’à Milan. Le gouvernement central lui destinait une escorte d’honneur ; mais le bruit de la trahison du général était si généralement accrédité, que les autorités de Bergame pensèrent qu’il s’agissait d’une escorte de sûreté. Elles le placèrent donc au milieu d’un escadron chargé de le conduire jusqu’à Milan, où le général arriva un matin dans le triste appareil dun prisonnier d’état. Le gouvernement lombard se hâta de lui accorder réparation pleine et entière. Aucune enquête publique n’eut lieu, et on déclara officiellement que le général Allemandi était un excellent patriote. Le colonel Jacques Durando, auteur d’un ouvrage sur l’Italie et frère du commandant de l’armée romaine, fut promu au grade de général, et remplaça Allemandi dans le commandement des volontaires.

Je n’ai pas à raconter l’histoire des combats et des fatigues qui éprouvèrent la patience des légions confiées au général Jacques Durando. Avant toutefois d’aborder le récit des événemens qui se passèrent au cœur de la Lombardie, je me bornerai à indiquer les principales positions occupées par ces volontaires. Les faits que j’ai déjà racontés me dispensent de dire comment ces positions furent défendues. Les colonnes de Mannara, Anfossi, Thamberg, occupaient les défilés qui mènent des lacs de Garda et d’Idro dans le Tyrol italien, la vallée de Lodrone, le fort d’Anfo, le pont de Storo, la vallée du Caffaro, les monts du Fouale, etc. Les colonnes Griffini, Torres et Arcioni s’étaient portées du côté de Mantoue. Outre la première colonne de volontaires napolitains qui fut incorporée à la colonne Thamberg, d’autres légions des mêmes volontaires furent dirigées de Pavie par les bateaux du Pô sur Mantoue et sur la Vénétie. Des bataillons de volontaires des duchés se portèrent du même côté ; enfin les volontaires toscans, et le bataillon universitaire de Pise entre autres, gardèrent aussi les environs de Mantoue. La Vénétie tout entière était confiée aux volontaires de la légion Antonini, venue de Paris et composée d’Italiens, de Français et de Polonais. On y avait également envoyé une partie de la garde nationale de Milan, qui avait obtenu d’être mobilisée, et à laquelle s’étaient joints les séminaristes de cette ville.

Telle était donc la situation des forces italiennes : aux frontières et dans la Vénétie, de nombreux corps de volontaires luttant contre des difficultés sans nombre avec un courage infatigable ; dans la Lombardie même, l’armée piémontaise en présence des Autrichiens maîtres de quelques places fortes. Quant à l’attitude des troupes ainsi partagées, on peut la caractériser en deux mots : si l’armée piémontaise opérait trop méthodiquement, il est juste de dire que les mouvemens des volontaires péchaient par absence complète de méthode. Pendant que la guerre se faisait ainsi d’une part avec la lenteur d’une tactique surannée, et de l’autre avec toute la témérité de l’inexpérience, voici ce qui se passait à Milan.


II

Je m’étais attendue à y trouver la discussion établie sur la forme du gouvernement qui conviendrait le mieux à la Lombardie. Aussi ne fus-je pas médiocrement étonnée d’apprendre en arrivant que le mot d’ordre des constitutionnels était le silence. Je demandai aux principaux représentans de ce parti pourquoi l’on ne s’adressait pas au peuple par des discours, aux classes plus lettrées par des écrits. L’on me répondit avec effroi qu’agir ainsi, ce serait manquer à toutes les lois de la prudence ; que, le parti républicain étant de beaucoup le plus fort, les constitutionnels n’avaient d’autre moyen pour ne pas divulguer leur faiblesse, que de faire le moins de bruit possible, de vivre enfin comme s’ils n’existaient pas. Je fis remarquer à ceux qui me tenaient ce langage qu’une pareille tactique ne me paraissait nullement propre à relever une cause compromise. Je ne fus pas écoutée ; mais je ne perdis pas courage, et je me décidai à tenter presque seule ce que des constitutionnels trop timides avaient déclaré impossible.

L’expérience m’avait appris ce qu’une idée juste gagne à se servir sans relâche de tous les modes de propagation et de publicité. Quelques amis partageant à cet égard ma manière de voir, nous nous efforçâmes de faire accepter, en les répétant sans cesse, des vérités que notre pays avait pour le moment un intérêt essentiel à ne pas méconnaître. Nous disions que ce qu’il nous fallait d’abord, c’était une armée capable de nous délivrer des Autrichiens ; que pareille armée n’existait qu’en Piémont, ce qui rendait nécessaire notre union avec ce pays ; que, l’esprit de la nation piémontaise étant éminemment monarchique, nous ne pouvions accomplir cette union qu’en adoptant pour forme de gouvernement la monarchie constitutionnelle. Après deux ou trois semaines de discussion verbale, nous publiâmes un journal intitulé le Crociato, qui devint l’organe d’une nuance des constitutionnels. Je fis paraître aussi deux courts écrits sur la forme de gouvernement la plus favorable à notre affranchissement. L’accueil fait à ces publications, de fort peu d’importance en elles-mêmes, démontra suffisamment que le parti républicain n’était ni aussi considérable ni aussi contraire à toute transaction qu’on le supposait. La question une fois posée sur ce terrain : — la Lombardie doit-elle s’unir au Piémont, ou former à elle seule un état indépendant ? — fut bientôt et presque unanimement résolue dans le sens de l’union avec le Piémont. Cette solution impliquait l’adoption du gouvernement constitutionnel et assurait ainsi le triomphe de la monarchie représentative, puisque les opinions contraires croyaient devoir ou se condamner au silence ou se rallier transitoirement à l’opinion constitutionnelle. Quelques jours de discussion avaient ainsi mis en évidence la très grande majorité qui était acquise à cette dernière opinion. On fit hommage de ce résultat au bon sens national, qui s’était promptement converti au système monarchique. La vérité est que le bon sens national n’avait jamais perdu de vue les avantages réels qui résultaient pour la Lombardie de son union avec le Piémont.

La question paraissait donc vidée, et le gouvernement provisoire voyait ainsi disparaître une des grandes difficultés de la situation ; mais ses actes imprudens ne tardèrent pas à lui créer de nouveaux obstacles. Au moment où le besoin de l’union se faisait sentir à tous les partis, une suite de mesures maladroites vint rétablir d’anciennes divisions et réveiller partout l’inquiétude. Pendant quelques jours, Milan reprit confiance, se reposant sur la force des armées réunies de la Lombardie et du Piémont, ainsi que sur les promesses formelles du roi. Bientôt cependant il fut impossible de persister dans cette confiance. Les employés n’étaient plus payés qu’à de rares intervalles et par de faibles à-compte, l’armement de nos soldats n’avançait pas ; les membres du gouvernement ne parlaient que de leurs embarras pécuniaires, de l’impossibilité d’acheter des fusils, de fournir les équipemens, etc. On parlait souvent dans la ville des mesures étranges auxquelles l’un des secrétaires du gouvernement provisoire avait conseillé de recourir pour se procurer l’argent nécessaire aux paiemens de la fin du mois. Il fallait, disait-il, aller demander cet argent de porte en porte ; et comme on lui objectait que les citoyens ne donneraient pas d’argent et que tout serait dit : « Eh bien ! en ce cas, ajoutait-il, nous nous ferons suivre par une bande de peuple à laquelle nous dénoncerons les récalcitrans. » Les mêmes hommes qui proposaient sérieusement de confier au peuple un si étrange rôle étaient pourtant ceux qui se montraient le plus contraires à son intervention dans les affaires politiques.

Ce fut au milieu de ces agitations que le bruit du mécontentement général de l’armée piémontaise se répandit sourdement dans la ville. Des individus arrivant du quartier-général représentaient le roi comme résistant avec désespoir aux instances de ses lieutenans et de ses soldats, qui exigeaient ou la prompte réunion de la Lombardie au Piémont, ou la conclusion de la paix et le retour au-delà du Tésin. Le roi craignait, ajoutait-on, de ne pouvoir s’opposer sans péril aux résolutions de son peuple, car il n’était plus qu’un prince constitutionnel et se voyait dès-lors forcé de rendre compte aux chambres de sa conduite et de ses actions. L’effet de ces bruits fut, on le devine, de replacer la population lombarde en face d’une question dont elle avait résolu d’ajourner prudemment le débat, pour ne pas se diviser avant la fin de la guerre. L’esprit de dissension reparut dès-lors dans la ville, et les partis s’agitèrent de nouveau.

