L’Empire des tsars et les Russes/Tome 2/Livre 4/Chapitre 6


CHAPITRE VI


Des restrictions apportées aux nouvelles institutions judiciaires. — Infractions aux principes de la réforme. — L’indépendance de la justice et la police d’État. — Raisons et effets de cette anomalie. — Restrictions à la publicité des débats. — Causes enlevées au jury. — Cours spéciales pour les crimes politiques. — Les oukazes d’Alexandre II et les conseils de guerre. — L’état de protection d’Alexandre III et les pouvoirs de l’administration. — Ce qui reste de la réforme judiciaire.


Les tribunaux créés par Alexandre II au lendemain de l’émancipation étaient si nouveaux pour l’empire autocratique, si réellement indépendants, si sincèrement conçus dans un esprit libéral, qu’ils n’ont pu longtemps subsister dans l’intégrité de leurs droits.

C’est beaucoup pour la réforme judiciaire que d’avoir traversé sans y succomber une période aussi troublée, aussi inquiète, aussi pleine de contradictions que les dernières années du règne d’Alexandre II. Pour vivre, les règlements de 1864 ont dû se plier aux défiances et aux incertitudes du pouvoir. Devant les mécomptes de la société, et devant l’agitation révolutionnaire, le gouvernement impérial s’est pris à douter de son œuvre, il s’est presque repenti de la généreuse témérité avec laquelle il avait cru dans la sagesse de la nation. S’il n’a pas osé abroger ses lois, il s’est efforcé d’en restreindre pratiquement la portée.

Des grands principes proclamés par la réforme, — la séparation du pouvoir administratif et du pouvoir judiciaire, l’égalité devant la loi, la publicité de la justice, l’indépendance des tribunaux et du jury, — presque aucun n’est sorti intact de cette période de tâtonnements et de recul. Le statut judiciaire n’a pas été révoqué, les nouveaux tribunaux, la nouvelle procédure sont demeurés debout, peut-être parce qu’en tout pays il est difficile de reprendre les franchises une fois accordées. Les nouvelles institutions ont seulement été réglementées par des oukazes impériaux ou des arrêtés ministériels qui, avant même les attentats nihilistes, en avaient notablement modifié l’esprit primitif et rétréci la sphère.

Et d’abord, le principe fondamental de la réforme, la distinction absolue du pouvoir judiciaire et du pouvoir administratif, ce principe qui, dans les campagnes, était parfois poussé jusqu’à l’extrême, n’a jamais, dans l’État, reçu une entière et franche application. Il a toujours subsisté une grande et importante exception, une anomalie ostensible que les années n’ont fait que mettre davantage en lumière. On comprend que nous voulons parler de la défunte troisième section de la chancellerie impériale, et de la haute police[1]. La loi déclare qu’aucun sujet du tsar ne peut être puni ou maintenu en détention sans jugement régulier ; mais la haute police a toujours conservé le droit d’arrêter et d’interner les sujets russes, sans en rendre compte à aucun tribunal. La loi proclame qu’aucun accusé ne peut être condamné sans débats contradictoires et publics ; mais le chef des gendarmes a le droit d’expulser et d’enfermer qui bon lui semble, sans en prévenir personne ni en laisser souffler mot à personne.

Une justice indépendante, avons-nous dit, est par soi-même une limite au pouvoir absolu ; or cette limite est tournée ou franchie, en Russie, à l’aide de la police d’État. Au fond, il n’y a pas tant à s’étonner de cette contradiction, si anormale en apparence. Ce qui eût été surprenant, c’est qu’en ouvrant à ses sujets de libres tribunaux, le pouvoir souverain ne se fût pas réservé, pour son usage particulier, une porte de derrière. Avec la stricte application des lois de 1874, l’autocratie ne serait plus entière ; avec la haute police et les gendarmes, l’autocratie a conservé indirectement toute sa liberté d’action.

Il peut sembler singulier que, dans un même pays, puissent subsister côte à côte deux institutions aussi différentes, aussi inconciliables et contradictoires que les nouveaux tribunaux et l’ancienne troisième section. Ce n’est cependant pas la première fois que de tels rapprochements se rencontrent dans l’histoire. La France nous en offre elle-même un exemple. À cet égard, la situation de la Russie est fort semblable à celle de la vieille France, qui, elle aussi, à côté de tribunaux libres et indépendants, à côté des tribunaux les plus indépendants peut-être qui aient jamais existé, avait ses lettres de cachet et sa Bastille. La troisième section, nous l’avons déjà remarqué, est à peu près l’équivalent de notre lettre de cachet ; l’une a servi aux mêmes buts que l’autre, tantôt sérieux, tantôt frivoles, selon les circonstances et le caractère des hommes. Ce contraste, qui nous choque si fort dans la Russie contemporaine, a duré chez nous des siècles. On pourrait même dire que nous l’avons revu partiellement, sous l’un et l’autre empire français, grâce à la loi de sûreté générale.

