L’Encyclopédie/1re édition/LITIERE

LITIERE, s. f. (Littér. rom.) en latin basterna & lectica. C’étoit chez les Romains comme parmi nous, une espece de corps de carrosse, suspendu sur des brancards. Entrons dans quelques détails.

Les Romains avoient deux sortes de voitures portatives, dont les formes étoient différentes, & qui étoient différemment portées ; savoir, l’une par des mulets, on l’appelloit basterna, & l’autre par des hommes, on la nommoit lectica.

La basterne ou la litiere proprement nommée selon nos usages, a été parfaitement décrite dans une ancienne épigramme que voici :

Aurea matronas claudit basterna pudicas,
Quæ radians latum gestat utrumque latus.
Hunc geminus portat duplici sub robore burdo,
Provehit, & modicè pendula septa gradu.
Provisum est cautè, ne per loca publica pergens
Fucetur visis, casta marita viris.

« Une litiere dorée & vitrée des deux côtés, enferme les dames de qualité. Elle est soutenue sur un brancard par deux mulets qui portent à petits pas cette espece de cabinet suspendu : la précaution est fort bonne, pour empêcher que les femmes mariées ne soient subornées par les hommes qui passent ».

Isidore, dans ses Origines, lib. XX. cap. xij. & d’autres auteurs, parlent aussi de cette litiere fermée, qui ne servoit que pour les femmes.

L’autre espece de litiere appellée lectica, étoit communément ouverte, quoiqu’il y en eût de fermées ; les hommes s’en servoient d’ordinaire, & des esclaves la portoient, comme c’est la coutume parmi les Asiatiques pour les palanquins. Il y en avoit de plus ou moins magnifiques, selon la qualité, le rang, ou le goût dominant du luxe. Dion Cassius nous apprend que sous Claude ces sortes de litieres vinrent à la mode pour les dames ; on les faisoit alors plus petites qu’auparavant, & toutes découvertes. De-là vient que Pline appelloit les litieres couvertes, des chambres de voyageurs.

On y employoit plus ou moins de porteurs, deux, quatre, six, huit. La litiere, lectica, portée par quatre esclaves, s’appelloit tétraphore, tetraphorum ; la litiere portée par six, s’appelloit exaphore, exaphorum ; & la litiere portée par huit, se nommoit octophore, octophorum.

On en usoit non-seulement en ville, mais en voyage, comme on peut le voir dans Plutarque, au sujet de Cicéron, qui commanda à ses domestiques de s’arrêter, & de poser sa litiere, lorsqu’Hérennius qui le cherchoit avec ses soldats, par ordre de Marc-Antoine, pour lui ôter la vie, étoit prêt de l’atteindre : alors Cicéron tendit le cou hors de sa litiere, regardant fixément ses meurtriers, tandis que ses domestiques désolés se couvroient le visage : ainsi périt l’orateur de Rome, le 8 Décembre 710, âgé de près de 64 ans.

Il semble résulter de ce détail, que nos litieres portées par des mulets ou par des chevaux, répondent à la basterne, & que nos chaises vitrées, portées par des hommes, se rapportent en quelque maniere à la lectica des Romains.

Mais il est bon de remarquer que le mot lectica avoit encore d’autres significations analogues à celui de litiere. 1°. Il désignoit de grandes chaises de chambre, vitrées de toutes parts, où les femmes se tenoient, travailloient, & parloient à tous ceux qui avoient à faire à elles : j’ai vu quelque chose d’approchant dans des cafés à Londres. Auguste avoit une de ces chaises, où il s’établissoit souvent après souper, pour travailler ; Suétone l’appelle lecticulam lucubratoriam.

La sella étoit moins élevée que la lectica, & ne pouvoit contenir qu’une personne assise.

2°. Lectica signifioit encore le cercueil dans lequel on portoit les morts au bucher. On les plaçoit sur ce brancard, habillés d’une maniere convenable à leur sexe & à leur rang : on en trouvera la preuve dans Denys d’Halicarnasse, dans Cornelius Nepos & autres historiens. Voyez aussi Kirchman, de funeribus Romanorum.

Il est vraissemblable que lectica est dérivé de lectus, un lit, parce qu’il y avoit dans la litiere un coussin & un matelas comme à un lit.

L’invention de cette voiture portative par des hommes ou par des bêtes, venoit des rois de Bithynie ; mais l’usage de ces voitures prit une telle faveur à Rome, que sous Tibere, les esclaves se faisoient porter en litiere par d’autres esclaves inférieurs. Enfin, cette mode s’abolit sous Alexandre Sévere, pour faire place à celle des chars, qui s’introduisit jusques chez les gens du menu peuple de Rome, à qui l’empereur permit de décorer leurs chars, & de les argenter à leur fantaisie.

Je finis d’autant mieux que le lecteur peut se dédommager de mes omissions par le traité de Scheffer, de re vehiculari in-4o. & celui d’Arstorphius, de lectis & lecticis. in-12. (D. J.)

Litiere, (Maréch.) paille dénuée de grain, qu’on met sous les chevaux pour qu’ils se couchent dessus à l’écurie. Faire la litiere, c’est mettre de la litiere neuve, ou remuer la vieille avec des fourches, pour que le cheval soit couché plus mollement.