Les hommes dévoués à l’opinion républicaine, ceux qui voulaient bien accepter Charles-Albert, mais à la condition que telle fût, sans nul doute, la volonté nationale, ceux qui ne considéraient pas le concours du Piémont comme nécessaire à notre triomphe, étaient d’avis de ne prendre aucun souci des plaintes des Piémontais, et de ne rien changer à la détermination sagement prise dès le commencement de la guerre. Ceux qui voyaient dans les rapports arrivés du camp l’expression sincère des sentimens piémontais, et qui n’espéraient pas pouvoir vaincre sans la coopération de Charles-Albert, reprochaient aux républicains de préférer au salut de la patrie le triomphe d’un principe et de ne vouloir ajourner l’union que dans l’espoir de l’empêcher plus tard. De tels reproches chaque jour échangés n’excitaient que trop puissamment l’esprit de discorde. Effrayée du progrès de cette irritation dangereuse, je proposai alors au gouvernement d’ouvrir dans chaque paroisse des registres sur lesquels tous les citoyens seraient appelés à déclarer : 1° quelle forme de gouvernement ils choisissaient ; 2° s’ils préféraient voir cette forme de gouvernement s’établir immédiatement ou attendre dans le statu quo la fin de la guerre. M. Gioberti avait fait, dit-on, vers le même temps, une proposition assez semblable à la mienne, sauf quelques modifications qui furent adoptées. On va juger de la portée de ces modifications.

Le gouvernement ouvrit des registres dans chaque paroisse. Sur la page de gauche, les citoyens qui voulaient attendre pour se donner à Charles-Albert que la guerre fût terminée étaient invités à s’inscrire ; ceux qui désiraient au contraire l’union immédiate avec le Piémont devaient écrire leur nom sur la page de droite. L’on voit qu’il ne s’agissait pas de choisir entre la république et Charles-Albert. Charles-Albert était présenté comme inévitable ; il restait à décider si l’on voulait se donner à lui sur-le-champ ou attendre la fin de la guerre. A l’appui de cette mesure, le gouvernement donnait moins des explications que des ordres. L’on disait aux populations : Le gouvernement provisoire est dans le plus grand embarras ; ses finances sont épuisées ; il ne peut mettre une armée sur pied ; il va être forcé de demander aux populations d’énormes sacrifices qui ne pourront, en aucun cas, lui suffire. Que sera-ce si l’armée piémontaise se retire ? Le retour des Autrichiens est inévitable. Si vous vous donnez au contraire sans délai à Charles-Albert, le gouvernement provisoire se démet, vos finances sont se trouver fondues avec les finances très prospères du Piémont et gérées par les sages administrateurs piémontais. L’armée piémontaise sera la vôtre, et vos soldats lombards, incorporés dans les régimens piémontais, seront instruits et dirigés par de véritables officiers. Le Piémont est un état fortement constitué, et ce n’est qu’en vous unissant à lui que vous sortirez du régime provisoire où vous vous traînez douloureusement depuis deux mois.

C’est à peine s’il y eut quelques noms sur la page de gauche ; mais la susceptibilité de la population avait été vivement blessée, et des germes nombreux de mécontentement avaient été répandus. Ceux qui souhaitaient la république et qui ne voulaient se soumettre qu’à la volonté nationale librement exprimée se plaignirent non sans raison de ce que l’on écartait implicitement une question importante, en ayant l’air de la considérer comme déjà résolue. Quant aux partisans éclairés de la monarchie constitutionnelle, ils ne pouvaient admettre qu’il fût sage de se défier ainsi du libre jugement des Lombards. Ne valait-il pas mieux poser franchement la question et offrir le choix à la nation lombarde entre la république et la monarchie ? Oui, sans doute, car on n’eût fait par ce moyen que constater la grande minorité du parti républicain.

Quelques membres du gouvernement provisoire se rendirent auprès du roi pour lui apprendre le résultat du dépouillement des registres, et lui apporter l’hommage de ses nouveaux états. Charles-Albert se montra fort calme et peu empressé ; il répondit que c’était aux chambres de Turin à se prononcer définitivement sur l’acceptation de ce surcroît de territoire. Les députés se rendirent donc à Turin, où ils ne furent pas très favorablement accueillis. Le parti de la cour ne voyait pas sans inquiétude l’adjonction d’une province dont la population avait des instincts républicains, des mœurs et des habitudes démocratiques. La clause insérée par les Milanais dans leur acte de fusion, touchant la convocation d’une assemblée constituante à laquelle il appartiendrait de régler les rapports des différentes provinces entre elles, ainsi que ceux du peuple et du pouvoir, fut interprétée par la noblesse piémontaise comme un faux-fuyant et une réserve en faveur de la république. On craignit aussi que la constituante lombarde ne s’ingérât de déplacer le siège du gouvernement. Cette double crainte, habilement exploitée par les ennemis de l’unité italienne, donna lieu à plusieurs séances scandaleuses, et accrédita l’opinion déjà répandue en France au sujet de nos discordes municipales.

Milan pourtant ne s’était que faiblement ému à l’annonce des démonstrations hostiles que la proposition de fusion avait suscitées au sein du parlement de Turin. Les députés milanais accédèrent à un amendement par lequel il était interdit à la future assemblée constituante de mettre en question l’existence de la monarchie constitutionnelle personnifiée par un prince de la maison de Savoie et les privilèges de la ville de Turin en sa qualité de capitale. Cette concession termina le débat. Peu de temps s’écoula entre la fusion (je me sers de l’expression consacrée) de la Lombardie et celle de la Vénétie. Le même cérémonial fut adopté pour celle-ci, et le résultat principal d’événemens aussi graves fut la création d’un ministère dans lequel les différentes provinces, les anciennes comme les nouvelles, avaient leurs représentans. — MM. Casati et Collegno représentaient la Lombardie, M. Pareto Gênes, M. Gioja Parme, M. Paleocopo Venise. — Cette dernière ville s’était réunie au Piémont pour en obtenir des troupes. Elle reçut deux ou trois mille Piémontais et un secours pécuniaire de 800,000 fr. Milan s’était donné au Piémont dans l’espoir d’être délivré sans retard de son gouvernement provisoire. Pendant long-temps encore, son espoir fut déçu. L’autorité demeura à ceux qui en avaient fait jusque-là un si déplorable usage. Les sacrifices dont on avait menacé le pays, dans le cas d’une résistance aux demandes du Piémont, lui furent imposés aussitôt après la fusion, et l’armement ne marcha pas plus vite.

Les actes qui précédèrent la dissolution du gouvernement provisoire montrèrent, il est vrai, que ce gouvernement lui-même avait le sentiment de son impuissance. Quant à la population milanaise, peut-on sérieusement la rendre responsable des désastres qui se succédèrent si rapidement ? Est-il bien vrai que le gouvernement n’eût en face de lui que des partis irréconciliables ? C’est ce qu’il faut, avant tout, examiner.