Un Russe du dix-neuvième siècle, comme un Français du dix-huitième, a toujours pu être interné par ordre supérieur, être arrêté par mesure administrative (administrativnym poryadkom). Le gouvernement est toujours maître d’user de ce procédé et de cette formule envers qui bon lui semble. Les gendarmes de l’ancienne troisième section peuvent mettre la main sur les hommes déjà traduits devant un tribunal et acquittés par le jury. La police forme comme une instance suprême qui casse tous les verdicts et sentences. Il va sans dire que cette institution toute politique n’agit généralement que pour les affaires politiques ou réputées telles. Elle ne prétend d’habitude ni condamner les gens, ni les châtier comme des criminels, elle se piquerait plutôt de les corriger paternellement ainsi que des enfants espiègles ou turbulents. Elle se contente de les éloigner temporairement ou de les garder à vue, de leur interdire ou de leur imposer telle ou telle résidence, de les confiner, pour leur propre avantage comme pour le bien de tous, dans des villes ou des provinces reculées.

En temps ordinaire, cette suprême autorité, qui plane au-dessus des tribunaux et opère par-dessus leur tête, ne frappe que les agitateurs, les conspirateurs des deux sexes et les malheureux jeunes gens égarés par la propagande révolutionnaire. Le corps des gendarmes n’a point à intervenir dans la justice et ne s’en mêle point, si bien que les gens paisibles peuvent voir en eux les plus sûrs défenseurs de la légalité. L’administration tourne-t-elle son attention et ses rigueurs sur des hommes qui n’ont rien du conspirateur ou du révolutionnaire, parfois même sur des personnages considérables, c’est toujours qu’ils s’occupent des affaires de l’État et se permettent de les juger d’une manière qui provoque le mécontentement ou la mauvaise humeur des puissants du jour[2].

Aux yeux du pouvoir, le principal avantage de l’action administrative, c’est la promptitude de ses actes et le secret qui les couvre. On oublie que les formalités légales et la publicité sont non moins utiles à la justice et au gouvernement qu’au public ou à l’accusé, que seules elles peuvent mettre à l’abri de certaines méprises et de certaines calomnies. Dans sa promptitude à saisir les suspects et à déjouer les complots, la haute police est exposée à mêler des innocents aux coupables, et le mystère qui enveloppe toutes ses démarches permet de lui attribuer des arrestations imméritées, des déportations en masse, des violences qui n’ont parfois jamais eu lieu, mais qui augmentent le sinistre renom dont elle jouit et enveniment les haines dont elle est l’objet. Comme les fautes des hommes sur lesquels s’appesantit sa main ne sont connues que d’elle, ses victimes usurpent aisément les sympathies publiques, et ses arrêts, n’étant soumis à aucune discussion, restent livrés à toutes les contestations.

Le gouvernement d’Alexandre III semble avoir compris qu’il est de l’intérêt du pouvoir de faire cesser toutes les rigueurs inutiles. En maintenant l’exil administratif, il a voulu contrôler l’exercice de ce droit redoutable. Pour cela on a créé, en 1881, une commission chargée de prononcer sur le sort des individus dont l’administration ou la police réclame l’éloignement[3]. Cette commission, instituée pour régulariser l’arbitraire, est composée de quatre hauts fonctionnaires. La police d’État, représentée par un ou deux de ses chefs, y garde la haute main. La procédure de ce singulier tribunal n’offre guère plus de garanties que sa composition. S’il a le droit de faire comparaître devant lui les personnes en cause, il n’y est point tenu, et c’est une faculté dont il use peu. Quelque disposé qu’il fût à ratifier toutes les sentences administratives, ce comité, en examinant les dossiers des déportés et des internés, a trouvé qu’un certain nombre pouvaient sans inconvénient être rendus à la liberté. Une commission analogue, instituée à la fin du règne d’Alexandre II par le général Lorîs-Mélikof, avait déjà fait une découverte semblable. Plusieurs centaines de suspects ont ainsi été successivement relevés de la surveillance de la police[4].

De telles mesures de clémence ont beau témoigner de l’esprit de justice du gouvernement, de son désir de restreindre le nombre des arrestations administratives, elles n’en sont pas moins un aveu officiel des erreurs et des iniquités commises par la police d’État, sous Alexandre III comme sous Alexandre II. Avec l’arrestation et la déportation administratives, de telles méprises sont inévitables ; aucune commission d’enquête n’y saurait parer. Que sont en effet les condamnés de la police d’État ? Ce sont, du premier jusqu’au dernier, des hommes contre lesquels il n’existe que des soupçons, contre lesquels la police n’a que des préventions et pas une preuve. Autrement, au lieu de les interner ou de les déporter de son chef, l’administration s’adresserait à la justice, non au jury et aux tribunaux réguliers, mais aux cours spéciales, civiles ou militaires, véritables commissions judiciaires que le gouvernement compose à son choix, qu’il entoure à volonté de silence et dont la sentence n’est pas douteuse. Quand on a de pareils tribunaux à ses ordres et qu’on recourt à l’arrestation administrative, c’est manifestement contre des gens dont tout le crime est d’exciter des défiances, et qu’on veut éloigner par mesure préventive. Plus le gouvernement a pris de précautions pour être sûr des tribunaux appelés à juger ses ennemis, plus il a eu soin de multiplier pour les crimes d’État les juridictions spéciales, et moins l’administration a besoin d’empiéter sur la justice.

