L’Inde (Congreve)/Introduction

P. Jannet (p. xiii-lviii).

INTRODUCTION

DES OPINIONS ACTUELLES SUR LES RELATIONS DE L’OCCIDENT,
AVEC LE RESTE DE LA TERRE.


La question de l’insurrection de l’Inde a vivement attiré et préoccupé l’attention, non-seulement de I’Angleterre, mais aussi de l’Occident tout entier.

Un positiviste anglais, aussi énergique que dévoué, M. Richard Congrève, a appliqué les principes de la nouvelle doctrine à l’appréciation de cet important événement. Au milieu de la violente effervescence qu’a produite en Angleterre la révolution hindoue, il n’a pas craint de proclamer hautement la prépondérance de la morale sur la politique. Un tel acte honore sans doute celui qui a su en prendre la ferme initiative, mais il indique aussi la veritable estime que mérite la forte population à laquelle on ne craint pas de dire et de proclamer la vérité, alors même qu’elle choque de longues habitudes et d’intimes susceptibilités. Et, comme l’a dit si justement M. Congrève, en parlant du peuple anglais : « je suis persuade qu’il écoutera tout appel fait à ses sentiments élevés. La nation qui a produit Milton, Cromwell, et les soldats de Cromwell comprendra toujours ce qu’il peut y avoir de noble, de grand et de désintéressé dans une action. »

Mais la question de l’Inde n’est qu’un cas particulier d’une question plus générale : celle des relations des peuples occidentaux avec le reste de la terre. Ces relations ont été abandonnées jusqu’ici à une activité désordonnée. Chaque peuple de l’Europe occidentale s’est trouvé placé dans une situation plus ou moins analogue à celle de I’Angleterre ; et l’on pent dire que nous avons tous notre question de l’Inde. M. Congrève a dû surtout porter son attention sur la question spéciale, mais d’une si haute importance, qu’il avait entrepris de trailer. C’est pour cela que je crois convenable, pour le public français, d’indiquer d’une manière sommaire, mais distincte, les principes fondamentaux d’après lesquels la doctrine positive apprécie et juge les rapports des peuples entre eux, et surtout ceux des populations avancées avec celles qui le sont relativement moins. Un rapide aperçu de l’état des opinions actuelles sur ce sujet montrera l’urgence de faire prévaloir enfin des principes fixes d’appréciation, dans des questions livrées au plus grand désordre, et où prevalent nécessairement d’assez basses inspirations.

Laissons de côté, pour le moment, l’Angleterre, plus spécialement intéressée dans la question, et voyons comment, en France, se partagent les opinions sur ce sujet, et en général sur la nature dea relations de l’Occident avec les autres peuples de la terre. Il y a plus d’un enseignement à tirer de cet examen.

Nous avons vu l’école rétrograde, du moins en France, prendre intérêt à la population hindoue. Nous avons vu les journaux appartenant aux diverses nuances de ce parti faire ressortir avec beaucoup de justesse et de vérité ce qu’avaient d’odieux les procédés de répression employés par l’Angleterre, d’exagérer les récits des atrocités des indigènes, et combien était au fond légitime l’insurrection d’un peuple, protestant contre une domination étrangère, oppressive et hautaine.

Mais, sans suspecter nullement la sincérité de telles opinions, il est permis de croire qu’une sorte de répulsion pour l’Angleterre elle-même a involontairement contribué à développer cette sympathie pour la population hindoue.

Et en effet, nous voyons les même gens approuver et sanctionner, dans d’autres cas, une conduite et une domination fort analogues à celle de l’Angleterre dans l’Inde. Il y a plus, ils sont bien loin souvent de protester contre l’oppression beaucoup plus grave encore, d’une partie de l’Occident par une autre.

Il y a donc au fond inconséquence et indécision, dans les opinions de l’école rétrograde, sur les rapports entre l’Occident et le reste de notre planète.

Et, en définitive, l’on peut dire, que la doctrine théologique (catholique, ou protestante dans toutes ses nuances quelconques) n’a pu, et ne peut raisonnablement résoudre la question de la nature des relations des peuples entre eux. Cela tient au caractère absolu de cette doctrine. Elle ne peut concevoir, en effet, ni la sagesse ni l’importance de conceptions religieuses si différentes des théories chrétiennes ; aussi, ne manifeste-t-elle envers les diverses religions orientales qu’un voltairianisme superficiel, aussi peu rationnel que peu sympathique. Faute de pouvoir rapporter chaque religion à sa destination propre, les théories chrétiennes ne peuvent présider à aucune opération étendue susceptible de déterminer de salutaires et lentes transformations chez les populations de l’Orient. Elles ne savent qu’indiquer banalement une identique solution à tous les cas, quelque divers qu’ils soient. Nous avons vu le protestantisme anglican proposer la bible et le régime parlementaire, comme moyen de civiliser les peuplades océaniques. Une si naïve exagération de l’esprit absolu, n’est en réalité, que l’expression dernière de la tendues propre à tous les théologismes quelconques.

Nous concentrerons notre discussion à cet égard, sur le catholicisme, qui est à la fois la plus systématique et la plus digne, des doctrines théologiques. Mais notre appréciation s’étendre au fond, et avec plus de raison encore, à toutes les théories théologiques et métaphysiques.

