L’Encyclopédie/1re édition/TROEZENE ou TROEZEN

TROEZENE ou TROEZEN, (Géog. anc.) en grec τροιζήνη, & par Polybe τροιζῆνα ; ville du Péloponnèse, dans l’Argolide, sur la côte orientale, un peu au-delà du promontoire Scyllæum, à l’entrée du golfe Saronique ; le territoire de cette ville est nommé Troëzénide par Thucydide. Voici la description de la ville par Pausanias.

Dans la place de Troëzene, dit cet historien, l. II. c. xxxj. & xxxij. on voit un temple & une statue de Diane conservatrice ; les Troëzéniens assuroient que ce temple avoit été consacré par Thésée, & que l’on avoit donné ce surnom a la déesse, lorsque ce héros se sauva si heureusement de Crete, après avoir tué Astérion, fils de Minos. Dans ce temple il y a des autels consacrés aux dieux infernaux.

Ces autels cachoient, à ce qu’on disoit, deux ouvertures : par l’une de ces ouvertures Bacchus retira Sémélé des enfers, & par l’autre Hercule emmena avec lui le cerbere. Derriere le temple étoit le tombeau de Pithée, sur lequel il y avoit trois sieges de marbre blanc, où l’on dit qu’il rendoit la justice avec deux hommes de mérite, qui étoient comme ses assesseurs. Près de là on voyoit une chapelle consacrée aux muses : c’étoit un ouvrage d’Ardalus, fils de Vulcain, que les Troëzéniens disoient avoir inventé la flûte ; & de son nom on appella les muses Ardalides. Ils assuroient que Pithée enseignoit dans ce lieu l’art de bien parler, & on voyoit un livre composé par cet ancien roi. Au-delà de cette chapelle il y avoit un autel fort ancien ; la tradition vouloit qu’il eût été consacré par Ardalus. On y sacrifioit aux muses & au Sommeil ; car de tous les dieux, disoient-ils, c’est le Sommeil qui est le plus ami des muses.

Auprès du théatre on voyoit un temple de Diane Lycéa bâti par Hippolyte. Pausanias juge que ce surnom de Diane venoit, ou de ce qu’Hippolyte avoit purgé le pays des loups dont il étoit infesté, ou de ce que par sa mere il descendoit des Amazones, qui avoient dans leur pays un temple de Diane de même nom. Devant la porte du temple étoit une grosse pierre appellée la pierre sacrée, & sur laquelle on prétendoit qu’Oreste avoit été purifié du meurtre de sa mere par d’illustres personnages de Troëzene au nombre de neuf ; assez près de là on trouvoit plusieurs autels peu éloignés les uns des autres : l’un consacré à Bacchus sauveur, en conséquence d’un certain oracle : un autre à Thémis, & que Pithée lui-même avoit consacré ; un troisieme avoit été consacré au Soleil le libérateur par les Troézéniens, lorsqu’ils se virent délivrés de la crainte qu’ils avoient eue de tomber sous l’esclavage de Xercès & des Perses. On y voyoit aussi un temple d’Apollon Théorius, & qui passoit pour avoir été rétabli & décoré par Pithée. C’étoit le plus ancien des temples que connût Pausanias. La statue qu’on y voyoit étoit un présent d’Auliscus, & un ouvrage du statuaire Hermon, natif du pays ; on y voyoit encore les deux statues des Dioscures ; elles étoient de bois & aussi de la main d’Auliscus.

Dans la même place il y avoit un portique orné de plusieurs statues de femmes & d’enfans, toutes de marbre : c’étoient ces femmes que les Athéniens confierent avec leurs enfans aux Troézéniens, lorsqu’ils prirent la résolution d’abandonner Athènes, dans l’impossibilité où ils étoient de la défendre contre les Perses avec le peu de forces qu’ils avoient sur terre. On n’érigea pas des statues à toutes, mais seulement aux plus considérables d’entr’elles.

