Ch. Vimont (p. 21-24).



CHAPITRE III.


Julien ne sut pas long-temps résister au désir de savoir comment l’Indienne avait supporté son absence ; il retourna à Bombay, s’informant, en arrivant, de ce qu’elle faisait. Il apprit qu’elle était partie pour la campagne sans son mari. Julien se rendit aussitôt chez M. Berks, celui-ci lui dit qu’Anna avait eu la fantaisie d’aller visiter un petit bien qu’il venait d’acheter, situé à quelques lieues de la ville. Julien se le fit indiquer, et partit aussitôt à cheval pour cet endroit. La maison était arrangée à l’anglaise ; il fit demander à madame Berks si elle voudrait le recevoir. Le domestique revint, disant que madame Berks ne recevait personne. Julien, la croyant fâchée, se rendit dans une maison près de là qu’il connaissait, écrivit à l’Indienne, la suppliant de le voir et de l’entendre. Il remonta à cheval et porta lui-même la lettre à la porte d’Anna ; mais il apprit, en la remettant chez elle, qu’elle venait de retourner à Bombay. Julien s’y rendit aussitôt ; il envoya sa lettre, et il reçut le lendemain le billet suivant :

« Je ne vous reverrai plus : je craignais de m’attacher à un homme qui n’était pas pour toujours dans les Indes. Votre brusque départ m’a fait savoir ce qu’on souffre dans l’absence ; je ne vous en veux pas, vous aimez autrement que moi ; vous êtes d’un autre pays. Je suis fille d’un Anglais, mais ma mère était Indienne ; son caractère, ses affections ne ressemblaient en rien à celles des sœurs de mon père. Une Anglaise sera heureuse avec vous, elle pourra ne jamais vous quitter. Gardez mon souvenir, je vous aimerai toujours : attribuez ma faiblesse à cette race d’Asie, tant décriée chez vous ; et la force qui me fait triompher, à ce qu’il y a d’anglais dans mon sang. Si vous revenez un jour dans les Indes, souvenez-vous d’Anna et de sa tendresse. »

Cette lettre troubla Julien ; c’était la seule chose qu’il n’eût pas prévue : il avait cru retrouver l’Indienne au désespoir ou distraite ; mais la trouver prudente et résolue le surprenait. Il ne savait s’il y avait là beaucoup ou peu d’amour, il était offensé et séduit à la fois. Il répondit :

« J’ai souffert plus que vous de l’absence ; j’ai voulu éprouver votre cœur par ce départ. Si vous n’avez pu le supporter, sachez me suivre en Angleterre, et devenir ma femme ; c’est là ce qu’il fallait comprendre. J’aime comme vous, comme une Indienne ; je quitterai les Indes avec vous, ou je ne les quitterai jamais. »