L’Encyclopédie/1re édition/ARC-EN-CIEL

Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 1p. 594-600).

Arc-en-ciel, iris, s. m. (Physiq.) météore en forme d’arc de diverses couleurs, qui paroît lorsque le tems est pluvieux, dans une partie du ciel opposée au soleil, & qui est formé par la réfraction des rayons de cet astre, au-travers des gouttes sphériques d’eau dont l’air est alors rempli. V. Météore, Pluie & Réfraction.

On voit pour l’ordinaire un second arc-en-ciel qui entoure le premier à une certaine distance. Ce second arc-en-ciel s’appelle arc-en-ciel exterieur, pour le distinguer de celui qu’il renferme, & qu’on nomme arc-en-ciel intérieur. L’arc intérieur a les plus vives couleurs, & s’appelle pour cela l’arc principal. Les couleurs de l’arc extérieur sont plus foibles, & de là vient qu’il porte le nom de second arc. S’il paroît un troisieme arc, ce qui arrive fort rarement, ses couleurs sont encore moins vives que les précédentes. Les couleurs sont renversées dans les deux arcs ; celles de l’arc principal sont dans l’ordre suivant à compter du dedans en dehors, violet, indigo, bleu, verd, jaune, orangé, rouge : elles sont arrangées au contraire dans le second arc en cet ordre, rouge, orangé, jaune, verd, bleu, indigo, violet : ce sont les mêmes couleurs que l’on voit dans les rayons du soleil qui traversent un prisme de verre. Voyez Prisme. Les Physiciens font aussi mention d’un arc-en-ciel lunaire & d’un arc-en-ciel marin, dont nous parlerons plus bas.

L’arc-en-ciel, comme l’observe M. Newton, ne paroît jamais que dans les endroits où il pleut & où le soleil luit en même tems ; & l’on peut le former par art en tournant le dos au soleil & en faisant jaillir de l’eau, qui poussée en l’air & dispersée en gouttes, vienne tomber en forme de pluie ; car le soleil donnant sur ces gouttes, fait voir un arc-en-ciel à tout spectateur qui se trouve dans une juste position à l’égard de cette pluie & du soleil, sur-tout si l’on met un corps noir derriere les gouttes d’eau.

Antoine de Dominis montre dans son livre de radiis visus & lucis, imprimé à Venise en 1611, que l’arc-en-ciel est produit dans des gouttes rondes de pluie par deux réfractions de la lumiere solaire, & une réflexion entre deux ; & il confirme cette explication par des expériences qu’il a faites avec une phiole & des boules de verre pleines d’eau, exposées au soleil. Il faut cependant reconnoître que quelques Anciens avoient avancé antérieurement à Antoine de Dominis, que l’arc en-ciel étoit formé par la réfraction des rayons du soleil dans des gouttes d’eau. Kepler avoit eu la même pensée, comme on le voit par les lettres qu’il écrivit à Brenger en 1605, & à Harriot en 1606. Descartes qui a suivi dans ses météores l’explication d’Antoine de Dominis, a corrigé celle de l’arc extérieur. Mais comme ces deux savans hommes n’entendoient point la véritable origine des couleurs, l’explication qu’ils ont donnée de ce météore est défectueuse à quelques égards. Car Antoine de Dominis a crû que l’arc-en-ciel extérieur étoit formé par les rayons qui rasoient les extrémités des gouttes de pluie, & qui venoient à l’œil après deux réfractions & une réflexion. Or on trouve par le calcul, que ces rayons dans leur seconde réfraction doivent faire un angle beaucoup plus petit avec le rayon du soleil qui passe par l’œil, que l’angle sous lequel on voit l’arc-en-ciel intérieur ; & cependant l’angle sous lequel on voit l’arc-en-ciel extérieur, est beaucoup plus grand que celui sous lequel on voit l’arc-en-ciel intérieur : de plus, les rayons qui tombent fort obliquement sur une goutte d’eau, ne font point de couleurs sensibles dans leur seconde réfraction ; comme on le verra aisément par ce que nous dirons dans la suite. A l’égard de M. Descartes, qui a le premier expliqué l’arc-en-ciel extérieur par deux réflexions & deux réfractions, il n’a pas remarqué que les rayons extrèmes qui font le rouge, ont leur réfraction beaucoup moindre que selon la proportion de 3 à 4, & que ceux qui font le violet, l’ont beaucoup plus grande : de plus, il s’est contenté de dire qu’il venoit plus de lumiere à l’œil sous les angles de 41 & de 42d, que sous les autres angles, sans prouver que cette lumiere doit être colorée ; & ainsi il n’a pas suffisamment démontré d’où vient qu’il paroît des couleurs sous un angle d’environ 42d, & qu’il n’en paroît point sous ceux qui sont au-dessous de 40d, & au-dessus de 44 dans l’arc-en-ciel intérieur. Ce célebre auteur n’a donc pas suffisamment expliqué l’arc-en-ciel, quoiqu’il ait fort avancé cette explication. Newton l’a achevée par le moyen de sa doctrine des couleurs.

Théorie de l’arc-en-ciel. Pour concevoir l’origine de l’arc-en-ciel, examinons d’abord ce qui arrive lorsqu’un rayon de lumiere qui vient d’un corps éloigné, tel que le soleil, tombe sur une goutte d’eau sphérique, comme sont celles de la pluie. Soit donc une goutte d’eau ADKN, (Tab. Opt. fig. 45. n°. 2.) & les lignes EF, BA, &c. des rayons lumineux qui partent du centre du soleil, & que nous pouvons concevoir comme paralleles entre-eux à cause de l’éloignement immense de cet astre, le rayon BA étant le seul qui tombe perpendiculairement sur la surface de l’eau, & tous les autres étant obliques, il est aisé de concevoir que tous ceux-ci souffriront une réfraction & s’approcheront de la perpendiculaire ; c’est-à-dire que le rayon EF, par exemple, au lieu de continuer son chemin suivant FG, se rompra au point F, & s’approchera de la ligne HFI perpendiculaire à la goutte en F, pour prendre le chemin FK. Il en est de même de tous les autres rayons proches du rayon EF, lesquels se détourneront d’F vers K, où il y en aura vraissemblablement quelque,-uns qui s’échapperont dans l’air, tandis que les autres se refléchiront sur la ligne KN pour faire des angles d’incidence & de réflexion égaux entre-eux. Voyez Réflexion.

