L’Abitibi, pays de l’or/Chapitre 2

Les Éditions du Zodiaque (p. 32-38).

Chapitre II

LES MINES ET LA COLONISATION


L’industrie minière passera mais en faisant le bien.
Phénomène de voirie

Depuis l’établissement de Val d’Or et des autres centres du même genre, l’industrie minière est comme de raison chose dont on parle beaucoup en Abitibi, non seulement dans les cercles de la géologie, de la prospection, du génie minier, mais aussi dans les milieux de la colonisation.

D’anciens et de nouveaux colons ne manquent pas d’être à l’affût. Chacun voudrait se sentir un peu la vocation de prospecteur, savoir comment identifier les roches, juger de la valeur indicatrice d’un affleurement. Qui sait jamais si la terre patentée d’un tel, le lot simplement sous billet de location d’un autre ne recèle pas le filon de la grande richesse ?

La fièvre de l’or s’attrape comme une autre, peut-être plus facilement qu’une autre. Il ne faut pas en effet vivre longtemps en Abitibi, par le temps qui court, pour en sentir les atteintes. Au vrai, dans le territoire qui se trouve à proximité des routes, et des sentiers suivis par les mortels ordinaires, c’est-à-dire par ceux qui ne se font pas un métier, une spécialité de rechercher les dépôts de minerais précieux, le piquetage minier est achevé depuis longtemps, les concessions sont faites. Mais en marge des entreprises minières proprement dites, toutes sortes d’autres entreprises surviennent qui procurent du travail et du gain à une foule de gens.

C’est ainsi que la découverte de l’or dans une région détermine généralement une course effrénée, ce qui s’est produit, ces dernières années, en Abitibi et au Témiscamingue. Des villes surgissent avec tout ce qui s’ensuit de travaux d’aménagement et de construction. Là où c’était, hier, la forêt, il faut tout organiser, tout improviser pour que des populations puissent vivre. Et ces populations manifestent presque toujours des besoins qui ne correspondent pas exactement au strict nécessaire. Par exemple, Val d’Or, à peine né, sans aqueduc et sans égouts, possédait le cinéma, de même d’ailleurs que sa voisine bien plus cossue, Bourlamaque. Le cinéma s’est bâti un temple — une construction qui a coûté quelque chose comme soixante-quinze mille dollars — à Malartic, ville qui était inexistante à l’automne de 1936. Cette même ville a déjà sa première maison de rapport. Sa grande hôtellerie rivalise de confort sinon de luxe avec celle de Bourlamaque — eau courante, chaude et froide, dans chaque chambre ; quelques chambres avec salles de bain particulières.

La recherche et l’exploitation des mines s’accompagnent tout de suite d’une multitude d’industries, de commerces et d’entreprises variées, qui constituent autant d’attraits et de tentations pour les populations colonisatrices du voisinage.

LA VRAIE MINE DE L’ABITIBI

Dans tout cela, le sage, qui peut n’être que doué de simple sens commun, doit savoir exercer son jugement. Un curé de l’Abitibi qui s’intéresse justement de près aux choses de la colonisation, disait par exemple à ses ouailles que la meilleure mine de l’Abitibi, celle qui durera le plus longtemps, la vraie mine en définitive, c’est encore l’agriculture.

Paroles pleines de sens. Il n’est pas contestable en effet que l’établissement agricole de l’Abitibi, dans des régions bien plus septentrionales qu’on ne le croit généralement, ne soit en définitive un fait permanent. Le fait minier, si longtemps qu’il dure, n’en retient pas moins son caractère passager. Le sous-sol de l’Abitibi ne peut être l’objet que d’une exploitation destructive. Ce qu’on lui enlève d’or, d’argent et d’autres minéraux ne reviendra pas.

Miner, c’est défaire la terre, en extraire quelques-uns de ses éléments constitutifs. Au contraire, coloniser, c’est faire de la terre, redonner à la terre ce qui lui manque à la surface pour qu’elle puisse rendre une production agricole.

