L’Inde (Congreve)/Partie 2

P. Jannet (p. 83-114).

SECONDE PARTIE




PREMIÈRE SECTION


On admet assez généralement que les femmes ne doivent point s’occuper de politique ; et cette opinion est juste à un certain degré. Car, si l’on entend par politique, les détails du gouvernement, la lutte des partis, et les questions plus ou moins ignobles d’ambition personnelle, certes les femmes ne sauraient trop s’abstenir. Mais il est un aspect, en politique, qui ne doit pas les éloigner. Elles sont parfaitement compétentes dans les questions générales et leur jugement peut y être des plus précieux. À mesure que la politique, prenant sa véritable place, et se subordonnant de plus en plus à la morale, laissera les hautes considérations de celle-ci prévaloir sur les siennes propres, l’intervention féminine acquerra plus de valeur, et l’on reconnaître qu’elle est de plus en plus désirable et nécessaire. C’est aux femmes à juger de la portée de leur influence, et des moyens les plus convenables pour la répandre parmi ceux avec qui elles sont en contact. Dans toutes les relations de la vie, elles ont, comme mères, comme épouses, comme sœurs et comme filles, de fréquentes occasions d’exercer une action modératrice sur les jugements plus égoïstes et plus froids de fils, de leurs époux, de leurs frères et de leurs pères. Il est bien temps que ce pouvoir modérateur surgisse.

C’est pourquoi je dis aux femmes d’Angleterre : Cette question est une de celles où vous devez faire entendre votre voix. Écartez les sophismes de l’intérêt et de la passion, et faites appels de plus nobles sentiments. Vous écoutez avec horreur le récit des outrages. Vous consentiriez, quoiqu’en fermant les yeux, à ce qu’on infligeât un juste châtiment. Mais vous ne sauriez vous associer au cri de vengeance ! Vous devez le réprouver énergiquement. Vous devez vous détourner avec dégoût de ceux qui font appel aux sentiments de haine, et combattre les efforts qu’ils tentent pour persuader à l’Angleterre qu’elle ne peut réparer les outrages qu’elle a reçus, qu’en violent elle-même les plus saintes lois de l’humanité.

Quant à l’Inde, sans aborder la question d’intérêt, vous devez apprécier ce que la justice réclame. Ne vous occupez nullement du point de vue statistique, administratif et commercial. Portez le débat au tribunal de votre conscience, et maintenez-le en face de vos principes de moralité. N’écoutez pas ceux qui nient votre compétence dans ces justes limites. Les questions de morale vous appartiennent plus qu’à nous encore, en vertu de votre supériorité affective. Demandez, et ne vous contentez pas de réponses évasives, demandez à quel titre l’Angleterre possède l’Inde ? Est-ce la force ou le droit qui la lui a donnée ? Est-il de notre devoir de la garder ? Est-ce d’après le consentement de son peuple que nous persistons à vouloir la gouverner, ou seulement en vertu du jugement que nous portons nous-même sur nos propres prétentions ? Plus sensibles que nous aux souffrances morales, et admettant moins que nous la compensation que peuvent offrir les avantages matériels, vous pouvez mieux juger de la répugnance des populations indiennes pour la domination étrangère, bien qu’elle ait pu leur être avantageuse sous quelques rapports. Plus sympathiques que nous, vous apprécierez davantage la vie domestique de l’Hindou ; et ses instincts religieux les plus obscurs n’exciteront pas votre dédain. Vous pourrez être touchées par la beauté d’une idée, bien qu’elle soit cachée sous une forme barbare. Jusque dans la Suttée, vous saurez reconnaître, bien que perverti dans son mode d’expression, l’admirable sentiment qui veut faire triompher l’union conjugale de la mort elle-même.

Si l’on allègue devant vous l’intérêt de la civilisation, appréciez à sa juste valeur notre état social, matériel et mécanique, négligeant tout élément spirituel et moral. Et quand vous l’aurez estimé ce qu’il vaut, vous comprendrez aisément ce qui m’empêche de désirer son extension. Vous saurez apprécier aussi, en songeant aux liens si chers de la famille, combien il était indispensable d’agir avec douceur, en traitant ces rapports chez les autres. Vous ne pourrez alors, vous empêcher de blâmer l’importation violente de nos mœurs occidentales dans l’Inde.