La police d’État, qui, à côté des tribunaux réguliers, maintient une juridiction anormale, n’est pas, en effet, la seule infraction aux grands principes proclamés par la réforme judiciaire. Ce n’est pas uniquement en dehors des nouveaux tribunaux, c’est dans leur enceinte, jusque dans le temple élevé à la justice, que se rencontrent des dérogations aux règles solennellement inscrites au fronton du nouvel édifice.

De tous les principes consacrés par les règlements judiciaires, le plus exposé aux restrictions, le plus contesté dans la pratique, devait être naturellement celui de la publicité des débats. Si la publicité est la première et la plus haute garantie de l’individu et de la société, n’est-elle pas souvent aussi un danger pour les mœurs publiques, une incitation au crime ? ne donne-t-elle pas aux natures perverses, avec des leçons de scélératesse, le modèle des plus horribles forfaits ? Tant qu’il ne s’est agi que de crimes privés, l’autorité impériale a, dans la presse comme à l’audience, scrupuleusement respecté la publicité des débats, en acceptant les inconvénients avec les avantages. Il n’en est pas de même pour les affaires politiques, pour ces procès de sociétés secrètes et de propagande révolutionnaire qui se sont tant multipliés depuis une quinzaine d’années. « Pouvions-nous tolérer, me disait un fonctionnaire, que des prévenus obscurs, de jeunes audacieux sans crainte ni respect de rien, érigeassent le banc des accusés en tribune, pour répandre dans le public et inculquer au peuple leurs vaines et pernicieuses doctrines ? Pouvions-nous, sous le couvert des libertés de la défense, autoriser les avocats, rivalisant avec leurs clients, à faire de la popularité et de la réclame avec de vides théories libérales ? Devions-nous enfin, grâce aux comptes rendus des journaux, laisser colporter impunément les discours les plus incendiaires, permettre aux pires adversaires de l’État d’éluder à leur profit les lois sur la presse et de transformer nos tribunaux en agences de propagande révolutionnaire ? »

Les prévenus politiques, qui d’ordinaire étaient sûrs de leur sort et n’avaient rien à ménager, ne se faisaient pas scrupule, en effet, d’exposer leurs doctrines devant les juges. Aux charges de l’accusation ils répondaient hautement par de hardies dénonciations des abus du gouvernement. D’habitude ils cherchaient moins à se défendre qu’à proclamer et à justifier leurs théories. Ainsi ont fait les nombreux jeunes gens des deux sexes, traînés par centaines devant les tribunaux, avant que les vengeances de leurs amis aient inauguré l’ère des attentats sur le tsar et ses conseillers[5]. Ainsi ont fait les tsaricides Jéliabof, Kibaltchich, Sophie Pérovski et leurs complices, tenant fièrement tête à l’accusation, discourant manifestement pour le dehors, comme un orateur d’opposition dans un parlement. Ces plaidoyers des « nihilistes » ne sont pour la plupart que d’audacieuses apologies de la révolution. Par leur ton à la fois doctrinal et ironique, enthousiaste et méprisant, ces professions de foi révolutionnaires m’ont plus d’une fois rappelé les Acta martyrum et les paroles mises dans la bouche des confesseurs du christianisme en face des proconsuls romains. Les juges en ont été souvent impressionnés, et il est certain qu’un pareil langage en une pareille situation ne laissait pas que d’émouvoir la jeunesse.

Un gouvernement maître d’imposer ses convenances devait difficilement résister à la tentation d’épargner à ses sujets de tels exemples. Le gouvernement russe a d’abord montré sur ce point plus de longanimité et de scrupules qu’on n’en eût peut-être attendu de lui, et que n’en ont fait voir en semblable circonstance ses alliés d’Allemagne[6]. Il lui répugnait manifestement de se démentir lui-même, de supprimer à si courte échéance des franchises ou des garanties qu’il avait accordées de bonne foi. Aussi, quand il s’est cru obligé de revenir en arrière, il l’a fait à contrecœur, timidement, subrepticement, honteusement, comme s’il craignait de laisser apercevoir ses contradictions. On a longtemps hésité, tâtonné, changé de manière de voir, sans s’arrêter nettement à un parti.

C’est ainsi que, au lieu d’abolir légalement la publicité

pour certaines affaires criminelles, on a d’abord cherché à l’éluder au moyen de subterfuges. On a commencé par s’attaquer à la presse, lui faisant interdire officieusement, comme dans le procès de Netchaief, de reproduire les débats de l’audience, et n’en laissant connaître au public que ce qu’en imprimait le journal officiel. Puis, à propos d’un autre procès du même genre, on a fait un pas de plus : on a tenté de restreindre la publicité même de l’audience en se servant, dans les grandes causes politiques, de salles trop petites pour donner accès à beaucoup de spectateurs. Maintenue en droit, la publicité devenait illusoire en fait. Pour cela, on profitait habilement du grand nombre des accusés réunis par l’accusation[7]. Cela permettait d’écarter les indiscrets pendant que les comptes rendus officiels, les seuls autorisés, ne donnaient que les noms et l’ordre d’interrogatoire des prévenus et des témoins, sans aucune déposition qui permit de juger de la gravité du délit et de la justice du châtiment.