Ce n’étaient pas ses opinions que l’on reprochait au gouvernement provisoire. Ce qu’on lui reprochait surtout, nous le répétons, c’étaient ses lenteurs inexplicables et les tendances autrichiennes de sa police. Il n’y avait pas, à proprement parler, deux partis à Milan. Les républicains avaient mis leur république en quarantaine, et se contentaient de soutenir la supériorité théorique de cette forme de gouvernement dans le journal de M. Mazzini, sans songer à la mettre en pratique dans le moment actuel. La garde nationale, qui représentait la classe moyenne, s’était constituée en assemblée délibérante, et envoyait une ou deux fois par semaine des députés au gouvernement pour lui adresser des remontrances et des conseils[2]. A côté des républicains qui ajournaient de bonne grace la mise en pratique de leurs théories, à côté de la classe moyenne qui s’efforçait d’arracher le gouvernement à son apathie dangereuse, l’attitude du peuple faisait honneur à son bon sens, à sa modération. Le peuple sentait à merveille le tort que le gouvernement faisait à sa cause. S’il supportait avec patience une domination si funeste au pays, c’est qu’il tenait surtout à ne point mériter le reproche de se plaire aux désordres civils, pendant que l’ennemi était à ses portes. Il n’ignorait pas qu’il faudrait substituer au gouvernement du 22, mars un gouvernement nouveau, qu’il faudrait composer celui-ci d’hommes plus ardens, plus énergiques, et qu’on ne trouverait de pareils hommes que dans les rangs du parti républicain. Or, le peuple se disait : Si nous renversons nos gouvernans pour leur substituer les partisans de la république, que dira-t-on de nous ? Que nous avons fait un mouvement républicain, anticonstitutionnel, antipiémontais ; la discorde se mettra entre l’armée piémontaise et le peuple lombard, entre les républicains et les constitutionnels, et notre désunion fera la joie de l’Autriche. Souffrons tout plutôt que de fournir le plus léger prétexte à nos ennemis. Forçons le gouvernement à marcher, mais ne le renversons pas, et attendons qu’il soit naturellement absorbé par le gouvernement piémontais. Le peuple comme la classe moyenne, se bornait donc à de simples démonstrations, auxquelles les dépositaires du pouvoir ne répondaient que par des promesses.

Toutefois le gouvernement lui-même, nous l’avons dit, avait fini par sentir sa faiblesse et par agir en conséquence. Pressé et harcelé par les dénonciations journalières de la presse et de la voix publique, le ministre de la guerre destitua le plus taré de ses employés, celui dont la nomination avait causé le plus de scandale : il pria le gouvernement de charger une commission de mettre en ordre les comptes du ministère et d’épurer son administration. La commission siégea pendant quelques jours au ministère ; mais son règne fut de courte durée, car elle déclara, ces quelques jours écoulés, que le désordre était trop grand pour qu’il fût possible d’y porter remède à moins de pouvoirs plus étendus que ceux dont elle jouissait. La commission se sépara donc, et le désordre continua.

La police suivit l’exemple du ministère de la guerre. Ne pouvant plus supporter les reproches trop fondés que lui attirait son entêtement à employer des créatures de l’Autriche, le triumvirat de la police nomma ou fit nommer par le gouvernement provisoire une commission dite des sept, dont les attributions consistaient à rechercher les correspondances, les conspirations et les tendances autrichiennes partout où il s’en trouvait, et à en faire bonne et prompte justice. Ceci avait lieu peu de temps après l’irruption des forçats de Mantoue dans le Milanais. Quelques actes de sévérité firent un moment espérer au peuple qu’il serait enfin délivré des impurs débris du régime autrichien. Cet espoir fut bientôt déçu. L’homme le plus influent des sept se rencontrait souvent dans les salons avec les membres de l’ancien triumvirat : la conformité des occupations ne tarda pas à changer ces relations toutes mondaines en des rapports plus intimes ; les sept et les trois finirent par travailler ensemble, par se concerter sur les mesures à prendre, et il ne leur manqua que l’habileté pour donner à Milan son conseil des dix.

La commission réformatrice du ministère de la guerre s’était dissoute, et le ministre, M. Collegno, appelé à remplir ces mêmes fonctions dans le cabinet de Turin, avait été remplacé à Milan par le général Sobrero, Piémontais peu connu dans cette ville. Il fallut donc que le gouvernement cherchât de nouveau à s’abriter contre la défiance générale, et il nomma un comité dit de défense, composé de trois membres, le général Fanti et MM. Restelli et Maestri. Peu de jours après la nomination de M. Casati à la présidence sans portefeuille du nouveau ministère, ou, pour mieux dire, du ministère remanié, un commissaire royal, le général Olivieri, se présentait au palais du Marino et exhibait le décret qui le substituait au gouvernement provisoire, déjà en partie dispersé. Ceux des membres de ce gouvernement qui occupaient encore leurs places élevèrent quelques objections contre la forme de cette substitution ; mais peu de jours suffirent pour corriger ce que cette forme pouvait avoir d’imparfait, et le gouvernement provisoire de la Lombardie s’éteignit sans bruit, sans éclat, presque furtivement, et sans laisser derrière lui aucun regret. Son dernier acte fut un avis quelque peu comminatoire adressé à tous les citoyens, qui étaient invités à porter à la monnaie le superflu de leur argenterie. On réalisa ainsi une somme de quatre millions. La création du comité de défense avait eu lieu vers le milieu de juillet ; la substitution du commissaire royal au gouvernement provisoire se fit le 20 du même mois. Milan ne savait encore quel jugement porter sur un si brusque changement de régime, lorsque de graves événemens, préludes de nos derniers désastres, vinrent détourner et absorber l’attention publique.


III

C’est le 26 juillet qu’arriva à Milan la nouvelle d’une victoire éclatante/remportée par les Italiens et de la prise de Vérone. Les dispositions stratégiques du roi et de ses généraux avaient été sévèrement blâmées jusqu’à ce jour. On avait peine à comprendre comment l’on osait, avec une armée de cinquante mille hommes, occuper une ligne de vingt à trente lieues, sur laquelle s’ouvraient comme trois batteries terribles les forteresses de Mantoue, de Vérone et de Legnago, gardées chacune par des forces considérables. La nouvelle de cette victoire dissipa nos appréhensions, et on admira le bonheur étrange qui faisait tourner nos fautes mêmes à notre avantage.

Cette joie fut de courte durée, et presque immédiatement l’annonce d’un revers vint nous surprendre. Interdits, nous ne savions à laquelle des deux nouvelles ajouter foi, et nous nous rassurions par la pensée que même un revers ne pouvait être irréparable, pour peu qu’on sût tirer parti des ressources du pays, trop long-temps négligées par le gouvernement provisoire. Bientôt cependant nous apprîmes que les troupes piémontaises avaient abandonné les belles positions de Rivoli, de Valeggio, de Volta et de Somma-Campagna, pour se concentrer à Goito. L’ennemi avait donc passé le Mincio sans autre combat. A partir de ce moment, chaque jour nous apporta la nouvelle d’un mouvement rétrograde. De Goito, les troupes piémontaises s’étaient repliées sur Crémone ; un jour plus tard, c’était à Pizzighettone qu’elles se trouvaient. Le jour suivant, les troupes avaient atteint Lodi, tandis que le quartier-général du roi était à Codogno, gros bourg à cinq milles de Lodi même, sur la route de Crémone. Ce fut à Lodi que les troupes piémontaises firent une première halte. Il fallait laisser à lord Abercromby le temps de visiter le chef de l’armée ennemie et de lui demander un armistice de deux mois au nom de l’Angleterre et de la France.

J’habitais alors la campagne, à trois petites lieues de Milan, sur la route de Pavie et du côté de Lodi. Depuis que les événemens avaient pris une certaine gravité, je ne laissais point passer de jour sans me rendre dans la ville, car il importait, selon moi, que ceux des nobles et des riches dont le dévouement à la cause italienne était connu protestassent, par leur présence à Milan, contre l’exemple de l’émigration donné par quelques grandes familles. Ayant appris l’arrivée des Piémontais à Lodi, je résolus de m’y rendre aussitôt, pour recueillir des renseignemens précis sur les derniers événemens ; mais je voulus, avant tout, me rendre compte de l’état des esprits tant à Milan que dans la campagne.

