L’Encyclopédie/1re édition/TOGE

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TOGE, s. f. (Hist. des habits rom.) toga ; habit particulier aux Romains, & qui leur couvroit tout le corps.

Le premier habit dont se soient servi les Romains étoit la toge ; que l’usage leur en soit venu des Lydiens ; que ceux-ci l’aient emprunté des Grecs ; qu’au rapport d’Artémidore, un roi d’Arcadie en ait laissé la mode aux habitans de la mer Ionienne ; ou que, pour parler avec plus de vraissemblance, Rome ne soit redevable de tous ces ajustemens, qu’au besoin & à la commodité, au commerce de ses voisins, au goût & au caprice même. Toutes ces recherches ne jettent aucun éclaircissement sur la forme & la diversité de cette espece d’habit. C’est donc assez de dire, que c’étoit une robe longue allant jusqu’aux talons, sans manches, & qui se mettoit sur les autres vêtemens.

La toge ordinaire, au rapport de Denis d’Halicarnasse, étoit un grand manteau d’étoffe de laine en forme de demi-cercle, qui se mettoit par-dessus la tunique. Cet habit étoit propre aux Romains ; ensorte que togatus & romanus étoient deux termes tellement synonymes, que Virgile appelle les Romains gens togata ; & c’est par cela même que ceux à qui ils permettoient de la porter, étoient censés jouir du droit de bourgeoisie romaine ; c’est encore pour cela qu’on appelloit gallia togata, la Gaule Césalpine ; & non pas, comme le dit Gronovius, la Gaule Narbonnoise, qui, au contraire, étoit nommée gallia braccata, à cause d’une maniere d’habillement toute différente. Enfin, le nom de togatus étoit si bien affecté aux Romains, que pour distinguer les pieces de théatre dont le sujet étoit romain, des pieces de théatre grecques, les premieres étoient appellées togatæ, & les autres palliatæ.

Il y avoit cependant dans les toges de grandes différences pour la longueur, pour la couleur, & pour les ornemens, selon la diversité des conditions, des professions, de l’âge, & du sexe.

Les femmes n’usoient point de la toge des hommes ; celle qu’elles portoient étoit longue comme nos simarres, & avoit les extrémités bordées de pourpre, ou d’une autre couleur ; mais cet habit souffrit toutes les vicissitudes des modes, & prit enfin le nom de stole. Horace nous apprend, que les femmes répudiées pour adultere, étoient obligées de porter la toge des hommes ; & c’est dans ce sens que Martial a dit, lib. II. epist. 39.

Coccina famosæ donas, & Janchina Mæchæ ;
Vis dare quæ meruit munera ? mitte togam.

Toga prætexta, fut inventée par Tullus Hostilius, troisieme roi des Romains, pour distinguer les gens de qualité ; c’étoit une longue robe blanche, avec une bande de pourpre au bas. Les enfans des patriciens la prenoient à l’âge de treize ans, car avant cet âge, ils ne portoient qu’une espece de veste à manches nommées plicata chlamys ; mais à treize ans, ils prenoient la prétexte jusqu’à ce qu’ils quittassent leur gouverneur. Lorsque Ciceron a fait ce reproche à Marc-Antoine,

Tenesne memoriâ prætextam te præcoxisse, decoxisse ?

c’est une allusion aux dépenses excessives que Marc-Antoine avoit faites dès sa tendre jeunesse, & qui avoient consumé une grande partie de sa fortune. Le jurisconsulte Ulpien dans la loi, vestis puerilis, ff. de auro & argento legato, met la toge prétexte dans le rang des habits que les jeunes gens ont accoutumé de porter jusqu’à l’âge de dix-sept ans.

Quand on avoit atteint cet âge, l’on prenoit une autre toge que l’on appelloit toga virili ;. Ce jour-là étoit une grande fête dans les familles : le changement se faisoit dans le temple de Jupiter Capitolin, en présence des parens. On appelloit la même robe toga pura, parce qu’elle étoit blanche, sans aucun mélange de couleurs.

Toga candida étoit une toge blanche, différente par la forme de la toge pure, & ne lui ressemblant que par la couleur ; les candidats revêtoient cette robe dans les brigues des charges ; & de-là vient qu’on les nomma candidati. Polybe de Mégalopolis cité dans Athénée, appelle en grec cette robe τήϐενναν λαμπρὰν, d’un certain Tebenus arcadien qui l’inventa. Le même auteur parlant d’Antiochus dit : il ôta ses habits royaux pour prendre la toge blanche, τήϐενναν λαμπρὰν, & briguer ainsi vêtu la magistrature qu’il desiroit.

Les nouveaux mariés portoient aussi une toge blanche d’un blanc éclatant, togam candidam, le jour des nôces, & dans les jours des fêtes & de réjouissance de leur mariage, selon le témoignage d’Horace, liv. II. sat. 2.

Toga pulla ou atra : cette toge étoit noire, marquoit le deuil, la tristesse & la pauvreté, les haillons étant les habits ordinaires des pauvres, que Pline appelle pullatum hominum genus ; & Quintilien, pullatus circulus & pullata turba. Au rapport de Suétone, dans la vie d’Auguste, num. 44. cet empereur défendit à tous ceux que l’on appelloit pullati, d’assister aux jeux dans le parterre : Sanxit nè quis pullatorum mediâ caveâ sederet. Il étoit aussi contre la bienséance de se trouver dans un festin avec cet habit noir, quelque beau qu’il fût ; d’où vient que Ciceron reproche à Vatinius, d’avoir paru à table chez Arrius avec une toge noire : Quâ mente, dit-il, fecisti, ut in epulo Q. Arrii cum togâ pullâ procumberes.