Dès son début le catholicisme, méconnaissant la continuité sociale, montra son inaptitude à comprendre et a rendre justice, aux doctrines produites en dehors de son sein. Les plaisanteries de saint Augustin sur le paganisme sont aussi superficielles que celles de Voltaire sur le christianisme. Certes une religion qui avait présidé à de si grandes destinées, qui avait gouverné l’évolution esthétique de la Grèce et la noble activité du peuple-roi, devait nécessairement être autre chose qu’une longue, et vaste, et puérils mystification. Aussi en ce cas, le succès de la raillerie prouvait seulement, l’affaissement de la doctrine antérieure, et l’opportunité de la doctrine nouvelle. Ainsi dès l’origine, le catholicisme ne put pas même rendre justice au passé d’où il émanait. Il fut ingrat dès son berceau.

Ce défaut originel s’est toujours conservé ; dans la pratique des choses, il n’a pu être convenablement modifié que par la sagesse d’un sacerdoce toujours si supérieur à sa doctrine[1] ; si le catholicisme a pu méconnaître d’où il sortait, que sera-ce donc, lorsqu’il s’agira de peuples si éloignés, et de mœurs si différentes des nôtres. Aussi n’a-t-il su voir en général, dans les religions de l’Orient (Turquie, Chine, Inde) que des aberrations plus ou moins monstrueuses, au lieu de les concevoir comme des théories fort convenablement adaptées à un état donné de civilisation, et dignes, par suite, de sympathie et de respect[2].

Si l’on examine les tentatives du prosélytisme catholique en Orient, nous les voyons aussi souvent inefficaces, que souvent renouvelées. Mais, il est juste de dire cependant, que dans les luttes sanglantes de l’Occident avec les autres peuples, la sagesse du sacerdoce a souvent contre-balancé les funestes effets d’une doctrine absolue. Ainsi, la tolérante modération d’Olmedo proteste contre le fanatisme oppressif de Cortez. Dans la conquête de l’Amérique, le clergé espagnol s’est habituellement constitué l’organe énergique de la morale contre l’oppression. Cette noble conduite, trop peu efficace du reste, tient non pas à la nature de la doctrine, mais à l’existence d’un pouvoir spirituel distinct du pouvoir temporel, et organe nécessaire de la prépondérance de la morale sur la politique ; du moins tant que le clergé conserve une digne indépendance.

Ainsi donc, en résumé, le catholicisme, et en général toute doctrine théologique quelconque, ne peut concevoir ni diriger, l’action de l’Occident sur le reste de la terre. Aussi laisse-t-il se développer librement une activité désordonnée, qu’il ne peut ni éclairer ni conduire.

Mais ce sont, la conduite et les doctrines du parti progressiste, ou qui du moins l’est d’intention sinon de fait, qui méritent toute notre attention.

Les sympathies des progressistes, et surtout de nos lettrés soi-disant libéraux, ont été immédiates en faveur de l’Angleterre.

La thèse générale mise en avant a été celle-ci :

La domination anglaise dans l’Inde représente la civilisation de l’Occident, elle est l’élément de propagation de cette civilisation.

Ainsi des gens, livrés à une complète anarchie intellectuelle, dominés par une préoccupation absorbante des intérêts matériels, entraînés par une activité inquiète et dont les mobiles sont essentiellement personnels, n’ont pas craint de représenter une domination envahissante et oppressive comme étant une mission civilisatrice.

L’histoire rapide de la formation de ces opinions, est la meilleure manière d’en montrer et la nature et le danger.

Ces doctrines constituent au fond la forme sous laquelle se traduit maintenant l’esprit d’oppression, et de personnalité immorale et sans règle. Elles sont un extrême résultat du mouvement révolutionnaire des cinq derniers siècles ; mouvement qui était progressif, tout en étant plus ou moins anarchique, et qui est devenu désormais aussi rétrograde que perturbateur, maintenant que la reconstruction est à l’ordre du jour.

Le régime du moyen âge plaçait en première ligne la culture morale ou culture des sentiments. La doctrine dirigeante n’atteignait ce résultat qu’indirectement ; attendu que le but assigné à chaque fidèle était a la fois personnel et chimérique ; ce qui donnait inévitablement un caractère d’égoïsme au travail du perfectionnement moral. Néanmoins, la sagesse du sacerdoce savait prescrire la moralité dans la conduite, au nom du salut personnel.

Mais un tel régime était nécessairement instable, et devait être passager. Aussi dès le commencement du xive siècle, le mouvement de décomposition, surtout en France, marche avec une grande rapidité. La dictature royale s’organise, présidant à la fois, avec une sagesse souvent éminente, à la décomposition du régime ancien et à la préparation graduelle des éléments de l’ordre nouveau.

Ce mouvement est surtout caractérisé par un rapide développement de l’industrie, de la science et de l’art. Aussi, cette civilisation a échappé de plus en plus à la domination de toute doctrine théologique. Une foi qui se préoccupait essentiellement du ciel, ne pouvait que très-indirectement atteindre une activité surtout dirigée vers la terre. Mais le progrès et le perfectionnement moral restant alors adhérent à des doctrines arriérées, a été négligé et subordonné au progrès matériel et intellectuel.

Ce régime de la transition révolutionnaire des cinq derniers siècles était, malgré d’immenses dangers, aussi inévitable d’indispensable. Arrivé à son but définitif, le suffisant développement des forces scientifiques, industrielles et esthétiques, il tend à devenir rétrograde faute de se subordonner à la morale. Le positivisme peut seul, en donnant a la morale le caractère scientifique, l’incorporer à la société moderne, dont elle doit régler les divers éléments. Je dis le positivisme, car le catholicisme qui dirigeait le progrès moral n’a pu maintenir sa domination sur les esprits. Par conséquent, comment la doctrine qui n’a pu empêcher la révolution, pourrait-elle la terminer ? Quant à la métaphysique, organe passager de destruction et de démolition, elle est évidemment incompétente dans une telle question.

