L’Année républicaine/Ventôse

Alphonse Lemerre, éditeur (p. 53-55).
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VENTÔSE.


Des mers, des champs, des monts, des bois,
Tourbillon, ouragan, tempête,
Peuple en courroux, foule inquiète,
Tous les vents soufflent à la fois.
De ce chaos qui recommence
Sort un rugissement immense,
Le cri terrible du combat ;
Et la terre, soudain étreinte
D’orgueil, de désir & de crainte,
Tressaille & sent son cœur qui bat.

Le grand vent des grandes idées,
Le vent des révolutions

Souffle aussi sur les nations
De pleurs & de sang inondées.
Chacune s’agite à son tour
Dans l’attente du nouveau jour
Qui doit réaliser le rêve,
Tandis qu’à leur cœur rajeuni,
Ivre d’extase & d’infini,
Remonte & bouillonne la séve.

Les flots se cabrent anxieux,
Les chênes rebellés se dressent ;
Les mêmes questions se pressent
Et roulent de la terre aux cieux ;
Le soleil à travers la pluie
Brille par instants & l’essuie
Sur le seuil sombre des maisons ;
L’éclair coupe en deux le nuage,
Et les vents, redoublant de rage,
Viennent de tous les horizons.

Mais à la bataille infidèle,
Le vent du nord cède attiédi,
Le dernier souffle du midi
Porte la première hirondelle :

Salut, cher oiseau du printemps !
Avec l’hiver & les autans
S’évanouit toute souffrance ;
Ô toi qui, de la part de Dieu,
Reviens chanter dans le ciel bleu,
Salut, ô naïve espérance !


6 nivôse an lxxvi.
(26 décembre 1868).