L’Adolescence Clémentine/Epitaphes

Complainctes L’Adolescence Clémentine Ballades



Epitaphes modifier

I De Jane Bonté modifier

Cy est le corps de Jane Bonté bouté:
L'esprit au Ciel est par bonté monté.


II De Longueil, homme docte modifier

O Viateur, cy dessoubz gist Longueil:
A quoi tient il, que ne meines long dueil,
Quand tu entends sa vie consommée?
N'as tu encor entendu Renommée
Par les Climatz, qui son renom insigne
Va publiant à voix, trompe, et buccine?
Si as pour vray: mais si grande est la gloire,
Qu'en as ouy, que tu ne le peulx croire.
   Va lire donc (pour en estre asseuré)
Ses beaulx escriptz de stille mesuré:
Lors seulement ne croiras son hault pris,
Mais aprendras, tant sois tu bien apris.
Si te sera son bruit tout véritable,
Et la grandeur de ses faictz profitable.


III De feu honneste personne, le petit Argentier Paulmier d'Orleans modifier

Cy gist le corps d'ung petit Argentier,
Qui eut le cueur si bon, large, et entier,
Qu'en son vivant n'assembla bien aulcun,
Fors seulement l'amytié de chascun:
Laquelle gist avec luy (comme pense)
Et a laissé pour toute recompense
A ses Amys le regret de sa mort.
   Doncque, Passant, si pitié te remord,
Ou si ton cueur quelcque dueil en reçoit,
Souhaitte luy (à tout le moins) qu'il soit
Autant aymé de Dieu, tout pur, et munde,
Comme il estoit du miserable Monde.


IV De Maistre André le Voust, Medecin du Duc d'Alençon modifier

Celluy qui prolongeoit la vie des humains,
A la sienne perdue, au dommaige de maintz.
Helas c'estoit le bon feu maistre André le Voust,
Jadis Alençonnoys, ores pasture, et goust
De terrestre vermine: et ores revestu
de Cercueil, et de Tumbe, et jadis de Vertu.
Or est mort Medecin du bon Duc d'Alençon:
A Nature ainsi fault tous paier la rençon.


V De Noble Damoyselle Parisienne, Katherine Budé modifier

Mort a ravy Katherine Budé.
Cy gist le corps: helas, qui l'eust cuydé?
Elle estoit jeune, en bon point, belle, et blanche.
   Tout cela chet, comme fleurs de la branche.
N'y pensons plus. Voyre, mais du renom,
Qu'elle merite, en diray je rien? non.
Car du Mary les larmes pour le moins
De sa bonté sont souffisans tesmoings.



VI De coquillart: et de ses armes à trois coquilles d'or modifier

La morre est jeu pire que aux Quilles,
Ne que aux Eschetz, ne qu'au Quillart.
A ce meschant jeu Coquillart
Perdit sa vie, et ses Coquilles
.

VII De frere Jehan Levesque, Cordelier natif d'Orleans modifier

Cy gist, repose, et dors leans
Le feu Evesque d'Orleans:
J'entends l'Evesque en son surnom,
Et frere Jehan en propre nom.
Qui mourut l'an cinq cens, et vingt,
De la verolle qui luy vint.
   Or affin que Sainctes, et Anges,
Ne prennent ces boutons estranges,
Prions Dieu, qu'au frere frappart
Il donne quelcque Chambre à part.


VIII De Jehan le Veau modifier

Cy gist le jeune Jehan le Veau,
Qui en sa grandeur, et puissance
Fust devenu Boeuf, ou Taureau,
Mais la mort le print des enfance.
Il mourut Veau par desplaisance:
Qui fut dommaige à plus de neuf,
Car on dit (veu sa corporance)
Que ce eust esté ung maistre Boeuf.


IX De Guion le Roy, qui s'attendoit d'estre Pape, avant que de mourir modifier

Cy gist Guion, Pape jadis, et Roy:
Roy de surnom, Pape par fantasie:
Non marié, de peur (comme je croy)
D'estre cocu, ou d'avoir jalousie.
Il prefera son vin, et malvoysie,
Et chair sallée à sa propre santé.
Or est il mort la face cramoysie:
Dieu te pardoint, pauvre Pater sante.