La situation que je viens d’indiquer, s’est bien aggravée de nos jours. Le progrès moral avait été pour tous les gens actifs, subordonné au progrès matériel et intellectuel ; un pas de plus a été fait ; le progrès intellectuel a été subordonné au progrès industriel. Désormais la science elle-même n’est plus conçue que comme facilitant le développement de l’industrie ; et l’art n’est plus qu’un moyen de perfectionner les procédés de satisfaction personnelle que l’industrie enfante. Dès lors le mot progrès est devenu le simple équivalent, de développement industriel sans règles et sans limites. Pour un grand nombre d’esprits actifs, l’idéal de la civilisation consiste à se transporter rapidement, ou à pouvoir communiquer ses impressions instantanément d’un lieu à un autre. On regarde au fond comme bien-plus importante la rapidité du transport, que la qualité des cerveaux transportés, et comme plus urgent le perfectionnement du télégraphe électrique, que la nature des impressions et des sentiments qu’il transmet. En un mot, on considère comme plus nécessaire la création de nouveaux moyens, que la moralisation de leur emploi.

Cette manière de concevoir est définitivement caractérisée par la célèbre et brutale formule émise au commencement de ce siècle : « Tout pour l’industrie et par l’industrie. »

Aussi le mot progrès devient de plus en plus une formule banale, destinées justifier toute-activité déréglée.

Il n’est pas étonnant, par suite, que l’action des peuples de l’Occident sur le reste de la terre ait pris, et conservé un caractère oppressif et désola donné.

On justifie maintenant, au nom du progrès, l’oppression et l’exploitation des populations moins avancées, comme jadis les Espagnols coloraient leurs conquêtes, du prétexte d’amener des âmes au salut éternel.

Le positivisme seul, fondé sur la science et sachant par conséquent faire à l’industrie sa digne part, peut intervenir efficacement dans ces questions.

Les rétrogrades ne peuvent régler une situation dont la direction leur a échappé, et les progrèssistes glorifient désormais l’oppression au nom du progrès[3].

Mais heureusement, ces deux sortes de doctrines ne sont pas l’expression des tendances véritables, quoique inaperçues, de la situation occidentale.

L’instinct des masses et des natures honnêtes, sent au fond, que dans les relations des classes entre elles, comme dans celles des peuples entre eux : le règlement moral des forces est désormais plus important que leur développement.

Avant d’expliquer comment le positivisme peut seul être l’organe ’systématique de ces dispositions, je dois indiquer rapidement de quelle manière, sous le nom de république occidentale nous concevons et définissons le groupe des populations avancées, qui doit présider aux destinées de l’humanité.




ce qu’on entend, dans le positivisme,
par le mot de république occidentale
.


L’Europe occidentale est formée d’États indépendants, mais solidaires entre eux, et qui constituent un groupe distinct et bien déterminé ; c’est ce groupe qu’Auguste Comte désigne sous le nom de république occidentale.

Cette expression est infiniment plus juste que celle de l’illustre de Maistre, qui ayant entrevu ce phénomène social, l’avait nommé le miracle de la monarchie européenne.

La dénomination était évidemment impropre ; puisque ce qui fait le caractère éminent d’une telle agrégation, c’est d’être une association spontanée d’États indépendants soumis à des gouvernements distincts, mais ayant une grande communauté de sentiments, d’idées et d’habitudes. Ce serait donc une monarchie sans monarque. En second lieu, l’épithète d’européenne est trop vague, comme englobant des populations qui ne doivent pas en faire partie, la Russie par exemple.

Cette république occidentale se compose de cinq populations, y compris les annexes américaines. Deux au sud : l’Italie et l’Espagne, deux au nord : l’Angleterre et l’Allemagne. Au centre est la France, tête de cette confédération naturelle, et qui depuis le moyen âge en posséde la présidence. Le grand Corneille peignant la chute de l’empire romain a pu justement dire :

Un grand destin commence, un grand destin s’achève ;
L’empire disparaît et la France s’élève.

Auguste Comte a remarqué que la substitution de la prépondérance de Paris à celle de Rome, ou d’une suprématie librement acceptée à une domination forcée, marque le vrai caractère fondamental de ce groupe mémorable.

Si après avoir fait connaître les populations qui constituent la république occidentale, nous voulons en faire connaître le caractère principal, nous pourrons la définir ainsi :

La république occidentale est l’ensemble des populations qui, soumises au régime catholico-féodal, ont participé an mouvement de décomposition de ce régime depuis le quatorzième siècle, yet développé de plus en plus leurs relations mutuelles depuis cette époque, sous la graduelle prépondérance du régime industriel et pacifique.

Cette définition, historique comme doit l’être toute véritable définition sociale, circonscrit nettement un tel groupe. Ces cinq grands États, nécessairement indépendants, forment une collection qui ayant la même série d’antécédents a, par suite, une similitude fondamentale de mœurs, d’habitudes et de tendances.

