L’Encyclopédie/1re édition/THERMES

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THERMES, (Antiq. rom.) les thermes étoient chez les Romains de grands édifices, principalement destinés pour les bains chauds ou froids ; nous verrons dans la suite que ces bains étoient publics ou particuliers.

Thermæ, du grec θέρμη, chaleur. Tite-Live, liv. XXXVI. c. xv. en décrivant le pas des thermopyles, dit que ce lieu étoit nommé pylæ, & par d’autres thermopylæ, parce qu’on trouvoit des eaux chaudes dans l’endroit le plus resserré entre les montagnes.

Les Romains par ce mot therma, entendoient des bains d’eau chaude ; & on l’appliqua tellement aux édifices où étoient ces bains, qu’il s’étendit même jusqu’à ceux où l’on se baignoit dans de l’eau froide.

Les thermes eurent rang parmi les édifices les plus somptueux de Rome : on s’y lavoit l’hiver avec de l’eau tiede, quelquefois avec des eaux de senteur, ou bien par une autre sorte de mollesse, on faisoit seulement sentir à son corps les vapeurs chaudes de l’eau. Pendant l’hiver, on s’oignoit le corps avec des huiles & des parfums de prix ; & pendant l’été après être sorti du bain tiede, on alloit se rafraichir dans de l’eau froide. Gordien voulut bâtir dans un même lieu des thermes pour l’hiver & pour l’été, mais la mort qui le prévint l’empêcha d’achever l’ouvrage. L’empereur Aurelien fit bâtir au-delà du Tibre des thermes pour l’hiver seulement.

Les thermes étoient si vastes, qu’Ammien-Marcellin, liv. XVI. c. vj. pour donner une idée de leur grandeur, les compare à des provinces entieres, in modum provinciarum extructa lavacra. Ce qui nous reste encore aujourd’hui de quelques anciens thermes nous fait juger de leur étendue prodigieuse.

Le nombre de ces thermes étoit aussi surprenant à Rome, que leur grandeur. Publius-Victor dit, qu’il y en avoit plus de huit cens, & Pline le jeune, liv. IV. epist. 8. dit qu’ils s’étoient augmentés à l’infini : Quæ nunc Romæ ad infinitum auxere numerum. Les empereurs les firent d’abord bâtir pour leur usage particulier, ensuite ils les abandonnerent au peuple, ou en firent bâtir pour lui. Outre les thermes où l’on ne payoit rien, il y en avoit qui se donnoient à ferme, & de plus les principaux citoyens avoient des bains particuliers chez eux.

Ces thermes étoient accompagnés de divers édifices, & de plusieurs pieces & appartemens. Il y avoit de vastes réservoirs où se rassembloit l’eau par le moyen des aqueducs ; des canaux qu’on avoit ménagés, servoient à faire écouler les eaux inutiles. Les murailles des réservoirs étoient si bien cimentées, que le fer avoit de la peine à rompre la matiere employée à la liaison des pierres. Le pavé des thermes, comme celui des bains, étoit quelquefois de verre, le plus souvent néanmoins on y employoit la pierre, le marbre, ou des pieces de rapport qui formoient un ouvrage de marqueterie de différentes couleurs.

La description des thermes de Dioclétien qui nous a été donnée par André Baccius, fournit une idée complette de la grandeur & de la magnificence romaine dans ces sortes d’ouvrages. On y voit entr’autres un grand lac dans lequel on s’exerçoit à la nage, des portiques pour les promenades, des basiliques où le peuple s’assembloit avant que d’entrer dans le bain, ou après en être sorti ; des appartemens où l’on pouvoit manger, des vestibules & des cours ornées de colonnes, des lieux où les jeunes gens faisoient leurs exercices, des endroits pour se rafraichir, où l’on avoit pratiqué de grandes fenêtres, afin que le vent y pût entrer aisément ; des lieux où l’on pouvoit suer, des bois délicieux, plantés de planes & autres arbres ; les endroits pour l’exercice de la course ; d’autres où l’on s’assembloit pour conférer ensemble, & où il y avoit des siéges pour s’asseoir ; des lieux où l’on s’exerçoit à la lutte, d’autres où les Philosophes, les rhéteurs & les poëtes cultivoient les sciences par maniere d’amusement ; des endroits où l’on gardoit les huiles & les parfums ; d’autres où les lutteurs se jettoient du sable l’un sur l’autre, pour avoir plus de prise sur leurs corps qui étoient frottés d’huile.

L’usage des thermes, comme celui des bains, étoit très-ancien à Rome. Les peuples de l’Asie en donnerent l’exemple aux Grecs, & ceux-ci le transmirent aux Romains, qui avoient des thermes, avant que les Médecins grecs eussent mis le pié à Rome, époque que l’on rapporte à l’an 535. de la fondation de cette ville, sous le consulat de L. Emilius, & de M. Licinius. Homere, odiss. θ, v. 248. compte l’usage des thermes λουτρὰ θερμὰ, au nombre des plaisirs honnêtes de la vie.

Semper autem nobis conviviumque gratum, citharæque, chorique
Vestesque mutatoriæ, lavacraque calida, & cubilia.

Plaute décrit dans les deux vers suivans, les exercice auxquels on formoit la jeunesse dans les thermes.

Ibi cursu, luctando, hasta, disco, pugilatu, pila,
Saliendo, sese exercebant magis quam scorto aut saviis.

