L’Encyclopédie/1re édition/TERNI

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TERNI, (Géog. mod.) en latin Interamna, Interamnia, Interamnium, ville d’Italie, dans l’état de l’église, au duché de Spolete. Elle est dans une île formée par la riviere de Nera, à vingt lieues de Rome. Elle a été autrefois considérable, & se gouvernoit en république. Elle n’a de nos jours qu’environ dix mille habitans divisés en six quartiers, qui contiennent plusieurs monasteres & confrairies de pénitens. La cathédrale est belle ; son évêché ne releve que du saint siege. Les environs de Terni sont admirables par leur fertilité en pâturages, en fruits, en légumes, en volaille, en gibier, en huile & en vins exquis. Au-dessus de la ville, à deux milles ou environ, est la belle & grande cascade nommée dans le pays cascata delle marmore ; c’est la chute de la riviere Velino, qui se précipite toute entiere dans la plaine de Terni, pour aller se joindre à la Nera. Long. 30. 18. latit. 42. 34.

Pighius a découvert par une inscription qui est dans la cathédrale de Terni, que cette ville fut bâtie 544 ans avant le consulat de C. Domitius Ænobarbus & de M. Camillus Scribonius, qui furent consuls de Rome l’an 624. Elle se vante d’être la patrie de Corneille Tacite, & ce n’est pas une petite gloire ; car c’est un des plus célebres historiens, & l’un des plus grands hommes de son tems. Il s’éleva par son mérite aux premieres charges de l’empire. De procurateur dans la Gaule belgique sous Titus, il devint préteur sous Domitien, & consul sous l’empire de Nerva. Mais toutes ces dignités ne lui donnent qu’une très-petite gloire, si on la compare à celle qu’il s’est procurée par les travaux de sa plume.

Ses annales & son histoire sont des morceaux admirables, & l’un des plus grands efforts de l’esprit humain, soit que l’on y considere la singularité du style, soit que l’on s’attache à la beauté des pensées, & à cet heureux pinceau avec lequel il a su peindre les déguisemens des politiques, & le foible des passions. Ce n’est pas qu’on ne puisse reprendre en lui trop de finesse dans la recherche des motifs secrets des actions des hommes, & trop d’art à les tourner sans cesse vers le criminel.

Tacite, dit très-bien l’auteur des Mélanges des poésies, d’éloquence & d’érudition, étoit un habile politique, & encore un plus judicieux écrivain ; il a tiré des conséquences fort justes sur les événemens des regnes dont il a fait l’histoire, & il en fait des maximes pour bien gouverner un état. Mais s’il a donné quelquefois aux actions & aux mouvemens de la république, leurs vrais principes, s’il en a bien démêlé les causes, il faut avouer qu’il a souvent suppléé par trop de délicatesse & de pénétration à celles qui n’en avoient pas. Il a choisi les actions les plus susceptibles des finesses de l’art : les regnes auxquels il s’est principalement attaché dans son histoire, semblent le prouver.

Dans celui de Tibere, qui est sans contestation son chef-d’œuvre, & où il a le mieux réussi, il y trouvoit une espece de gouvernement accommodé au caractere de son génie. Il aimoit à démêler les intrigues du cabinet, à en assigner les causes, à donner des desseins au prétexte, & de la vérité à de trompeuses apparences. Génie trop subtil, il voit du mystere dans toutes les actions de ce prince. Une sincere déférence de ses desseins au jugement du sénat étoit tantôt un piege tendu à son intégrité, tantôt une maniere adroite d’en être le maître ; mais toujours l’art de le rendre complice de ses desseins, & d’en avoir l’exécution sans reproches. Lorsqu’il punissoit des séditieux, c’étoit un effet de sa défiance naturelle pour les citoyens, ou de légeres marques de colere répandues parmi le peuple pour disposer les esprits à de plus grandes cruautés. Ici la contrariété d’humeurs de deux chefs est un ordre secret de traverser la fortune d’un compétiteur, & le moyen de lui enlever l’affection du peuple. Les dignités déférées au mérite étoient d’honnêtes voies d’éloigner un concurrent ou de perdre un ennemi, & toujours de fatales récompenses. En un mot, tout est politique, le vice & la vertu y sont également dangereux, & les faveurs aussi funestes que les disgraces. Tibere n’y est jamais naturel ; il ne fait point sans dessein les actions les plus ordinaires aux autres hommes. Son repos n’est jamais sans conséquence, & ses mouvemens embrassent toujours plusieurs menées.

Cependant l’art de Tacite à renfermer de grands sens en peu de mots, sa vivacité à dépeindre les événemens, la lumiere avec laquelle il pénetre les ténebres corrompues des cœurs des hommes, une force & une éminence d’esprit qui paroît partout, le font regarder aujourd’hui généralement comme le premier des historiens latins.

Il fit son histoire avant ses annales ; car il nous renvoie à l’histoire dans l’onzieme livre des annales touchant des choses qui concernoient Domitien ; or il est sûr que son histoire s’étendoit depuis l’empire de Galba inclusivement, jusqu’à celui de Nerva exclusivement. Il destinoit pour sa vieillesse un ouvrage particulier aux regnes de Nerva & de Trajan, comme il nous l’apprend lui-même, hist. l. I. c. j. en ces mots dignes d’être aujourd’hui répétés : quòd si vita suppeditet, principatum divi Nervæ & imperium Trajani, uberiorem securioremque materiam senectuti seposui : rarâ temporum felicitate, ubi sentire quæ velis, & quæ sentias dicere licet.

Il ne nous reste que cinq livres de son histoire qui ne comprennent pas un an & demi, tandis que tout l’ouvrage devoit comprendre environ vingt-neuf ans. Ses annales commençoient à la mort d’Auguste, & s’étendoient jusqu’à celle de Néron ; il ne nous en reste qu’une partie, savoir les quatre premiers livres, quelques pages du cinquieme, tout le sixieme, l’onzieme, douzieme, treizieme, quatorzieme, & une partie du seizieme ; les deux dernieres années de Néron, qui formoient les derniers livres de l’ouvrage, nous manquent.

On dit que Léon X. épris d’amour pour Tacite, ayant publié un bref par lequel il promettoit de l’argent, de la gloire & des indulgences à ceux qui découvriroient quelques manuscrits de cet historien, il y eut un allemand qui fureta toutes les bibliotheques, & qui trouva finalement quelques livres des annales dans le monastere de Cormey. Il vint les présenter à sa sainteté qui les reçut avec un plaisir extrème, & remboursa magnifiquement l’allemand de toute la dépense qu’il avoit faite ; il fit plus, car afin de lui procurer de la gloire & du profit, il voulut lui laisser l’honneur de publier lui-même Tacite ; mais l’allemand s’en excusa, sur ce qu’il manquoit de l’érudition nécessaire à l’édition d’un tel ouvrage.

On a fait tant de versions de ce grand historien romain, & on l’a tant commenté, qu’une semblable collection pourroit composer une bibliotheque assez considérable. Nous avons dans notre langue les traductions de M. Amelot de la Houssaye, de M. de la Bletterie & de M. d’Alembert, qui sont les trois meilleures. Entre les commentaires de critique sur Tacite, on fait grand cas de celui de Juste-Lipse ; & entre les commentaires politiques, les Anglois estiment beaucoup celui de Gordon, qui est plein de fortes réflexions sur la liberté du gouvernement. (Le Chevalier de Jaucourt.)