Ces populations diverses ne peuvent être réunies sous la domination d’un gouvernement unique. Au milieu de l’anarchie des cinq derniers siècles, quelques tentatives de monarchie universelle ont été faites. Elles ont misérablement échoué, après avoir produit d’immenses ravages passagers, comme tous les efforts quelconques qui sont dirigés contre les tendances essentielles d’une situation. Il n’y a de définitivement efficace en politique que l’activité dirigée dans le sens même du mouvement. Les chimères de monarchie universelle sont définitivement disparues. Mais les affinités que le passé a créées entre les diverses populations de l’Occident, et que le présent développe, doivent être systématiquement coordonnées par une doctrine uniforme, établie, enseignée et appliquée par un même pouvoir théorique.

Il est de toute évidence que la doctrine qui pourra seule résoudre ce grand problème, pourra seule aussi, coordonner et diriger l’action de cette tête de l’humanité sur le reste de notre planète. Comment la doctrine qui ne pourrait être occidentale pourrait-elle aspirer a devenir universelle ? Le catholicisme a présidé à la première formation de ce groupe immense. Alors s’est produit cet admirable phénomène, unique dans l’histoire : un ensemble d’États soumis à des gouvernements différents, mais intellectuellement et moralement dirigés par une même autorité spirituelle. Ce grand fait était préparé par tout l’ensemble des antécédents gréco-romain. Le catholicisme romain a organisé sa constitution et son extension. Aussi l’étude, sous ce point de vue, de la seconde phase du moyen âge (de l’an 700 à l’an 1000) est profondément intéressante, comme présentant une suite du système romain continué sous une nouvelle forme, bien supérieure à l’ancienne. D’abord, l’esprit militaire agissait essentiellement sous forme défensive, en forçant par là les peuples barbares à devenir sédentaires, et le catholicisme, avec un dévouement et une énergie incomparables, assurait l’agrégation, en incorporant ces peuples à un même système de croyances et de sentiments. Ainsi surgit la grande politique des Pépin et des Charlemagne ; ainsi s’établirent les naturelles relations de la France et de la Papauté !

Par la se constitua l’économie générale du système catholique au moyen âge, qu’Auguste Comte déclare[4] devoir être conçu de plus en plus comme formant jusqu’ici, le chef-d’œuvre politique de la raison humaine. Mais ce régime était nécessairement instable. Ni l’activité militaire, ni l’esprit théologique ne permettaient une organisation définitive de la division des deux pouvoirs. Le système devait osciller entre la théocratie et l’empire.

Depuis le xive siècle l’ordre du moyen âge s’est successivement décomposé ; d’abord spontanément dans le xive et le xve, puis systématiquement depuis le xvie.

Depuis le xiiie siècle le catholicisme ayant renoncé à toute absorption de l’islamisme, avait définitivement abandonné par cela même toute prétention à l’universalité.

Depuis le xvie siècle l’Occident s’est lui-même réparti entre le catholicisme et le protestantisme. Après de violents conflits, on peut dire qu’à partir du xviie siècle, tous les hommes sensés ont renoncé à résoudre un tel dualisme ; et la diplomatie européenne l’a définitivement sanctionné.

Le catholicisme n’a donc pas conservé sa prépondérance ; comment pourrait-il présider à la réorganisation d’une unité qu’il n’a pas pu maintenir, après avoir contribué a la former.

Depuis le xive siècle, les doctrines théologiques ont été, en fait, une cause de discorde, entre les diverses parties de l’Occident. Depuis cinq siècles, elles ont graduellement perdu leur influence sur la vie publique, réduisant de plus en plus leur action à la vie privée. Dans ce cercle du reste elles exercent, surtout le catholicisme. une action incomparablement utile, en empêchant en Occident une désuétude complète de la culture morale.

Il est donc manifeste que les doctrines théologiques sont, de par l’histoire, mises hors de cause pour la constitution de l’unité occidentale.

Quant aux théories métaphysiques elles sont hors de discussion à ce sujet. Ces doctrines n’ont jamais été que des organes de doute et d’anarchie, passagèrement indispensables.

Cependant, au milieu des inévitables conflits que suscitait la décomposition de l’ordre ancien, les rapports des divers États de l’Occident entre eux se sont étendus et consolidés.

Cela est dû à la prépondérance graduelle du régime industriel et pacifique.

Par une suite inévitable de la libération des masses opérée au moyen âge, sous l’action combinée du catholicisme et de la féodalité, le régime industriel a tendu à prévaloir de plus en plus ; ce qui, outre une similitude d’habitudes, amenait des relations suivies et nombreuses entre les peuples occidentaux.

D’un autre côté, à mesure que les dissensions théologiques s’aggravaient, des doctrines scientifiques communes à l’Occident, et à l’Occident seulement[5], croissaient en importance et en étendue. Des opinions plus fixes et plus stables surgissaient a la place des dogmes in démontrés et indémontrables de la théologie et de la métaphysique. Ainsi se préparait la graduelle substitution de la foi démontrée à la foi révélée. Je dis la foi ; car il importe de remarquer qu’au moment même où les doctrines anciennes employaient vainement la force pour maintenir une domination qui leur échappait, les théories scientifiques, au contraire, s’imposaient a tout l’Occident sous l’actif effort de quelques hommes de génie, le plus souvent pauvres et persécutés. Et, de plus, ces théories choquant ordinairement, et les apparences vulgaires et de longues habitudes, étaient acceptées néanmoins, quoique leur démonstration ne fût accessible qu’a un très-petit nombre d’esprits compétents. Il suffisait qu’elles fussent démontrables. On ne songeait nullement a invoquer envers elles le dogme métaphysique de la liberté d’examen[6].

