L’Encyclopédie/1re édition/PERFECTION

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PERFECTION, s. f. (Métaphysique.) c’est l’accord qui regne dans la variété de plusieurs choses différentes, qui concourent toutes au même but. Tout composé fait dans certaines vûes est plus ou moins parfait, à proportion que ces parties s’assortissent exactement à ces vues. L’œil, par exemple, est un organe de plusieurs pieces qui doivent toutes servir à tracer une image claire & distincte de l’objet visible au fond de la rétine. Si toutes ces pieces servent autant qu’elles en sont capables, à cet usage, l’œil est censé parfait. La vie de l’homme, entant qu’elle désigne l’assemblage de ses actions libres, est censée parfaite, si toutes ses actions tendent à une fin qui leur soit commune avec les actions naturelles. Car de-là résulte cet accord entre les actions naturelles & les actions libres, dans lequel consiste la perfection de la vie humaine. Au contraire l’imperfection, ou le mal métaphysique, consiste dans la contrariété de diverses choses qui s’écartent d’un même but.

Toute perfection a une raison générale, par laquelle on peut comprendre pourquoi le sujet en qui réside la perfection, est disposé de telle maniere, & non autrement. On peut l’appeller la raison déterminante de la perfection : il n’y a point d’ouvrage de la nature ou de l’art, qui n’ait sa destination ; c’est par elle, en y rapportant tout ce qu’on observe dans le sujet, qu’on estime sa perfection. C’est, par exemple, de la combinaison d’une lentille concave placée à l’opposite d’une lentille convexe dans un tube, que résulte la possibilité de voir distinctement un objet éloigné, comme s’il étoit prochain. On démontre que les lentilles doivent être d’une telle grandeur & d’un tel diametre plutôt que d’un autre ; que le tube doit être construit ainsi & non autrement ; & on démontre, dis-je, la perfection de chacune de ces parties, & conséquemment celle du tout, par leur rapport au but qu’on se propose d’appercevoir les objets éloignés.

Si la raison déterminante est unique, la perfection sera simple ; s’il y a plusieurs raisons déterminantes, la perfection est composée. Si un pilier n’est planté que pour soutenir quelque voûte, il aura toute la perfection qu’il lui faut, pourvu que sa grosseur ou sa force soit suffisante pour porter ce poids ; mais s’il s’agit d’une colonne destinée à orner aussi-bien qu’à soutenir, il faut la travailler dans cette double vue. Les fenêtres d’une maison ont une perfection composée entant qu’elles servent à introduire la lumiere, & à procurer un point de vue agréable.

Il y a aussi des raisons prochaines & des raisons éloignées, primariæ, secundariæ, qui déterminent la perfection prochaine ou éloignée d’une chose. Toute perfection a ses regles, par lesquelles elle est explicable. Lorsque diverses regles qui découlent des différentes raisons d’une perfection composée se contrarient, cette collision produit ce qu’on appelle exception, savoir une détermination contraire à la regle née de la contrariété des regles. Une perfection simple ne sauroit être sujette à exception ; elle n’a lieu que dans la perfection composée. Dès qu’il n’y a qu’une regle à observer, d’où naîtroit le cas d’une collision ? Mais aussi-tôt qu’il s’en trouve seulement deux, leur opposition dans certain cas, peut produire des exceptions.

La perfection d’une maison, par exemple, embrasse plusieurs objets, la position, distribution commode des appartemens, proportion de ses différentes parties, ornemens intérieurs & extérieurs : un habile architecte ne perd rien de vue ; mais chaque chose entre dans son plan à proportion de son importance ; & quand il ne sauroit tout allier, il laisse ce dont on peut le plus aisément se passer.

Les défauts occasionnés par les exceptions, ne sont pas des défauts réels ; & la perfection du sujet n’en est point altérée. Placer l’idée de la perfection dans l’accord des choses qui ne sauroient être conciliées, ce seroit supposer l’impossible. Ainsi, les exceptions qui ne naissent que de cette impossibilité, n’ont rien qui nuise à la perfection du sujet. Un œil est parfait, quoiqu’il ne puisse pas faire tout-à-la-fois les fonctions du télescope & du microscope ; parce qu’un même organe ne sauroit les allier, & que l’une & l’autre nuiroient à la véritable perfection de l’œil, qui consiste à découvrir distinctement ce qui est à la portée du corps.

Le principe des exceptions se trouve dans la raison déterminante de la perfection du tout, qui doit toujours prévaloir sur la perfection d’une partie. C’est un principe capital pour écarter les jugemens faux & précipités sur la perfection des choses ; il faut en embrasser toute l’économie pour raisonner pertinemment. Qui ne connoît qu’une partie, & forme ses décisions là-dessus, court grand risque de s’égarer, & ne réussit que par hasard. La perfection du tout est l’objet de quiconque travaille d’une maniere sensée à quelque ouvrage que ce soit : on n’ira pas sacrifier les commodités d’une maison entiere, pour rendre une salle parfaite. En un mot, dans un tout, chaque partie a sa perfection qui lui est propre ; mais elle est relative & subordonnée à celle du tout, au point que trop de perfection dans une partie, seroit une vraie imperfection dans le tout.

La grandeur de la perfection se mesure par le nombre des déterminations de l’être qui s’accordent avec les regles. Plus il y a de convenance, entre les déterminations & les regles, plus la perfection s’accroît ; ou bien moins un sujet a de défauts réels & véritables, plus il a de perfection.