Le jour où je partis pour Lodi (le 2 août), Milan était calme. Charles-Albert, disait-on, n’ayant pu, faute de vivres, défendre la ligne du Mincio[3], avait dû se retirer jusqu’à l’Adda pour y attendre l’arrivée de l’armée française et de sa propre réserve, ainsi que de la garde nationale mobile. Le comité de défense, que le général Olivieri avait confirmé dans ses fonctions et auquel de pleins pouvoirs avaient même été confiés, venait d’envoyer des ingénieurs le long de la ligne de l’Adda pour la fortifier et pour élever les eaux de la rivière de manière à ce qu’elle ne fût pas guéable. L’ordre avait été expédié en même temps aux autorités de Cassano-d’Adda (gros bourg situé sur cette rivière, à quatre lieues de Milan) pour que le pont fût rompu. L’on fit remarquer au comité qu’un troisième pont, celui de Bisnate, se trouvant entre celui de Lodi et celui de Cassano, et sur la route directe de Crémone, c’était par là que les Autrichiens tenteraient probablement le passage. Or, l’on ignorait si des précautions avaient été prises par les Piémontais pour couper les communications sur ce point. Le comité, tout en refusant d’admettre que la prudence piémontaise eût pu négliger ce soin, envoya en toute hâte le capitaine Gatti à Bisnate, avec mission de faire sauter immédiatement le pont. Le capitaine Gatti était à peine sorti de la ville, qu’il fut rejoint par un messager du général Salasco, qui l’engagea, au nom de cet officier supérieur, à ne pas continuer sa route, assurant que le pont de Bisnate se trouvait gardé par un détachement piémontais que M. Salasco lui-même y avait envoyé. M. Gatti ne crut point néanmoins devoir revenir sur ses pas, car il se proposait de rendre compte au gouvernement de la situation du pays ; seulement il se pressa moins. Arrivé à Bisnate, il est fort étonné de ne pas apercevoir un seul soldat piémontais : il se dirige vers le pont ; mais, avant qu’il ait pu s’en approcher, une douzaine de coups de feu l’avertit que le rivage est gardé, et qu’il est trop tard pour empêcher l’ennemi de passer l’Adda. M. Gatti dut revenir sans avoir pu rencontrer le détachement promis et annoncé par le général Salasco.

Quoi qu’il en soit, l’attitude de Milan au moment où, prête à me rendre à Lodi, je passai dans cette ville, était, je le répète, calme et digne. Dans la campagne, au contraire, tous les symptômes du désespoir et de la terreur me frappèrent douloureusement. Dans un rayon de trois ou quatre lieues, à partir de Milan et du côté méridional, tous les villages étaient déserts, et la grande route était encombrée de familles entières, qui traînaient après elles des provisions pour quelques jours et les objets auxquels elles tenaient le plus. Les vieillards et les enfans suivaient de leur mieux ; les infirmes étaient portés par les jeunes et les forts. L’alarme se répandait de temps à autre dans cette foule éplorée. Le fracas d’un chariot roulant dans le lointain, le pas de quelques troupeaux, le moindre bruit suspect devenait un signe d’alarme. On criait aussitôt de toutes parts : Voici les Autrichiens ! et l’ordre gardé par ces longues colonnes de fugitifs était rompu ; des cris et des sanglots s’échappaient de toutes les poitrines ; les plus timides s’enfuyaient au hasard à travers champs ; les plus braves ou les plus résignés s’asseyaient sur le bord de la route, et, jugeant tout effort inutile, ils se recommandaient à Dieu. Péniblement émue de ce spectacle et ne sachant quel conseil donner aux malheureux paysans qui se pressaient autour de moi, je fis du moins tous mes efforts pour leur rendre un peu de confiance. Je leur appris le but de mon voyage, et j’obtins d’un grand nombre de ces familles fugitives qu’elles consentiraient à attendre mon retour avant de continuer leur marche.

Je trouvai la ville de Lodi remplie de troupes. Les soldats paraissaient fatigués et souffrans, mais non abattus. Ils ne parlaient que de l’avenir et nullement du passé, ce qui est toujours un signe infaillible d’énergie et de vitalité. Leurs discours roulaient sur la guerre, sur la prochaine déroute des Autrichiens, sur la protection que Dieu ne pouvait leur refuser. J’admirais l’expression martiale de ces visages amaigris ; j’écoutais avec émotion les chansons militaires qui sortaient de ces lèvres blêmes, de ces poitrines décharnées, comme à l’ouverture d’une campagne. Quelque chose me disait que l’Italie ne pouvait pas périr, tant qu’elle s’appuierait sur de pareils hommes.

Charles-Albert se tenant toujours à Codogno, j’avais demandé à voir l’un des aides-de-camp, soit du roi, soit des princes. L’un de ces officiers, dont je crois devoir taire le nom, vint bientôt me trouver. Je lui parlai de l’inquiétude mortelle qui régnait dans nos campagnes et de l’incertitude qui pesait sur la population milanaise relativement aux intentions du roi. Cet officier me fit un tableau touchant des souffrances de l’armée, qui, dans certains jours, avait complètement manqué de vivres. Il parut douter du désir que j’attribuais aux Milanais de défendre leur ville ; mais, lorsque je l’interrogeai formellement sur les intentions du roi, il se renferma tout à coup dans une réserve étrange, m’avouant qu’il ignorait jusqu’à quel point je pouvais être informée sans inconvénient des projets du roi, et m’assurant que ces projets étaient connus à cette heure de certains membres de l’ancien gouvernement provisoire. Je le priai alors de remarquer que je ne demandais à connaître aucun secret, mais seulement à apprendre ce que tout le monde était intéressé à savoir. J’insistai sur le danger qu’il y avait à tenir la population de Milan dans un état d’incertitude qui pouvait amener de graves désordres ; je demandai instamment qu’on me mît à même de rassurer ceux de mes concitoyens qui avaient en moi quelque confiance. L’officier hésitait encore ; il était évidemment sous le coup d’une émotion pénible. Enfin il me dit que la route choisie par le roi devait m’être un gage suffisant de sa résolution de défendre Milan à tout prix. « Je vous dis, reprit-il en s’interrompant, je vous dis ce qui est évident pour tout homme ayant quelques notions de stratégie et de topographie ; mais je ne vous parle point au nom du roi, qui ne m’a pas autorisé à le faire. -Puis-je répondre à mes concitoyens, demandai-je, que le roi veut les défendre ? — Mais il me semble que cela est évident ; sans cela, pourquoi serait-il venu par ici ? » Cet officier se mit alors à me faire un éloge mérité de ses troupes. « Les pauvres soldats se désolent de cette retraite, » me dit-il, et, tout en disant ces mots, de grosses larmes coulaient le long de ses joues maigres et brûlées par le soleil. « De cette retraite, ai-je dit retraite ? C’est fuite que je devrais dire. Oui, madame, ajouta-t-il avec un accent de colère et d’amertume, voilà huit jours que nous fuyons ignominieusement, et nous ne savons pas devant qui. » Il ajouta que lord Abercromby était dans le camp autrichien, et qu’il obtiendrait vraisemblablement un armistice. « Sans cela, dit-il encore, c’est à Milan que les destinées de l’Italie seront fixées. »

Je repris le chemin que j’avais suivi en allant à Lodi, et je cherchai à calmer les populations en leur affirmant qu’elles n’avaient rien à craindre de l’invasion autrichienne aussi long-temps qu’elles n’auraient pas vu l’armée piémontaise traverser la province pour se retirer sous les murs de Milan. Ce raisonnement les rassura, et elles me promirent d’attendre de pied ferme le passage des Piémontais, quitte à les suivre alors et à se réfugier dans Milan, d’autant plus qu’une proclamation du comité de défense invitait les habitans des campagnes à se rendre à la ville, ceux qui possédaient des armes en qualité de gardes nationaux, ceux qui n’étaient pas armés avec leurs ustensiles de labour pour travailler aux fortifications et aux barricades.