Devant le temple d’Apollon on remarquoit un viel édifice appellé le logis d’Oreste, & où il demeura comme séparé des autres hommes, jusqu’à ce qu’il fût lavé de la tache qu’il avoit contractée en trempant les mains dans le sang de sa mere ; car on disoit que jusque-là aucun troézénien n’avoit voulu le recevoir chez lui ; de sorte qu’il fut obligé de passer quelque tems dans cette solitude, & cependant on prenoit soin de le nourrir & de le purifier jusqu’à ce que son crime fût entierement expié ; & même encore du tems de Pausanias, les descendans de ceux qui avoient été commis à sa purification, mangeoient tous les ans à certains jours dans cette maison. Les Troézéniens disoient qu’auprès de cette maison, dans le lieu où l’on avoit enterré les choses qui avoient servi à cette purification, il avoit poussé un laurier qui s’étoit toujours conservé depuis ; & entre les différentes choses qui avoient servi à purifier Oreste, on citoit particulierement l’eau de la fontaine d’Hippocrène ; car les Troézéniens avoient aussi une fontaine Hippocrène.

On voit aussi au même lieu une statue de Mercure Polygius, devant laquelle ils assuroient qu’Hercule avoit consacré sa massue faite de bois d’olivier. Quant à ce qu’ils ajoutent, dit Pausanias, que cette massue prit racine, & poussa des branches, c’est une merveille que le lecteur aura peine à croire. Quoi qu’il en soit, ils montrent encore aujourd’hui cet arbre miraculeux ; & à l’égard de la massue d’Hercule, ils tiennent que c’étoit un tronc d’olivier qu’Hercule avoit trouvé auprès du marais Saronique. On voyoit encore à Troezene un temple de Jupiter sauveur, bâti, à ce qu’on disoit, par Aëtius, lorsqu’il avoit pris possession du royaume après la mort de son pere.

Les Troézéniens donnoient comme une merveille leur fleuve Chrysorrhoès, qui durant une sécheresse de neuf années que tous les autres tarirent, fut le seul qui conserva toujours ses eaux, & qui coula à l’ordinaire. Ils avoient un fort beau bois consacré à Hippolyte, fils de Thésée, avec un temple où l’on voyoit une statue d’un goût très-ancien. Ils croyoient que ce temple avoit été bâti par Diomede, qui le premier avoit rendu des honneurs divins à Hippolyte. Ils honoroient donc Hyppolyte comme un dieu. Le prêtre chargé de son culte étoit perpétuel, & la fête du dieu se célébroit tous les ans. Entr’autres cérémonies qu’ils pratiquoient en son honneur, les jeunes filles, avant que de se marier, coupoient leur chevelure, & la lui consacroient dans son temple. Au reste ils ne convenoient point qu’Hippolyte fût mort, emporté & trainé par ses chevaux ; & ils se donnerent bien de garde de montrer son tombeau ; mais ils vouloient persuader que les dieux l’avoient mis dans le ciel au nombre des constellations, & que c’étoit celle qu’on nommoit le conducteur du chariot.

Dans le même lieu il y avoit un temple d’Apollon Epibaterius, & qu’ils tenoient avoir été dédié sous ce nom par Diomede, après qu’il se fut sauvé de la tempête qui accueillit les Grecs lorsqu’ils revenoient du siege de Troie. Ils disoient même que Diomede avoit institué le premier les jeux pithiques en l’honneur d’Apollon. Ils rendoient un culte à Auxesia & à Lamia, aussi bien que les Epidauriens & les Eginetes ; mais ils racontoient differemment l’histoire de ces divinités ; selon eux, c’étoient deux jeunes filles qui vinrent de Crete à Troëzene, dans le tems que cette ville étoit divisée par des parties contraires ; elles farent les victimes de la sédition, & le peuple qui ne respectoit rien, les assomma à coups de pierre ; c’est pourquoi on célébroit tous les ans un jour de fête qu’on appelloit la lapidation.

