L’Encyclopédie/1re édition/TEMPÉRANCE

TEMPÉRANCE, s. f. (Morale.) la tempérance dans un sens général, est une sage modération qui retient dans de justes bornes nos desirs, nos sentimens, & nos passions ; cette vertu si rare, porte les hommes à se passer du superflu. Le sage dédaigne les moyens pénibles que l’art a inventés pour se procurer l’aise, & ce qu’on nomme faussement le plaisir ; il se contente de la simplicité naturelle des choses : modéré dans la jouissance de ces mêmes objets, son cœur n’est point agité par la convoitise, temperat à luxuria rerum.

Mais nous prendrons ici la tempérance dans une signification plus limitée, pour une vertu qui met un frein à nos appétits corporels, & qui les contenant dans un milieu également éloigné de deux excès opposés, les rend non-seulement innocens, mais utiles, & louables.

Parmi les vices que réprime la tempérance, les principaux sont l’incontinence & la gourmandise, voyez ces deux mots. S’il est d’autres vices contraires à la tempérance, ils émanent de l’une ou de l’autre de ces deux sources, & par conséquent ces deux branches sont la chasteté & la sobriété.

On ne doit pas confondre, comme on le fait souvent, la continence avec la chasteté ; l’abus des termes entraîne avec soi la confusion des idées ; comme on peut être chaste sans s’astreindre à la continence, tel aussi s’en fait une loi, qui pour cela n’est pas chaste. La pensée toute seule peut souiller la chasteté ; elle ne suffit pas pour enfreindre la continence ; tous les hommes sans distinction de tems, d’âge, de sexe, & de qualités, sont obligés d’être chastes, mais aucuns ne sont obligés d’être continens.

La continence consiste à s’abstenir des plaisirs de l’amour ; la chasteté à ne jouir de ces plaisirs, qu’autant que la loi naturelle le permet. La continence, quoique volontaire, n’est point estimable par elle-même, & ne le devient qu’autant qu’elle importe accidentellement à la pratique de quelque vertu, ou à l’exécution de quelque dessein généreux : hors de ces cas, elle mérite souvent plus de blâme que d’éloges.

Quiconque est conformé de maniere à pouvoir procréer son semblable, a droit de le faire ; c’est le droit ou la voix de la nature ; & cette voix mérite plus d’égard que les institutions humaines, qui semblent la contrarier. Je ne sais point de raison qui oblige à une continence perpétuelle ; il en est tout au plus qui la rendent nécessaire pour un tems ; mais c’en est assez sur cet article.

Quant aux autres appétits sensuels opposés à la tempérance, je n’apporterai que la seule réflexion de M. J. J. Rousseau, sur le peu de sagesse qu’il y a de s’y livrer. « Puisque la vie est courte, dit-il, c’est une raison de dispenser avec économie sa durée, afin d’en tirer le meilleur parti qu’il est possible. Si un jour de satiété nous ôte un an de jouissance, c’est une mauvaise philosophie d’aller jusqu’où le desir nous mene, sans considérer si nous ne serons point plutôt au bout de nos facultés que de notre carriere, & si notre cœur épuisé ne mourra point avant nous. Il arrive que ces vulgaires épicuriens toujours ennuyés au sein des plaisirs, n’en goûtent réellement aucun. Ils prodiguent le tems qu’ils pensent économiser, & se ruinent comme les avares, pour ne savoir rien perdre à propos ». (D. J.)