L’Encyclopédie/1re édition/INDIFFÉRENCE

Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 675-676).

* INDIFFÉRENCE, s. f. (Gram & Philosophie morale.) état tranquille dans lequel l’ame placée vis-à-vis d’un objet, ne le desire, ni ne s’en éloigne, & n’est pas plus affectée par sa jouissance qu’elle ne le seroit par sa privation.

L’indifférence ne produit pas toûjours l’inaction. Au défaut d’intérêt & de goût, on suit des impressions étrangeres, & l’on s’occupe de choses, au succès desquelles on est de soi-même très-indifférent.

L’indifférence peut naître de trois sources, la nature, la raison & la foi ; & l’on peut la diviser en indifférence naturelle, indifférence philosophique, & indifférence religieuse.

L’indifférence naturelle est l’effet d’un tempérament froid. Avec des organes grossiers, un sang épais, une imagination lourde, on ne veille pas ; on sommeille au milieu des êtres de la nature ; on n’en reçoit que des impressions languissantes ; on reste indifférent & stupide. Cependant l’indifférence philosophique n’a peut-être pas d’autre base que l’indifférence naturelle.

Si l’homme examine attentivement sa nature & celle des objets ; s’il revient sur le passé, & qu’il n’espere pas mieux de l’avenir, il voit que le bonheur est un fantome. Il se refroidit dans la poursuite de ses desirs ; il se dit, nil admirari prope res est una, Numici, solaque, quæ possit facere & servare beatum ; Numicius, il n’y a de vrai bien que le repos de l’indifférence.

L’indifférence philosophique a trois objets principaux, la gloire, la fortune & la vie. Que celui qui prétend à cette indifférence s’examine, & qu’il se juge. Craint-il d’être ignoré ? d’être indigent ? de mourir ? Il se croit libre, mais il est esclave. Les grands fantomes le séduisent encore.

L’indifférence philosophique ne differe de l’indifférence religieuse que par le motif. Le philosophe est indifférent sur les objets de la vie, parce qu’il les méprise ; l’homme religieux, parce qu’il attend de son petit sacrifice une récompense infinie.

Si l’indifférence naturelle, réfléchie, ou religieuse est excessive, elle relâche les liens les plus sacrés. On n’est plus ni pere attentif, ni mere tendre, ni ami, ni amant, ni époux. On est indifférent à tout. On n’est rien, ou l’on est une pierre.