Le soir du même jour, 2 août, je me rendis à Milan. C’est le lendemain matin, de bonne heure, que le roi et son armée, forte de quarante-cinq mille hommes, vinrent camper hors de la porte Romaine. Cela signifiait que les efforts de lord Abercromby avaient échoué, et que la guerre allait continuer sans interruption. J’appris alors par un officier du régiment des gardes les détails suivans du dernier combat à partir duquel la marche de l’armée n’avait été qu’une fuite incompréhensible. Le 25 juillet, les troupes devaient se tenir prêtes dès le matin. On les laissa l’arme au bras sous le soleil de juillet jusqu’à cinq heures du soir. C’est alors seulement que l’ordre d’attaquer fut donné. Les Piémontais avancèrent sans direction, comme à l’ordinaire ; ils fondirent sur l’ennemi, et, après un rapide combat, ils le forcèrent à tourner le dos. Ils le poursuivirent jusqu’à ce que la nuit vînt leur dérober les traces des fugitifs, puis s’arrêtèrent, attendant des ordres. Les ordres arrivèrent au point du jour. Les Piémontais devaient reprendre leur poursuite et ne faire aucun quartier à l’ennemi. Ils se mettent en devoir d’exécuter les instructions reçues ; ils marchent en avant : nulle part les Autrichiens ne se montrent. Nos soldats pourtant ne se découragent pas ; ils s’avancent, toujours sans généraux ; ils s’isolent, ils se partagent. Bref, ils sont victimes de leur fougue imprudente. Les Autrichiens paraissent en nombre supérieur au moment où on les attendait le moins ; les Piémontais étaient tombés dans un guet-apens. L’on se battit avec acharnement jusqu’à la nuit, les Piémontais pour s’ouvrir un passage, et les Autrichiens pour les exterminer ou les faire prisonniers. Les Piémontais parvinrent non-seulement à se dégager, mais ils gardèrent et emmenèrent les deux mille prisonniers et les vingt pièces d’artillerie qu’ils avaient pris la veille à l’ennemi. Pendant ce temps, un corps détaché ressaisissait la position de Somma-Campagna, que les deux armées considéraient comme fort importante. Ainsi reprise, puis reperdue encore une fois, cette position avait fini par demeurer aux Piémontais. Telle avait été l’issue du combat qui avait précédé la retraite de l’armée. Rien ne semblait, on le voit, nécessiter un mouvement rétrograde, lorsque les troupes sorties honorablement de cette lutte inégale reçurent l’ordre de se replier immédiatement sur Goito pour y rejoindre le gros de l’armée. De Goito à Milan, l’armée piémontaise ne s’était arrêtée qu’un jour à Lodi, pendant que lord Abercromby traitait avec le général autrichien.


IV

Le 3 août, le roi et l’armée étaient donc aux portes de Milan ; la nouvelle de leur arrivée s’étant aussitôt répandue dans la ville, la joie et la confiance parurent y rentrer. — Le roi veut donc sérieusement nous défendre ; il ne nous abandonne pas ; que Dieu le récompense ! — Ces mots étaient dans toutes les bouches. On attendait cependant qu’une communication officielle vînt informer la population de l’arrivée et des intentions du roi, et, la journée étant déjà à moitié écoulée sans qu’aucune proclamation eût été faite, le soupçon rentra dans tous les coeurs. — Est-il bien vrai que le roi soit à nos portes ? S’il y est, pourquoi donc se cache-t-il ? Pourquoi nous laisse-t-on ainsi dans l’ignorance ? N’a-t-on pas confiance en nous ? Qui donc doit défendre nos rues, nos places, nos maisons ? Qui se tiendra derrière nos barricades ? N’est-ce pas nous ? Pourquoi donc ne pas nous avertir de ce qui se passe, ne pas nous apprendre ce que nous aurons à faire ? — Ce n’était pas seulement la classe moyenne, c’était le peuple qui parlait ainsi. Je pus m’en convaincre, car, tenant à m’éclairer par moi-même sur les dispositions des classes inférieures, que la haute société milanaise croyait assez tièdes, j’allai dans les quartiers les plus pauvres de la ville, entrant dans les plus humbles maisons, interrogeant tantôt les ouvriers isolés, tantôt les groupes réunis sur la voie publique, et partout j’entendis les mêmes réponses, je constatai le même sentiment : un désir violent d’en finir avec les Autrichiens et l’assurance du succès mêlée à une vague défiance à l’égard des chefs de l’armée piémontaise. — Que feront-ils là-bas ? me disait un homme d’une cinquantaine d’années, à la taille athlétique, et dans les traits duquel se lisait un singulier mélange de ruse et de bonhomie joviale, un de ces hommes nés pour devenir ce que l’Italien appelle un capo popolo, et qui ce jour-là était déjà entouré d’un groupe d’auditeurs enthousiastes. Que feront-ils là-bas ? reprenait-il en clignant de l’œil et en hochant la tête du côté de la porte Romaine. Y a-t-il quelqu’un ou n’y a-t-il personne ? Tout le monde est-il muet, qu’on ne nous informe de rien ? C’est aux soldats pourtant à commencer ; nous, nous resterons aux barricades, et il faut que les soldats occupent pendant quelques jours les Autrichiens avant que notre tour vienne. Alors, si tout le monde y a été de bon compte, vous nous verrez à l’œuvre ; nous démolirons plutôt nos maisons pierre à pierre pour les jeter sur les Autrichiens, nous ferons des montagnes de nos corps pour les empêcher de passer. — La pensée qui occupait tous les esprits, c’était qu’une sorte de fatalité ramenait les Autrichiens aux lieux mêmes d’où ils avaient été chassés et d’où ils s’étaient enfuis avec tant d’effroi. Le même cri sortait de toutes les bouches. — C’est ici que la guerre a commencé, c’est ici qu’elle finira ; nous avons porté le premier coup, nous porterons le dernier.

Convaincue de l’excellent esprit du peuple, je me rendis au comité de défense pour l’engager à publier une proclamation qui instruisît les Milanais des résolutions du roi et du gouvernement, des dispositions prises pour assurer la défense de la ville, des ressources sur lesquelles Milan pouvait compter, et de la mesure dans laquelle on aurait à réclamer la coopération du peuple. On me promit de suivre ce conseil. J’étais encore au comité, lorsque plusieurs personnes vinrent formuler la même demande et obtinrent la même réponse. Quelqu’un me dit qu’un malentendu entre le roi et le peuple était à craindre, que l’on disait au peuple : Le roi ne veut pas se battre, et que l’on disait au roi : Le peuple ne se battra pas. Je compris alors qu’une démarche était nécessaire pour prémunir le roi contre ces faux rapports, et je me décidai à la tenter.

Le roi avait établi momentanément sa résidence dans une petite auberge voisine de la ville. Je m’y rendis le soir même, et j’exposai le but de ma visite à son secrétaire, le comte C… Après m’avoir écoutée avec attention, le secrétaire me dit qu’en effet plusieurs personnes avaient annoncé au roi que la population de Milan ne voulait pas se battre, mais que le moment viendrait bientôt de s’assurer qui avait raison. Le roi, me dit-il, défendra Milan jusqu’à la dernière extrémité ; il n’est plus permis d’en douter depuis qu’il a refusé de se porter sur le Tésin et qu’il a préféré venir ici. — Je me retirai en le priant de féliciter le roi sur ses belles résolutions, et en lui répétant que la tranquillité publique était intéressée à ce qu’il y persistât.

