L’Encyclopédie/1re édition/DÉMENTI

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DÉMENTI, s. m. (Hist. mod.) reproche de mensonge & de fausseté fait à quelqu’un en termes formels, & d’un ton qui n’est pas équivoque.

Le démenti regardé depuis si long-tems comme une injure atroce entre les nobles, & même entre ceux qui ne le sont pas, mais qui tiennent un certain rang dans le monde, n’étoit pas envisagé par les Grecs & les Romains du même œil que nous l’envisageons ; ils se donnoient des démentis sans en recevoir d’affront, sans entrer en querelle pour ce genre de reproches, & sans qu’il tirât à aucune conséquence. Les lois de leurs devoirs & de leur point d’honneur prenoient une autre route que les nôtres ; cependant, si l’on recherche avec soin l’origine des principes différens dont nous sommes affectés sur cet article, on trouvera cette origine dans l’institution du combat judiciaire, qui prit tant de faveur dans toute l’Europe, & qui étoit intimement lié aux coûtumes & aux usages de la chevalerie ; on trouvera, dis-je, cette origine dans les lois de ce combat, lois qui prévalurent sur les lois saliques, sur les lois romaines, & sur les capitulaires ; lois qui s’établirent insensiblement dans le monde, surtout chez les peuples qui faisoient leur principale occupation des armes ; lois enfin qui réduisirent toutes les actions civiles & criminelles en procédés & en faits, sur lesquels on combattoit pour la preuve.

Par l’ordonnance de l’empereur. Othon II. l’an 988, le combat judiciaire devint le privilége de la noblesse, & l’assûrance de la propriété de ses héritages. Il arriva de-là, qu’au commencement de la troisieme race de nos rois, toutes les affaires étant gouvernées par le point d’honneur du combat, on en réduisit l’usage en principes & en corps complet de jurisprudence. En voici l’article le plus important qui se rapporte à mon sujet. L’accusateur commençoit par déclarer devant le juge qu’un tel avoit commis une telle action, & celui-ci répondoit qu’il en avoit menti : sur cela le juge ordonnoit le combat judiciaire. Ainsi la maxime s’établit, que lorsqu’on avoit reçû un démenti, il falloit se battre. Pasquier en confirmant ce fait (liv. IV. ch. j.), observe que dans les jugemens qui permettoient le duel de son tems, il n’étoit plus question de crimes, mais seulement de se garantir d’un démenti quand il étoit donné : en quoi, dit-il, les affaires se sont tournées de telle façon, qu’au lieu que lorsque les anciens accusoient quelqu’un, le défendeur étoit tenu de proposer des défenses pour un démenti, sans perdre pour cela sa qualité de défendeur ; au contraire, continue-t-il, si j’impute aujourd’hui quelque cas à un homme ; & qu’il me démente, je demeure dès-lors offensé, & il faut que pour purger ce démenti, je demande le combat.

L’on voit donc que le démenti donné pour quelque cause que ce fût, a continué de passer pour une offense sanglante ; & la chose est si vraie qu’Alciat, dans son livre de singulari certamine, proposant cette question : si en donnant un démenti à quelqu’un, on ajoûtoit ces mots, sauf son honneur, ou, sans l’offenser, le démenti cesse d’être injurieux ; il décide que cette reserve n’efface point l’injure.

Enfin les lois pénales du démenti établies sous Louis XIV. depuis la défense des duels, & plus encore l’inutilité de ces lois que personne ne reclame, prouvent assez la délicatesse toûjours subsistante parmi nous, sur cet article du point d’honneur.

Je ne puis être de l’avis de Montagne, qui cherchant pourquoi les François sont si sensibles au démenti, répond en ces termes : « Sur cela je treuve qu’il est naturel de se défendre le plus des défauts dequoi nous sommes le plus entachés ; il semble qu’en nous défendant de l’accusation, & nous en émouvant, nous nous déchargeons aucunement de la coulpe : si nous l’avons par effet, au moins nous la condamnons par apparence ». Pour moi, j’estime que la vraie raison qui rend les François si délicats sur le démenti, c’est qu’il paroît envelopper la bassesse & la lâcheté du cœur. Il reste dans les mœurs des nations militaires, & dans la nôtre en particulier, des traces profondes de celles des anciens chevaliers qui faisoient serment de tenir leur parole & de rendre un compte vrai de leurs avantures : ces traces ont laissé de fortes impressions, qui ne s’effaceront jamais ; & si l’amour pour la vérité n’a point passé jusqu’à nous dans toute la pureté de l’âge d’or de la chevalerie, du moins a-t-il produit dans notre ame un tel mépris pour ceux qui mentent effrontément, que l’on continue par ce principe de regarder un démenti comme l’outrage le plus irréparable qu’un homme d’honneur puisse recevoir. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Démenti, (Jurisprud.) Le démenti est considéré comme une injure plus ou moins grave, selon les circonstances.

Le réglement des maréchaux de France du mois d’Août 1653, condamne les gentilshommes & officiers qui auront donné un démenti, à deux mois de prison, & à demander pardon à l’offensé.

L’édit du mois de Décembre 1604, ordonne que celui qui aura donné un démenti à un officier de robe, sera condamné à demander pardon, & à quatre ans de prison.

Il n’est pas non plus permis de donner un démenti à un avocat dans ses fonctions. Dufail (liv. III. ch. clxjv.) rapporte un arrêt de son parlement du 19 Décembre 1565, qui pour un démenti donné à un avocat par la partie adverse, condamna ce dernier à déclarer à l’audience, que témérairement il avoit proféré ces paroles tu as menti, à en demander pardon à Dieu, au roi, & à justice, & en 10 livres d’amende, le tout néanmoins sans note d’infamie : cet adoucissement fut sans doute ajoûté, à cause que le reproche qui avoit été fait à la partie étoit fort injurieux ; ce qui néanmoins ne l’autorisoit pas à insulter l’avocat.

Un vassal fut privé de son fief sa vie durant pour avoir donné un démenti à son seigneur, & fut condamné à dire en jugement, que par colere il avoit démenti son seigneur. Papon, liv. XIII. tit. j. n. 18.

Le démenti donné à quelqu’un n’est point excusé sous prétexte qu’on auroit ajoûté, sauf son honneur. Voyez la bibliotheq. de Bouchel au mot jugement. La Roche-Flavin, des dr. seig. ch. xxxij. art. 4. Bodin, republ. liv. I. ch. vij. Guypape, quest. 466. (A)