L’Abbaye de Fontenay et l’architecture cistercienne/4.4

LES TOMBEAUX


Les prescriptions de la règle de Cîteaux, interdisant d’ensevelir les étrangers dans l’enceinte du monastère[1], furent généralement observées dans les autres abbayes. À Fontenay, la tolérance semble avoir été plus large et nous voyons de nombreux personnages de marque, prélats, princes, ducs, barons, chevaliers, simples bourgeois même, solliciter la faveur d’une sépulture dans l’enceinte de l’abbaye qu’ils avaient, le plus souvent, enrichie de leurs libéralités.

Un très grand nombre de pierres sépulcrales formaient le dallage de l’église et des chapelles, mais elles furent bouleversées lors des travaux exécutés vers 1750 pour l’exhaussement du sol. Si toutes celles qui nous restent ne sont pas dans un parfait état de conservation, elles méritent cependant d’être décrites et reproduites.

Ph. L. B.
76. Tombeau de Mello d’Époisses.
(Côté méridional.)
Un tombeau plus important que les autres, qui était primitivement un véritable mausolée, nous conserve un intéressant spécimen de l’art
Ph. L. B.
77. Tombeau de Mello d’Époisses.
(Côté septentrional.)

néerlandais-bourguignon, malgré les sauvages mutilations qu’il dut subir au cours des siècles et aussi à la suite de ses divers déplacements.

Au siècle dernier, ce mausolée avait été transporté dans la galerie du cloître qui donne accès à la salle capitulaire ; depuis 1910, il est rétabli à son ancienne place, sous l’arc qui relie le chœur à la première chapelle du bras de croix méridional.

Le tombeau se compose d’un socle moderne supportant les deux statues couchées d’un chevalier et de sa femme ; les pieds de l’homme sont appuyés sur deux lions adossés ; ceux de la femme, sur deux levrettes ; les mains sont jointes sur la poitrine et deux dais d’architecture très élégante abritent les têtes des gisants.

Le chevalier, de très grande taille, a près de 2 mètres. Il est casqué et revêtu de la cotte de mailles, de son armure et d’un surcot. L’épée est, en partie, recouverte par l’écu aux armes des Mello de Bourgogne : d’or à deux fasces de gueules et un orle de merlettes de même. Ces armes, en partie restaurées, sont à peine distinctes.

La femme a 1m75. Elle est vêtue d’un long surcot serré à la taille par une ceinture. La coiffure est une sorte d’aumusse d’étoffe épaisse.

Entre les deux gisants et des deux côtés, sur un cadre mouluré et fleuronné, sont assises des petites figures de moines en prière, affreusement mutilées, les mains jointes, ou lisant l’office des morts. Cette particularité, bien spéciale à la Bourgogne, se retrouve sur un tombeau du xive siècle dans le chœur de l’église Saint-Thibauld[2](Côte-d’Or) (fig. 78).

Le mausolée est taillé dans la pierre de Tonnerre, calcaire assez tendre, à grain fin, se prêtant admirablement à la sculpture. Mais dans quel déplorable état nous est-il parvenu ? En 1878, un sculpteur, réfugié de la Commune de Paris, avait bien tenté un commencement de restauration qui fut sans grand succès. Tel qu’il est aujourd’hui, ce monument est loin de la somptuosité du décor qui l’encadrait lors de son exécution, au milieu du xive siècle.

Une description des tombeaux de l’abbaye de Fontenay, datant du commencement du xviiie siècle, conservée à la Bibliothèque Nationale, nous donne les noms des défunts et nous apprend que d’autres figures en complétaient magnifiquement la décoration : « Le tombeau qui est dans le sanctuaire, du côté de l’Épître, est de 9 pieds 3 pouces de long. Les figures couchées dessus sont de 5 pieds 8 pouces de longueur. Les figures du Sauveur, qui est à la tête, et de la Sainte Vierge, qui est aux pieds, appliquées contre le mur, de chacune 4 pieds 1/2 de haut. Ledit tombeau a 5 pieds de large ; l’arceau de dessus, 10 pieds de haut, et les pilastres des quatre coins, chacun 13 pieds de haut du côté de la chapelle du Sépulcre. Ce tombeau est du seigneur Mello cadet et de son épouse. Du côté du chœur, les pilastres sont de plus de 20 pieds de haut, et il y a en haut, entre ces pilastres, deux grandes figures : l’une de la Vierge et l’autre d’un Évangéliste[3] ». Il ne reste aucune trace des figures du Christ et de la Vierge, qui se trouvaient adossées au mur, sous l’arceau, sauf quelques arrachements des niches qui les encadraient. Seuls, ont été conservés des fragments des quatre pilastres extérieurs qui encadraient l’arceau et portaient des gables surmontés d’une Vierge et d’un Évangéliste.