Toga picta. Cette toge étoit ainsi appellée, ou parce qu’elle étoit remplie de différentes broderies faites à l’aiguille, ou parce que l’ouvrier en faisant l’étoffe, y avoit formé différentes figures & de diverses couleurs.

Toga purpurea, étoit la même robe que portoient les sénateurs, ornée de grandes fleurs de pourpre.

Toga palmata, étoit une robe semée de grandes palmes de pourpre, enrichie d’or ; les triomphateurs la portoient seulement le jour de leur triomphe. Paul Emile & le grand Pompée furent les seuls qui eurent la permission de la porter dans d’autres rencontres. Les empereurs prirent cette robe pour eux ; c’est pourquoi Martial, l. VII. epist. 1. s’adressant par une basse flatterie à la cuirasse de Domitien, lui dit : « Accompagne hardiment ton maître ; ne crains point les traits des ennemis, tant que tu couvriras sa divine personne ; marche, va lui aider à vaincre : mais ramene-le bien-tôt pour faire place à la toge palmée, brillante d’or & de pourpre ».

Toga rasa ; une toge de drap ras & sans poil. Martial, l. II. epist. 85. demande agréablement un habit à son ami : « Je vous envoie, dit-il, dans le tems froid des saturnales, une bouteille couverte d’osier, propre à garder de la neige ; si ce présent ne vous plaît pas, vengez-vous ; envoyez-moi une toge rase propre pour l’été ». Il y avoit cette différence entre trica toga & rasa toga, que l’étoffe de la premiere étoit rase par le tems, & que rasa toga signifioit toge, faite avec une étoffe fine & sans poil.

Toga pexa. Elle étoit faite d’une étoffe chaude, & dont on se servoit pendant l’hiver ; elle fut ainsi appellée à cause des grands poils dont elle étoit couverte, à spissitate. Martial, l. VII. appelle les draps pexa : il dit à Priscus :

Divitibus poteris musas elegosque sonantes
Mittere, pauperibus munera pexa dare.

Toga trabea, espece de toge blanche, bordée de pourpre, & parsemée de têtes de clous aussi de pourpre.

Toga regia, elle étoit faite d’une étoffe de laine, avec de l’or & de la pourpre, selon le témoignage de Pline, l. VIII. c. xlviij.

Toga vitrea, elle étoit faite d’une étoffe légere & transparente, que les censeurs obligeoient de porter ceux qui avoient commis certaines fautes, si nous en croyons Turnèbe, l. XIV. c. xix.

Toga forensis, étoit l’habillement des avocats. Simmaque parlant d’un avocat de son tems qui fut rayé du corps, dit : Epictetus togæ forensis honore privatus est. Cassiodore appelle la dignité d’avocat, togata dignitas ; mais Apulée les nomme par une qualification odieuse, vultures togati ; on diroit qu’il parle de nos sangsues du palais.

Les jeunes avocats qui commençoient à fréquenter le barreau, portoient la toge blanche, togam candidam ; on les regardoit en effet comme des candidats qui briguoient le rang d’orateur. Antoine étoit ainsi vêtu quand il commença à parler contre Pompée ; mais ceux qui s’étoient acquis un rang distingué, portoient la toge de pourpre, en la ceignant de façon que les parties antérieures de la toge descendoient un peu au-dessous du genou ; ils la relevoient insensiblement à mesure qu’ils avançoient en matiere ; ensorte qu’elle avoit, pour ainsi dire, sa déclamation & son action, comme la voix : Ut vox vehementior ac magis varia est, sic amictus quoque habet actum quemdam velut præliantem, dit Quintilien.

Toga militaris, étoit toute entiere à l’usage des soldats ; ils la portoient retroussée à la gabinienne.

Toga domestica, étoit la robe qu’on portoit seulement dans la maison, & avec laquelle on ne sortoit point en public. On quittoit aussi la toge pendant les saturnales, tems de plaisir & de liberté, qui ne s’accordoit point avec cet habit.

La forme en changea, sans doute, suivant les tems, & c’est ce qui fait que les savans s’appuient sur divers passages des auteurs ; les uns, comme Sigonius, pour dire qu’elle étoit quarrée ; d’autres, comme le P. de Montfaucon, pour assurer qu’elle étoit toute ouverte pardevant ; & d’autres, comme Ferrari, pour prétendre qu’elle n’étoit ouverte que par le haut pour la passer par-dessus la tête.

Elle devoit être fort ample dans le tems du déclin de la république ; car Suétone rapporte que Jules César se voyant blessé à mort par les conjurés, prit de sa main gauche un des plis de sa toge pour s’en couvrir le visage, & la fit descendre jusqu’en bas, afin de tomber avec plus de décence.

Il y avoit cette différence entre la toge des riches & celle des pauvres, que la premiere étoit fort large & avoit plusieurs plis, & que l’autre étoit fort étroite. Il arriva même que sous Auguste, le petit peuple ne portoit plus qu’une espece de tunique brune. L’empereur indigné de voir le peuple dans cet équipage, un jour qu’il le haranguoit, lui en marqua son ressentiment par ce vers prononcé avec mépris.

Romanos rerum dominos, gentemque togatam.

« Voyez comme ces Romains, ces maîtres du monde, sont habillés » ! Mais il eut été bien surpris, si quelqu’un lui eut répondu : César, c’est l’habit du changement de notre république en monarchie. (Le chevalier de Jaucourt.)