L’Encyclopédie/1re édition/LAPONIE, la ou LAPPONIE

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LAPONIE, la ou LAPPONIE, (Géog.) grand pays au nord de l’Europe & de la Scandinavie, entre la mer Glaciale, la Russie, la Norwege & la Suede. Comme il est partagé entre ces trois couronnes, on le divise en Laponie russienne, danoise & suédoise : cependant cette derniere est la seule qui soit un peu peuplée, du-moins relativement au climat rigoureux.

Saxon le grammairien qui fleurissoit sur la fin du xij siecle, est le premier qui ait parlé de ce pays & de ses habitans ; mais comme le dit M. de Voltaire (dont le lecteur aimera mieux trouver ici les réflexions, que l’extrait de l’histoire mal digérée de Scheffer), ce n’est que dans le xvj siecle qu’on commença de connoître grossierement la Laponie, dont les Russes, les Danois & les Suédois même n’avoient que de foibles notions.

Ce vaste pays voisin du pole avoit été seulement désigné par les anciens géographes sous le nom de la contrée des Cynocéphales, des Himantopodes, des Troglotites & des Pygmées. En effet nous apprîmes par les relations des écrivains de Suede & de Dannemark, que la race des pygmées n’est point une fable, & qu’ils les avoient retrouvés sous le pole dans un pays idolâtre, couvert de neige, de montagnes & de rochers, rempli de loups, d’élans, d’ours, d’hermines & de rennes.

Les Lapons, continue M. de Voltaire (d’après le témoignage de tous les voyageurs), ne paroissent point tenir des Finois dont on les fait sortir, ni d’aucun autre peuple de leurs voisins. Les hommes en Finlande, en Norwege, en Suede, en Russie, sont blonds, grands & bienfaits ; la Laponie ne produit que des hommes de trois coudées de haut, pâles, basanés, avec des cheveux courts, durs & noirs ; leur tête, leurs yeux, leurs oreilles, leur nez, leur ventre, leurs cuisses & leurs piés menus, les différentient encore de tous les peuples qui entourrent leurs déserts.

Ils paroissent une espece particuliere faite pour le climat qu’ils habitent, qu’ils aiment, & qu’eux seuls peuvent aimer. La nature qui n’a mis les rennes que dans cette contrée, semble y avoir produit les Lapons ; & comme leurs rennes ne sont point venues d’ailleurs, ce n’est pas non plus d’un autre pays que les Lapons y paroissent venus. Il n’est pas vraissemblable que les habitans d’une terre moins sauvage, ayent franchi les glaces & les déserts pour se transplanter dans des terres si stériles, si ténébreuses, qu’on n’y voit pas clair trois mois de l’année, & qu’il faut changer sans cesse de canton pour y trouver dequoi subsister. Une famille peut être jettée par la tempête dans une île déserte, & la peupler ; mais on ne quitte point dans le continent des habitations qui produisent quelque nourriture, pour aller s’établir au loin sur des rochers couverts de mousse, au milieu des frimats, des précipices, des neiges & des glaces, où l’on ne peut se nourrir que de lait de rennes & de poissons secs, sans avoir aucun commerce avec le reste du monde.

De plus, si des Finois, des Norwingiens, des Russes, des Suédois, des Islandois, peuples aussi septentrionaux que les Lapons, s’étoient transplantés en Laponie, y auroient-ils absolument changé de figure ? Il semble donc que les Lapons sont une nouvelle espece d’hommes qui se sont présentés pour la premiere fois à nos regards & à nos observations dans le seizieme siecle, tandis que l’Asie & l’Amérique nous faisoient voir tant d’autres peuples, dont nous n’avions pas plus de connoissance. Dès-lors la sphere de la nature s’est aggrandie pour nous de tous côtés, & c’est par-là véritablement que la Laponie mérite notre attention. Essai sur l’Histoire universelle, tome III. (D. J.)