M. A. Kleinclausz donne des renseignements très précis sur cette famille de Mello, originaire de Picardie, fort connue en Bourgogne, et dont plusieurs membres furent enterrés dans l’église de Fontenay. Quant au Mello d’Époisses, frère cadet de Guillaume IV ou de Guillaume V de Mello, représenté sur
ABBAYE DE FONTENAY
Ph. L. Bégule.
l’enfermerie                         le dortoir               
ce tombeau, nous savons qu’il vivait pendant le deuxième tiers du xive siècle ainsi que le confirment les détails du costume et de l’architecture.

Sans entrer dans les savantes considérations de M. A. Kleinclausz sur les influences étrangères à l’art bourguignon qui apparaissent dans la sculpture du tombeau de Mello, qu’il rapproche avec raison de l’ancien tombeau de Guillaume de Vienne, à Saint-Seine, nous reconnaîtrons avec lui que, sous Philippe le Hardi, les artistes flamands s’étaient répandus en Bourgogne antérieurement à Claux Sluter, et que « c’est parmi ces ouvriers de la première heure qu’il faut chercher les auteurs inconnus des tombeaux de Fontenay et de Saint-Seine[4]. ».

Ph. L. B.
78. Tombeau de Saint-Thibauld (Côte-d’Or).

Huit grandes pierres tombales et quelques autres fragments ont été conservés et sont actuellement disposés dans le chœur :

Ebrard, évêque de Norwich. Pierre : longueur, 1m85 ; largeur, 0m85 (fig. 3).

HIC : IACET : DOMINUS : EBRARDUS : NORVICENS : EPISCOPUS : QUI :
EDIFICAVIT : TEMPLUM : ISTUD

Revêtu de ses ornements épiscopaux, de l’aube, de la dalmatique, du manipule et de la chape, brodés, coiffé d’une riche mitre, les mains gantées et croisées serrant la crosse sur la poitrine, l’évêque Ebrard est encensé par deux anges placés au niveau de sa tête.

La pierre qui représente le généreux fondateur de l’église de Fontenay est
79. Tombe de Guillaume II.
Sixième abbé de Fontenay (1167-1170).

ornée sur le pourtour d’une belle frise de feuillages en relief : primitivement elle était élevée sur un socle. Elle se trouvait encore, au commencement du xviiie siècle, devant l’autel, au milieu du chœur, non loin de celle d’Étienne, évêque d’Autun[5].

Guillaume II de Montbard, sixième abbé de Fontenay. Pierre : longueur, 1ml5 ; largeur, 0m62 (fig. 79).

..... T . PIE MEMORIE . DOMNUS . GUILLERMUS . SEXTUS . ABBAS . FONTENETI . ET . ANTE .....

Cette pierre tombale est incomplète et ne montre, au centre, que la hampe de la crosse. Elle se trouvait primitivement devant le maître-autel de l’église et fut transportée dans le cloître, où elle fut retrouvée.

80. Tombe de Simon de Rochefort et de sa mère Maguerite.

Simon, seigneur de Rochefort, et sa mère, Marguerite. Pierre : longueur, 2m15 ; largeur, 0m85 (fig. 80).

† HIC IACET NOBILis VIR SIMONDUS RUPIS FORTIS
† ET MARGARITA MATER eius
REQUIESCANT IN PACE AMEN

La partie supérieure de la dalle a été brisée ; au centre, une élégante croix fleuronnée et gemmée, avec un Agnus Dei, terminée par une longue hampe fichée dans l’unique gueule de deux chiens affrontés. Dans le haut, on distingue les traces de deux anges, émergeant des nuées et balançant des encensoirs.


81. Tombe d’Eudes de Frolois.
Eudes de Frolois, sire de Rochefort et de Moulinot, 1308. Pierre : longueur, 2m15 ; largeur, 1m05 (fig. 81).

† CI : GIT : MESIRES : Odes de FroloiS, sire DE Rochefort et de Moullement qui trépASSA : LAN : DE : GRACE : MIL : CCC : ET : le premier jOUR : DE JANVIER : JESus Christ aye LAME : DE LUI : AMEN :


Le défunt, encadré d’une riche architecture, est figuré, les mains jointes, entièrement revêtu de mailles de fer qui ne laissent à découvert que la face. Il porte par-dessus une cotte d’armes, sans manches, et l’épée est attachée au côté gauche.
82. Tombe de Millon de Frolois.
Son chien fidèle est à ses pieds. Ses armes, deux fois répétées dans le haut de l’architecture, ont disparu avec les plaques de cuivre sur lesquelles elles étaient émaillées. Une partie de l’épitaphe est aujourd’hui effacée, mais le texte intégral nous est conservé par une copie du xviiie siècle de la Collection Bourgogne.