Le comité de défense avait employé toute cette journée à faire rentrer dans la ville des provisions de bouche et des munitions de guerre ; on y avait aussi appelé des ouvriers et des soldats des campagnes. La petite ville de Monza, celles de Como, de Lecco et de Varèse, nous avaient envoyé leurs gardes nationaux, et nous savions que les populations entières des montagnes voisines s’apprêtaient à nous venir en aide. Les paysans des villages environnant Milan arrivaient en foule pour travailler aux fortifications, qui s’élevaient rapidement. La vaste place d’armes qui s’étend devant le château était transformée en un camp fortifié entrecoupé de fossés, de redoutes et de palissades. Les remparts aussi étaient prêts à recevoir et à repousser l’ennemi ; les arbres qui en faisaient une ravissante promenade avaient été coupés, puis convertis en palissades, et des meurtrières avaient été pratiquées dans les parapets pour y recevoir des canons. Les maisons avaient été mises en état de défense, et nos principaux édifices étaient gardés par des forces imposantes. Plusieurs grandes salles des palais Borromeo et Litta étaient remplies de balles et de boulets. Les poudrières, situées à peu de distance de la ville, avaient été vidées, et le contenu ajouté aux dépôts qui existaient de tout temps à Milan. Ces approvisionnemens, bien que très considérables, pouvant paraître insuffisans pour un long siège et des attaques multipliées, le comité avait fait venir de la Suisse soixante mille kilogrammes de poudre. A l’exception de deux ou trois portes donnant sur les routes par lesquelles l’ennemi était attendu, et qui avaient été murées pour plus de sûreté, les autres demeuraient encore ouvertes et laissaient par conséquent passer de longs convois de vivres. D’ailleurs, chaque famille jouissant de quelque aisance s’était approvisionnée pour plus d’un mois, et la pensée du superflu était bien loin de tous les esprits. Il faut avouer cependant que le comité de défense n’avait pas pris toutes les mesures nécessaires en pareil cas. Il eût dû, par exemple, fixer un maximum pour le prix des denrées de première nécessité. Ces précautions avant été négligées, le prix de ces denrées s’éleva, dès les premiers jours du siège, à un taux exorbitant. Rien ne manquait pourtant encore ; mais l’augmentation subite de la population, les ravages commis dans quelques provinces par les Autrichiens, l’accumulation des vivres dans les maisons particulières, l’encombrement des routes et l’émigration des paysans avaient causé un dérangement momentané dans l’équilibre des besoins et des ressources. Il eût été du devoir du comité de veiller à ce que ce dérangement ne s’annonçât pas pour la ville comme une véritable famine. C’est ce qu’il ne fit pas, et cette négligence ajouta de graves embarras à ceux qui pesaient déjà sur nous.

Le 4 août, une revue de la garde nationale était commandée pour six heures du matin. Le roi, invité à y paraître, avait refusé sous le prétexte assez frivole, à mon avis, d’une promesse qu’il s’était faite à lui-même de ne mettre le pied à Milan qu’après avoir repoussé les Autrichiens au-delà des Alpes ; le général Olivieri le remplaça. J’assistai à cette revue, et les tristes pressentimens qui m’agitaient la veille ne tinrent pas devant le spectacle qu’elle m’offrit ; ceux qui connaissent la place d’armes de Milan pourront seuls s’en faire une idée. Lorsque je débouchai des sombres allées de la Piazza-Castello, trois des côtés de l’immense carré que forme la place d’armes étaient occupés par la garde nationale milanaise et par les troupes piémontaises demeurées en dépôt ou en garnison à Milan. Les deux tiers de ces troupes étaient composés de notre garde nationale ; les soldats piémontais formaient l’autre tiers. Trente-trois drapeaux indiquaient les trente-trois paroisses de Milan. Les paysans, accourus des environs, étaient réunis en bataillons, et les gardes nationales des villes voisines étaient groupées par communes. Trente-huit pièces d’artillerie, suivies de leurs caissons, nous rassuraient sur les ressources dont pouvait disposer la ville, lors même que l’appui du Piémont lui eût été retiré. Tous ceux qui assistèrent à cette revue en revinrent pleins de confiance. Il n’y avait pas moins ce jour-là de trente mille gardes nationaux sous les armes, et plusieurs capitaines m’assurèrent qu’un tiers à peu près de leurs compagnies n’avait pu se rendre à cette solennité. Milan avait donc pour le défendre près de cinquante mille hommes de garde nationale, et, à côté d’eux, toute une population, hommes, femmes et enfans, prête à payer sa part de la dette à la patrie.

Pendant que les troupes défilaient en silence, le pas et le regard assurés, le canon commençait à gronder, mais personne ne parut y faire attention. De huit heures du matin à midi, le bruit de l’artillerie ne cessa de se rapprocher, et les bombes entrèrent enfin dans la ville.

Comment expliquer cette surprise ? C’est ce que je n’ai jamais pu. L’on disait dans la matinée du 4 que les Autrichiens étaient à cinq milles de Milan, à peu de distance du parc d’artillerie piémontais établi à Noverasco. Le roi et le gros de l’armée piémontaise campaient en dehors de la porte Romaine et dans les alentours, c’est-à-dire du côté de Noverasco même. Les Autrichiens avaient-ils donc pu s’avancer jusqu’à la porte Romaine sans rencontrer l’armée piémontaise, et sans que les Milanais eussent été avertis par cette armée de l’approche de l’ennemi ? Si impossible que cela parût, il fallait bien l’admettre. Moi-même, m’étant dirigée vers la porte Romaine, du côté où le canon se faisait entendre, j’avais été témoin de la fuite de la population surprise par les bombes ennemies, au moment où elle travaillait à des barricades près des murs de la ville. Je m’étais rendue alors en toute hâte au comité de défense, dont les membres, tranquillement occupés à rédiger des ordres du jour, se refusèrent un moment à croire à la gravité du péril que je leur signalais comme imminent. Comment admettre, en effet, les nouvelles que je leur apportais, lorsqu’on savait l’armée piémontaise réunie devant nos murs ? Pourtant le doute ne fut bientôt plus permis. La population avertie se trouva en un instant sur pied. La garde nationale se porta en foule du côté où l’ennemi commençait le bombardement : elle le repoussa, lui prit cinq canons, lui fit deux cents prisonniers, et le força de se retirer à deux ou trois milles en arrière. En même temps, le son du tocsin apprenait à tous les habitans que Milan était en péril et réclamait le secours de leurs bras. Les larges dalles de nos rues furent enlevées ; des barricades se trouvèrent construites comme par enchantement avec les voitures et les meubles des maisons voisines. Des mines furent préparées en certains lieux. Milan présentait un amas de pierres et de projectiles, une forêt de petites citadelles, de forts et de redoutes, devant lesquels les meilleurs soldats auraient pu hésiter.

Les gardes nationaux étaient rentrés à la tombée de la nuit. Ils avaient vu l’ennemi, ils avaient reçu son feu et l’avaient forcé à reculer. Ce premier succès avait achevé d’exalter la population. On se disait que les Autrichiens attaqueraient en force au point du jour, et la nuit du 4 au 5 parut longue à tous.

Cette nuit, la garde nationale veilla sur les remparts, la population aux barricades. La ville fut illuminée ; le roi s’était enfin décidé à entrer à Milan pour se soustraire, disait-il, au danger d’une attaque imprévue, et il était venu se loger au palais Greppi, dans la Corsia del Giardino, au centre même de la cité. L’on sut plus tard qu’une assez grande partie de l’armée avait aussi quitté le même soir ses positions autour des murailles extérieures pour se retirer dans la ville. La journée du 5 était déjà commencée, et le canon ne se faisait pas entendre encore. Chacun se demandait en hésitant ce que signifiait ce silence prolongé ; quelques personnes disaient que l’attaque n’aurait lieu qu’à midi. Enfin, une rumeur vague parcourut la ville. On disait que le roi avait capitulé. Les Milanais refusèrent d’abord d’ajouter foi à un bruit aussi extraordinaire. Les deux premiers malheureux qui l’apportèrent sur la place du Marché furent massacrés par le peuple, qui les prit pour des Autrichiens déguisés, venus pour semer la discorde entre les Piémontais et les Lombards ; mais bientôt les mille voix qui murmuraient tout bas cette affreuse nouvelle devinrent plus distinctes, le nuage se dissipa : le sort réservé à Milan était aussi horrible qu’inévitable. Les troupes piémontaises allaient partir, déjà même une portion de l’armée s’était mise en marche ; tous nos chefs civils et militaires étaient absens ou prêts à suivre le roi ; le peuple allait demeurer seul, livré aux soldats de Radetzky, qui entreraient ce jour-là même à six heures de l’après-midi.