Dans une note fort remarquable des Soirées de Saint-Pétersbourg, l’illustre de Maistre a écrit ce qui suit :

« Je ne sais si je me trompe, mais cette espèce de despotisme, qui est le caractère distinctif des savants modernes, n’est propre qu’à retarder la science. Elle repose aujourd’hui tout entière sur de profonds calculs à la portée d’un très-petit nombre d’hommes. Ils n’ont qu’à s’entendre pour imposer silence à la foule. Leurs théories sont devenues une espèce de religion ; le moindre doute est un sacrilège.

» Le traducteur anglais de toutes les œuvres de Bacon, le docteur Shaw, a dit, dans une de ses notes dont il n’est plus en mon pouvoir d’assigner la place, mais dont j’assure l’authenticité : que le système de Copernic a bien encore ses difficultés.

» Certes, il faut être bien intrépide pour énoncer un tel doute. La personne du traducteur m’est absolument inconnue, j’ignore même s’il existe ; il m’est impossible d’apprécier les raisons qu’il n’a pas jugé à propos de nous faire connaître ; mais sous le rapport du courage, c’est un héros.

» Malheureusement ce courage n’est pas commun, et je ne puis douter qu’il n’y ait dans plusieurs têtes (allemandes surtout) des pensées de ce genre qui n’osent se montrer. »

Les réflexions de cet éminent philosophe méritent notre attention, sous plusieurs rapports.

En premier lieu, il constate d’une manière irrécusable la prépondérance en Occident de la foi scientifique, puisqu’il va jusqu’à qualifier d’héroïsme le courage d’émettre un doute sur les propositions fondamentales de la science, établies par la série des hommes compétents.

Mais de Maistre aurait dû compléter son observation, en remarquant que les mêmes esprits qui admettaient si facilement les notions scientifiques, sans doute ni discussion, étaient précisément les plus réfractaires a l’admission des dogmes théologiques. En second lieu, les observations de de Maistre prouvent combien sont dominés par l’esprit révolutionnaire ceux même qui s’en prétendent dégagés, et qui ont la prétention de l’attaquer directement.

De Maistre appelle despotisme cette libre adoption par la foule, des dogmes scientifiques, sans remarquer que l’expression est contradictoire ; puisque jamais soumission ne fut plus volontaire. Il va même jusqu’à reprendre la superficielle hypothèse voltairienne, d’un accord possible entre tous les savants pour mystifier et exploiter le public ; hypothèse que le xviiie siècle avait essentiellement appliquée aux croyances théologiques. Enfin, de Maistre se présente ainsi comme atteint de la maladie occidentale, qui consiste, comme l’a dit Auguste Comte, dans le dogme de l’infaillibilité individuelle, et dans l’insurrection de la raison personnelle contre la raison collective.

L’esprit positif peut donc seul établir une foi.

« La foi consiste, dans cette disposition éminemment sociale, à admettre de confiance les principes établis par les hommes compétents. » La foi n’a pas manqué jusqu’ici à chacune des propositions essentielles de la science moderne ; de Maistre la constate en la maudissant.

Ainsi l’ordre nouveau est susceptible d’une foi plus stable, plus étendue que celle de l’ordre ancien.

La prépondérance de l’esprit positif a donc posé en Occident les bases d’une véritable unité intellectuelle et morale. Ce phénomène est désormais trop incontestable pour être nié.

Tant que l’esprit scientifique a été borné aux spéculations de l’ordre inorganique ou vital, son action sociale a été radicalement insuffisante. Mais en s’étendant, sous l’incomparable effort d’Auguste Comte, à l’ordre social et moral, il a pu, en se systématisant, s’élever enfin au point de vue religieux.

La religion positive fondée sur la coordination de la science peut seule présider a la réorganisation spirituelle de l’Occident.

Fidèle au véritable esprit scientifique, la religion positive ne fait que coordonner et diriger l’unité intellectuelle et morale, que l’ensemble des antécédents a spontanément préparée chez l’élite de l’humanité.

Le positivisme vient ainsi résoudre sur des bases

scientifiques, inébranlables, le problème qu’avaient entrevu nos admirables précurseurs du moyen âge : « établissement d’un pouvoir spirituel distinct et indépendant du pouvoir temporel, dont la destination fondamentale est d’assurer librement en Occident la prépondérance de la morale, dans toutes les relations humaines, domestiques et sociales.

Après avoir indiqué comment le positivisme fonde l’unité de la république occidentale par la prépondérance d’une même religion, il nous reste à indiquer sommairement comment il conçoit l’action extérieure de ce groupe des populations avancées.




des relations de d’occident avec le reste de la terre,
au point de vue de la religion positive
.


La République occidentale constitue la tête de l’humanité. Elle a donc spontanément la direction des affaires terrestres ; mais cette direction doit devenir systématique au lieu d’être empirique, protectrice au lieu d’être oppressive.

Depuis le xive siècle les relations de l’occident avec le reste de la terre se sont graduellement développées. Elles ont eu un caractère commercial ; mais toujours accompagnées de tentatives de conquête, et d’essais d’un prosélytisme plus ou moins oppressif. Dans le plus grand nombre de cas on a ainsi voulu exploiter, conquérir et convertir les nombreuses populations qu’a visitées l’inquiète activité des peuples avancés. Cette activité a toujours été déréglée, et le plu souvent immorale. À mesure que la foi chrétienne perdait en Occident la direction des affaires générales, et que de sa dissolution engendraient les plus terribles conflits, elle essayait empiriquement de s’étendre a des populations étrangères à son milieu naturel. Aussi cette même foi, qui avait surgi malgré tous les obstacles avec une prépondérance irrésistible, qui pendant des siècles avait présidé aux destinées de l’élite de l’humanité, n’a pu entamer nullement les populations orientales. Et la même, comme en Amérique (Mexique, Pérou), où elle semble avoir prévalu, cette prépondérance est bien plus apparente que réelle ; et les croyances primitives de ces peuples se sont conservées sous la couche superficielle des doctrines chrétiennes.