De plus, comme le rayon KN & ceux qui le suivent, tombent obliquement sur la surface de ce globule, ils ne peuvent repasser dans l’air sans se rompre de nouveau, & s’éloigner de la perpendiculaire MNL ; de sorte qu’ils ne peuvent aller directement vers Y, & sont obligés de se détourner vers P. Il faut encore observer ici que quelques-uns des rayons après qu’ils sont arrivés en N, ne passent point dans l’air, mais se réfléchissent de nouveau vers Q, où souffrant une réfraction comme tous les autres, ils ne vont point en droite ligne vers Z, mais vers R, en s’éloignant de la perpendiculaire TV : mais comme on ne doit avoir égard ici qu’aux rayons qui peuvent affecter l’œil que nous supposons placé un peu au-dessous de la goutte, au point P par exemple, nous laissons ceux qui se réfléchissent de N vers Q comme inutiles, à cause qu’ils ne parviennent jamais à l’œil du spectateur. Cependant il faut observer qu’il y a d’autres rayons, comme 2, 3, qui se rompant de 3 vers 4, de là se réfléchissant vers 5, & de 5 vers 6, puis se rompant suivant 6, 7, peuvent enfin arriver à l’œil qui est placé au-dessous de la goutte.

Ce que l’on a dit jusqu’ici est très-évident : mais pour déterminer précisément les degrés de réfraction de chaque rayon de lumiere, il faut recourir à un calcul par lequel il paroît que les rayons qui tombent sur le quart cercle AD, continuent leur chemin suivant les lignes que l’on voit tirées dans la goutte ADKN, où il y a trois choses extrèmement importantes à observer. En premier lieu, les deux réfractions des rayons à leur entrée & à leur sortie sont telles que la plûpart des rayons qui étoient entrés paralleles sur la surface AF, sortent divergens, c’est-à-dire, s’écartent les uns des autres, & n’arrivent point jusqu’à l’œil ; en second lieu, du faisceau de rayons paralleles qui tombent sur la partie AD de la goutte, il y en a une petite partie qui ayant été rompus par la goutte, viennent se réunir au fond de la goutte dans le même point, & qui étant refléchis de ce point, sortent de la goutte paralleles entre-eux comme ils y étoient entrés. Comme ces rayons sont proches les uns des autres, ils peuvent agir avec force sur l’œil en cas qu’ils puissent y entrer, & c’est pour cela qu’on les a nommés rayons efficaces ; au lieu que les autres s’écartent trop pour produire un effet sensible, ou du moins pour produire des couleurs aussi vives que celles de l’arc-en-ciel. En troisieme lieu, le rayon NP a une ombre ou obscurité sous lui ; car puisqu’il ne sort aucun rayon de la surface N 4, c’est la même chose que si cette partie étoit couverte d’un corps opaque. On peut ajoûter à ce que l’on vient de dire, que le même rayon NP a de l’ombre au-dessus de l’œil, puisque les rayons qui sont dans cet endroit n’ont pas plus d’effet que s’ils n’existoient point du tout.

De là il s’ensuit que pour trouver les rayons efficaces, il faut trouver les rayons qui ont le même point de réflexion, c’est-à-dire, qu’il faut trouver quels sont les rayons paralleles & contigus, qui après la réfraction se rencontrent dans le même point de la circonférence de la goutte, & se réfléchissent de là vers l’œil.

Or supposons que NP soit le rayon efficace, & que EF soit le rayon incident qui correspond à NP, c’est-à-dire que F soit le point où il tombe un petit faisceau de rayons paralleles, qui après s’être rompus viennent se réunir en K pour se refléchir de là en N, & sortir suivant NP, & nous trouverons par le calcul que l’angle ONP, compris entre le rayon NP & la ligne ON tirée du centre du soleil, est de 41d 30′. On enseignera ci-après la méthode de le déterminer.

Mais comme outre les rayons qui viennent du centre du soleil à la goutte d’eau, il en part une infinité d’autres des différens points de sa surface, il nous reste à examiner plusieurs autres rayons efficaces, sur-tout ceux qui partent de la partie supérieure & de la partie inférieure de son disque.

Le diametre apparent du soleil étant d’environ 32′, il s’ensuit que si le rayon EF passe par le centre du soleil, un rayon efficace qui partira de la partie supérieure du soleil, tombera plus haut que le rayon EF de 16′, c’est-à-dire fera avec ce rayon EF un angle d’environ 16′. C’est ce que fait le rayon GH (fig. 46.) qui souffrant la même réfraction que EF, se détourne vers I & de là vers L, jusqu’à ce que sortant avec la même réfraction que NP, il parvienne en M pour former un angle de 41d 14′ avec la ligne ON.

De même le rayon QR qui part de la partie inférieure du soleil, tombe sur le point R 16′ plus bas, c’est-à-dire fait un angle de 16′ en dessous avec le rayon EF ; & souffrant une réfraction, il se détourne vers S, & de là vers T, où passant dans l’air il parvient jusqu’à V ; de sorte que la ligne TV & le rayon OT forment un angle de 41d 46′.

A l’égard des rayons qui viennent à l’œil après deux réflexions & deux réfractions, on doit regarder comme efficaces ceux qui, après ces deux réflexions & ces deux réfractions, sortent de la goutte paralleles entre-eux.

