L’Encyclopédie/1re édition/ORPIMENT ou ORPIN

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ORPIMENT ou ORPIN, (Hist. nat. Minéralog.) en latin auripigmentum, sandaracha, risigallum, realgar, arsenicum flavum, arsenicum rubrum, &c. substance minérale d’un jaune plus ou moins vif, en feuillets luisans comme ceux du talc, composé d’arsenic, & d’une quantité tantôt plus tantôt moins grande de soufre, qui lui donne la couleur, soit d’un jaune de citron, soit d’un jaune orangé, soit d’un rouge vif comme le cinnabre que l’on y remarque. L’orpiment naturel est un minéral très-rare, cependant on le trouve soit en masses, soit en petites venules, soit attaché à la surface des fentes des mines en Hongrie, en Turquie, à Kremnitz, à Neusol & Coronsay.

Quelques auteurs ont confondu l’orpiment, dont on vient de donner la description avec l’arsenic jaune, ou l’orpiment factice, qui est un produit de l’art, comme nous le ferons voir dans cet article, mais il differe de ce dernier par la beauté de sa couleur & même par son tissu ; celui de l’orpiment naturel est communément par lames ou feuillets, tandis que l’orpiment factice n’a jamais ce tissu. Aussi les Peintres donnent-ils la préférence à l’orpiment naturel, ils s’en servent pour peindre ; en le mêlant avec de l’indigo, ils en font du verd.

L’orpiment étoit le seul arsenic que connussent les anciens, il ne paroît point qu’ils eussent connoissance de l’arsenic que nous connoissons dans différens états. Comme à l’article Arsenic dans le premier volume de cet ouvrage on n’a donné qu’une description très-incomplete de cette substance, nous allons tâcher d’y suppléer & d’entrer dans quelques détails sur une des substances les plus importantes du regne minéral.

L’arsenic est un demi-métal d’un gris luisant, à-peu près comme le fer, mais composé d’un amas de lames ou de feuillets. Il perd son éclat & se noircit à l’air, il se dissout dans tous les dissolvans & les liqueurs, il entre en fusion dans le feu, & il s’y dissipe sous la forme d’une fumée blanche, épaisse, accompagnée d’une odeur d’ail très-forte, c’est surtout à cette odeur que l’on peut reconnoître sa présence : c’est un poison très-violent.

On voit par ces propriétés de l’arsenic qu’il est un vrai protée, qui à de certains égards, approche de la nature des sels, tandis que par d’autres il a des caracteres qui conviennent aux métaux & aux demi-métaux, c’est ce qu’on verra encore plus clairement par les détails que nous donnerons de ses effets. M. Brandt, savant chimiste suédois, est le premier qui a fait voir que l’arsenic étoit un demi-métal ; avant lui on ne savoit point dans quel rang on devoit le placer. Voyez Acta litteraria Upsaliensia anni 1733.

L’arsenic se trouve sous différentes formes dans le sein de la terre. 1°. Il se trouve tout pur, c’est ce qu’on nomme arsenic natif ; alors il n’est combiné avec aucune autre substance du genre minéral ; on le reconnoît à sa couleur grise, à la fumée blanche qu’il répand dans le feu, & à son odeur d’ail : cet arsenic exposé au feu se sublime entierement sans laisser aucun résidu. On le trouve aussi tout pur sous la forme d’un crystal blanc & transparent, semblable à du verre blanc ; enfin on le trouve encore tout pur sous la forme d’une poudre blanche ou d’une farine.

2°. L’arsenic se trouve combiné avec du soufre, & alors il est ou jaune citron, ou d’un jaune orangé, ou d’un rouge quelquefois aussi vif que celui d’un rubis ; alors on le nomme arsenic jaune, orpiment, risigallum ; sa couleur plus ou moins rouge vient du plus ou du moins de soufre avec lequel il est combiné. On a trouvé que l’arsenic d’un jaune de citron pouvoit contenir un dixieme de soufre, & que l’arsenic rouge en contenoit un cinquieme. Wallerius donne le nom d’orpiment à de l’arsenic jaune, renfermé dans une pierre talqueuse ou par feuillets comme le mica ; il paroît que cela ne change point la nature de cette mine.

3°. L’arsenic se trouve dans une pierre noire, mêlée de bitume, que l’on nomme pierre arsenicale, il paroît qu’il y est tout pur, puisque cette pierre cassée est luisante comme du plomb fraîchement coupé. Les Allemands l’appellent fliegen stein, pierre aux mouches, parce qu’on la pulvérise, on la mêle avec de l’eau & du sucre, & on la met sur une assiette, & ces insectes vont en manger, ce qui les fait périr. C’est à cette mine d’arsenic que l’on donne quelquefois le nom de cobalt écailleux ou cobalt testacé, parce qu’elle a la forme d’écailles. En général il faut observer que les mineurs d’Allemagne, peu exacts dans leurs dénominations, donnent le nom de cobalt à presque toutes les mines d’arsenic.