Lorsque ses adversaires abandonnèrent la propagande pacifique pour la poudre et la dynamite, le gouvernement impérial montra peu à peu moins de respect pour la publicité des tribunaux. La plupart des prévenus politiques ont été condamnés à l’ombre du huis clos ; mais ici encore, sous Alexandre III comme sous Alexandre II, le gouvernement a manqué d’esprit de suite. Il est tombé dans son péché d’habitude, le défaut de système, rouvrant un jour les portes du tribunal, qu’il avait fermées la veille, pour les clore de nouveau le lendemain. C’est ainsi que sous Alexandre III le procès des meurtriers d’Alexandre II a été entouré d’une demi-publicité, la presse ayant pu reproduire, au moins en partie, les réponses des accusés, tandis qu’à quelques mois de distance il lui était interdit de rien communiquer au public des débats de procès moins graves, comme celui des éditeurs de la feuille clandestine le Tcherny Pérédel. Ce que les conseillers d’Alexandre III ont trouvé le plus commode, c’est d’ériger, à cet égard, l’arbitraire en loi. Le gouvernement s’est attribué le pouvoir de soumettre au huis clos tous les procès « dont les débats publics pouvaient exciter l’opinion », et ce pouvoir il l’a reconnu, non à la magistrature, mais à l’administration, qui ne se fait pas faute d’en user. Une loi du 4 septembre 1881 autorisait en pareil cas chaque accusé à réclamer, pour trois de ses parents ou amis, le droit d’assister aux débats. Cette faculté a été jugée excessive : par un ordre daté du 14 novembre 1881, Alexandre III a décidé que dorénavant on n’admettrait à l’audience que la femme des accusés ou leurs parents en ligne directe, ascendants ou descendants, sans admettre plus d’une personne pour chacun des prévenus. C’est avec cette règle nouvelle qu’ont été jugés, en 1882 et 1884, les complices des meurtriers d’Alexandre II.

Tout n’est point profit pour le pouvoir dans ce silence de l’audience et cet éloignement du public. Si la publicité des débats a des inconvénients qui frappent les yeux, les ténèbres du huis clos en ont d’au moins égaux. Pour l’opinion, qui n’en peut apprécier les motifs, les condamnations ainsi prononcées dans l’ombre gardent quelque chose d’obscur et d’équivoque ; il devient aisé aux gens malintentionnés d’ériger en victimes innocentes ou en martyrs de la liberté les fous les plus insensés ou les criminels les plus dangereux. En s’enveloppant de mystère, la justice paraît emprunter la procédure et les formes arbitraires de la troisième section ; elle semble n’être plus que l’accessoire et la complice de la haute police. À y bien regarder, ces procès politiques sont peut-être ceux où la publicité est le plus indispensable. Dévoiler à la société la profondeur de ses plaies eût été le meilleur moyen d’exciter la répulsion publique contre les entreprises coupables et les chimériques revendicalions. En voulant soustraire aux regards de la nation les détails de ces tristes affaires, le gouvernement la laissait s’endormir dans l’apathie ou la méfiance. Pour protéger le pays contre l’infection des mauvaises doctrines, il ne servait de rien de fermer l’entrée des tribunaux : la voix des criminels trouvait encore moyen de passer à travers les portes closes, et toutes les précautions pour empêcher leurs paroles de résonner au dehors ne faisaient que leur assurer plus de retentissement auprès d’une jeunesse facile à émouvoir. Le huis clos donnait au pouvoir l’air de trembler devant le langage d’adversaires désarmés.

L’affaire de Véra Zasoulitch, en 1878, a été la dernière cause politique qui ait été jugée publiquement avec l’assistance du jury. La haute position de la victime de l’attentat, le sexe, la jeunesse, la froide exaltation de l’accusée, l’éloquence hardie de son avocat, les dépositions des témoins, qui semblaient mettre en jugement la préfecture de police, la décision inattendue du jury, tout jusqu’à la disparition soudaine de Tacquittée au sortir de l’audience, contribuait à jeter sur ce procès mémorable une teinte romanesque. On n’a pas oublié le fond de l’afTaire. Aux bords du Volga, à trois ou quatre cents lieues de la capitale, une jeune Russe avait appris par un journal que, sur l’ordre du préfet de police de Pétersbourg, alors le général Trepof, un prisonnier politique, à elle inconnu, avait été fouetté de verges. Nouvelle Charlotte Corday, la jeune fille s’était constituée la vengeresse de l’humanité. Elle avait traversé la moitié de la Russie pour châtier l’irascible préfet, et, dans une audience, lui avait tiré à bout portant un coup de revolver qui l’avait grièvement blessé. Le crime était incontesté, la préméditation reconnue, les aveux de l’accusée formels ; malgré les efforts de l’accusation, le jury rendit un verdict d’acquittement, aux applaudissements du public de l’audience et de la foule du dehors. Le jury, en acquittant Véra, cédait-il uniquement à un entraînement généreux, ou bien les jurés subissaient-ils l’influence occulte de menaces révolutionnaires ? Peut-être obéissaient-ils à la fois à deux mobiles différents. Toujours est-il qu’en absolvant Véra Zasoulitch le jury compromit temporairement ses droits et sa propre existence. En aucun pays de l’Europe cause semblable n’eût été débattue avec plus de liberté ; mais ce fut pour la dernière fois[8].

