L’Art de faire les Rapports en Chirurgie/07

CHAPITRE VII.

Des principaux talens qu’un Chirurgien doit avoir dans ſon Art, pour bien faire toutes ſortes de Raports.


QUoiqu’il ſoit vrai de dire, généralement parlant, que les Chirurgiens les mieux verſés dans la théorie & dans la pratique de leur Art, ſont auſſi les plus capables de bien faire toutes ſortes de Raports en Chirurgie, il y a néanmoins des parties de cet Art plus particuliérement requiſes pour y bien réuſſir ; & ces parties dépendent ou de l’Anatomie, ou de la doctrine des Maladies Chirurgicales, qu’il faut connoître par leurs propres ſignes, & plûtôt encore par pratique que par théorie. Il faut avoir auſſi beaucoup d’expérience dans la bonne méthode de traiter ces maladies, & connoître les remedes propres à les combattre & à les détruire.

À l’égard de l’Anatomie, il faut pour bien faire les Raports, ſçavoir celle que l’on nomme utile, c’eſt-à-dire, celle qui tombe ſous les ſens, préférablement à celle qui eſt appellée curieuſe, laquelle conſiſte dans certaines recherches que l’on fait avec le ſecours du microſcope, des injections, & des tuyaux qui ſervent en introduiſant l’air dans les conduits, à les rendre plus viſibles.

Il faut, par exemple, qu’un Chirurgien, pour faire bien ſes Raports, ſoit parfaitement inſtruit de la ſtructure, de l’ordonnance, du nombre, & de la conjonction des os ; parce qu’il ne peut ſans cela bien connoître les fractures & les diſlocations de ces parties, qui fourniſſent ſouvent matiere à faire des Raports : outre que ces maſſes ſolides étant fixes & permanentes, lui donnent lieu de mieux deſigner la ſituation des autres parties qui ſont attachées à ces corps durs, & auxquelles ils ſervent d’appui.

Il ne doit pas être moins informé de la ſituation, de l’ordonnance, & du progrès des muſcles & des vaiſſeaux conſidérables, afin de pouvoir juger comme il faut & avec connoiſſance, de l’iſſue des playes qui ſont faites à la ſurface du corps, & aux extrémités tant ſupérieures qu’inférieures ; & cela tant par raport à l’hémorrhagie, qui eſt plus ou moins fâcheuſe ſelon que les vaiſſeaux ouverts ſont plus ou moins gros, qu’eu égard à la perte du mouvement de quelque organe, lorſque les tendons ou les ligamens des jointures ſe trouvent intéreſſés dans les playes.

Il eſt encore abſolument néceſſaire qu’un Chirurgien, pour bien faire ſes Raports, ſe ſoit appliqué à examiner la ſituation de tous les viſceres dans les trois cavités principales, qui ſont la Tête, la Poitrine, & le Bas-ventre, comment ils ſont placés dans les différentes régions qui partagent ces cavités, & comment ils correſpondent au dehors, afin que la diviſion que l’inſtrument offenſif a faite à l’extérieur, lui donne lieu de juger quel viſcere peut être bleſſé dans l’intérieur quand les playes ſont pénétrantes.

La connoiſſance des Maladies Chirurgicales lui eſt abſolument néceſſaire, pour en expliquer dans ſes Raports l’eſſence, les ſignes, les accidens, & le prognoſtique ; & la pratique ſur tout cela lui eſt encore plus néceſſaire que la théorie : car quand il s’agira de caractériſer une maladie & de juger de ſes ſuites, comme, par exemple, lorſqu’on ſera en doute ſi certains ſujets ſont attaqués de vérole, de lèpre, de ſcorbut, de bubons peſtilentiels, de cancers, d’écrouelles, &c. un Chirurgien qui aura beaucoup vû & traité de ces ſortes de maladies, en jugera bien mieux & plus ſûrement, qu’un autre qui ſe ſera contenté de lire avec application les livres qui en traitent.

Il faut enfin qu’il ſoit ſçavant & expérimenté dans la méthode de traiter ces maladies, afin de pouvoir marquer dans ſes Raports l’ordre & le tems de leur curation, & de pouvoir juger ſi les autres Chirurgiens y ont procédé méthodiquement, ou non. Il faut de plus qu’il connoiſſe les remedes, & même leur prix & valeur, tant pour ne pas adjuger dans les eſtimations le payement de pluſieurs remedes qui auroient été inutiles ou contraires à la maladie, qu’afin de pouvoir eſtimer ſelon leur juſte valeur ceux qui ont été utilement adminiſtrés.

Mais comme l’article des playes fournit ſeul plus de matiere aux Raports de Chirurgie, que toutes les autres maladies qui ſont du reſſort de cet Art, nous allons, dans le Chapitre ſuivant, à l’exemple du célebre Ambroiſe Paré, faire un détail ſuccint de leurs ſignes diagnoſtiques & prognoſtics ; & dans quelques autres Chapitres nous examinerons ceux des autres maladies ſur leſquelles les Chirurgiens ont droit de prononcer quand l’occaſion le requiert ; ce que nous ferons afin d’en renouveller la mémoire aux jeunes Chirurgiens.