Supputant donc les réflexions des rayons qui viennent, comme 23, (fig. 45. n°. 2.) du centre du soleil, & qui pénétrant dans la partie inférieure de la goutte, souffrent, ainsi que nous l’avons supposé, deux réflexions & deux réfractions, & entrent dans l’œil par des lignes pareilles à celle qui est marquée par 67, (fig. 47.) nous trouvons que les rayons que l’on peut regarder comme efficaces, par exemple 67, forment avec la ligne 86 tirée du centre du soleil, un angle 867 d’environ 52d : d’où il s’ensuit que le rayon efficace qui part de la partie la plus élevée du soleil, fait avec la même ligne 86 un angle moindre de 16′ ; & celui qui vient de la partie inférieure, un angle plus grand de 16′.

Imaginons donc que ABCDEF soit la route du rayon efficace depuis la partie la plus élevée du soleil jusqu’à l’œil F, l’angle 86 F sera d’environ 51d & 44′. De même si GHIKLM est la route d’un rayon efficace qui part de la partie inférieure du soleil & aboutit à l’œil, l’angle 86 M approche de 52d & 16′.

Comme il y a plusieurs rayons efficaces outre ceux qui partent du centre du soleil, ce que nous avons dit de l’ombre souffre quelque exception ; car des trois rayons qui sont tracés (fig. 45. n°. 2. & 46.) il n’y a que les deux extrèmes qui ayent de l’ombre à leur côté extérieur.

A l’égard de la quantité de lumiere, c’est-à-dire du faisceau de rayons qui se réunissent dans un certain point, par exemple, dans le point de réflexion des rayons efficaces, on peut le regarder comme un corps lumineux terminé par l’ombre. Au reste il faut remarquer que jusqu’ici nous avons supposé que tous les rayons de lumiere se rompoient également ; ce qui nous a fait trouver les angles de 41d 30′& de 52′. Mais les différens rayons qui parviennent ainsi jusqu’à l’œil, sont de diverses couleurs, c’est-à-dire propres à exciter en nous l’idée de différentes couleurs, & par conséquent ces rayons sont différemment rompus de l’eau dans l’air, quoiqu’ils tombent de la même maniere sur une surface refrangible : car on sait que les rayons rouges, par exemple, souffrent moins de réfraction que les rayons jaunes, ceux-ci moins que les bleus, les bleus moins que les violets, & ainsi des autres. Voyez Couleur.

Il suit de ce qu’on vient de dire, que les rayons différens ou hétérogenes se séparent les uns des autres & prennent différentes routes, & que ceux qui sont homogenes se réunissent & aboutissent au même endroit. Les angles de 41d 30′ & de 52d, ne sont que pour les rayons d’une moyenne refrangibilité, c’est-à-dire qui en se rompant s’approchent de la perpendiculaire plus que les rayons rouges, mais moins que les rayons violets : & de là vient que le point lumineux de la goutte où se fait la réfraction, paroît bordé de différentes couleurs, c’est-à-dire, que le rouge, le verd & le bleu, naissent des différens rayons rouges, verds & bleus du soleil, que les différentes gouttes transmettent à l’œil ; comme il arrive lorsqu’on regarde des objets éclairés à-travers un prisme. Voyez Prisme.

Telles sont les couleurs qu’un seul globule de pluie doit représenter à l’œil : d’où il s’ensuit qu’un grand nombre de ces petits globules venant à se répandre dans l’air, y fera appercevoir différentes couleurs, pourvû qu’ils soient tellement disposés que les rayons efficaces puissent affecter l’œil ; car ces rayons ainsi disposés, formeront un arc-en-ciel.

Pour déterminer maintenant quelle doit être cette disposition, supposons une ligne droite tirée du centre du soleil à l’œil du spectateur, telle que VX (fig. 46.) que nous appellerons ligne d’aspect : comme elle part d’un point extrèmement éloigné, on peut la supposer parallele aux autres lignes tirées du même point ; or on sait qu’une ligne droite qui coupe deux paralleles, forme des angles alternes égaux. Voyez Alterne.

Imaginons donc un nombre indéfini de lignes tirées de l’œil du spectateur à l’endroit opposé au soleil où sont des gouttes de pluie, lesquelles forment différens angles avec la ligne d’aspect, égaux aux angles de réfraction des différens rayons refrangibles, par exemple, des angles de 41d 46′, & de 41d 30′, & de 41d 40′, ces lignes tombant sur des gouttes de pluie éclairées du soleil, formeront des angles de même grandeur avec les rayons tirés du centre du soleil aux mêmes gouttes ; de sorte que les lignes ainsi tirées de l’œil, représenteront les rayons qui occasionnent la sensation de différentes couleurs.

Celle, par exemple, qui forme un angle de 41d 46′, représentera les rayons les moins refrangibles ou rouges des différentes gouttes ; & celle de 41d 40′, les rayons violets qui sont les moins refrangibles. On trouvera les couleurs intermédiaires & leurs refrangibilités dans l’espace intermédiaire. Voy. Rouge.

On sait que l’œil étant placé au sommet d’un cone, voit les objets sur sa surface comme s’ils étoient dans un cercle, au moins lorsque ces objets sont assez éloignés de lui : car quand différens objets sont à une distance assez considérable de l’œil, ils paroissent être à la même distance. Nous en avons donné la raison dans l’article Apparent ; d’où il s’ensuit qu’un grand nombre d’objets ainsi disposés, paroîtront rangés dans un cercle sur la surface du cone. Or l’œil de notre spectateur est ici au sommet commun de plusieurs cones formés par les différentes especes de rayons efficaces & la ligne d’aspect. Sur la surface de celui dont l’angle au sommet est le plus grand, & qui contient tous les autres, sont ces gouttes ou parties de gouttes qui paroissent rouges ; les gouttes de couleur de pourpre, sont sur la superficie du cone qui forme le plus petit angle à son sommet ; & le bleu, le verd, &c. sont dans les cones intermédiaires. Il s’ensuit donc que les différentes especes de gouttes doivent paroître comme si elles étoient disposées dans autant de bandes ou arcs colorés, comme on le voit dans l’arc-en-ciel.