Je renonce à donner une idée de la consternation profonde qui, en un instant, s’empara de la malheureuse population à laquelle on dérobait ainsi la victoire avant le combat. Tous, nous étions fous de douleur. Les hommes pleuraient, se cachant la tête dans les mains. Plus accoutumées aux larmes et moins honteuses d’en verser, les femmes couraient éperdues de rue en rue, de groupe en groupe, en poussant des cris d’effroi. J’ai vu de mes propres yeux un vieillard, foudroyé par l’horrible nouvelle, tomber raide sur le pavé, qu’il rougit aussitôt de son sang. J’ai entendu ce jour-là des sons étranges ; j’ai vu des spectacles tels que les rêves de la fièvre n’en avaient jamais présenté de semblables à mon imagination. Enfin l’indignation succéda au désespoir. On se jura d’empêcher le roi de partir, on se promit de le contraindre à déchirer la capitulation. La multitude irritée se porta devant le palais Greppi ; un bataillon de carabiniers à cheval y stationnait quelques instans auparavant, mais il se retira pour ne pas accroître l’exaspération populaire. En un instant, les équipages du roi et de sa suite furent renversés ; on en construisit des barricades ; on entoura, on envahit le palais. Interpellé par une députation de la garde nationale, le roi répondit en désavouant la capitulation ; puis il suivit à regret les députés sur le balcon, d’où il harangua le peuple, s’excusant sur l’ignorance dans laquelle il était des véritables sentimens des Milanais ; il se déclara satisfait de les savoir si bien disposés à la défense, et il s’engagea solennellement à se battre à leur tête jusqu’à son dernier sang. Quelques coups de feu avaient été d’abord dirigés contre Charles-Albert. Aux derniers mots de son discours, le peuple répondit par ce cri : « S’il en est ainsi, déchirez donc la capitulation. » Le roi, tirant alors de sa poche un papier, le tint en l’air pour que le peuple pût le voir, et puis le déchira.

Toute la ville sut bientôt que la capitulation avait été déchirée, que le roi et l’armée restaient. La joie la plus vive éclata ; la journée se passa encore en préparatifs de défense, et les Autrichiens, qui devaient, aux termes de la capitulation, entrer le 5, à six heures de l’après-midi, ne parurent pas. Dès la veille, le feu avait été mis au faubourg de la porte Romaine, afin de ne pas laisser à l’ennemi des constructions élevées, du haut desquelles il eût pu foudroyer les remparts. C’était un grand sacrifice fait à la conservation de la ville et de l’indépendance nationale, mais il fut consommé sans qu’un seul murmure se fît entendre, quoique les maisons des faubourgs appartinssent généralement à de pauvres familles. Le lendemain, l’incendie continuait et avait été étendu à plusieurs autres faubourgs. On évalue le dommage à 8 millions de livres d’Autriche.

Des bruits étranges s’étaient encore répandus dans la soirée du 5. On disait que les munitions de l’armée piémontaise avaient été transportées par mégarde à Plaisance, et que les troupes, manquant de poudre, s’étaient en vain adressées au comité de défense pour en obtenir. Ce fait était dénué de toute vraisemblance, et je ne m’arrêterai pas à le discuter. On parlait d’objets précieux enfouis dans un des palais nationaux, et une tentative de pillage déterminée par ces rumeurs n’avait servi qu’à en démontrer la fausseté. Enfin ; on assurait (et cette fois on ne se trompait pas, que soixante-huit mille fusils restaient enfouis dans les magasins du gouvernement. On y alla, on les trouva, et un grand nombre de citoyens s’emparèrent de ces armes, que, la veille encore, on avait refusées au peuple, qui demandait à grands cris la levée en masse.

La nuit venue, le roi n’hésita plus à quitter la ville. Le colonel de la Marmora se laissa glisser par une fenêtre du palais Greppi dans la rue, et courut au lieu où le régiment des gardes et celui des tirailleurs piémontais avaient reçu l’ordre de demeurer. Il les ramena au palais pour protéger le départ de Charles-Albert. Les groupes qui stationnaient autour du palais firent de vains efforts pour retenir le prince, qui, peu d’heures auparavant, avait juré de ne jamais abandonner Milan. L’heure était propice ; minuit venait de sonner. Quelques coups de feu furent tirés sur le roi, qui s’éloignait en fugitif, monté sur un cheval qui n’était pas le sien, de la ville où il n’eût voulu entrer qu’en triomphateur.

Le départ du roi fut connu dans la matinée du lendemain 6, et la population demeura comme interdite. La nouvelle de la capitulation avait porté, la veille, au plus haut degré l’exaltation populaire ; cette fois, on resta calme : une consternation profonde, un incurable abattement, avaient succédé à la colère. La position était en effet désespérée. Le roi n’était pas parti seul. On sait que le gouvernement provisoire avait été remplacé par un commissaire royal et par le comité de défense. Or, le commissaire avait suivi le roi ; les membres du comité avaient disparu après s’être présentés le samedi matin à Charles-Albert et avoir protesté devant lui contre la capitulation. L’armée piémontaise, les bataillons lombards incorporés dans cette armée, les régimens lombards commandés par des officiers piémontais, tous les généraux sous les ordres de Charles-Albert nous avaient quittés en même temps ; l’artillerie piémontaise et la nôtre, toutes les munitions de guerre accumulées dans la ville, et, en dernier lieu, les quatre millions de livres provenant de l’argenterie offerte par les particuliers et les églises, tout avait été enlevé. Le peuple allait de maison en maison cherchant des chefs, de palais en palais cherchant des munitions ; il se refusait à comprendre l’étendue de son malheur, lorsqu’un parlementaire de l’armée autrichienne vint annoncer que l’entrée du général d’Aspre et de ses troupes aurait lieu à midi, que tous les hommes de dix-huit à quarante ans seraient immédiatement enrôlés dans les régimens croates et envoyés au-delà des monts, et que ceux auxquels l’exil paraîtrait préférable auraient jusqu’à huit heures du soir pour quitter la ville.

Cette alternative fut acceptée avec joie par la malheureuse population. Plus des deux tiers des habitans, hommes et femmes, jeunes gens et vieillards, riches et pauvres, tous se dirigèrent en masse vers la porte la plus éloignée de celle qui devait s’ouvrir pour les Autrichiens. On vit alors de longues colonnes d’émigrans de tout âge, de tout sexe et de toute condition, portant tous ou quelques effets, ou leurs enfans, ou quelque malade qu’on eût craint d’abandonner à la merci du vainqueur. L’arrivée de chaque colonne était annoncée quelques momens à l’avance par des cris et des gémissemens. Quelques chevaux, quelques charrettes suivaient ces bandes fugitives, prêts à recevoir les plus faibles et les plus souffrans des proscrits. Lorsque cette multitude désolée eut dépassé l’enceinte de la ville, lorsqu’elle s’en fut éloignée de quelques centaines de pas, elle tourna une dernière fois, d’un commun accord, ses regards vers la cité déserte comme vers une autre Jérusalem. Le ciel était rouge au-dessus de Milan, et de noires colonnes de fumée s’élevaient jusqu’aux nuages. Qu’était-ce que ce feu ? Était-ce l’incendie des faubourgs qui durait encore ? était-ce l’Autriche qui commençait ses vengeances ? ou bien quelques citoyens désespérés avaient-ils juré de ne livrer à l’ennemi que des dépouilles fumantes ? De nombreux palais à demi consumés par les flammes, l’hôtel national du génie militaire, celui des douanes et l’hôpital militaire de Saint-Ambroise portent dans leurs ruines le témoignage de ce grand désastre ; mais l’explication du fait, personne n’a pu la donner, et rien encore n’est venu jeter sur cette énigme la moindre lumière.

Ainsi les Autrichiens étaient une seconde fois les maîtres de Milan ; ils rentraient en vainqueurs dans cette ville d’où ils s’étaient enfuis à la hâte quatre mois auparavant. Vingt-cinq mille soldats s’étaient emparés sans coup férir d’une ville défendue par quarante-cinq mille hommes de troupes régulières au dehors, par plus de quarante mille gardes nationaux au dedans, La capitulation ayant été déchirée, le général d’Aspre était autorisé à ordonner le pillage. Il préféra, par une tolérance tacite, laisser un libre essor aux vengeances, aux attentats isolés. Les forçats de Porta-Nuova furent mis en liberté ; ils s’unirent aux soldats pour entrer dans les maisons, désormais désertes, et en emporter tous les objets de quelque prix. Des maisons ils passèrent aux églises, des églises aux musées nationaux. Les généraux Rivaira et Roger, que leur santé affaiblie avait retenus à Milan, furent condamnés à mort. Les décrets de confiscation n’ayant pu être régulièrement exécutés, faute de tribunaux, d’employés du fisc, de formalités et surtout de temps, on eut recours à un système de contribution forcée qui épuisa toutes les bourses[4]. Malgré les instances et les promesses du général autrichien, aucun émigré ne profita de la permission de rentrer dans la ville envahie.