L’autorité ne voulut pas admettre l’impunité d’un tel attentat. Le ministère public déféra le verdict du jury à la chambre de cassation du sénat. L’accusation fit valoir plusieurs motifs de nullité : le tribunal avait admis des témoins à déposer sur des faits étrangers à la cause, l’assistance avait exercé sur les jurés une pression morale en manifestant, au cours même des débats, par ses applaudissements ou ses murmures, ses sympathies pour la défense et sa répulsion pour l’accusation. Tout ce recours en revision contre un verdict d’acquittement n’en était pas moins anormal. En attaquant le verdict des jurés pétersbourgeois, on semblait s’en prendre à l’indépendance même du jury et méconnaître l’essence de l’institution[9]. Le sénat admit le pourvoi de l’accusation, annula pour vice de forme le verdict d’acquittement, et, le ministère public ayant déclaré que la capitale manquait du calme nécessaire aux jurés en pareille circonstance, le sénat renvoya l’affaire devant le tribunal de Novgorod. Près d’un jury de province, Vêra Zasoulitch eût fort risqué de ne pas trouver la même indulgence qu’à la cour d’assises de Pétersbourg ; mais ses amis avaient pris leurs précautions. À la sortie de l’audience, au milieu d’un conflit entre ses admirateurs et la police, à la faveur d’une bagarre où avaient retenti plusieurs coups de feu, l’héroïne du procès, enlevée par ses partisans, avait soudainement disparu. À l’étranger, on la supposait entre les mains de la troisième section, on se l’imaginait prisonnière dans les cachots de quelque forteresse. La police, irritée de ses nombreuses déconvenues, avait trop d’intérêt à se faire honneur d’une telle capture pour la tenir secrète. Au jour où elle devait comparaître devant la cour d’assises de Novgorod, Vêra se trouvait en sûreté, en Suisse.

À la procédure peu correcte suivie dans cette émouvante affaire, l’autorité n’avait rien gagné. Le gouvernement impérial semble avoir senti qu’annuler le verdict d’acquittement des jurés, c’était annuler le jury. Mieux valait renoncer à ces voies détournées et s’en prendre directement à l’institution même. Aussi bien, dans ce grave procès, était-on mécontent de tout le monde : aux jurés on reprochait leur indépendance, à la défense sa liberté, au public sa partialité pour l’accusée, aux juges leur impartialité. Aussi n’y a-t-il pas à s’étonner si en haut lieu l’acquittement de Véra Zasoulitch fut la condamnation du jury.

Un moment on mit en avant les projets de restrictions les plus singuliers. Au ministère de la justice il fut question d’accorder au président, et indirectement à l’accusation, le droit de récuser les avocats. Du coup, la liberté de la défense eût été anéantie et toute la réforme judiciaire compromise avec elle. Le gouvernement impérial le comprit, il renonça à ce bizarre projet. Au lieu de cela, on se borna à soustraire au jury la connaissance de toutes les causes qui pouvaient prêter à de pareils mécomptes. Un oukaze du 9 mai 1878 déféra « temporairement » à des cours spéciales les crimes et délits commis sur la personne des fonctionnaires publics, pendant l’accomplissement de leurs l’onctions ou en raison de leurs fonctions, « meurtre ou tentative de meurtre, blessures, mutilations et tous actes de violence, menaces ou clameurs ». Du sommet au bas de l’échelle, les agents du pouvoir étaient ainsi placés en dehors du droit commun. Tout le tchinovnisme se trouvait mis en possession d’un privilège jusque-là réservé au souverain et à l’État.

Le législateur n’avait pas, en effet, attendu jusqu’en 1878 pour s’apercevoir qu’à l’égard de certains attentats le jury n’était point un bien sûr instrument de répression. La loi même qui instituait le jury dérobait aux tribunaux ordinaires la connaissance de tous les crimes contre l’empereur et contre l’empire.

Pour ces crimes d’État, on avait cru nécessaire de maintenir une juridiction aussi bien qu’une législation exceptionnelles. La composition de ces tribunaux d’exception variait suivant la gravité des cas. D’après les lois de 1864, ces crimes devaient être déférés aux cours de justice, statuant sans jury, mais assistées de quelques délégués pris dans les diverses classes de la société, comme si, là même où il n’admettait point l’intervention du jury, le réformateur en eût voulu laisser aux accusés un simulacre[10].

Pour les procès les plus graves, pour les conspirations, par exemple, embrassant plusieurs provinces, le jugement des crimes d’État devait, sur un ordre du souverain, être transféré à une cour spéciale du sénat, d’ordinaire également complétée à l’aide de quelques délégués désignés par la loi. C’est de cette façon, devant des membres de la cour suprême, qu’ont été jugés les plus grands procès politiques. C’est une haute cour de ce genre qui, en 1879, a prononcé sur le sort du régicide Solovief, et, en 1881 et 1882, sur le sort des assassins d’Alexandre II et de leurs complices.