Ce double fait, d’un facile avènement occidental, et d’une impuissance radicale en Orient, est une frappante démonstration du caractère nécessairement local de ces croyances théologiques. Adoptées dans les pays où elles se trouvent en rapport avec un ensemble déterminé de besoins, et où les antécédents les ont successivement préparées, elles échouent radicalement dans tous les milieux différents, et le titre d’universelle qu’elles adjugent, reste comme une expression du problème qu’elles se sont proposé, et de leur impuissance à le résoudre.

Ces croyances ne peuvent être ni universelles ni durables.

La religion émanée de la science peut seule devenir universelle, et résoudre enfin ce grand désir d’une unité intellectuelle et morale de tous les peuples de la terre, qui depuis deux mille ans a toujours préoccupé les grandes âmes.

La papauté a essayé de régler l’activité extérieure de l’Occident, et malgré les préjugés révolutionnaires à cet égard, on doit reconnaître que si elle a échoué au fond, à cause de l’insuffisance de la doctrine, elle a du moins beaucoup diminué et adouci la violence de l’oppression. Mais, même cette intervention insuffisante s’est affaiblie de plus en plus à mesure que l’autorité sociale de la papauté sur l’Occident diminuait, et depuis le siècle dernier, l’action extérieure des peuples avancés a été radicalement déréglée.

Le positivisme qui vient installer enfin la prépondérance de la morale pour le règlement de toutes les relations humaines, peut seul poser les principes d’après lesquels doivent être dirigés les rapport extérieurs des peuplés avancés avec ceux qui le sont relativement moins.

Au fond ces principes se réduisent essentiellement à ceci :

1o Dégager les relations commerciales de l’Occident avec le reste de la terre, de toute tentative d’oppression politique ;

2o Remplacer un mépris superficiel pour les religions de ces peuples, par l’appréciation de la valeur relative de ces doctrines. Elles sont adaptées à un état donné de civilisation, et par suite elles sont ce qui, pour le moment, convient le mieux à ces populations.

Le positivisme substituent ainsi la sympathie à un aveugle orgueil, et une sage appréciation, vraiment scientifique, à un puéril dénigrement voltairien. Par suite, les rapports commerciaux dégagés de toute oppression matérielle et de tout prosélytisme méprisant, deviendront le point de départ d’une action bienfaisante de l’Occident, à mesure qu’il se régénérera lui-même. Nous pourrons ainsi servir ces populations sans nous démoraliser nous-mêmes par une domination injustifiable. Ce sont ces considérations que je veux sommairement développer.

Il faut, en premier lieu, comprendre combien est irrationnelle l’opinion d’après laquelle nous traitons de barbarie, tout état de civilisation qui n’est pas absolument conforme au nôtre.

La notion de civilisation est relative et non pas absolue. Sans doute le travail successif des générations pousse l’espèce humaine vers une certaine limite consistant dans l’ordre social le plus conforme à l’ensemble de notre nature et de notre situation. Mais un tel état ne peut être immédiatement atteint, et c’est d’après une marche naturelle tout à fait nécessaire que s’opèrent les pas successifs de cette immense évolution. La philosophie positive a établi les lois générales d’une telle progression.

Chaque état social est donc caractérisé par un ensemble de croyances, d’habitudes, d’institutions, qui résulte de tous les antécédents, et qui constitue le degré de civilisation propre à chaque cas, et qui ne peut être modifié que graduellement et d’après des lois déterminées.

C’est ainsi que nous voyons d’immenses populations vivre sous la domination de religions diverses. Ces religions, en rapport avec leur état mental et social, président et règlent l’existence de ces peuples.

Que voulez-vous mettre à la place ? Vous voulez, ditesnvous, civiliser les Chinois. Mais qu’est-ce donc que la civilisation si vous appelez barbarie un régime, qui depuis des siècles fait vivre convenablement 300 millions d’hommes sous une même domination.

Pensez-vous donc, en ce moment, mieux résoudre qu’eux le problème d’une existence satisfaisante des classes inférieures. Considérez le sort de vos prolétaires dans un si grand nombre de circonstances, et dites sérieusement si vous entendez mieux que les Chinois la solution de ce problème économique.

Il n’y a qu’une absurde superficialité, et un extrême orgueil qui puissent, dans l’état actuel de l’esprit humain, faire croire que l’on transporte ainsi une civilisation dans une autre, et que la substitution s’opère ainsi spontanément.

Les lois naturelles, d’après lesquelles une civilisation en modifie une autre, sont encore profondément inconnues. Les insuccès répétés de toutes les tentatives faites sur les populations mahométanes, brahmaniques, chinoises, prouvent que le problème est plus difficile, que ne l’a supposé la naïve confiance de nos docteurs.

Si donc vous voulez sérieusement faire progresser, comme on dit maintenant, les populations moins avancées, commencez par déterminer d’une manière générale les lois de modificabilité d’une civilisation donnée, et quand vous en aurez trouvé les conditions principales, alors seulement vous pourrez vous mettre à l’œuvre, et entreprendre une digne propagande.