M. Newton explique cela d’une maniere plus scientifique, & donne aux angles des valeurs un peu différentes. Supposons, dit-il, que O (fig. 48.) soit l’œil du spectateur, & OP une ligne parallele aux rayons du soleil ; & soient POE, POF des angles de 40d 17′, de 42d 2′, que l’on suppose tourner autour de leur côté commun OP : ils décriront par les extrémités E, F, de leurs autres côtés OE & OF, les bords de l’arc-en-ciel.

Car si E, F, sont des gouttes placées en quelque endroit que ce soit des surfaces coniques décrites par OE, OF, & qu’elles soient éclairées par les rayons du soleil S E, SF ; comme l’angle SEO est égal à l’angle POE qui est de 40d 17′, ce sera le plus grand angle qui puisse être fait par la ligne SE & par les rayons les plus refrangibles qui sont rompus vers l’œil après une seule réflexion ; & par conséquent toutes les gouttes qui se trouvent sur la ligne OE, enverront à l’œil dans la plus grande abondance possible, les rayons les plus refrangibles, & par ce moyen seront sentir le violet le plus foncé vers la région où elles sont placées.

De même l’angle SFO étant égal à l’angle POF qui est de 42d 2′, sera le plus grand angle selon lequel les rayons les moins refrangibles puissent sortir des gouttes après une seule réflexion ; & par conséquent ces rayons seront envoyés à l’œil dans la plus grande quantité possible par les gouttes qui se trouvent sur la ligne OF, & qui produiront la sensation du rouge le plus foncé en cet endroit.

Par la même raison les rayons qui ont des degrés intermédiaires de refrangibilité, viendront dans la plus grande abondance possible des gouttes placées entre E & F, & feront sentir les couleurs intermédiaires dans l’ordre qu’exigent leurs degrés de refrangibilité, c’est-à-dire, en avançant de E en F, ou de la partie intérieure de l’arc à l’extérieure dans cet ordre, le violet, l’indigo, le bleu, le verd, le jaune, l’orangé & le rouge : mais le violet étant mêlé avec la lumiere blanche des nuées, ce mêlange le fera paroître foible, & tirant sur le pourpre.

Comme les lignes OE, OF, peuvent être situées indifféremment dans tout autre endroit des surfaces coniques dont nous avons parlé ci-dessus, ce que l’on a dit des gouttes & des couleurs placées dans ces lignes, doit s’entendre des gouttes & des couleurs distribuées en tout autre endroit de ces surfaces ; par conséquent le violet sera répandu dans tout le cercle décrit par l’extrémité E du rayon OE autour de OP ; le rouge dans tout le cercle décrit par F, & les autres couleurs dans les cercles décrits par les points qui sont entre E & F. Voilà quelle est la maniere dont se forme l’arc-en-ciel intérieur.

Arc-en-ciel extérieur. Quant au second arc-en-ciel qui entoure ordinairement le premier ; en assignant les gouttes qui doivent paroître colorées, nous excluons celles qui partant de l’œil font des angles un peu au-dessous de 42d 2′, mais non pas celles qui en font de plus grands.

Car si l’on tire de l’œil du spectateur une infinité de pareilles lignes, dont quelques-unes fassent des angles de 50d 57′ avec la ligne d’aspect, par exemple, OG ; d’autres des angles de 54d 7′, par exemple, OH ; il faut de toute nécessité que les gouttes sur lesquelles tomberont ces lignes fassent voir des couleurs, surtout celles qui forment l’angle de 50d 7′.

Par exemple, la goutte G paroîtra rouge, la ligne GO étant la même qu’un rayon efficace, qui après deux réflexions & deux réfractions, donne le rouge ; de même les gouttes sur lesquelles tombent les lignes qui font avec OP des angles de 54d 7′, par exemple, la goutte H, paroîtra couleur de pourpre ; la ligne OH étant la même qu’un rayon efficace, qui après deux réflexions & deux rétractions donne la couleur pourpre.

Or s’il y a un nombre suffisant de ces gouttes, & que la lumiere du soleil soit assez forte pour n’être point trop affoiblie par deux réflexions & réfractions consécutives, il est évident que ces gouttes doivent former un second arc semblable au premier. Dans les rayons les moins refrangibles, le moindre angle sous lequel une goutte peut envoyer des rayons efficaces après deux réflexions, a été trouvé par le calcul de 50d 57′, & dans les plus réfrangibles, de 54d 7′.

Supposons l’œil placé au point O, comme ci-devant, & que POG, POH, soient des angles de 50d 57′, & de 54d 7′ : si ces angles tournent autour de leur côté commun OP, avec leurs autres côtés OG, OH, ils décriront les bords de l’arc-en-ciel CHDG, qu’il faut imaginer, non pas dans le même plan que la ligne OP, ainsi que la figure le représente, mais dans un plan perpendiculaire à cette ligne.

Car si GO sont des gouttes placées en quelques endroits que ce soit des surfaces coniques décrites par OG, OH, & qu’elles soient éclairées par les rayons du soleil ; comme l’angle SGO est égal à l’angle POG de 50d 57′, ce sera le plus petit angle qui puisse être fait par les rayons les moins refrangibles après deux réflexions ; & par conséquent toutes les gouttes qui se trouvent sur la ligne OG enverront à l’œil dans la plus grande abondance possible les rayons les moins refrangibles, & feront sentir par ce moyen le rouge le plus foncé vers la région où elles sont placées.

De même l’angle SHO étant égal à l’angle POH qui est de 54d 7′, sera le plus petit angle sous lequel les rayons les plus refrangibles puissent sortir des gouttes après deux réflexions ; & par conséquent ces rayons seront envoyés à l’œil dans la plus grande quantité qu’il soit possible par les gouttes qui sont placées dans la ligne OH, & produiront la sensation du violet le plus foncé dans cet endroit.

Par la même raison les rayons qui ont des degrés intermédiaires de refrangibilité, viendront dans la plus grande abondance possible des gouttes entre G & H, & feront sentir les couleurs intermédiaires dans l’ordre qu’exigent leurs degrés de refrangibilité, c’est-à-dire, en avançant de G en H, ou de la partie intérieure de l’arc à l’extérieure dans cet ordre, le rouge, l’orangé, le jaune, le verd, le bleu, l’indigo, & le violet.

