L’Encyclopédie/1re édition/THERAPHIM

THERAPHIM, s. m. (Hist. jud.) mot hébreu, dont l’explication a donné beaucoup de peine aux critiques. On le trouve treize ou quatorze fois dans l’Ecriture, où il est traduit ordinairement par le mot d’idoles ; mais les rabbins ne se contentent point de lui faire signifier simplement des idoles ; ils prétendent qu’il doit être appliqué à une espece particuliere d’idoles ou d’images que l’on consultoit sur les événemens futurs, comme les oracles.

Le rabbin David de Pomis observe qu’on les appelloit théraphim de raphah, laisser, parce que le peuple quittoit tout pour les aller consulter. Il ajoute que les théraphims avoient la figure humaine, & qu’en les mettant de bout, ils parloient à certaines heures du jour, & sous certaines constellations, par les influences des corps célestes : mais c’est-là une fable rabbinique que David avoit apprise d’Abenezra.

D’autres prétendent que les théraphims étoient des instrumens de cuivre qui marquoient les heures & les minutes des événemens futurs, comme gouvernés par les astres. De Pomis enchérit sur Abenezra, en disant que les théraphims étant faits sous une certaine constellation, le demon les faisoit parler sous cet aspect du ciel. Voyez Talisman.

Le rabbin Eliezer nous dit la raison pourquoi ses confreres veulent que les théraphims parlent & rendent des oracles ; savoir, parce qu’il est écrit dans le prophete Zacharie, x. 2. que les théraphims ont dit des choses vaines.

Le même rabbin ajoute que pour faire un théraphim on tuoit un enfant nouveau-né, qu’on fendoit sa tête, & qu’on l’assaisonnoit de sel & de d’huile : qu’on gravoit sur une plaque d’or le nom de quelque esprit impur, & qu’on mettoit cette plaque sous la langue de l’enfant mort, qu’on attachoit la tête contre un mur, qu’on allumoit des lampes, & qu’on faisoit des prieres devant cette tête, qui parloit ensuite avec ses adorateurs.

Quoi qu’il en soit, Vorstin observe qu’outre le passage de Zacharie que l’on vient de citer ; il paroît aussi par celui d’Ezéchiel, xxj. 22. que les theraphims étoient consultés comme des oracles.

De Pomis s’efforce de prouver que le théraphim qui fut mis par Michol dans le lit de David, n’en étoit point un de cette espece, parce qu’il n’avoit pas une figure humaine. Mais le rabbin Eliezér est d’un sentiment contraire.

Mais quoi qu’en disent les rabbins, & que le texte hébreu porte théraphim, que la vulgate rend par statuam, on croit communément que c’étoit une figure faite à la hâte avec quelque bois, que l’on revêtit de linges, comme une grosse poupée, ou comme un épouventail de chéneviere, que Michol mit dans le lit de son mari pour faire croire à ceux qui le cherchoient de la part du roi qu’il étoit malade.

Pour ce qui est de la maniere de faire les théraphims, Vorstius est persuadé que c’est une vaine tradition rabbinique, quoique les rabbins Tanichuma, & Jonathan dans son targum, gen. xxxj. 19. l’aient rapportée après le rabbin Eliézer ; il se fonde principalement sur ce que Laban, qui n’avoit pas absolument perdu toute notion du vrai Dieu, comme il paroît par le passage de la Genese, xxxj. 53. ne pouvoit pas être capable d’une cruauté si affreuse : mais Vorstius n’a pas fait attention que cette coutume, pour n’avoir point encore été établie du tems de Laban, pouvoit fort bien être devenue réelle dans la suite, outre qu’il est certain que les Hebreux ont brûlé quelquefois leurs enfans à l’honneur de Moloch.

Le pere Kircher nous conduit en Egypte pour y chercher l’origine des théraphims, ajoutant que ce mot est égyptien lui-même. Spencer, en sa dissertation sur l’urim & thummin soutient que theraphim est un mot chaldéen, & qu’il signifie la même chose que seraphim, parce qu’on sait que les chaldéens changent souvent le ש en ט, c’est-à-dire, l’s en t, il ajoute que ces images venoient des amorites chaldéens ou syriens, & que le serapis des Egyptiens est la même chose que le théraphim des Chaldéens. Voyez Selden, des dieux de Syrie, synt. I. c. ij.

Le pere Calmet observe que la figure du serpent aîlé, nommé seraph, d’où l’on a fait le nom seraphim, a pu donner aussi naissance au mot théraphim, parce que sur les abraxas, & autres talismans des anciens qui sont de vrais théraphims, on trouve des figures de serpens représentés tantôt avec des aîles, & tantôt sans aîles ; d’où il conclut que les théraphims de Laban, qui furent enlevés par Rachel, étoient de véritables talismans.

M. Jurieu a proposé sur ces théraphims de Laban une conjecture ; c’est que ces théraphims étoient les dieux pénates ou domestiques de Laban. Ces dieux lares, dit-il, étoient les ames des héros de familles qu’on avoit déifies, & qu’on y adoroit. Ainsi les théraphims de Laban, selon cet auteur, étoient les images de Noé, restaurateur du genre humain, & de Sem, chef de la famille de Laban. Celui-ci ne se plaint pas seulement qu’on lui a dérobé des dieux ou des statues en qui il avoit confiance, & à qui il rendoit un culte religieux ; il dit qu’on lui a ravi ses dieux, c’est-à-dire, les dieux de sa maison, cur suratus es deos meos ? Genes. xxxj. Jurieu, hist. des cultes.

Mais, comme le remarque dom Calmet, cette conjecture n’est pas solide. Il n’est nullement croyable que le culte des dieux pénates & lares ait été connu du tems de Laban : il est même fort douteux qu’il l’ait été parmi les orientaux plusieurs siecles après ce patriarche. D’ailleurs est-il croyable, que Laban ait mis au rang des dieux Noé & Sem, qui étoient morts depuis si peu de tems ? Car Noé mourut l’an du monde 2006, & Sem l’an du monde 2158, c’est-à-dire, 87 ans seulement avant que Jacob arrivât en Mésopotamie auprès de Laban. Calmet, dictionn. de la Bibl. tom. III. lettre T, au mot Théraphim, p. 674.