Mais loin de là, on ne considère ces peuples qu’avec le plus absurde dédain. Au lieu d’étudier sagement les convenances réelles de leurs usages et de leurs croyances, on prend le procédé plus commode de les railler. C’est en effet infiniment plus facile que de comprendre et d’apprécier.

Il y a plus, toute action systématique de l’Occident sur le reste de la terre ne peut être actuellement que profondément désastreuse pour les peuples sur lesquels on l’exercerait.

Qu’iriez-vous transporter chez les populations moins avancées ? Rien autre chose qu’un état de profonde anarchie mentale, un développement industriel désordonné, sous lequel tend à s’écraser toute digne amélioration morale[7].

Car quel dogme ira-t-on prêcher chez les populations étrangères à l’Occident ?

Aucune doctrine quelconque ne gouverne actuellement les esprits. Il y a sans doute de puissants éléments d’ordre dans notre forte civilisation occidentale, mais ils sont sans aucun lien, aucune doctrine ne les dirige, et le positivisme seul pourra les rallier.

La vie réelle a échappé en Occident aux croyances anciennes. Nous ne pouvons donc transporter maintenant hors de chez nous, que le spectacle de notre anarchie, ou le tableau plus triste encore d’un scepticisme dégradant.

On se plaint que les populations orientales sont immobiles. D’abord, cette banale appréciation n’est que la routinière explication propre à tous ceux qui parlent sur ce qu’ils n’ont jamais examiné. C’est exactement l’analogue de nos littérateurs, admirant la parfaite régularité des phénomènes célestes ; phénomènes fort réguliers sans doute pour ceux qui ne les connaissent pas, et n’en ont jamais apprécié les perturbations[8]. Mais en admettant cela, peut-on croire que le spectacle d’une rapide et désordonnée succession de doctrines soit propre à faire renoncer ces peuples aux dogmes vénérables, que le lent travail des siècles a créés pour la direction de leur existence.

En résumé, l’Occident ayant graduellement abandonné les croyances antiques et n’ayant pu encore adopter la religion positive, qui seule coordonne les éléments de l’ordre moderne, ne doit pas songer a transporter au dehors son désordre moral et son anarchie intellectuelle[9].

La grande question à l’ordre du jour est désormais, et de plus en plus, la réorganisation intellectuelle et morale de l’Occident lui-même.

Le passé a développé les forces industrielles, scientifiques et esthétiques ; mais ces forces ont échappé radicalement à l’action des doctrines anciennes, qui se sont trouvées de plus en plus incapables de les diriger et de les régler. On a même été jusqu’à systématiser un tel état, en déclarant que le but de toute religion est céleste et non terrestre. Il y a plus : même ceux qui admettent encore les anciens dogmes trouvent le plus souvent étrange, et repoussent autant que les plus purs révolutionnaires, toute intervention de l’autorité orale dans le règlement de la vie privée.

De cet état de chose, contre lequel les doctrines théologiques n’offrent plus qu’une honorable mais impuissante protestation, résulte l’abus croissant des forces, surtout privées, dans les relations de la vie humaine.

De là, trop souvent, oppression des inférieurs par les supérieurs ; par suite malaise, désaffection et révolte de la part des inférieurs.

Le grand problème est donc celui-ci : établissement d’une doctrine générale, ou mieux d’une religion, qui librement adoptée, fasse prévaloir les principes de la morale démontrée, d’après lesquels se régleront toutes les relations quelconques. Ou, pour plus de précision, la question essentielle est dans l’avènement d’un nouveau pouvoir spirituel, dirigeant au nom d’une religion toujours démontrable, les esprits et les cœurs.

C’est la que doivent tendre tous les cœurs dévoués, les âmes honnêtes et sincères. Le temps des puérilités académiques est passé. Il s’agit maintenant, bien plus d’utiliser les résultats acquis, que d’en faire surgir de nouveaux. En un mot, le règlement moral de toutes les forces humaines doit prévaloir sur leur développement. Le passé a développé les forces, l’avenir doit les régler.

Par là, le prolétariat s’incorporera dignement à la société moderne. Le règlement des principales souffrances de sa situation est surtout moral, et non pas politique. Ce sont les forces privées qui abusent, infiniment plus que les forces publiques. Les ambitieux seuls, peuvent de nos jours préconiser les changements politiques comme moyen d’amélioration sociale. Vous avez à demander au pouvoir surtout une chose : le sage maintien de l’ordre matériel, condition indispensable de toute digne rénovation intellectuelle et morale. Cessez de croire s’absurde principe : qu’une réforme puisse être à la fois immédiate et radicale. La politique peut apporter des soulagements, la libre et lente prépondérance de la morale peut seule résoudre définitivement la question.

Mettez votre cœur et votre esprit à la hauteur de votre rôle social.

Faites enfin effort pour comprendre et pratiquer une doctrine, qui proclamant le caractère’social de toutes les forces humaines, peut seule établir les règles de leur digne emploi.

Considérez combien il est peu rare de voir ceux qui déclament le plus contre les abus du pouvoir politique, abuser le plus dans la vie privée, et ne se reconnaître ni devoirs ni obligations.

Vous comprendrez parla, que la grande solution de la question sociale est dans la profonde rénovation intellectuelle à laquelle peut seule présider une doctrine qui, émanée de la science, reste toujours démontrable.