La richesse minière de l’Abitibi n’est plus douteuse pour ceux qui s’y connaissent mais elle passera tandis que la valeur agricole du pays restera.

Si intéressantes et si importantes que soient donc les perspectives minières de l’Abitibi, elles ne doivent pas faire oublier les possibilités agricoles qui découlent de la colonisation du pays, de son déboisement, de l’ameublissement de son sol, de sa climatisation, pour employer un mot tout à fait dernier cri mais qui convient bien en l’occurrence.

L’industrie minière et la colonisation ne doivent pas s’opposer en Abitibi, celle-ci arrêtant et paralysant celle-là, mais se compléter. C’est d’ailleurs ce qui se fera encore davantage au fur et à mesure que l’Abitibi agricole pourra alimenter les marchés que l’industrie minière fait surgir autour de ses puits et de ses usines.

LES ROUTES QUI S’OUVRENT

Un phénomène de voirie assez curieux s’est produit en Abitibi du fait de la découverte du précambrien aurifère. Certains chemins que la colonisation réclamait vainement, depuis des années et des années, se sont ouverts comme par magie, en pleine forêt. Ainsi le chemin qui va maintenant d’Amos jusqu’à Val d’Or et, franchissant la rivière Piché, que des gens stupides veulent rebaptiser Thompson, bien au delà, jusqu’à tous les Malartics, tous les Cadillacs, tous les Bousquets, tous les Lamottes. Ce chemin-là ne se serait même pas encore défriché sans les bienheureuses mines. Il traverse aujourd’hui de prometteuses colonies, notamment celle de Saint-Benoît de Lacorne et celle du canton de Varsan, peuplées par des gens venus de Nicolet. Encore quelques années, les terres seront faites, ces colons pourront vendre des produits aux mines toutes proches, Sullivan, Siscoe, Siscoc-Extension, Sigma, Lamaque, Shawkey, Gale, Kiena, Wisik, d’autres mines, qui existent, d’autres mines encore, qui existeront demain.

D’Amos aussi un autre chemin, d’abord mal fabriqué pour l’usage de quelques centaines de colons du canton de Lamotte, entre autres ceux de Saint-Luc, s’est récemment nivelé, redressé, amélioré de toutes façons, s’est prolongé aussi de plusieurs milles, atteignant le chemin des Malartics et devenant partie du chemin de ceinture autour des lacs Malartic et de Montigny.

Dans l’ouest de l’Abitibi, ce sont encore des mines, principalement la Noranda et la Beatty, qui ont déterminé l’ouverture de chemins qui servent maintenant à d’intéressantes colonies dans les cantons de Poulariès, de Destor et peut-être aussi de Dufresnoy. Phénomène du même genre encore au nord d’Amos, où s’ouvrent des terres neuves en même temps que des concessions se piquettent dans Dalquier, dans Duvernay, dans Castagnier, dans Béarn. Un donné pour un rendu sans doute : au canton de Roquemaure, ce sont des chemins de colonisation qui facilitent à l’heure qu’il est l’entrée et la pénétration du pays par des prospecteurs.

Industrie minière et colonisation ne s’opposent donc pas, ne doivent pas être en conflit dans ce vaste pays de l’Abitibi. L’exploitation minière est au contraire de nature à aider la colonisation, de toute manière, à la condition que ceux qui dirigent et ceux qui font la colonisation sachent en profiter. L’industrie minière passera, c’est irrémédiable puisqu’elle est destructive de sa nature même. Elle doit passer en faisant beaucoup de bien. Les mines peuvent faire la fortune de la colonisation d’abord, ensuite de l’agriculture abitibiennes. Que les gens de la province de Québec sachent prendre, pour commencer, puisque l’Abitibi c’est chez eux, leur large part des profits de l’exploitation minière elle-même. Pour cela, il leur faut apprendre à connaître ce genre d’exploitation. Un bon nombre d’entre eux ont commencé à le faire et de façon sérieuse. Il faut aussi que les mines constituent un apport véritable à la colonisation. C’est ce qui se fait de plus en plus.