Depuis les événemens d’août, près de cent mille Milanais se sont réfugiés dans le canton du Tessin. Deux des membres du comité de défense, MM. Restelli et Maestri, sont de ce nombre, et, s’étant constitués en junte insurrectionnelle, ils se sont adjoint M. Mazzini, émigré comme eux, et que nos derniers malheurs n’ont pas surpris. Un assez grand nombre de Lombards, ceux-là surtout qui persistent à fonder leur espoir sur la maison de Savoie, se sont rendus en Piémont. La réception qu’on leur a faite a été peu amicale. A Paris même, les Lombards venus pour invoquer l’appui de la France ont été froidement accueillis. Des calomnies inspirées par l’Autriche avaient partout devancé nos plaintes. A Turin et à Paris, on représentait les Lombards comme une nation lâche, égoïste et frivole. C’est sous l’impression de ces accusations si douloureuses et si peu méritées que j’ai pris la plume. Les faits que je me suis bornée à raconter fidèlement ne s’accordent guère, on le voit, avec les récits de l’Autriche.

En terminant cette rapide histoire de la révolution milanaise, j’éprouve encore le besoin de répéter que j’ai voulu défendre les Lombards plutôt qu’accuser ceux qui ont préparé leur ruine. Pourtant je ne me dissimule pas ce que le simple exposé des faits qui viennent de se passer en Lombardie laisse planer de soupçons sur les principaux acteurs de ces tristes événemens. C’est parce que je le comprends, c’est parce que je le regrette, que je crois devoir entrer à ce sujet dans quelques explications dernières. Si un affreux désastre a terminé la guerre de l’indépendance italienne, ce n’est point, je le répète, le courage des populations qu’il en faut accuser : il faut s’en prendre à quelques hommes dont il est plus facile de constater les actes que d’apprécier les intentions. La question est si délicate, que, tout en m’abstenant de la résoudre, je dois rapporter la justification des accusés telle que la présentent leurs amis les plus fidèles.

Je voudrais me placer à distance, me dépouiller de toute passion politique, et n’adopter les griefs d’aucun parti. Ce qu’il faut reconnaître avant tout, c’est que les fautes du gouvernement provisoire ont créé de graves embarras au pouvoir qui lui a succédé. L’héritage de ce gouvernement, qui avait porté le désordre et la ruine dans toutes les branches de l’administration, ne pouvait être que fort onéreux pour le général Olivieri. Il est donc de toute justice qu’une grande part de la responsabilité de nos derniers malheurs pèse sur ceux qui ont jeté dans la population les premiers germes de discorde et de défiance. Quant aux accusations portées contre le roi Charles-Albert, le récit qu’on vient de lire ne les aura que trop indiquées ; mais il faut convenir que les argumens présentés en faveur du roi de Sardaigne méritent aussi quelque attention. A ceux qui expliquent la conduite du roi par la défiance que lui auraient inspirée les opinions démocratiques des Lombards, à ceux qui ne craignent pas de prononcer le mot de trahison, les défenseurs de Charles-Albert opposent des explications qui ont assurément leur valeur. Quelles que pussent être les craintes inspirées à Charles-Albert par les tendances démocratiques des Lombards, est-il vraisemblable qu’il eût préféré trahir les Milanais plutôt que de chercher à combattre ces dispositions inquiétantes ? Ne faut-il pas aujourd’hui beaucoup de courage pour tenter une trahison, et les dangers auxquels on s’expose en trahissant ne sont-ils pas les plus grands de tous ? Si le roi de Piémont n’a pas éloigné ses généraux, s’il n’a pas suivi un plan d’attaque plus énergique, c’est son caractère faible et irrésolu qu’il faut accuser, et, en dernier lieu, s’il a capitulé ; c’est que les intentions des Milanais ne lui avaient pas été présentées sous leur vrai jour ; c’est qu’il ne croyait pas le peuple disposé à se battre ; c’est surtout qu’il avait peu de confiance dans le succès de ses efforts, et qu’il redoutait pour Milan le courroux du vainqueur entrant à la tête d’une soldatesque effrénée dans une ville prise d’assaut. Les partisans de Charles-Albert font ensuite valoir un argument auquel il n’est pas facile de répondre : c’est la haine que l’Autriche ne cesse de témoigner au roi de Piémont ; l’Autriche serait même résolue à ne pas céder un pouce du territoire que Charles-Albert aurait conquis sur elle, et que, par une malheureuse extension de la signification du mot armistice, il vient de lui rendre.

Qui soulèvera le voile épais dont ces événemens sont enveloppés ? Qui prononcera en dernier ressort sur l’innocence et sur la culpabilité des principaux acteurs dans ces tristes scènes ? Je crois, pour ma part, qu’il serait d’autant plus mal à propos de prononcer aujourd’hui une sentence, que le procès n’est pas entièrement instruit ; bien plus, les parties intéressées sont toujours sur le théâtre de l’action, le dernier acte du drame n’est pas joué, et nous ne savons pas quel en sera le dénoûment. Nous avons donc mieux à faire que de nous accuser ou de nous défendre. Le seul accusé que l’on ne puisse laisser sous le poids d’un soupçon, c’est le peuple ; car, si le peuple est réputé indigne de la liberté, il ne peut espérer de l’acquérir. Tant que durera la guerre, tout autre procès que celui de la nation italienne est déplacé.

Les partis n’en sont pas venus dernièrement en Italie jusqu’aux hostilités déclarées ; mais aujourd’hui il faut mieux encore que cette trêve prudente, il faut un redoublement d’union. Ne prononçons pas les mots qui pourraient éveiller des passions politiques, donnons-nous tous la main, et réservons toute notre haine et notre énergie contre l’ennemi. Quant aux généraux soupçonnés, quant au roi lui-même, l’Autrichien n’est-il pas en Lombardie ? Charles-Albert n’a-t-il pas une armée à lui opposer ? Ne peut-il pas demain remporter une victoire ? Et de quel plaidoyer aurait besoin le libérateur de l’Italie ? Le Piémont, ne l’oublions pas, est à la veille de reprendre les armes ; les volontaires lombards, ayant Garibaldi à leur tête, attendent avec impatience le moment de recommencer leur guerre de partisans. Venise a proclamé pour la seconde fois la république, et seule, au milieu des mers dont pendant tant de siècles elle fut la reine, elle défend l’étendard de l’indépendance italienne. Ce sont là des forces qui, bien dirigées, peuvent suffire à effacer la trace de nos récens désastres, sans parler de l’influence que la France met au service de notre cause, et qui ne s’exercera pas en vain sans doute dans les prochaines négociations. Espérons donc que l’honneur de l’Italie obtiendra enfin une réparation ; espérons surtout que de funestes divisions ne viendront plus entraver tant de généreux efforts, et que notre indépendance, une fois reconquise, ne sera plus remise en question.

  1. Il suffit ordinairement de quarante à cinquante minutes pour faire le trajet de Riva à Castel-Nuovo.
  2. Ce fut sur les instances d’une de ces députations que le gouvernement lombard chargea M. Guerrieri d’invoquer à Paris l’intervention des armes françaises, et qu’il mobilisa une partie de la garde nationale de Milan pour l’envoyer au secours de la Vénétie.
  3. On attribuait cet embarras à l’infidélité de quelques fonctionnaires publics. Les vivres destinés à l’armée piémontaise auraient été, par une méprise calculée, envoyés à l’armée ennemie.
  4. La répartition arbitraire de cet impôt fut confiée à une commission dont le président était le baron de Sopransi, directeur de la police milanaise sous le gouvernement provisoire. Le refus de paiement entraînait la confiscation. M. Sopransi s’est souvenu des plaintes que j’avais souvent adressées au gouvernement provisoire contre les tendances de son administration, et il me fait porter aujourd’hui la peine de ma franchise.