4°. L’arsenic se trouve dans la pyrite blanche, que les Saxons nomment mispikkel ou pyrite arsenicale. Cette mine est composée d’un assemblage de lames ou de feuillets blancs comme de l’étain ou de l’argent. L’arsenic y est combiné avec le fer & le soufre.

5°. L’arsenic se trouve dans une mine que les Allemands appellent kupfernikkel, qui est d’un rouge semblable à celui du cuivre, & que l’on doit nommer mine d’arsenic d’un rouge cuivreux.

6°. Il se trouve mêlé ou combiné avec de la terre que l’on nomme terre arsenicale ; on peut la reconnoître à la fumée qu’elle répand dans le feu & à son odeur d’ail.

Voilà les principales mines de l’arsenic ; mais outre cela, il se trouve dans un nombre infini de mines des autres métaux, & sur-tout dans les mines d’argent, dans les mines de cuivre, dans les mines de plomb, de fer & d’étain ; il joue aussi bien que le soufre le principal rôle dans la minéralisation des métaux, c’est-à-dire qu’il leur fait prendre des formes tout-à-fait étrangeres. C’est ainsi que l’arsenic combiné avec de l’argent le change en crystaux rouges & transparens, que l’on nomme mine d’argent rouge. Il fait prendre à l’étain une forme crystallisée, voyez Etain ; il change le plomb en crystaux blancs & verds, voyez Plomb, d’où l’on voit que l’arsenic a la propriété de s’unir très intimement avec les substances métalliques, desquelles on a beaucoup de peine de le dégager par le grillage & par les travaux de la Métallurgie. Voyez Mine, Minéralisation, Métallurgie.

L’arsenic est très-volatil, & il s’éleve très-facilement sous la forme de vapeurs dans les souterreins des mines ; c’est à lui que sont dûes en partie les effets funestes des exhalaisons minérales. Voyez cet article. Toutes ces propriétés de l’arsenic l’ont fait regarder comme un générateur des métaux & comme un mercure coagulé. Le célebre Henckel dit avoir obtenu de l’argent en traitant un mélange de craie & d’arsenic. Les Alchimistes ont cherché la pierre philosophale dans cette substance, & lui ont attribué des vertus tout-à-fait extraordinaires.

Pour séparer l’arsenic des substances auxquelles il est joint dans le sein de la terre, on calcine ces substances dans un fourneau de réverbere, que Kunckel a décrit le premier, & la fumée qui s’en éleve est reçue dans une cheminée horisontale, qui est faite de planches & soutenue par des piliers : cette cheminée a quelquefois plusieurs centaines de piés de longueur, on en peut voir la représentation dans celle des Planches de Minéralogie & de Métallurgie, qui représente le grillage du cobalt ; AB représente la perspective du fourneau, G montre sa coupe. Par la calcination, l’arsenic se dégage sous la forme d’une fumée blanche épaisse ; cette fumée est reçue dans la cheminée CD, ou dans le boyau horisontal, aux parois duquel elle s’attache & se condense sous la forme d’une farine légere, que des ouvriers vont balayer & ramasser lorsqu’il s’y en est accumulé une certaine quantité. Ces ouvriers entrent dans la cheminée par des portes marquées EEE, que l’on tient fermées dans le tems que la fumée arsenicale est reçue : H montre la coupe de cette cheminée ; les ouvriers ont la précaution de se mettre un linge devant le nez & la bouche lorsqu’ils vont balayer cette poudre arsenicale, qui est une poison très-subtile.

Quand on a recueilli l’arsenic qui s’étoit amassé dans la cheminée qui vient d’être décrite, on porte cette poudre dans un autre attelier représenté au bas de la même Planche. Là on a un fourneau, que l’on verra dans cette Planche aux lettres A & B ; CCC sont des capsules de tôle ou de fer, dans lesquelles on met l’arsenic en poudre, on place au-dessus de ces capsules ou écuelles des tuyaux de tôle ou de fer mince battu, marqués DDD ; on couvre ces tuyaux avec des calottes de fer E, qui les ferment bien exactement, alors on fait aller le feu, & l’arsenic se sublime & s’attache dans l’intérieur de la calote sous la forme d’une masse de verre blanc & transparent, c’est là ce qu’on appelle arsenic crystallin.