Si l’on vous objecte l’intérêt du christianisme, je ne vous demande point d’abandonner vos convictions ni d’adopter les miennes. Au contraire, je vous adjure d’évoquer en vous le plus pur idéal de la foi que vous chérissez, et dans laquelle vous vivez. Donnez-lui toute sa plénitude, toute sa vigueur, et à ce suprême degré d’exaltation, placez en regard la domination anglaise dans l’Inde, son origine, son histoire, ses effets dans le passé et pour le présent, ses conséquences probables envers l’avenir. Demandez-vous alors s’il est de l’intérêt de cette foi de s’offrir à ces peuples avec un semblable cortège, et s’il ne vaudrait pas mieux qu’elle vint, comme autrefois, sans appui temporel et dégagée de toute convoitises matérielle ? Je ne crains point votre réponse.

Enfin, si le christianisme, qui sert d’excuse à notre domination, avait perdu son empire sur vous, ne restez pas sans foi religieuse. Reconnaissez-en la nécessite, et sachez apprécier les titres d’une doctrine qui apporte une entière satisfaction aux meilleurs sentiments de la femme ; qui, sans rien exagérer, l’éleve au premier rang, démis sa nature et son influence morale ; qui, s’élevant au-dessus des maux et du désordre produits par la longue dissolution de l’ordre ancien, rappelle nos souvenirs vers le pur et gracieux idéal de nos ancêtres chevaleresques ; qui peut assouvir votre amour du beau par une éminente culture esthétique ; qui saura répondre aux besoins de votre intelligence par une éducation aussi complète, quoique moins approfondie, que celle du plus puissant philosophe ; qui satisfera tous vos sentiments moraux de justice et d’ordre social ; qui cultivera et développera vos aspirations religieuses, et vous offrira des moyens d’expression bien plus étendus que le plus fastueux rituel du catholicisme.


DEUXIÈME SECTION


Ce second appel s’adresse aux prolétaires anglais. Leur compétence politique est plus généralement admise que celle des femmes, quoiqu’il soit assez difficile de fixer les limites dans lesquelles leur influence doit s’exercer. Sans avoir la prétention de déterminer ces bornes, il me semble cependant que, dans un ordre politique bien établi, ils doivent, sans s’immiscer dans les détails, exercer leur jugement sur les principes généraux du gouvernement, sur son esprit et ses tendances. Aussi, cette question de l’Inde, qui entraîne la modification de toute la conduite politique de l’Angleterre, est-elle spécialement de leur ressort, et il serait essentiel que leur influence s’y fit sentir. Personne n’y est plus intéressé qu’eux-mêmes ; personne ne peut mieux envisager la question sous tous ses aspects, soit sous le rapport des conditions politiques, soit dans l’intérêt de l’Inde ou de l’Angleterre. Enfin, nul, j’ose le dire, n’est plus capable de sentir et d’apprécier les considérations morales. C’est la seule classe de mes concitoyens à laquelle je puisse en appeler avec espoir d’un succès immédiat, Je ne sais s’ils me comprendront, mais ils constituent mon appui normal. Celui qui, en dehors de toute tendance révolutionnaire, vient réclamer la réorganisation de la société, doit naturellement jeter ses regards et fonder son espérance sur ceux qui, courbés sous le poids des imperfections actuelles, aspirent naturellement à les voir corriger. Et même plus tard, quand la transition actuelle sera accomplie, et que l’humanité sera entrée dans sa voie définitive, c’est encore entre les philosophes et les prolétaires que devra exister la plus intime alliance politique et la plus parfaite sympathie morale, pour assurer la régularité des fonctions sociales. Tels sont les motifs qui m’engagent à faire cet appel aux travailleurs anglais.