Le législateur, on le voit, avait pris ses précautions ; mais la multiplicité des attentats nihilistes les lui fit paraître insuffisantes. La procédure sembla trop lente, et les débats même trop solennels, en présence de l’attitude souvent provocante des accusés. Non content des tribunaux civils, le gouvernement leur préféra la justice la plus expéditive et la plus sévère, la justice militaire. Le 9 août 1878, un oukaze impérial, renchérissant sur celui du 9 mai précédent, transférait provisoirement aux cours martiales tous les crimes contre l’État, aussi bien que les crimes contre les fonctionnaires. La guerre de Bulgarie était à peine terminée, les troupes russes campaient sur la mer de Marmara, le traité de Berlin n’était pas encore ratifié, et les attaques les plus audacieuses contre les représentants du pouvoir se succédaient sans répit, à Pétersbourg, à Kief, à Odessa. Le gouvernement, qui en avait à peine fini avec les ennemis du dehors, résolut d’employer contre ceux du dedans les armes dont usent les États contre les séditions à main armée. Les conspirateurs furent assimilés à des insurgés. L’opinion, inquiète des machinations des ennemis de l’ordre, à un moment où la Russie restait exposée à de graves périls extérieurs, l’opinion s’alarma peu de cette sorte de mise hors la loi des révolutionnaires qui, en jetant le trouble dans le pays à l’une des heures les plus graves de son histoire, semblaient se faire les complices de l’étranger. Déjà l’on se plaisait à remarquer que, depuis le décret du 9 août, les attentats si répétés dans les mois précédents avaient subitement pris fin ; déjà l’on y voulait voir une marque de l’efficacité des tribunaux militaires, lorsque, en février, en mars, en avril 1879, l’assassinat du prince Krapotkine à Kharkof, la nouvelle agression contre le chef des gendarmes à Pétersbourg, l’attentat de Solovief sur la personne même du tsar, vinrent montrer coup sur coup que les mesures répressives les mieux justifiées ne sauraient suffire à rendre à un gouvernement la sécurité.

Après les oukazes de mai et d’août 1878, il semblait malaisé d’aller plus loin dans la voie de la répression : la tentative de régicide de Solovief fit inventer de nouvelles et plus graves mesures. Comment s’en étonner, alors qu’au milieu du siècle, en France même, il a suffi de bombes jetées par quelques étrangers sur le chemin de l’Opéra, pour qu’à l’aide d’une loi de sûreté générale qui n’était que l’abrogation de toute loi, un pays qui n’était point la patrie de l’autocratie fût tout entier soumis à un régime de terreur légale ? La Russie autocratique ne pouvait, en un cas pareil, rester en arrière de la France du second Empire ; elle institua des gouverneurs généraux militaires pour lesquels toutes les lois civiles furent suspendues, qui reçurent la faculté de faire passer devant les conseils de guerre les personnes justiciables des tribunaux ordinaires, et de déporter administrativement toute personne suspecte. Dans un pays où régnait la troisième section, tout cela, il est vrai, n’innovait pas beaucoup en droit ; la grande modification était dans l’extension donnée à ces mesures arbitraires. La procédure habituelle des conseils de guerre parut trop lente ; les gouverneurs généraux furent autorisés à la simplifier pour recourir à la justice sommaire usitée en campagne. D’après l’oukaze du 5 août 1879, les accusés purent être mis en jugement sans enquête préalable, être condamnés sans déposition orale des témoins, être exécutés sans examen de leur pourvoi en cassation.

Dictés par l’indignation ou suggérés par le désir d’opposer la terreur gouvernementale à la terreur révolutionnaire, ces procédés de justice sommaire sont loin d’être tout profit pour le pouvoir qui les emploie. Les jugements précipités sans enquête judiciaire, comme celui de Mlodetski en 1880, comme celui des assassins du général Strelnikof en 1882[11], jugés et exécutés dans les vingt-quatre gouvernement heures, n’étaient pas faits pour éclairer l’autorité sur l’orgaaisation de ses adversaires. Aussi, chaque fois qu’il ne s’est pas laissé aller aux premiers emportements de la colère, le gouvernement en est-il revenu aux grands procès à longue enquête. Ici, comme en tout, il n’a pas su avoir de règle uniforme ni de système suivi. Les prévenus politiques sont, selon les circonstances, solon l’importance de l’affaire ou l’inspiration du moment, jugés par une cour martiale ou par une commission judiciaire. Les oukazes d’Alexandre III sur l’état de protection renforcée ou extraordinaire se résument à donner en cette matière un blancseing à l’administration.