De l’autre côté c’étoit un stade nommé le stade d’Hippolyte ; & au-dessus il y avoit un temple de Vénus surnommée la regardante, parce que c’étoit delà que Phedre éprise d’amour pour Hippolyte, le regardoit toutes les fois qu’il venoit s’exercer dans la carriere ; c’est aussi là que l’on voyoit le myrte qui avoit les feuilles toutes criblées ; car la malheureuse Phedre possédée de sa passion, & ne trouvant aucun soulagement, trompoit son ennui en s’amusant à percer les feuilles de ce myrte avec son aiguille de cheveux. Là se voyoit la sépulture de Phedre, & un peu plus loin celle d’Hippolyte ; mais le tombeau de Phedre étoit plus près du myrte. On y remarquoit aussi la statue d’Esculape faite par Timothée ; & l’on croyoit à Troëzene que c’étoit la statue d’Hippolyte. Pour la maison où il demeuroit, je l’ai vue, dit Pausanias ; il y avoit devant la porte une fontaine dite la fontaine d’Hercule, parce qu’on disoit que c’étoit Hercule qui l’avoit découverte.

Dans la citadelle on trouvoit un temple de Minerve Sthéniade ; la déesse étoit représentée en bois. C’étoit un ouvrage de Callon, statuaire de l’île d’Egine. En descendant de la citadelle, on rencontroit une chapelle dédiée à Pan le libérateur, en mémoire du bienfait que les Troézéniens reçurent de lui lorsque par des songes favorables il montra aux magistrats de Troëzene le moyen de remédier à la famine qui affligeoit le pays. En allant dans la plaine, on voyoit sur le chemin un temple d’Isis, & au-dessus un autre temple de Vénus Acréa ; le premier avoit été bâti par les habitans d’Halicarnasse, qui avoient voulu rendre cet honneur à la ville de Troëzene, comme à leur mere. Pour la statue d’Isis, c’étoit le peuple de Troëzene qui l’avoit fait faire.

Dans les montagnes du côté d’Hermione, on rencontroit premierement la source du fleuve Hilycus, qui s’étoit appellé autrefois Taurius : en second lieu, une roche qui avoit pris le nom de Thésée, depuis que ce héros, tout jeune encore, la remua pour prendre la chaussure & l’épée de son pere, qui les avoit cachées dessous : car auparavant elle se nommoit l’autel de Jupiter Sthénius. Près de-là, on montroit la chapelle de Vénus, surnommée Nymphée, bâtie par Thésée, lorsqu’il épousa Hélene. Hors des murs de la ville, il y avoit un temple de Neptune Pythalmius, surnom dont la raison est que ce dieu dans sa colere, inonda tout le pays des eaux salées de la mer, fit périr tous les fruits de la terre, & ne cessa d’affliger de ce fléau les Troézéniens, jusqu’à ce qu’ils l’eussent appaisé par des vœux & des sacrifices.

Au-dessus étoit le temple de Cérès législatrice, consacré, disoit-on, par Althepus. Si on alloit au port, qui étoit dans un bourg nommé Célenderis, on voyoit un lieu appellé le berceau de Thésée, parce que c’étoit-là que Thésée étoit né. Vis-à-vis on avoit bâti un temple au dieu Mars, dans le lieu même où Thésée défit les Amazones. C’étoit apparemment un reste de celles qui avoient combattu dans l’Attique contre les Athéniens commandés par ce héros.

En avançant vers la mer Pséphée, on trouvoit un olivier sauvage nommé le rhachos, tortu ; car ils donnoient le nom de rhachos à tous les oliviers qui ne portoient point de fruit ; & ils appelloient celui-ci tortu, parce que c’étoit autour de cet arbre, que les renes des chevaux d’Hippolyte s’étoient embarrassées ; ce qui avoit fait renverser son char.