Quand on veut faire de l’arsenic jaune ou de l’orpiment factice, on joint à l’arsenic en poudre environ un dixieme de soufre, que l’on mêle bien exactement avec lui, & l’on sublime ce mélange qui forme une masse opaque & jaune, qui n’est jamais d’une combinaison aussi parfaite que celle de l’orpiment naturel. Si on veut avoir de l’arsenic rouge, on augmente la dose de soufre, & l’on en mêle un cinquieme avec l’arsenic en poudre pour le faire sublimer. Mais pour que la combinaison du soufre & de l’arsenic se fasse plus intimement, il sera bon de faire fondre de nouveau ce qui se sera sublimé, alors l’arsenic rouge deviendra transparent comme un rubis.

On voit par-là que l’arsenic a la propriété de se combiner avec le soufre ; il a aussi celle de se combiner avec les métaux. Si on le joint avec du cuivre, il formera un alliage blanc comme de l’argent, mais il rend le cuivre aigre & cassant, & cet alliage noircit à l’air ; l’arsenic rend l’or & l’argent très-cassant, mais il a sur-tout beaucoup de disposition à s’unir avec le fer ; il s’unit aussi avec le plomb, mais il ne s’unit point avec le mercure. L’arsenic fondu avec le soufre & le régule d’antimoine fait une masse vitrifiée, que l’on nomme aimant d’arsenic ou magnes arsenicalis, on lui donne aussi le nom de lapis pyrmiéson ou lapis de tribus. Pour le faire, on fond ensemble parties égales d’arsenic jaune ou d’orpiment, & d’antimoine crud qui contiennent l’un & l’autre du soufre. On prétend que la masse vitreuse qui résulte de cette opération, est propre à décomposer ou à détruire les métaux. Cet aimant d’arsenic est un puissant escarotique, il fait entrer en suppuration les bubons pestilentiels & empêche leur propagation, il entre dans l’emplâtre magnétique.

M. Meuder, médecin de Dresde, a fait un pyrophore en sublimant ensemble parties égales d’arsenic & de limaille de fer, & en mêlant dix parties de ce sublimé avec douze parties de vitriol de lune, c’est-à-dire avec le sel qui résulte de la combinaison de l’argent avec l’acide nitreux ; on triture ce mélange sur un porphyre, & on l’échauffe sur un poële ou de quelqu’autre maniere, & il s’enflamme sur le champ. Voyez la Pyritologie de Henckel, chapitre x.

Pour essayer si une substance contient de l’arsenic, il n’y aura qu’à la mettre dans une cornue de terre au fourneau de réverbere, on donnera le feu par degrés, & il passera dans le récipient des fleurs ou une poudre blanche qui n’est autre chose qu’une chaux d’arsenic ; on trouvera dans le cul de la cornue une poudre grise, qui est une chaux d’arsenic qui n’est point encore entierement privée de son phlogistique ; enfin on y trouve aussi du régule d’arsenic en forme de crystaux prismatiques, dont les angles sont arrondis.

La chaux d’arsenic est extrèmement volatile, elle se sublime à une chaleur médiocre, & forme des crystaux qui sont solubles dans l’eau. Pour réduire la chaux d’arsenic & lui rendre l’état de régule, on n’aura qu’à mêler ensemble parties égales de chaux d’arsenic & de savon noir, & la moitié d’alkali fixe, on mettra le tout dans un creuset fermé d’un couvercle, au milieu duquel il y aura un petit trou, on lutera bien ce couvercle avec de la terre glaise, le régule d’arsenic se sublimera sur le couvercle du creuset.

Quand on veut essayer une mine d’arsenic dans un vaisseau ouvert, on lui joint de la limaille de fer pour servir d’intermede ; alors l’arsenic s’unit au fer, & il résiste au feu le plus violent sans se volatiliser.

Pour séparer le soufre de l’arsenic dans l’orpiment, on n’a que le triturer avec du mercure, & ensuite on met ce mélange en sublimation, l’arsenic se leve tout seul, & le soufre uni avec le mercure se sublime ensuite, & forme du cinnabre au-dessous de l’arsenic qui s’étoit sublimé.

Le régule d’arsenic détone avec le nitre, il s’unit avec la base de ce sel, & forme ce qu’on appelle l’arsenic fixé. Dans cette détonation, le nitre se gonfle, & il en part une flamme claire & très blanche, mais la chaux d’arsenic ne détone & ne s’embrase point avec le nitre. Si l’on broie ensemble deux parties de chaux d’arsenic & une partie de nitre dans un mortier de verre ou de marbre, & qu’on mette ce mélange en distillation dans une cornue de terre ou de grais, à laquelle on adaptera un ballon, on aura un acide nitreux de couleur bleue, dont les vapeurs briseroient les vaisseaux avec explosion, si les jointures étoient bien bouchées. Cette couleur bleue disparoît très promptement à l’air. Le célebre Sthal croit qu’elle est dûe à une portion de cobalt, qui étoit uni à l’arsenic. Il s’agiroit d’observer si la même chose arriveroit avec de l’arsenic qui n’auroit été uni avec aucune portion de cobalt, comme il y en beaucoup ; & M. Rouelle, à qui ces observations sont dûes, remarque avec raison que la couleur bleue peut aussi venir du fer & du cuivre.

