L’Encyclopédie/1re édition/TOURMALINE

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TOURMALINE, s. f. (Hist. nat.) c’est une pierre qui se trouve dans l’île de Ceylan, qui étant échauffée, acquiert une vertu analogue à l’électricité ; alors elle attire d’abord, & repousse ensuite les corps légers qui l’environnent, tels que la poudre de charbon & la cendre ; c’est aussi pourquoi on l’appelle pierre de cendres, aimant de cendres ; en hollandois, aschen trekke. Quelques personnes l’ont appellée turpeline par corruption ; les Allemands la nomment trip.

C’est dans l’histoire de l’académie royale des Sciences de l’année 1717, qu’il a été parlé pour la premiere fois de cette pierre, que M. Lemery fit voir à l’académie ; voici ce qu’on en dit : « C’est une pierre qu’on trouve dans l’île de Ceylan, grande comme un denier, plate, orbiculaire, épaisse d’environ une ligne, brune, lisse, & luisante, sans odeur & sans goût, qui attire & ensuite repousse de petits corps légers comme de la cendre, de la limaille de fer, des parcelles de papier ; elle n’est point commune.

Quand une aiguille de fer a été aimantée, l’aimant en attire le pôle septentrional par son pôle méridional ; & par ce même pôle méridional il repousse le méridional de l’aiguille ; ainsi il attire & repousse différentes parties d’un même corps, selon qu’elles lui sont présentées, & il attire ou repousse toujours les mêmes. Mais la pierre de Ceylan attire & ensuite repousse le même petit corps présenté de la même maniere ; & c’est en quoi elle est fort différente de l’aimant. Il semble qu’elle ait un tourbillon qui ne soit pas continuel, mais qui se forme, cesse, recommence d’instant en instant. Dans l’instant où il est formé, les petits corps sont poussés vers la pierre, il cesse, & ils demeurent où ils étoient ; il recommence, c’est-à-dire, qu’il sort de la pierre un nouvel écoulement de matiere analogue à la magnétique, & cet écoulement chasse les petits corps. Il est vrai que selon cette idée, les deux mouvemens contraires des petits corps, devroient se succéder continuellement, ce qui n’est pas ; car ce qui a été chassé n’est plus ensuite attiré ; mais ce qu’on veut qui soit attiré, on le met assez près de la pierre ; & lorsqu’ensuite elle repousse le corps, elle le repousse à une plus grande distance ; ainsi ce qu’elle a une fois chassé, elle ne peut plus le rappeller à elle ; ou ce qui est la même chose, son tourbillon a plus de force pour chasser en se formant, que pour attirer quand il est formé ». Voyez l’histoire de l’académie royale des Sciences, année 1717. page 7. & suiv.

Tels sont les premiers détails que nous ayons sur la tourmaline. Depuis il en a été question dans deux écrits publiés en 1757 ; l’un est un mémoire de M. Æpin, professeur de physique, membre de l’académie impériale de Petersbourg, qui a pour titre, de quibusdam experimentis electricis notabilioribus ; il a été lu à l’académie de Berlin ; l’autre est une dissertation de M. Wilke, sous le titre de Disputatio solemnis philosophica de electricitatibus contrariis. Rostochii, 1757. Ces deux auteurs nous disent qu’on trouve dans l’île de Ceylan une pierre transparente, presque aussi dure que le diamant, d’une couleur qui imite celle de l’hyacinthe, mais plus obscure. Cette pierre est connue en Allemagne & en Hollande, sous le nom d’aimant de cendres ; mais elle s’appelle plus communément tourmaline. La propriété singuliere de cette pierre, est d’attirer & de repousser tour-à-tour les cendres qui environnent un charbon ardent sur lequel on l’a placée.

Enfin, M. le duc de Noya-Carafa, seigneur napolitain, aussi distingué par son goût pour les Sciences, que par son rang, étant venu à Paris en 1759, apporta deux tourmalines qu’il avoit acquises dans ses voyages. L’une qui étoit la plus petite, pesoit six grains ; elle avoit quatre lignes de longueur sur trois de largeur, & à-peu-près une ligne d’épaisseur. Elle étoit entierement opaque, d’un brun noirâtre ; sa substance paroissoit homogene, quoique traversée de quelques veines ou terrasses peu sensibles ; le feu auquel cette pierre avoit été exposée avoit fait partir de sa surface de petits éclats qu’on ne découvroit bien qu’à la loupe. Cette pierre peut être rougie au feu sans aucun risque, pourvu qu’on ne la refroidisse point trop subitement dans l’eau ou autrement.

L’autre tourmaline étoit plus grande, elle pesoit dix grains ; sa longueur étoit de cinq lignes & un tiers ; sa largeur de quatre lignes & demie, & son épaisseur de près d’une ligne. Sa couleur étoit d’un jaune enfumé ou de vin d’Espagne, & tenoit un milieu entre le beau jaune de la topase orientale, & la couleur brune de la topase ou du crystal de Bohème. Cette pierre étoit sans défaut, à l’exception de deux glaces que le feu des expériences y avoit formées.