Et comme les lignes OG, OH, peuvent être situées indifféremment en quelqu’endroit que ce soit des surfaces coniques, ce qui vient d’être dit des gouttes & des couleurs qui sont sur ces lignes, doit être appliqué aux gouttes & aux couleurs qui sont en tout autre endroit de ces surfaces.

C’est ainsi que seront formés deux arcs colorés ; l’un intérieur, & composé de couleurs plus vives, par une seule réflexion ; & l’autre extérieur, & composé de couleurs plus foibles par deux réflexions.

Les couleurs de ces deux arcs seront dans un ordre opposé l’une à l’égard de l’autre ; le premier ayant le rouge en dedans, & le pourpre au-dehors ; & le second le pourpre en dehors, & le rouge en dedans ; & ainsi du reste.

Arc-en-ciel artificiel. Cette explication de l’arc-en-ciel est confirmée par une expérience facile : elle consiste à suspendre une boule de verre pleine d’eau en quelqu’endroit où elle soit exposée au soleil, & d’y jetter les yeux en se plaçant de telle maniere que les rayons qui viennent de la boule à l’œil puissent faire avec les rayons du soleil un angle de 42 ou de 50d ; car si l’angle est d’environ 42 ou 43d, le spectateur (supposé en O) verra un rouge fort vif sur le côté de la boule opposé au soleil, comme en F ; & si cet angle devient plus petit, comme il arrivera en faisant descendre la boule jusqu’en E, d’autres couleurs paroîtront successivement sur le même côté de la boule, savoir, le jaune, le verd, & le bleu.

Mais si l’on fait l’angle d’environ 50d, en haussant la boule jusqu’en G, il paroîtra du rouge sur le côté de la boule qui est vers le soleil, quoiqu’un peu foible ; & si l’on fait l’angle encore plus grand, en haussant la boule jusqu’en H, le rouge se changera successivement en d’autres couleurs, en jaune, verd, & bleu. On observe la même chose lorsque, sans faire changer de place à la boule, on hausse ou on baisse l’œil, pour donner à l’angle une grandeur convenable.

On produit encore, comme nous l’avons dit, un arc-en-ciel artificiel, en se tournant le dos au soleil, & en jettant en haut de l’eau dont on aura rempli sa bouche ; car on verra dans cette eau les couleurs de l’arc-en-ciel, pourvû que les gouttes soient poussées assez haut pour que les rayons tirés de ces gouttes à l’œil du spectateur fassent des angles de plus de 41d avec le rayon OP.

Dimension de l’arc-en-ciel. Descartes a le premier déterminé son diametre par une méthode indirecte, avançant que sa grandeur dépend du degré de réfraction du fluide, & que le sinus d’incidence est à celui de réfraction dans l’eau, comme 250 à 187. Voyez Refraction.

M. Halley a depuis donné dans les Transactions philosophiques, une méthode simple & directe de déterminer le diametre de l’arc-en-ciel, en supposant donné le degré de réfraction du fluide, ou réciproquement de déterminer la réfraction du fluide par la connoissance que l’on a du diametre de l’arc-en-ciel. Voici en quoi consiste sa méthode. 1°. Le rapport de la réfraction, c’est-à-dire, des sinus d’incidence & de réfraction, étant connu, il cherche les angles d’incidence & de réfraction d’un rayon, qu’on suppose devenir efficace après un nombre déterminé de réflexions ; c’est-à-dire, il cherche les angles d’incidence & de réfraction d’un faisceau de rayons infiniment proches, qui tombant paralleles sur la goutte, sortent paralleles après avoir souffert au-dedans de la goutte un certain nombre de réflexions déterminé. Voici la regle qu’il donne pour cela. Soit une ligne donnée AC (Pl. d’opt. fig. 49.) on la divisera en D, en sorte que DC soit à AC en raison du sinus de réfraction au sinus d’incidence ; ensuite on la divisera de nouveau en E, en sorte que AC soit à AE comme le nombre donné de réflexions augmenté de l’unité est à cette même unité ; on décrira après cela sur le diametre AE le demi-cercle ABE, puis du centre C, & du rayon CD, on tracera un arc DB qui coupe le demi-cercle au point B : on menera les lignes AB, CB ; ABC ou son complément à deux droits sera l’angle d’incidence, & CAB l’angle de réfraction qu’on demande.

2°. Le rapport de la réfraction & l’angle d’incidence étant donné, on trouvera ainsi l’angle qu’un rayon de lumiere qui sort d’une boule, après un nombre donné de réflexions, fait avec la ligne d’aspect, & par conséquent la hauteur & la largeur de l’arc-en-ciel. L’angle d’incidence & le rapport de réfraction étant donnés, l’angle de réfraction l’est aussi. Or si on multiplie ce dernier par le double du nombre des réflexions augmenté de 2, & qu’on retranche du produit le double de l’angle d’incidence, l’angle restant sera celui que l’on cherche.

Supposons avec M. Newton que le rapport de la réfraction soit comme 108 à 81 pour les rayons rouges, comme 109 à 81 pour les bleus, &c. Le problème précédent donnera les angles sous lesquels on voit les couleurs.

I. Arc-en-ciel. rouge 42d 11′. Le spectateur ayant le dos tourné au soleil, parce que les rayons qui viennent à l’œil du spectateur après une ou deux reflexions, sont du même côté de la goutte que les rayons incidens.
violet 40d 16′.
II. Arc-en-ciel. rouge 50d 58′.
violet 54d 9′.

Si l’on demande l’angle formé par un rayon après trois ou quatre réflexions, & par conséquent la hauteur à laquelle on devroit appercevoir le troisieme & le quatrieme arc-en-ciel, qui sont très-rarement & très-peu sensibles, à cause de la diminution que souffrent les rayons par tant de réflexions réitérées, on aura

III. Arc-en-ciel. rouge 41d 37′. Le spectateur ayant le visage tourné vers le soleil, parce que les rayons qui viennent à l’œil du spectateur après trois ou quatre réflexions, sortent de la goutte d’un côté opposé à celui par où ils y sont entrés, & conséquemment sont, par rapport au soleil, d’un autre côté de la goutte que les rayons incidens.
violet 37d 9′.
IV. Arc-en-ciel. rouge 43d 53′.
violet 49d 34′.