Prolétaires, le problème est double. C’est la question indienne qui est posée, mais c’est aussi la question anglaise. Les intérêts des deux pays sont les mêmes : nous les considérerons successivement si vous le voulez, mais nous ne pouvons les séparer. L’Inde d’abord, puis l’Angleterre. Vous demandez, sans obtenir de réponse, quels sont nos droits sur ce pays, comment il peut dépendre de nous ? Nous pouvons y commercer et même y prêcher, si notre foi nous y pousse, mais pourquoi le conquérir et le gouverner ? Vous, qui n’êtes pas éblouis par ce qui aveugle tant d’autres, vous qui n’avez aux Indes ni intérêts, ni relations, qui ne tirez aucun avantage de sa possession, vous pouvez à juste titre apporter dans cette question le strict jugement moral de l’homme désintéressé. Et votre sentence ne saurait approuver notre maintien à main armée. En faisant justice des arguments dont on se sert, vous refuserez de croire que la masse de la nation hindoue puisse désirer notre domination[1]. Vous comparerez cette assertion avec celles que vous entendez émettre chaque jour sur l’état de vos propres sentiments. Nul ne sait mieux que vous la différence qui existe entre l’approbation et la soumission ; et s’il est vrai que les hommes peuvent supporter de grandes souffrances, afin d’en éviter de plus grandes encore, cette résignation ne prouve nullement qu’ils ne perçoivent pas la douleur. Vous savez jusqu’à quel point vos sentiments sont mal interprétés et vos intérêts mis en oubli par ceux qui vous gouvernent ; en bien, est-il probable qu’ils efforcent de mieux comprendre les besoins des populations de l’Inde, si éloignées, et si étrangères à notre civilisation ? Vous avez demandé satisfaction pour vous-mêmes ; vous sympathisez avec les Hongrois et les Italiens qui réclament pour eux aussi indépendance et justice ; il ne vous faut qu’étendre ces sentiments aux pauvres Hindous qui luttent pour le même objet. Vous pouvez désirer que justice soit faite d’une soldatesque en révolte ; mais vous ne pouvez consentir a ce qu’on immole indistinctement l’innocent et le coupable, pour satisfaire à l’orgueil et à la vengeance de l’Angleterre. Appelez donc la justice, mais aussi la miséricorde ! qui mieux que vous pourrait apprécier combien la provocation a été grande ? si elle ne peut excuser les crimes commis, elle explique du moins cet état d’indignation qui s’est traduit par des outrages chez ces natures ardentes. Pour savoir quelle a été la conduite des Anglais aux Indes, jetez les yeux sur votre aristocratie territoriale ou industrielle, sur vos classes moyennes ; considérez la dure indifférence des uns, la hautaine négligence des autres ; voyez-les poursuivre la satisfaction effrénée de leurs goûts et de leurs penchants, étaler cette richesse et ce luxe fastidieux qui contrastent si cruellement avec votre dénûment et vos souffrances. Cependant, ce sont des compatriotes qui agissent ainsi ; ils ne sont pas sans avoir avec vous quelques sentiments communs, quelques points de contact sympathiques. Supposez un instant qu’ils soient d’une autre race, qu’ils aient un autre langage, une religion différente ; ajoutez à leur arrogance l’orgueil des conquérants, et vous aurez la mesure de ce qu’ont dû souffrir les Indiens, Mahométans ou Hindous ; et vous pourrez comprendre, quelle ardeur de vengeance a dû les animer, et à quels excès elle a pu les pousser.

Après avoir considéré à ce point de vue la révolte actuelle, vous n’éprouverez aucune difficulté à juger la question sous un aspect plus général. Vous qui connaissez l’oppression, vous sentirez combien la négligence et l’injustice peuvent envenimer la haine qu’elle excite. Vous sympathiserez avec les Hindous : vous comprendrez que si l’impôt pèse lourdement sur la population, alors même qu’il est destiné à soutenir un gouvernement national, il devient bien plus lourd encore, lorsque le tribut payé avec tant de répugnance se trouve mal employé, dissipé, et ne sert en définitive qu’à solder les dividendes d’une compagnie de marchands oppresseurs. Au onzième siècle, l’Angleterre fut conquise par les Normands ; aucune différence de race, ni de religion ne séparait les deux populations ; et cependant, la lente progression des siècles et l’intime mélange des deux races n’a pu effacer qu’imparfaitement les maux de la conquête. La difficulté aurait été bien plus grande si aucune fusion n’eut été possible, et que la conquête normande se fût bornée à une occupation permanente, sans aucun mélange avec le peuple vaincu. Toutes ces raisons font que j’en appelle à vous sans crainte, certain que votre jugement sera conforme au simple bon sens anglais, et aux sentiments d’humanité. De même que vous vous soulèveriez comme un seul homme pour repousser l’invasion étrangère, de même, vous devez n’avoir qu’une seule voix pour empêcher votre pays d’être oppresseur envers d’autres nations.

Maintenant, si, revenant à l’Angleterre, nous nous demandons comment cette question indienne peut influer sur le bien-être de la majorité de la nation, je vous rappellerai que vous devez prévoir, d’après l’expérience du passé, que ce n’est point celui sur qui portera le fardeau qui recueillent le prix de la journée. On parle beaucoup de progrès dans le bien-être des masses ; mais vous savez ce que vaut, en réalité, un pareil langage. À mesure que la grandeur et la puissance de l’Angleterre se sont accrues, à mesure que votre nombre, vos travaux ont augmenté, vous avez vu décroître votre influence et votre action politiques, en même temps que vos souffrances physiques et morales s’étendaient chaque jour. Vous êtes la seule classe qui puisse assez éprouver le sentiment de l’urgente nécessité d’une réorganisation sociale, et vous voyez de plus en plus que la politique du gouvernement, loin de prendre vos besoins en considération, consiste à ajourner indéfiniment toute amélioration, en s’efforçant de détourner au dehors l’énergie populaire.

