L’Encyclopédie/1re édition/MITHRIDATE

MITHRIDATE, s. m. (Pharmacie & Matiere médicale. ) Voici sa préparation d’après l’édition de 1758 de la pharmacopée de Paris. Prenez myrrhe, safran, agaric, gingembre, canelle, nard indien, encens mâle, semence de thlaspi, de chacun dix dragmes ; semence de seseli, vrai baume de Judée, jonc odorant, sthæcas arabique, caustus arabique, galbanum, térébenthine de Chio, poivre long, castor, suc d’hipocystis, stirax calamite, oppopanax, malabatrum, de chacun une once ; cassia lignea, polium de montagne, poivre blanc, scordium, semences de daucus de Crete, fruits de baumier, trochisques de Cyphi, de chacun sept gros ; nard celtique, gomme arabique, semences de persil de Macédoine, opium thébaïque, petit cardamum, semences de fenouil & d’anis, racines de gentiane, d’acorus vrai & de grande Valériane, sagapenum, de chacun trois dragmes ; meum athamantique, acacia, lombes de scine marin, sommités d’hypericum, de chacun deux dragmes & demie ; miel de Narbonne, une quantité triple de la quantité totale de tous les autres ingrédiens ; vin d’Espagne, autant qu’il en faut pour délayer les sucs. Faites un opiat selon l’art.

Par ce mot de sucs, il faut entendre tout ce qui est soluble bien ou mal dans le vin, comme l’opium, l’hipocystis, & les gommes résines, sur-tout celles qui ne peuvent point être mises en poudre, ou qui ne peuvent l’être que très-difficilement. Cette méthode est prescrite explicitement dans plusieurs pharmacopées où l’on trouve : faites fondre les sucs & les gommes dans le vin, &c. au reste, ces mots selon l’art disent tout. La composition des remedes décrits dans les pharmacopées est censée uniquement confiée à des artistes instruits, à qui il ne faut pas en dire davantage.

Le mithridat est le plus ancien de tous les remedes officinaux très-composés. Il est décrit dans Celse sous le nom d’antidotum Mithridatis. Et cet auteur croit que c’est-là le vrai antidote dont le célebre Mithridate, roi de Pont, avoit usé tous les jours pour disposer son corps à résister à tous les poisons. Cette opinion sur l’origine du mithridate a été presque dans tous les tems l’opinion dominante. Il se trouve cependant des auteurs qui assurent que le vrai remede de Mithridate étoit quelque chose de beaucoup plus simple. Voici à ce sujet un passage de Sérénus Samonicus, qui est rapporté dans l’histoire de la Médecine de le Clerc :

Antidotus verò multis mithridatica fertur
Consociata modis : sed magnus scrinia regis
Cum raperet victor (c.-à-d. Pompée) vilem deprendit in illis
Syntesim, & vulgata satis medicamina visit
Bis denum Rutæ filium, salis & breve granum,
Juglandesque duas totidem cum corpore ficus.
Hæc oriente die pauco conspersa lyæo
Sumebat, metuens dederat quæ pocula mater.

On ne sait pas en quel tems la description de l’antidote très-composé, attribué bien ou mal-à-propos à Mithridate, a paru, ni qui est le véritable auteur ou restaurateur de ce remede : car Damocrate, sous le nom de qui on le trouve dans les pharmacopées modernes, est très-postérieur à Celse ; & il paroît que l’usage d’intituler cet antidote du nom de Damocrate, vient de ce que ce remede se trouve décrit à-peu-près tel qu’on le prépare aujourd’hui, mais ne différant point essentiellement de celui de Celse dans un fragment de Damocrate qu’on trouve dans Galien. Le mithridat paroît avoir servi de modele à toutes les grandes compositions officinales dont les boutiques ont été remplies depuis, & surtout à celles qui portent plus particulierement le nom d’antidote, telles que la thériaque, l’orviétan, le diascordium, &c. Voyez ces articles.

La principale vertu attribuée au mithridate, & celle qu’on lui a le moins contestée jusqu’à ce siecle, c’est la qualité alexipharmaque ou contre-venin. Mais depuis que des auteurs modernes, entre lesquels il faut sur-tout distinguer Wepfer, ont appris à mieux évaluer la nature & l’action des poisons, tous ces magnifiques antidotes & le très-noble mithridate comme les autres, ont beaucoup perdu de leur réputation. Voyez Poison.

Des vertus plus réelles du mithridat sont les qualités stomachiques, cordiales, sudorifiques, calmantes, fébrifuges, mais on ne l’emploie presque point à tous ces titres ; par conséquent le mithridat est un remede qu’on ne prépare presque plus que pour la décoration des boutiques, par une espece de respect religieux pour son antiquité.

Voyez à l’article Composition, (Pharmac.) ce que nous estimons qu’on doit généralement penser sur les remedes très-composés. (b)