L’Illusion (O. C. Élisa Mercœur)

Œuvres complètes d’Élisa Mercœur, Texte établi par Adélaïde AumandMadame Veuve Mercœur (p. 141-145).


L’ILLUSION.
ODE.

 

L’homme te doit ce qu’il éprouve ;
Même sous la neige d’hiver
Son souvenir plonge et retrouve
Aujourd’hui ce qui fut hier.
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Élisa Mercœur
Se croire heureux enfin, c’est le moyen de l’être.
 

Toi que Dieu mêle à l’existence
Léger fantôme du bonheur,
Douce fille de l’espérance,
Illusion, prestige, erreur,
De songes célestes suivie,
L’homme te répand sur sa vie,
Ta main agite son berceau ;
Cette main toujours le caresse,

Et, quand vient la pâle vieillesse,
Tu t’assieds près de son tombeau.

Par toi l’infortuné soulève
Le fardeau posé sur son cœur ;
S’il sommeille, l’aile d’un rêve
Lui cache un instant sa douleur.
Lorsque le trépas l’environne,
Son âme en fuyant s’abandonne
À l’espoir d’un jour plus heureux ;
Puisant l’oubli de l’injustice,
Il voit au ciel un Dieu propice
Qui sourit à ses derniers vœux.

Dans ce triste asile du doute
Où le mortel est exilé,
Tu suis pas à pas dans la route
Son esprit tranquille ou troublé.
Souriant ou versant des larmes,
Par toi l’homme trouve des charmes
Dans un regard, dans un soupir ;
Le passé près du cœur voltige,
Et, paré de ton doux prestige,
Fait un présent du souvenir.

Ainsi, dans sa courte carrière,
Le mortel est guidé par toi ;

Fuyant sur sa barque légère
Paisible, il se livre à ta foi.
Tu le berces de tes images,
Et, s’il gronde quelques orages,
Il écoute à peine leur bruit.
L’onde se ploie ; il vogue, il passe,
Et jouit du jour qui s’efface
Sans penser que viendra la nuit.

L’homme te doit ce qu’il éprouve ;
Même sous la neige d’hiver
Son souvenir plonge et retrouve
Aujourd’hui ce qui fut hier.
Illusion, ta voix fidèle
Doucement toujours lui rappelle
Et ses pensers et ses amours.
Son cœur encore est plein de flamme,
Et la jeunesse de son âme
Lui semble celle de ses jours.

Heureux ! quand, aveugle lui-même,
Voilé du bandeau de l’espoir,
Toujours, soit qu’il chante ou qu’il aime,
Il suit un chemin sans le voir.
Lorsque fuit l’inexpérience,
Comme dans sa paisible enfance
S’il a quelque triste soupir.

Cette souffrance est passagère,
Et de sa blessure légère
Une larme peut le guérir.

Si les doigts cherchent une lyre
Par un instinct mystérieux,
Ton souffle quand elle soupire
L’effleure comme un vent des cieux.
Ta douce erreur, aimable fée,
Si la voix est presque étouffée,
Ranime le son affaibli.
Tu promets des âges sans nombre,
Purs éclairs jaillissant de l’ombre,
Échappés aux mains de l’oubli.

L’amour, cette image céleste,
Cette pure essence du cœur,
Aux humains propice ou funeste,
Te doit ses maux ou son bonheur.
Si quelque regret la dévore,
L’âme sent qu’il existe encore
Une volupté dans nos pleurs.
Toi seule charmes ce délire,
Et sur la flèche qui déchire
Jettes des nuages de fleurs.

Mais souvent d’une voix plaintive
Tu désenchantes nos instans,

Lorsque l’ivresse fugitive
Nous avertit des pas du temps.
À ton haleine abandonnée,
Notre étoile semble inclinée,
À peine au matin de nos ans.
Ton prisme trompeur décolore
Le rameau qui se couvre encore
Des feuilles fraîches du printemps.

Ainsi, comme un ami fidèle
Qui veille près de son ami,
Tu soutiens alors qu il chancelle
Le courage, hélas ! endormi.
C’est toi qui sur l’homme prononces
Couronné de fleurs ou de ronces,
Il est esclave de ta loi :
Si la voix de la mort l’appelle,
Tu conduis encor sous ton aile
Son âme qui fuit avec toi.


(Avril 1827.)