Quels que soient les juges auxquels le gouvernement défère ses ennemis, on ne peut se défendre de remarquer que tous ces tribunaux d’exception ont assez mal répondu aux espérances de leurs promoteurs. Ce ne sont ni les conseils de guerre ni les commissions sénatoriales qui ont découragé les conspirateurs. Pour échapper aux attentats, Alexandre III a dû longtemps se condamner à des précautions sans exemple depuis Louis XI ou Ivan le Terrible. Il est douteux que la sécurité du souverain ait beaucoup gagné à l’abandon des formes judiciaires habituelles. Les tribunaux ordinaires n’eussent guère moins sévèrement frappé les conspirateurs, et l’autorité de leur sentence eût été plus grande. Le jury même qui avait absous Véra Zasoulitch n’eût assurément pas acquitté les assassins du tsar. Ne l’a-t-il pas montré en condamnant des fonctionnaires de la police auxquels on ne pouvait reprocher que de la négligence dans leur service[12] ? Pour la justice, comme pour l’administration, le meilleur moyen de conquérir l’appui effectif de la société serait peut-être de lui témoigner plus de confiance.

Il y a une vingtaine d’années, lorsque étaient publiés les règlements judiciaires, lorsque était établi le jury, l’opinion se flattait d’assister au rapide développement des institutions nouvelles. On rêvait de voir les Russes enfin en possession de leur habeas corpus ; on rêvait de voir élargir la compétence du jury, de la voir étendre à la presse, par exemple. Au lieu de cela, la sphère d’action du jury a été restreinte, et, dans les affaires les plus graves, les tribunaux civils ont dû céder la place à des tribunaux militaires. L’exception est redevenue la règle, et l’arbitraire a remplacé la loi. Nous ne voulons pas chercher sur qui doit retomber la responsabilité de cette nouvelle déception. Cette responsabilité, il faudrait sans doute la partager. Une part en revient aux fanatiques prophètes de réforme sociale. C’est à cette jeunesse des deux sexes, souvent plus égarée que coupable, c’est à ces esprits séduits par de généreuses chimères et aigris par l’oppression, c’est à l’intempérance de leurs désirs, à la témérité de leurs vœux, à la criminelle violence de leurs moyens, que la Russie libérale est redevable de beaucoup de ses désenchantements. Le spectacle offert par la Russie n’a rien, du reste, de nouveau pour l’Occident ; aux bords de la Neva, comme partout ailleurs, l’esprit révolutionnaire et l’esprit de réaction s’appellent et s’excitent l’un l’autre. Les soi-disant apôtres de la liberté aggravent involontairement le despotisme dont ils prétendent secouer le joug, et les fauteurs les plus convaincus d’une aveugle répression exaltent ingénument les passions subversives.

Les mesures de sûreté prises par Alexandre II de 1878 à 1880 étaient, à en croire les oukazes impériaux, essentiellement transitoires, temporaires (vremennye)[13]. Alexandre III, en les rééditant et les renforçant, a eu soin de répéter la même assurance. Par malheur, ces mesures provisoires ont déjà persisté des années. En tout cas, quelle qu’en soit la durée, les récentes restrictions ne sauraient faire oublier tout ce qui subsiste de la réforme judiciaire, tout ce qui en est déjà entré dans les mœurs. Les déceptions du public et du législateur ne doivent pas faire perdre de vue le terrain conquis. Alors même qu’elles semblent disparaître sous les restrictions provoquées par les attentats révolutionnaires, les lois de 1864 n’ont pas été détruites. Les oukazes impériaux ont eu beau, sous le coup de la colère, déformer, dans telle ou telle de ses parties, la grande œuvre d’Alexandre II, l’œuvre temporairement mutilée subsiste dans ses fondements ; bien qu’à demi enfouie sous les mesures d’exception, elle a traversé la crise où elle semblait devoir disparaître, et, en dépit de toutes les altérations momentanées, elle se retrouvera intacte en des temps plus calmes.

« Une des choses qui nous étonnent, qui nous affligent le plus, nous autres Russes, c’est de voir combien, après tant de grandes et multiples réformes, nous avons peu changé ; combien, dans le peuple comme dans le gouvernement, dans les sujets comme dans le pouvoir, les vieilles idées, les vieilles habitudes ont persisté. On dirait que tous ces changements, qui eussent métamorphosé un autre pays, ont passé sur nos têtes, sans toucher les âmes, sans atteindre la conscience du peuple qui en était l’objet, ou du pouvoir qui en était l’auteur. » — Que de fois ai-je entendu cette confession dans la bouche de Russes désabusés ! Les événements ne sont pas faits pour corriger ces impressions pessimistes. Il y a, pour un patriote, quelque chose de navrant à voir la lenteur des progrès accomplis et les principes des lois nouvelles toujours remis en question.

La réforme judiciaire n’a cependant pas été aussi stérile qu’on se plaît parfois à le dire ; déjà l’influence commence malgré tout à s’en faire sentir, dans la vie privée comme dans la vie publique. Le rôle de la justice n’est pas tout matériel, il ne consiste pas uniquement à maintenir l’ordre extérieur ; la mission de la justice est avant tout d’inculquer au peuple et à la société, aussi bien qu’aux agents du pouvoir, le sentiment du juste et du droit. À cet égard, la justice est bien loin d’avoir encore accompli son œuvre, mais, chez aucun peuple, elle n’avait plus à faire. Quel est le reproche le plus souvent et le plus justement fait aux Russes, au fonctionnaire, au marchand, à l’artisan, au paysan, à l’homme civilisé comme à l’homme du peuple, aux hommes publics comme aux hommes privés ? C’est de ne point avoir une notion nette et vivante du droit, de ne pas sentir assez la force de l’obligation morale, ou du moins de l’obligation juridique. Or ce défaut, qui, chez les Russes, ternit à la fois la vie privée et la vie publique, une justice libre, honnête et impartiale peut seule le corriger en corrigeant les mœurs séculaires du servage domestique et de l’arbitraire bureaucratique[14].