C’étoit une des fins qu’on s’étoit proposées dans l’établissement des thermes. Par ces exercices, on augmentoit la force des jeunes gens, on leur donnoit de l’adresse, & on les instruisoit dans les Sciences. Une autre vûe que l’on avoit eue, c’étoit la conservation de la santé, & peut-être la volupté y entra-t-elle aussi pour quelque chose. J’ai déja dit qu’il y avoit des thermes où l’on entroit librement, & sans qu’il en coutât rien, & que dans d’autres il falloit payer ; du reste, la somme que l’on donnoit étoit modique ; on étoit quitte pour la plus petite piece de monnoie, comme Juvenal le remarque dans la sixieme satyre.

Cædere sylvano porcum, & quadrante lavari.

Cette piece pourtant ne suffisoit pas lorsqu’on venoit trop tard, c’est-à-dire après les dix heures ; il falloit alors payer, selon le caprice des personnes préposées pour le service des thermes. Martial, l. X. epist. 70. a fait allusion à cette sorte d’exaction, quand il a dit :

Balnea post decimam lasso, centumque petuntur
Quadrantes, &c.

Les édiles avoient inspection sur les thermes, & sous eux étoient plusieurs ministres inférieurs, de sorte que l’ordre y régnoit, malgré l’entiere liberté que l’on y trouvoit. Il n’y avoit aucune distinction pour les places ; le peuple, comme la noblesse ; l’artisan, comme le magistrat, avoit droit de choisir parmi les places vuides, celle qui étoit le plus à son gré.

Ordinairement les thermes n’étoient point communs aux hommes & aux femmes ; ce ne fut que sous quelques empereurs corrompus que cette indécence eut lieu. Les endroits où les hommes se baignoient, furent presque toujours séparés des lieux destinés aux bains des femmes ; & même pour mettre encore mieux à couvert l’honneur de celles-ci, Agrippine, mere de Néron, fit ouvrir un bain destiné uniquement à l’usage des femmes ; exemple qui fut imité par quelques autres dames romaines, comme nous l’apprend Publius-Victor. On lit dans Spartien, que l’empereur Adrien ordonna que les bains des femmes seroient séparés des bains des hommes.

Le signal pour venir aux bains & pour en sortir, se donnoit au son d’une cloche ; si l’on s’y rendoit un peu tard, on couroit risque de n’avoir que de l’eau froide pour se baigner c’est ce que signifient ces deux vers de Martial, liv. XIV. epig. 163.

Redde pilam : sonat æs thermarum ; ludere pergis ?
Virgine vis solâ, lotas abire domum.

L’heure pour entrer dans les thermes, étoit, selon Pline, liv. III. c. j. la huitieme heure du jour en été, & la neuvieme en hiver. Martial, liv. IV. épig. 8. semble dire la même chose dans ces vers.

Sufficit in nonam nitidis octava palæstris.

Spartien, in Adriano, nous apprend que l’empereur Adrien défendit qu’on se mît dans le bain en public avant la huitieme heure. La plûpart ne se baignoient qu’une fois par jour ; quelques-uns néanmoins, plus adonnés aux exercices qui s’y faisoient, y retournoient jusqu’à sept fois dans un même jour. Galien de sanitate tuenda, liv. V. rapporte, qu’un certain philosophe nommé Primigène, étoit attaqué de la fievre le jour qu’il manquoit de se baigner.

L’usage des bains n’étoit interdit qu’à l’occasion d’un grand deuil ou d’une calamité publique, comme nous le voyons dans Tite-Live & dans Suétone.

Mais S. Clément d’Alexandrie, Pédag. l. III. c. v. dit que les nobles faisoient porter aux bains des draps de toile très-fine, & des vases d’or & d’argent, sans nombre, tant pour servir aux bains, que pour le boire & le manger.

Ainsi le luxe s’introduisit dans un usage que le manque de linge, la chaleur du climat, & la nécessité de la propreté avoient fait naître. Les empereurs romains se prêterent aux besoins de la nation qu’ils gouvernoient, en bâtissant pour elle des thermes publics, plus grands ou plus magnifiques les uns que les autres. Tels furent ceux d’Auguste, de Néron, de Titus, de Trajan, de Commode, de Severe, d’Antonin, de Caracalla & de Dioclétien. Ces deux derniers surpasserent tous les autres par leur étendue. On ne peut voir les ruines des thermes de Caracalla, sans être surpris de l’immensité qu’avoit ce bâtiment ; mais il n’y en eut point de plus somptueux, plus chargés d’ornemens & d’incrustations, ni qui fit plus d’honneur à un prince, que les thermes de Dioclétien. Une seule salle de ces édifices fait aujourd’hui l’église des Chartreux à Rome ; une des loges du portier fait l’église des Feuillans. (Le chevalier de Jaucourt.

Thermes des nymphes, (Littérat.) les Poëtes peuploient tous les élémens de dieux, de déesses, de nymphes ; & la plus petite fontaine avoit sa divinité comme le plus grand fleuve. Les bains connus dans l’histoire, sont également fameux dans la fable. Si l’on en croit Diodore, les anciennes traditions portoient qu’Hercule revenant d’Espagne, & amenant les bœufs de Géryon, passa par la Sicile ; là s’étant arrêté près d’Himere, Minerve ordonna aux Nymphes de faire sortir de terre des bains où ce héros pût se délasser ; & les Nymphes obéirent. C’est peut-être pour cette raison que Pindare les nomme simplement les bains des Nymphes. Cet événement fabuleux a trouvé place sur les médailles. Nous en avons une représentant Hercule, & au revers trois nymphes qui font sortir de terre les bains d’Himère. L’autre médaille figure un char attelé de deux chevaux, monté par un homme que l’on croit être Ergoteles ; cet homme tient les renes de la main droite, & de la gauche une espece de bâton avec une victoire au-dessus ; au revers est une nymphe tenant une patere élevée sur un brasier. Derriere la nymphe est Hercule dans le bain, sur les épaules duquel un lion accroupi verse de l’eau. (D. J.)