La dureté de ces deux pierres étoit la même que celle du crystal de roche, de l’émeraude, & du saphir d’eau, que les Lapidaires mettent au rang des pierres tendres. Leur poli est gras ; elles rayent le verre ; elles n’ont ni goût ni odeur ; la plus petite avoit plus de vertu que la grande. L’auteur de l’Oryctologie, donne à cette pierre le nom de turpeline, & dit sans aucun fondement que c’est une espece d’œil de chat. M. Æpin attribue à cette pierre la dureté du diamant ; ce qui est contredit par ce qui précede.

M. le duc de Noya a fait un grand nombre d’expériences avec ces deux pierres en présence de plusieurs curieux, voici en peu de mots les résultats de ces expériences, dont les unes prouvent la conformité de la tourmaline avec les autres corps électriques, & les autres prouvent que cette pierre a des vertus qui ne lui sont point communes avec ces corps.

La tourmaline étant frottée avec du drap, attire & repousse les corps légers ; mais ses effets sont plus forts lorsqu’on la pose sur des charbons ardens, ou sur des métaux échauffés, ou dans de l’eau bouillante, ou à la chaleur du soleil concentrée par un verre ardent ; une chaleur trop grande, ainsi qu’une chaleur trop foible, nuisent également à sa vertu électrique. Celle qui tient le milieu entre ces deux extrèmes, & qui s’étend depuis le trentieme jusqu’au soixante & dixieme degré du thermometre de M. de Réaumur, est la plus convenable pour lui donner toute la force électrique dont elle est susceptible ; le mieux est d’étendre une couche de cendre sur des charbons ardens, ou sur une plaque de métal rougie, & de placer la tourmaline sur cette couche de cendre. Si on met la pierre dans l’eau bouillante, lorsqu’on la retire elle est trop promptement refroidie pour pouvoir produire ses effets. Quant à la chaleur du verre ardent, elle est trop subite & mettroit la pierre en risque de se casser.

La tourmaline échauffée convenablement, attire & repousse les corps legers, tels que les cendres, la feuille d’or, la limaille de fer, la pierre en poudre, le verre pilé, le sablon, la poudre de bois, le charbon pilé, la soie suspendue, &c. Les distances de l’attraction & de la répulsion, varient suivant le degré de chaleur qu’on a donné à la pierre, & suivant les corps legers qu’on lui présente ; mais la distance de la répulsion est toujours plus grande que celle de l’attraction. La répulsion dépend aussi de la figure des corps qu’on lui présente, & de la façon de les présenter.

Cette pierre trop échauffée n’a plus d’électricité.

Sa vertu agit de même que celle des cylindres électriques au travers du papier.

Elle agit au bout d’un conducteur métallique, c’est-à-dire, au bout d’un fil de fer dont un bout est placé sur la tourmaline chauffée.

Elle n’a point de pôles comme l’aimant, non plus que tous les corps électriques.

Elle rejette plus vivement les paillettes aux endroits où l’on présente les pointes.

Sa vertu n’est point altérée par l’aimant ; ces phénomenes de la tourmaline lui sont communs avec les autres corps électriques ; mais elle en differe par les points suivans.

1°. Elle s’électrise par la seule chaleur, & par ce moyen elle devient beaucoup plus électrique que par le frottement.

2°. Etant électrisée, elle ne devient point phosphorique, & ne donne point d’étincelles électriques.

3°. Elle s’électrise même dans l’eau.

4°. Elle ne perd point sa vertu électrique par les moyens qui la font perdre à la machine électrique.

5°. On ne lui communique point l’électricité comme aux autres corps électriques.

6°. La tourmaline au lieu d’être repoussée par un tube électrisé, elle en est attirée.

7°. Deux tourmalines suspendues à des fils étant échauffées, s’attirent mutuellement, au lieu de se repousser comme font les autres corps électriques.

De ces expériences, M. le duc de Noya conclut que la tourmaline est un corps électrique qui s’électrise par des moyens différens des autres corps électriques ; que son électricité est différente de la leur ; qu’elle est sensible comme la vertu magnétique, à l’action de leur électricité, sans s’en charger, sans perdre la sienne, & sans leur faire perdre la leur ; & par conséquent que cette pierre differe en cela de tous les autres corps électriques connus.

Tous ces détails sont tirés d’une lettre de M. le duc de Noya Carasa, sur la tourmaline à M. de Buffon, que ce seigneur a fait imprimer & publier à Paris en 1759. L’on y trouvera un grand nombre d’autres détails que l’on a été obligé d’omettre, de peur d’alonger cet article, où l’on n’a rapproché que les choses essentielles contenues dans cet ouvrage. (—)