  1. Voyez plus haut, livre II, chap. iv.
  2. Lors du congrès de Berlin, par exemple, un des hommes les plus éloignés du nihilisme et les plus populaires de Moscou, M. Aksakof, président des comités slaves, a durant quelques semaines été exilé dans ses terres, pour avoir, dans un discours public, blâmé le gouvernement de s’être résigné à l’acceptation du traité de Berlin.
  3. Voyez plus haut, livre II, chap. v.
  4. Pour le nombre des déportés et internés par la police, voyez plus loin le chapitre viii, consacré à la déportation.
  5. On peut citer comme exemple le discours de Sophie Bardine, jeune fille alors âgée de vingt-trois ans, au grand procès des socialistes de Moscou, en 1877. Ce discours a été reproJuit, en termes plus ou moins authentiques, dans une brochure russe de Genève, intitulée les Femmes du procès des socialistes de Moscou, infanticide commis par le gouvernement russe.
  6. Depuis le double attentat de Hœdel et de Nobiling contre l’empereur Guillaume en 1878, nombre de procès pour offense à l’empereur ont été jugés à huis clos. On se rappelle qu’au moyen d’un projet de discipline parlementaire M. de Bismarck a même tenté de restreindre la publicité des débats dans les Chambres.
  7. Ainsi, dans un procès jugé à Pétersbourg en 1877 ; les avocats se plaignaient de ce que, contrairement à la loi, leurs clients fussent jugés à huis clos ; ils osaient demander que les audiences fussent réellement publiques, et insistaient pour qu’elles se tinssent dans une salle plus vaste, au besoin dans la salle des Pas Perdus. « La publicité n’est pas supprimée ; répondit le président, mais le grand nombre des accusés et des témoins laisse peu de place aux spectateurs. » Dans cette affaire il y avait en effet près de deux cents accusés.
  8. Si l’affaire n’avait pas été soustraite aux tribunaux ordinaires, c’était, m’a-t-on assuré, sur l’insistance du ministre de la justice.
  9. En tout autre pays, en France par exemple, il n’y a pas, on le sait, de recours en revision contre l’accusé ; c’est exclusivement en sa faveur qu’a été établi le pourvoi en cassation. Si le ministère public a la faculté de déférer à la cour de cassation l’arrêt qui acquitte le prévenu, c’est seulement dans l’intérêt de la loi, pour le maintien des principes qui régissent le droit criminel. Le résultat du pourvoi ne saurait faire traduire l’acquitté devant un nouveau tribunal ; à son égard, le verdict du jury garde tous ses effets. (Code d’instruction criminelle, art. 360 et 409.)
  10. Ces délégués ou assesseurs doivent être un maréchal de la noblesse de gouvernement, un maréchal de la noblesse de district, un maire de ville et un starchine ou ancien de bailliage de paysans. Les délégués ainsi choisis sont au nombre de quatre, tandis que les magistrats, y compris le président, sont au nombre de cinq, ce qui leur assure toujours la majorité.
  11. Miodetski avait tiré sur le général Loris-Mélikof, alors chef du gouvernement. Les deux assassins du général Strelnikof ont été pendus à Odessa avant qu’on eût pu constater leur identité. Ce n’est que plus tard qu’on a découvert que l’un d’eux, Khaltourine, avait été le principal auteur de l’explosion du Palais d’hiver en 1880.
  12. Procès du général Mrovinsky et des deux conseillers d’État Téglef et Foursor, condamnés à la déportation dans la province d’Arkhangel, pour n’avoir pas découvert la mine creusée à Pétersbourg par les révolutionnaires dans la Petite Sadovaïa.
  13. Oukazes des 9 mai et 9 août 1878 et du 5 avril 1879. Comparez ceux des 8 septembre et 14 novembre 1881.
  14. Nous devons constater qu’une loi de juillet 1889 a encore restreint les attributions du jury. Pour nous servir d’un terme technique, les délits n’entraînant que la perte partielle des droits civils ont été correctionnalisés. En outre, on a définitivement enlevé à la compétence du jury toutes les afTaires pour lesquelles on désire une répression particulièrement énergique et rapide ; les attentats contre les fonctionnaires et les actes de rébellion contre l’autorité sont déférés aux cours de justice. De même le jury a été exclu des affaires concernant les crimes commis par des fonctionnaires ou par les employés des voies ferrées dans l’exercice de leurs fonctions. Ces affaires sont jugées par le tribunal de première instance ou par la cour selon le rang des accusés et la gravité du châtiment encouru. Dans ces procès, comme dans les causes politiques, aux jurés l’on a substitué des représentants des diverses classes sociales, siégeant à côté des magistrats. (Voyez la note de la page 412.) On a enfin soustrait à la compétence du jury les affaires de banque que les jurés russes comprennent mal et qui avaient donné lieu à des acquittements scandaleux.