Il est aisé sur ce principe de trouver la largeur de l’arc-en-ciel ; car le plus grand demi-diametre du premier arc-en-ciel, c’est-à-dire, de sa partie extérieure, étant de 42d 11′, & le moindre, savoir, de la partie intérieure, de 40d 16′, la largeur de la bande mesurée du rouge au violet sera de 1d 55′; & le plus grand diametre du second arc étant de 54d 9′, & le moindre de 50d 58′, la largeur de la bande sera de 3d 11′, & la distance entre les deux arcs-en-ciel de 8d 47′.

On regarde dans ces mesures le soleil comme un point ; c’est pourquoi comme son diametre est d’environ 30′, & qu’on a pris jusqu’ici les rayons qui passent par le centre du soleil, on doit ajoûter ces 30′ à la largeur de chaque bande ou arc du rouge au violet ; savoir, 15′ en-dessous au violet à l’arc intérieur, & 15′ en-dessus au rouge dans le même arc ; & pour l’arc-en-ciel extérieur, 15′ en-dessus au violet, & 15′ en-dessous au rouge ; & il faudra retrancher 30′ de la distance qui est entre les deux arcs.

La largeur de l’arc-en-ciel intérieur sera donc de 2d 25′, & celle du second de 3d 41′, & leur distance de 8d 17′. Ce sont-là les dimensions des arcs-en-ciel, & elles sont conformes à très-peu près à celles qu’on trouve en mesurant un arc-en-ciel avec des instrumens.

Phénomenes particuliers de l’arc-en-ciel. Il est aisé de déduire de cette théorie tous les phénomenes particuliers de l’arc-en-ciel : 1°. par exemple, pourquoi l’arc-en-ciel est toûjours de même largeur : c’est parce que les degrés de refrangibilité des rayons rouges & violets qui forment ses couleurs extrèmes, sont toûjours les mêmes.

2°. Pourquoi on voit quelquefois les jambes de l’arc-en-ciel contiguës à la surface de la terre, & pourquoi d’autres fois ces jambes ne viennent pas jusqu’à terre : c’est parce qu’on ne voit l’arc-en-ciel que dans les endroits où il pleut : or si la pluie est assez étendue pour occuper un espace plus grand que la portion visible du cercle que décrit le point E, on verra un arc-en-ciel qui ira jusqu’à terre, sinon on ne verra d’arc-en-ciel que dans la partie du cercle occupée par la pluie.

3°. Pourquoi l’arc-en-ciel change de situation à mesure que l’œil en change, & pourquoi, pour parler comme le vulgaire, il fuit ceux qui le suivent, & suit ceux qui le fuient : c’est que les gouttes colorées sont disposées sous un certain angle autour de la ligne d’aspect, qui varie à mesure qu’on change de place. De-là vient aussi que chaque spectateur voit un arc-en-ciel différent.

Au reste ce changement de l’arc-en-ciel pour chaque spectateur, n’est vrai que rigoureusement parlant ; car les rayons du soleil étant censés paralleles, deux spectateurs voisins l’un de l’autre ont assez sensiblement le même arc-en-ciel.

4°. D’où vient que l’arc-en-ciel forme une portion de cercle tantôt plus grande & tantôt plus petite : c’est que sa grandeur dépend du plus ou moins d’étendue de la partie de la superficie conique qui est au-dessus de la surface de la terre dans le tems qu’il paroît ; & cette partie est plus grande ou plus petite, suivant que la ligne d’aspect est plus inclinée ou oblique à la surface de la terre ; cette obliquité augmentant à proportion que le soleil est plus élevé, ce qui fait que l’arc-en-ciel diminue à proportion que le soleil s’éleve.

5°. Pourquoi l’arc-en-ciel ne paroît jamais lorsque le soleil est élevé d’une certaine hauteur : c’est que la surface conique sur laquelle il doit paroître est cachée sous terre lorsque le soleil est élevé de plus de 42d ; car alors la ligne OP, parallele aux rayons du soleil, fait avec l’horison en-dessous un angle de plus de 42d, & par conséquent la ligne OE, qui doit faire un angle de 42d avec OP, est au-dessous de l’horison, de sorte que le rayon EO rencontre la surface de la terre, & ne sauroit arriver à l’œil. On voit aussi que si le soleil est plus élevé que 42d, mais moins que 54, on verra l’arc-en-ciel extérieur, sans l’arc-en-ciel intérieur.

6°. Pourquoi l’arc-en-ciel ne paroît jamais plus grand qu’un demi-cercle : le soleil n’est jamais visible au-dessous de l’horison, & le centre de l’arc-en-ciel est toûjours dans la ligne d’aspect ; or dans le cas où le soleil est à l’horison, cette ligne rase la terre ; donc elle ne s’éleve jamais au-dessus de la surface de la terre.

Mais si le spectateur est placé sur une éminence considérable, & que le soleil soit dans ou sous l’horison, alors la ligne d’aspect dans laquelle est le centre de l’arc-en-ciel sera considérablement élevée au-dessus de l’horison, & l’arc-en-ciel fera pour lors plus d’un demi-cercle ; & même si le lieu est extrèmement élevé, & que la pluie soit proche du spectateur, il peut arriver que l’arc-en-ciel forme un cercle entier.

7°. Comment l’arc-en-ciel peut paroître interrompu & tronqué à sa partie supérieure : rien n’est plus simple à expliquer. Il ne faut pour cela qu’un nuage qui intercepte les rayons, & les empêche de venir de la partie supérieure de l’arc à l’œil du spectateur. Car dans ce cas, n’y ayant que la partie inférieure qui soit vûe, l’arc-en-ciel paroîtra tronqué à sa partie supérieure. Il peut encore arriver qu’on ne voye que les deux jambes de l’arc-en-ciel, parce qu’il ne pleut point à l’endroit où devroit paroître la partie supérieure de l’arc-en-ciel.

