Dangers de la féodalité financière moderne





La féodalité fondée sur la possession de la terre et dont l’origine remonte à la conquête par les tribus franques, burgondes, visigothes et autres, a trouvé, pendant des siècles, sa raison d’être, son excuse, en quelque sorte, dans les charges qui correspondaient à ses droits et privilèges. C’est, dit-on, ce qui existe encore en Angleterre. Elle organisait, dans ses grandes lignes, un édifice social à étages réguliers et très solides. Cet état économique et social, défectueux, assurément, par bien des côtés, présentait cependant cet avantage important de reconstituer, au moins au profit d’une partie de la nation, l’esprit d’indépendance, d’initiative, d’activité individuelle que la pesante administration romaine avait étouffé dans les âmes. Ce fut une sorte d’apprentissage de la liberté qui se développa peu à peu dans nos mœurs et dont les générations suivantes ont su profiter. Elles nous ont transmis sans doute ce désir de liberté que nous cherchons avec difficulté à appliquer et à perfectionner, lorsque nous rencontrons maintenant devant nous une nouvelle lutte qu’il s’agit d’engager contre cette autre féodalité, la féodalité financière qui produirait des effets absolument contraires. Au lieu de développer l’esprit d’initiative et d’indépendance, elle ferait peser sur la multitude des travailleurs, par l’absence de toute ressource, de toute propriété personnelle, un joug qui les réduirait à la longue à un état assez semblable à celui de l’esclavage ancien.

Elle entend se décharger de tous les devoirs sociaux, économiques et politiques qui devraient correspondre à ses droits. Par le mécanisme de l’usure et de la spéculation financière elle concentre en ses mains, au profit d’un très petit nombre, le produit du travail général ; elle rend très difficile sinon impossible, l’accession vers un état meilleur, à la multitude innombrable à laquelle on a donné des droits politiques en contradiction avec sa situation économique. Cette féodalité financière ne fonde rien ; elle est, au contraire, une cause perpétuelle, sans cesse agissante, d’une véritable désorganisation sociale. Elle exploite à son profit seul et s’approprie, sans compensation tous les résultats utiles du travail général. Elle crée une sorte de malaise universel, une agitation, une incertitude, une ignorance des vraies causes de cet état, d’autant plus dangereuse que, ne connaissant pas le mal, on lui cherche et on croit lui trouver des remèdes qui ne font que l’aggraver.

L’extrême richesse, d’un côté, au profit de quelques-uns, l’extrême privation je dirais l’esurience à peu près universelle de l’autre côté, entretiennent un état de guerre latent dont il est difficile d’entrevoir la solution pacifique, si on ne trouve pas le moyen d’en combattre la cause première. Est-il juste que le vieillard, qui a contribué à produire la richesse, par une longue vie de travail n’ait pu acquérir le petit capital nécessaire à le mettre à l’abri du besoin et qu’il soit obligé de recourir à la charité à la fin de sa vie ?

La charité, l’aumône peuvent adoucir le sort du malheureux ; mais ce n’est que le droit positif de la propriété qui peut résoudre le problème. Les États où l’on a supprimé l’impôt à la base et où on l’a établi avec progression sur la richesse, sont plus près de la solution que nous ne le sommes en France avec nos projets de retraites ouvrières.