Considérez la conduite présente et passée de vos gouvernants, leur accord dans la crise actuelle, et le zèle avec lequel ils cherchent à vous endoctriner sur cette question de l’Inde. Leur instinct ne les trompe pas : elle est effectivement la clef de voûte du système politique existant. Ils le savent bien ; et vous ne pouvez mieux les attaquer que sur ce point, où ils sont aussi incompétents qu’en ce qui concerne la grande question intérieure, consistant à vous incorporer dans l’ordre social en satisfaisant à vos exigences légitimes, et tout en s’assurant de votre concours.

Posez résolument votre veto à ces hommes incapables, et empêchez-les d’aller plus avant. Encore plus le pouvoir et de domination, encore plus de commerce et d’action extérieure, voila leur cri ; que le vôtre soit : un meilleur emploi du pouvoir, une domination moins dispersée, mais mieux exercée, un commerce moins étendu, mais plus moral ; un peu moins d’action extérieure et plus d’attention à ce qui se passe chez nous. Je ne veux pas me servir du langage révolutionnaire : je l’employai jadis, mais il n’est plus le mien depuis que je défends l’ordre comme étant la base du progrès ; mes idées n’ont donc rien de subversif. C’est dans l’intérêt de cet ordre qu’ils font profession de respecter tout comme moi, et que cependant ils compromettent chaque jour par leur conduite, que je dois parler librement de notre classe gouvernante. Les vérités que j’ai à dire ne sont pas seulement critiques, on doit les regarder comme des avertissements consciencieux. Je considère les classes dirigeantes comme complétement démoralisées par une fausse politique, et perverties par un trop long abus du pouvoir. Vous devez les rappeler à un meilleur esprit, et exercer envers eux votre influence morale. Il est temps de montrer combien votre jugement diffère du leur, et vous devez leur imposer un changement complet de politique. Qu’ils concentrent sur le question sociale l’énergie qu’ils dissipent en déshonorantes querelles avec la Chine, ou en mauvaise administration aux Indes. La manifestation opportune de votre opinion, et l’énergique emploi de votre influence pourront peut-être dissiper l’orage qui nous menace, et en assurant un progrès suffisant à l’intérieur, éviter ces violentes interruptions de l’ordre, si funestes à tous.

Passons à d’autres considérations également importantes. Votre gouvernement se propose de maintenir désormais les Indiens dans la soumission, au moyen de troupes européennes. On assure que soixante-dix mille hommes suffiront pour obtenir ce résultat. Je crois que ce chiffre est trop faible ; mais en l’acceptant comme suffisant, comment se le procurer ? Nos hommes d’État sentent bien cette difficulté, et pour la résoudre, ils essayent de nous accoutumer graduellement à l’idée de devenir une nation militaire. Rien ne peut donner une plus triste opinion de leur capacité ; et votre rigoureux bon sens rejettera ce projet insensé. Instruits par l’expérience, vous repoussez la guerre, et vous commencez à sentir, comme toutes les autres nations de l’Europe, que la paix est la première condition de tout espoir rationnel d’amélioration sociale. Dans notre siècle industriel, un gouvernement qui cherche à développer les tendances militaires devient une anomalie dégradante.

Mais admettons que soixante-dix mille hommes suffisent pour réduire l’Inde ? À quel titre irons-nous sacrifier un si grand nombre d’hommes, exposer tant d’existences précieuses au meurtrier climat d’Orient et à toutes les chances désastreuses d’une insurrection permanente ? Quoi ! les soldats anglais rempliraient aux Indes le rôle des soldats autrichiens en Italie ; ils deviendraient les ministres détestes de la tyrannie étrangère ! Qu’est-ce qu’un peu plus de bien-être, qu’une solde plus élevée dans de semblables conditions ? D’aussi viles considérations ne peuvent avoir de poids qu’auprès d’une soldatesque démoralisée, et il n’en saurait être ainsi, puisque l’armée se recrute dans vos rangs. Votre coalition, si puissante dans d’autres cas, doit se manifester ici par une solennelle, mais paisible désapprobation, envers tous ceux qui contracteraient cet engagement militaire. Vous pouvez ainsi arrêter le recrutement.