8°. Par quelle raison l’arc-en-ciel peut paroître quelquefois renversé ? si le soleil étant élevé de 41d 46′, ses rayons tombent sur la surface de quelque lac spatieux dans le milieu duquel le spectateur soit placé, & qu’en même tems il pleuve, les rayons venant à se réfléchir dans les gouttes de pluie produiront le même effet que si le soleil étoit sous l’horison, & que les rayons vinssent de bas en haut : ainsi la surface du cone sur laquelle les gouttes colorées doivent être placées, sera tout-à-fait au-dessus de la surface de la terre. Or dans ce cas, si sa partie supérieure est couverte par des nuages, & qu’il n’y ait que sa partie inférieure sur laquelle les gouttes de pluie tombent, l’arc sera renversé.

9°. Pourquoi l’arc-en-ciel ne paroît pas toûjours exactement rond, & qu’il est quelquefois incliné : c’est que la rondeur exacte de l’arc-en-ciel dépend de son éloignement, qui nous empêche d’en juger : or si la pluie qui le forme est près de nous, on appercevra ses irrégularités ; & si le vent chasse la pluie ensorte que la partie supérieure soit plus sensiblement éloignée de l’œil que l’inférieure, l’arc paroîtra incliné ; en ce cas, l’arc-en-ciel pourra paroître oval, comme le paroît un cercle incliné vû d’assez loin.

10°. Pourquoi les jambes de l’arc-en-ciel paroissent quelquefois inégalement éloignées : si la pluie se termine du côté du spectateur dans un plan tellement incliné à la ligne d’aspect, que le plan de la pluie forme avec cette ligne un angle aigu du côté du spectateur, & un angle obtus de l’autre côté ; la surface du cone sur laquelle sont placées les gouttes qui doivent faire paroître l’arc-en-ciel, sera tellement disposée que la partie de cet arc qui sera du côté gauche paroîtra plus proche de l’œil que celle du côté droit.

C’est un phénomene fort rare de voir en même tems trois arcs-en-ciel ; les rayons colorés du troisieme sont toûjours fort foibles à cause de leurs triples réflexions : aussi ne peut-on jamais voir un troisieme arc-en-ciel, à moins que l’air ne soit entierement noir par-devant & fort clair par-derriere.

M. Halley a vû en 1698 à Chester trois arcs-en-ciel en même tems, dont deux étoient les mêmes que l’arc-en-ciel intérieur & l’extérieur qui paroissent ordinairement ; le troisieme étoit presque aussi vif que le second, & ses couleurs étoient arrangées comme celles du premier arc-en-ciel ; ses deux jambes reposoient à terre au même endroit où reposoient celles du premier arc-en-ciel, & il coupoit en haut le second arc-en-ciel, divisant à peu près cet arc en trois parties égales. D’abord on ne voyoit pas la partie de cet arc qui étoit à gauche ; mais elle parut ensuite fort éclatante : les points où cet arc coupoit l’arc extérieur parurent ensuite se rapprocher, & bien-tôt la partie supérieure du troisieme arc-en-ciel se confondit avec l’arc-en-ciel extérieur. Alors l’arc-en-ciel extérieur perdit sa couleur en cet endroit, comme cela arrive lorsque les couleurs se confondent & tombent les unes sur les autres. Mais aux endroits où les deux couleurs rouges tomberent l’une sur l’autre en se coupant, la couleur rouge parut avec plus d’éclat que celle du premier arc-en-ciel. M. Senguerd a vû en 1685 un phénomene semblable, dont il fait mention dans sa Physique. M. Halley faisant attention à la maniere dont le Soleil luisoit, & à la position du terrain qui recevoit ses rayons, croit que ce troisieme arc-en-ciel étoit causé par la réflexion des rayons du soleil qui tomboient sur la riviere Dée qui passe à Chester.

M. Celsius a observé en Dalécarlie province de Suede, très-coupée de lacs & de rivieres, un phénomene à peu près semblable, le 8 Août 1743, vers les 6 à 7 heures du soir, le Soleil étant à 11 degrés 30 minutes de hauteur ; & le premier qui en ait observé de pareils, a été M. Etienne, chanoine de Chartres, le 10 Août 1665. V. le Journal des Sav. & les Tran. phil. de 1666, & l’Hist. Ac. des Sc. an. 1743.

Vitellion dit avoir vû à Padoue quatre arc-en-ciel en même tems ; ce qui peut fort bien arriver, quoique Vicomercatus soûtienne le contraire.

M. Langwith a vû en Angleterre un arc-en-ciel solaire avec ses couleurs ordinaires ; & sous ce premier arc-en-ciel on en voyoit un autre, dans lequel il y avoit tant de verd, qu’on ne pouvoit distinguer ni le jaune ni le bleu. Dans un autre tems il parut encore un arc-en-ciel avec ses couleurs ordinaires, au-dessous duquel on remarquoit un arc bleu, d’un jaune clair en haut, & d’un verd foncé en bas. On voyoit de tems en tems au-dessous deux arcs de pourpre rouge, & deux de pourpre verd : le plus bas de tous ces arcs étoit de couleur de pourpre, mais fort foible ; & il paroissoit & disparoissoit à diverses reprises. M. Musschenbroeck explique ces différentes apparences par les observations de M. Newton sur la lumiere. V. l’Essai de Phys. de cet auteur, art. 1611.

Arc-en-ciel lunaire ; la Lune forme aussi quelquefois un arc-en-ciel par la réfraction que souffrent ses rayons dans les gouttes de pluie qui tombent la nuit. Voyez Lune. Aristote dit qu’on ne l’avoit point remarqué avant lui, & qu’on ne l’apperçoit qu’à la pleine Lune. Sa lumiere dans d’autres tems est trop foible pour frapper la vûe après deux réfractions & une réflexion.