Mais le prolétariat surtout, comprendra dès lors, que s’il doit justement demander que les forts reconnaissent et pratiquent leurs obligations morales envers les faibles, il aurait mauvaise grâce à méconnaître ce principe, en approuvant toute oppression quelconque des populations moins avancées par les peuples occidentaux, sous prétexte de civiliser les gens malgré eux.

Aussi, toutes les âmes honnêtes et éclairées, quelles que soient du reste leurs opinions, doivent sentir de plus en plus, que l’état intérieur de l’Occident mérite surtout leur urgente sollicitude.

Et, ceux qui admettent l’avènement inévitable d’un régime purement industriel, et ce sont tous les esprits actifs, comprendront qu’il est contradictoire d’employer le régime militaire comme procédé de lucre commercial.

Enfin, si nous voulons résumer la politique générale du positivisme quant aux relations internationales, nous dirons qu’elle consiste :

1o À reconnaître la complète indépendance temporelle des divers États distincts de l’occident de l’Europe, qui ne doivent t’être liés entre eux, que par la similitude de religion, de mœurs et d’habitudes.

2o À pousser au développement progressif des relations commerciales de l’Occident avec le reste de la terre, sans tentative quelconque d’oppression ou de prosélytisme forcé, en employant seulement la force maritime à organiser une digne police collective de nos mers.

P. Laffitte.
Paris. — 10, rue Monsieur-le-Prince.
  1. On doit remarquer, en effet, que c’est l’introduction du génie social de Rome dans la constitution du sacerdoce catholique, qui a procuré à celui-ci sa haute efficacité. Aussi le vrai catholicisme at-il été justement qualifié de la dénomination de romain.
  2. ll faut excepter les tentatives remarquables, quoique infructueuses, des Jésuites dans l’Inde et dans la Chine. Le pouvoir papal, conséquent à l’esprit absolu de son dogme, a dû finalement condamner ces efforts pour introduire l’esprit relatif, dans le prosélytisme oriental. Mais on peut docilement concevoir comment l’aversion pour le catholicisme, peut assez aveugler les philosophes, pour leur faire trouver un sujet de réprobation dans cette manière d’agir d’une mémorable corporation.
  3. Nous avons vu de prétendus libéraux ne pas craindre de railler, des Chinois et des Arabes défendant leur nationalité. L’étrangeté apparente des usages et des croyances de ces populations, les mettaient sans doute hors de la morale ? Du reste, en voyant le sort si précaire et si malheureux de nos prolétaires dans de grands centres industriels, nos docteurs devraient peut-être moins s’enorgueillir de la supériorité de leur civilisation.
  4. Cours de Philosophie Positive, t. V, p. 326.
  5. Il est digne de remarque que la doctrine du double mouvement de la terre admise universellement en Occident est, en dehors de ce groupe d’élite, tout à fait repoussée.
  6. Il n’y a point de liberté de conscience en astronomie, en physique, en chimie, en physiologie même, en ce sens que chacun trouverait absurde de ne pas croire de confiance aux principes établis dans ces sciences par les hommes compétents. s’il en est autrement en politique, c’est uniquement parce que, les anciens principes étant tombés et les nouveaux n’était pas encore formés, il n’y a point, à proprement parler, dans cet intervalle de principes établis (Auguste comte, Cours de Philosophie positive, t. IV).
  7. Notre illustre Montesquieu a exprimé d’une manière piquante cette disposition d’esprit : « Mais, si quelqu’un par hasard, apprenait à la compagnie que j’étais Persan, j’entendais aussitôt autour de moi un bourdonnement. Ah ! ah ! monsieur est Persan ? c’est une chose bien extraordinaire ! comment peut-on être Persan ? »
  8. Cette disposition de nos métaphysiciens, raisonner à tort et à travers sur ce qu’ils ne connaissent pas est vraiment merveilleuse. Un psychologue, ayant à parler d’astronomie, citait comme type le génie astronomique de Newton. Cet écrivain avait entendu dire probablement, que Newton avait fondé la mécanique céleste ; cela lui a suffi pour faire d’un grand géomètre un grand astronome. L’absence totale de connaissances réelles qui caractérise en France une telle classe, ne l’empêche jamais de décider imperturbablement sur tous les sujets quelconques.
  9. Nos métaphysiciens en sont venus à ce point, de proclamer l’état d’examen et de doute continus, comme l’état normal de la raison humaine. Ils ont été jusqu’à glorifier l’instabilité permanente de l’intelligence. Une telle dégradation mentale se conçoit difficilement. cette disposition d’esprit amènerait bientôt à un véritable état de folie. Cette métaphysique y conduit inévitablement dès qu’elle est active. Et, de tels esprits ne l’évitent, qu’en jouissant dans une passive stagnation des prébendes que leur a créées la munificence nationale. On se rend raison de l’aversion que le positivisme inspire à de telles natures. Ils craignent l’avènement d’une morale démontrée, qui ne laissant pas de refuge aux sophismes de l’égoïsme, demanderait naturellement s’il est urgent de créer de nombreux loisirs à des gens, dont l’unique profession est de ressasser indéfiniment des énoncés de questions insolubles.

    Du reste, leur conduite envers le catholicisme est caractéristique à ce point de vue. cachant mal, sous de serviles démonstrations, l’aversion que leur inspire cette noble religion, ils évitent par la proclamation de leur infaillibilité personnelle, le règlement qui émane nécessairement de la reconnaissance de l’autorité pontificale.