Et qui payera cet armement ? Ce ne sera pas l’Inde assurément : ses finances sont actuellement insuffisantes, et dans l’avenir, on ne peut supposer qu’elles deviennent assez considérables pour subvenir à une telle charge, si nous nous arrogions le droit de faire payer aux vaincus leur défaite. Ce sera sur vous encore que retombera cet énorme fardeau, et il vous faudra dépasser cette faible barrière qui sépare l’aisance de la misère, et qui représente tout ce que vous pouvez espérer de meilleur. Vous convient il d’être ainsi exploités ?

Il faut donc faire connaître vos sentiments par tous les moyens légitimes. Il faut qu’on sache que vous souhaitez de voir l’Angleterre renoncer à sa politique d’oppression et de fanfaronnade, pour adopter des principes de paix et de respect envers le droit d’autrui. Qu’il soit bien entendu surtout, que l’activité que l’on a jusqu’ici gaspillée à l’extérieur, doit désormais être consacrée à la solution des questions sociales intérieures.

Après avoir fait appel à votre moralité et à vos intérêts les plus chers, je vous conjure, pour l’honneur de votre pays (qui est ici fortement engagé), et au nom de l’humanité, d’écouter ma voix. Aucun préjugé ne vous arrête : vous connaissez l’inanité de notre civilisation, l’insuffisance de notre religion. Beaucoup d’entre vous cherchent vainement, autour d’eux, une doctrine qui soit digne de ce nom. À vous, comme aux femmes, revient le pouvoir modérateur. C’est par votre union spirituelle avec les philosophes sociaux, qu’un tel pouvoir peut être dignement exercé. Cette alliance doit devenir chaque jour plus intime et plus active. La philosophie a fait sa part, je vous adjure de vous mettre à l’œuvre pour faire la vôtre.

Cette union spirituelle renferme de grandes choses : elle nécessite de votre part l’acceptation de l’ordre existant, à condition toutefois qu’il puisse servir de base au progrès. N’écoutez donc aucun appel révolutionnaire, n’acceptez aucune doctrine anarchique, si en faveur qu’elle puisse être. Ne vous laissez pas prendre aux amorces que l’on vous tend, faites peu de cas de l’extension du suffrage et des distinctions académiques, refusez toute part dans l’absurde système d’éducation en faveur aujourd’hui. Acceptez dignement votre situation, mais ne négligez rien pour l’améliorer.

L’union des prolétaires et des philosophes peut assurer deux choses : une éducation répondant à tous vos besoins, la même pour tous deux, sauf le degré qu’exigent leurs besoins respectifs. Elle peut aussi instituer un contrôle moral sur les riches, à qui revient naturellement le gouvernement temporel de la société. Une telle organisation favorisera la concentration des capitaux, réprimera toute tendance oppressive comme tout abus de pouvoir, par le blâme social ; mais elle saura aussi donner de nobles encouragements aux patriciens qui feront un digne emploi public de leur puissance. Si vous comprenez bien la portée de ce moyen d’action, il vous sera possible d’en assurer graduellement l’exercice. Je suis prêt à vous donner à cet égard tous les éclaircissements nécessaires, comme à vous renseigner toujours, rempli que je suis envers vous d’une sympathie que je voudrais vous inspirer pour moi-même.

Je termine en vous rappelant que votre première demande doit être que l’Angleterre change de politique envers toutes les nations, ses égales ou ses inférieures, et qu’elle offre comme preuve de son entrée dans cette voie, l’abandon de l’Inde.



FIN.
  1. Je cite encore lord Shaftesbury ; il demande : Si l’on a trouvé dans un cas quelconque le moindre vestige d’un soulèvement national ? Tout le pays, dit-il, a été, à peu d’exceptions près, parfaitement tranquille. La plupart des villages ont assistées troupes royales et combattu les insurgés. Toutes les fois que le fait contraire s’est produit, on peut l’attribuer à ces hordes sauvages et à ces brigands sans lois qu’on trouvera toujours, dans le continent indien, errants de village en village. Mais ces villages eux-mêmes, dans aucune occasion, ne se sont insurgés contre le pouvoir britannique ; au contraire, ils ont reconnu que leur sécurité consistait dans la permanente et vigoureuse domination de Sa Majesté. — Si l’assertion du noble lord est véridique, que signifie la proposition du Times, que je reçois par le même journal (le Spectateur du 7 novembre) : « Que les districts rebelles payent au moins les frais de leur pacification. »