L’arsenic combiné avec l’acide du sel marin forme ce qu’on appelle le beurre d’arsenic ; c’est une liqueur extremement volatile, & qui se dissipe à l’air sous la forme d’une fumée : il faut pour cela que l’acide du sel marin soit très-concentré.

En mêlant ensemble deux parties de chaux vive, & une partie d’orpiment, & en versant par dessus cinq ou six parties d’eau bouillante, il se fait une effervescence ; lorsqu’elle sera finie, on remuera le mélange, on le laissera reposer, on décantera ensuite la liqueur claire qui surnagera, & l’on aura ce qu’on appelle le foie de soufre arsénical, ou l’encre de sympathie. La vapeur seule de cette liqueur fait paroitre en noir les caracteres qui ont été tracés avec une dissolution de sel de Saturne. Cette liqueur s’appelle aussi liquor vini probatorius, parce qu’elle peut servir à découvrir si du vin a été frélaté ou adouci avec de la litharge ou avec du plomb ; car en y versant de cette encre de sympathie, le vin noircira sur le champ pour peu qu’il contienne de plomb.

L’orpiment mêlé avec de la chaux vive est un dépilatoire, c’est-à-dire, que ce mêlange fait tomber les poils du corps, mais il faut avoir soin de ne pas le laisser séjourner trop long-tems, de peur qu’il n’endommage la peau.

Nous avons déja suffisamment averti que l’arsenic, sous quelque forme qu’il se trouve, est un poison très-vif ; sa grande volatilité fait que l’on ne doit jamais le traiter qu’avec la plus grande précaution ; & l’on doit toujours se défier même de son usage extérieur. Les Peintres qui employent l’orpiment en sont souvent très-incommodés. Quelques gens avoient proposé une préparation d’arsénic comme un remede extérieur pour la guérison du cancer ; mais M. Rouelle rejette cet usage comme dangereux. Rien n’est donc plus téméraire que de donner sous quelque prétexte que ce soit, l’arsénic intérieurement ; la moindre quantité est infiniment dangereuse. En effet, c’est un violent corrosif d’un goût acerbe & austere ; ceux qui ont été empoisonnés par de l’arsénic, éprouvent d’abord de grandes envies de vomir, & sentent une espece d’étranglement à la gorge ; ensuite le malade est agité ; il vomit avec effort ; puis il tombe dans un sommeil, qui est suivi de violentes convulsions, & qui terminent enfin sa vie. En ouvrant les cadavres de ceux qui sont morts empoisonnés par l’arsenic, on leur trouve l’estomac sphacélé & cautérisé.

Il faudra faire avaler du lait chaud au malade, l’arsenic le caille, & on le rend en cailleaux ; à ce signe on reconnoîtra que le malade a été empoisonné par de l’arsenic. Pour y remédier, s’il en est encore tems, il faudra faire vomir le malade en lui donnant un peu de tartre émétique avec de l’huile, du beurre fondu, ou telle matiere grasse que l’on aura sous sa main, ou même du suif, pour ne point perdre de tems ; ensuite on lui donnera des émulsions pour varier & pour prévenir le dégoût que causent les matieres grasses : il est très-important de ne pas laisser dormir le malade qui y est fort enclin. Lorsqu’on a employé le lait, il faut sur la fin de l’action du poison faire donner des lavemens pour faire sortir des intestins le lait qui s’y sera caillé. Lorsque tous les accidens auront disparu, on donnera au malade des calmans & des infusions legeres de plantes cordiales. Telle est, suivant M. Rouelle, la maniere de traiter ceux qui ont pris de l’arsenic.

C’est à cette substance dangereuse qu’est dûe la phthisie, & ces éxulcérations des poumons qui font périr à la fleur de l’âge les ouvriers qui travaillent aux mines, sur-tout en Saxe où elles sont très-arsénicales. Parmi eux un homme de trente-cinq ou quarante ans est déja dans la décrépitude ; ce qui doit être sur tout attribué aux mines qu’ils détachent avec le ciseau & le maillet, & qu’ils respirent perpétuellement par le nez & par la bouche ; il paroît que si dans ces mines on faisoit plus d’usage de la poudre à canon pour détacher le minerai, les jours de ces malheureux ouvriers ne seroient point si indignement prodigués. (—)