Ce Philosophe nous apprend qu’on vit paroître de son tems un arc-en-ciel lunaire dont les couleurs étoient blanches. Gemma Frisius dit aussi qu’il en a vû un coloré ; ce qui est encore confirmé par M. Verdries, & par Dan. Sennert qui en a observé un semblable en 1599. Snellius dit en avoir vû deux en deux ans de tems, & R. Plot en a remarqué un en 1675 : en 1711 il en parut un dans la province de Darbyshire en Angleterre.

L’arc-en-ciel lunaire a toutes les mêmes couleurs que le solaire, excepté qu’elles sont presque toûjours plus foibles, tant à cause de la différente intensité des rayons, qu’à cause de la différente disposition du milieu. M. Thoresby qui a donné la description d’un arc-en-ciel lunaire dans les Trans. philos. n°. 331. dit que cet arc étoit admirable par la beauté & l’éclat de ses couleurs, il dura environ dix minutes, après quoi un nuage en déroba la vûe.

M. Weidler a vû en 1719 un arc-en-ciel lunaire lorsque la Lune étoit à demi-pleine, dans un tems calme, & où il pleuvoit un peu : mais à peine pût-il reconnoître les couleurs, les supérieures étoient un peu plus distinctes que les inférieures ; l’arc disparut aussi-tôt que la pluie vint à cesser. M. Musschenbroeck dit en avoir observé un le premier d’Octobre 1729 vers les 10 heures du soir : il pleuvoit très-fort à l’endroit où il voyoit l’arc-en-ciel : mais il ne put distinguer aucune couleur, quoique la Lune eût alors beaucoup d’éclat. Le même auteur rapporte que le 27 Août 1736 à la même heure, on vit à Ysselstein un arc-en-ciel lunaire fort grand, fort éclatant ; mais cet arc-en-ciel n’étoit par-tout que de couleur jaune.

Arc-en-ciel-marin ; l’arc-en-ciel-marin est un phénomene qui paroît quelquefois lorsque la mer est extrèmement tourmentée, & que le vent agitant la superficie des vagues, fait que les rayons du soleil qui tombent dessus, s’y rompent & y peignent les mêmes couleurs que dans les gouttes de pluie ordinaires. M. Bowrzes observe dans les Transactions philosophiques, que les couleurs de l’arc-en-ciel marin sont moins vives, moins distinctes, & de moindre durée que celles de l’arc-en-ciel ordinaire, & qu’on y distingue à peine plus de deux couleurs ; savoir du jaune du côté du Soleil, & un verd pâle du côté opposé.

Mais ces arcs sont plus nombreux ; car on en voit souvent 20 ou 30 à la fois : ils paroissent à midi & dans une position contraire à celle de l’arc-en-ciel, c’est-à-dire renversés ; ce qui est une suite nécessaire de ce que nous avons dit en expliquant les phénomenes de l’arc-en-ciel solaire.

On peut encore rapporter à cette classe une espece d’arc-en-ciel blanc que Mentzelius & d’autres disent avoir observé à l’heure de midi. M. Mariotte dans son essai de Physique dit que ces arcs-en-ciel sans couleur se forment dans les brouillards comme les autres se font dans la pluie ; & il assûre en avoir vû à trois diverses fois, tant le matin après le lever du soleil, que la nuit à la clarté de la lune.

Le jour qu’il vit le premier, il avoit fait un grand brouillard au lever du soleil ; une heure après, le brouillard se sépara par intervalles ; un vent qui venoit du levant ayant poussé un de ces brouillards séparés à deux ou trois cens pas de l’observateur, & le soleil dardant ses rayons dessus, il parut un arc-en-ciel semblable pour la figure, la grandeur, & la situation, à l’arc-en-ciel ordinaire. Il étoit tout blanc, hors un peu d’obscurité qui le terminoit à l’extérieur ; la blancheur du milieu étoit très-éclatante, & surpassoit de beaucoup celle qui paroissoit sur le reste du brouillard : l’arc n’avoit qu’environ un degré & demi de largeur. Un autre brouillard ayant été poussé de même, l’observateur vit un autre arc-en-ciel semblable au premier. Ces brouillards étoient si épais, qu’il ne voyoit rien au-delà.

Il attribue ce défaut de couleurs à la petitesse des vapeurs imperceptibles qui composent les brouillards ; d’autres croyent plûtôt qu’il vient de la ténuité excessive des petites vésicules de la vapeur, qui n’étant en effet que de petites pellicules aqueuses, remplies d’air, ne rompent point assez les rayons de lumiere, outre qu’elles sont trop petites pour séparer les différens rayons colorés. De-là vient qu’elles réfléchissent les rayons aussi composés qu’elles les ont reçûs, c’est-à-dire, blancs.

Rohault parle d’un arc-en-ciel qui se forme dans les prairies par la réfraction des rayons du soleil dans les gouttes de rosée. Traité de Physique.

Nous ne nous arrêterons pas ici à rapporter les sentimens ridicules des anciens Philosophes sur l’arc-en-ciel. Pline & Plutarque rapportent que les Prêtres dans leurs offrandes se servoient par préférence du bois sur lequel l’arc-en-ciel avoit reposé, & qui en avoit été mouillé, parce qu’ils s’imaginoient, on ne sait pourquoi, que ce bois rendoit une odeur bien plus agréable que les autres. Voyez l’essai de Phys. de Mussch. d’où nous avons tiré une partie de cet article. Voyez aussi le traité des Météores de Descartes, l’optique de Newton, les Lectiones opticæ de Barrow, & le quatrieme volume des œuvres de M. Bernoulli, imprimées à Geneve 1743. On trouve dans ces différens ouvrages & dans plusieurs autres la théorie de l’arc-en-ciel.

Finissons cet article par une réflexion philosophique. On ne sait pas pourquoi une pierre tombe, & on sait la cause des couleurs de l’arc-en-ciel, quoique ce dernier phénomene soit beaucoup plus surprenant que le premier pour la multitude. Il semble que l’étude de la nature soit propre à nous enorgueillir d’une part, & à nous humilier de l’autre. (O)