X De Jouan, le fol de ma Dame modifier

Je fuz Jouan, sans avoir femme,
Et fol jusque à la haulte Game.
Tous Folz, et tous Jouans aussi Venez pour moy prier icy.
L'ung apres l'autre, et non ensemble:
Car le lieu seroit (ce me semble)
Ung petit bien estroict pour tous:
Et puis s'on ne parloit tout doul,
Tant de gens me romproient mon somme.
   Au surplus: quand quelcque saige homme
viendra mon Epitaphe lire,
J'ordonne (s'il se prend à rire)
Qu'il soit des Folz maistre passé.
Fault il rire d'ung trespassé?


XI De frere André Cordelier modifier

Cy gist, qui assez mal preschoit,
Par ces femmes tant regretté,
Frere André qui les chevauchoit
Comme ung grand Asne desbaté
.


XII De feu Maistre Pierre de Villiers modifier

Cy gist feu Pierre de Villiers,
Jadis fin entre deux milliers,
Et Secretaire de renom
De Françoys premier de ce nom.
Si saigement vivre souloit,
Que jamais estre ne vouloit
(Combien qu'il fust viel charié)
Prestre, ne mort, ne marié,
De peur qu'il ne chantast l'office,
De peur qu'il n'entrast en service,
Et de peur d'estre ensepvely.
Et de faict, je tiens tant de ly, Ou au moins par tout le bruit a,
Que des troys, les deux evita:
Car jamais on ne le veit estre
Au Monde Marié, ne prebstre:
Mais de mort, ma foy je croy bien
Qu'il l'est, de puis ne sçay combien.
Les deux il sceut bien eschapper,
Mais le tiers le sceut bien happer
Mil cinq cens ung et vingt quatre:
Non pas happer, mais si bien batre,
Qu'il dort encor cy dessoubz.
De ses pechez soit il absoulz.


XIII De Jehan Serre, excellent Joueur de Farces modifier

Cy dessoubz gist, et loge en serre
Ce tresgentil fallot Jehan Serre,
Qui tout plaisir alloit suivant,
Et grand joueur en son vivant,
Non pas joueur de Detz, ne Quilles,
Mais de belles Farces gentilles.
Au quel Jeu jamais ne perdit,
Mais y gaigna bruit, et credit,
Amour, et populaire estime,
Plus que d'escuz, comme j'estime.
   Il fut en son jeu si à dextre,
Qu'à le veoir on le pensoit estre
Ivrongne, quand il se y prenoit:
Ou Badin, s'il l'entreprenoit:
Et n'eust sceu faire en sa puissance
Le Sage, car à sa naissance Nature ne luy feit la trongne
Que d'ung Badin, ou d'ung Ivrongne.
Toustefois je croy fermement,
Qu'il ne feist oncq si vivement
Le Badin, qui rit, ou se mort,
Comme il faict maintenant le mort.
   Sa science n'estoit point vile,
Mais bonne: car en ceste Ville
Des tristes tristeur destournoit,
Et l'homme aise en aise tenoit.
   Or brief, quand il entroit en salle
Avec une chemise sale,
Le Front, la Joue, et la Narine
Toute couverte de Farine,
Et coiffé d'un Beguin d'enfant,
Et d'un hault bonnet triumphant,
Garny de plumes de Chappons,
Avec tout cela, je responds,
Qu'en voyant sa grâce nyaise
On n'estoit pas moins gay, ny aise,
Qu'on est aux champs Elysiens.
   O vous humains Parisiens,
De le pleurer pour recompense
Impossible est: car quand on pense
A ce, qu'il souloit faire, et dire,
On ne se peult tenir de rire.
   Que dis je? on ne le pleure point?
Si faict on, et voicy le point:
On en rit si fort en maintz lieux, Que les larmes viennent aux yeux.
Ainsi en riant on le pleure,
Et en plourant on rit à
l'heure.
   Or pleurez, riez vostre saoul,
Tout cela ne luy sert d'un soul:
Vous feriez beaucoup mieulx (en somme)
De prier Dieu pour le pauvre homme.