Il y avoit deux îles qui dépendoient de Troézene ; savoir l’île de Sphérie, depuis nommée l’île sacrée, & celle de Calaurée. Une bonne partie du pays de Troézene étoit, à proprement parler, un isthme qui avançoit considérablement dans la mer, & qui s’étendoit jusqu’à Hermione.

Les Troézéniens faisoient tout ce qu’ils pouvoient pour donner d’eux une grande idée. Ils disoient que leur premier roi s’appelloit Orus, & qu’il étoit originaire du pays ; mais je crois, dit Pausanias, l. II. c. xxx. que le nom d’Orus est plutôt égyptien que grec. Quoi qu’il en soit, ils assuroient qu’Orus avoit regné sur eux, & que de son nom le pays avoit été appellé l’Orée, qu’ensuite Althepus, fils de Neptune & de Leis, qui étoit fille d’Orus, ayant succédé à son ayeul, toute la contrée avoit pris le nom d’Althépie. Ce fut sous son regne que Bacchus & Minerve disputerent à qui auroit le pays sous sa protection, & que Jupiter les mit d’accord en partageant cet honneur entre l’un & l’autre. C’est pour cela qu’ils honoroient Minerve Poliade, & Minerve Sthéniade, donnant deux noms différens à la même divinité, & qu’ils révéroient Neptune sous le titre de roi ; même l’ancienne monnoie de ce peuple avoit d’un côté un trident, & de l’autre une tête de Minerve. Nous avons encore des médailles qui prouvent ces deux faits ; Golstius cite une médaille frappée à Troézene, où l’on voit d’un côté un trident, & une autre médaille des Troézéniens avec ce mot Πολιὰς, c’est-à-dire, Minerve, protectrice de la ville.

A Althépus succéda Saron ; celui-ci, suivant la tradition, bâtit un temple à Diane Saronide, dans un lieu où les eaux de la mer forment un marécage ; aussi l’appelloit-on le marais Phœbéen. Ce prince aimoit passionnément la chasse : un jour qu’il chassoit un cerf, il le poursuivit jusqu’au bord de la mer. Le cerf s’étant jetté à la nage, le prince s’y jetta après lui, & se laissant emporter à son ardeur, il se trouva insensiblement en haute mer, où épuisé de forces, & lassé de lutter contre les flots, il se noya. Son corps fut apporté dans le bois sacré de Diane, auprès de ce marais, & inhumé dans le parvis du temple. Cette avanture fut cause que le marais changea de nom, & s’appella le marais Saronique.

Après le retour des Héraclides dans le Péloponnèse, les Troézéniens reçurent les Doriens dans Troézene, je veux dire ceux des Argiens qui y voulurent venir demeurer ; ils se souvenoient qu’ils avoient été soumis eux-mêmes à la domination d’Argos ; car Homere dans son dénombrement dit qu’ils obéissoient à Diomede. Or Diomede & Eurialus, fils de Mécistée, après avoir pris la tutelle de Cyanippe fils d’Egialée, conduisirent les Argiens à Troie. Quant à Sthénélus, il étoit d’une naissance beaucoup plus illustre, & de la race de ceux qu’on nommoit Anaxagorides : c’est pourquoi l’empire d’Argos lui appartenoit. Voilà ce que l’histoire nous apprend des Troézéniens ; on pourroit ajouter qu’ils ont envoyé encore diverses autres colonies de part & d’autre.

Ptolomée, l. III. c. xvj. parle d’une ville du Péloponnèse dans la Messénie, qui portoit aussi le nom de Troézene ; Enfin, Pline, l. V. c. xxix. parle d’une troisieme Troézene. Cette derniere avoit pris son nom d’une colonie de troézéniens, qui, à ce que dit Strabon, l. XIV. p. 656. vint autrefois habiter dans la Carie. (Le chevalier de Jaucourt.)