Millon de Frolois. Pierre : longueur, 2m15 ; largeur, 0m85 (fig 82).


† HIC : IACET : VIR : NOBILIS Milonis Frolesii cujus, anima requiescat in pace : amen † Credo : quod : Redemptor : meus : vivit : et : in : novissimo : die : de terra surrectur : sum ; et : in : carne : mea : videbo : Deum : salvatorem : meum ; hujus : sponsa : viri : Voluit : SE CONSEPELIRI.

Debout, sous un arc tribolé, le personnage, tête nue, les cheveux bouclés, les mains jointes et les pieds reposant sur un chien couché, est revêtu d’un long surcot. Son épée, dans le fourreau, est placée à sa droite. Dans les angles supérieurs, deux anges sortant d’une nuée balancent des encensoirs.

L’inscription presque totalement effacée peut être reconstituée à l’aide de la copie conservée à la Bibliothèque Nationale. Une deuxième inscription dans l’arcature est illisible.


L. B. del.
83. Tombeau du prieur de Fontenay Jean Petit.

Une sixième pierre tumulaire : longueur 2m10 ; largeur, 1m22 (fig. 84), brisée en deux morceaux incomplets, montre les effigies d’un seigneur et d’une dame, les mains jointes, vêtus de longs bliauds et abrités sous des architectures du xive siècle. L’homme a la tête couverte d’une calotte bordée d’un cercle d’orfèvrerie, et la femme est coiffée d’un béguin qui laisse échapper des mèches de cheveux.

Les inscriptions qui occupent le cadre extérieur ainsi que les trois colonnes sont malheureusement très frustes et ne permettent pas l’identification des défunts.


Une grande pierre tombale en marbre noir recouvrait la sépulture de l’aîné des seigneurs de Mello (longueur, 2m45 ; largeur, 1m15). Il y était figuré avec sa femme sur de grandes plaques de cuivre gravées, émaillées et incrustées dans le marbre. Depuis longtemps, le métal a été arraché, ne laissant que des silhouettes. Cette tombe est actuellement placée dans le chœur, à l’angle nord-est.

Eustochie, parente du roi Edouard d’Angleterre, de l’illustre famille des Lusignan et veuve de Dreux de Mello, morte à Carthage, l’an 1270, voulut reposer à Fontenay où sa tombe fut placée sous le porche à droite de l’entrée. (Pierre : longueur, lm80 ; largeur, 1m10.) Elle portait l’inscription suivante :
84. Tombe de personnages inconnus.
Hic jacet illustris mulier Eustochia, uxor quondam Droconis de Melloto, Edoardi illustris Anglorum regis consanguinea quæ apud Carthaginem migravit ad Dominum, anno Domini 1270[6].

Cette tombe, en marbre noir, incomplète du haut et du bas, était incrustée de cuivres gravés et émaillés, mais le métal a disparu. C’est celle qui se trouve dans l’angle sud-ouest du chœur.

Trois autres tombes, à l’état de fragments, sont encore conservées dans le petit musée lapidaire de l’abbaye.

Dom Jean Petit, prieur de Fontenay. — Pierre : longueur, 0m70 ; largeur, 0m90 (fig. 83).

Petit . de … … Prior . hui(us) . cenobii .
Fonteneti . ϥ . obiit . XXVIII Jullii, 1545
Requiescat . in . pace . Amen .

Le prieur de Fontenay, Dom Jean Petit, était en fonctions sous l’administration du dernier abbé régulier Jacques de Jaucourt, 1530-1547.

Le buste d’un chevalier, encadré par des architectures du xiiie siècle, ne saurait être identifié par le peu qui subsiste de l’épitaphe : Ci git Messire Jehan…. Cependant ses armoiries, gravées près de la tête, rappellent celles des seigneurs de Chastelux : d’azur à une bande d’or, accompagné de 6 billettes de même. Un autre personnage laïque, les mains jointes, dont il ne reste que la partie supérieure du corps, est accompagné d’anges thuriféraires.

Outre les sépultures dont les effigies existent encore, l’église en contenait beaucoup d’autres : quelques-unes sont décrites dans le Recueil de Gaignières ou dans la Collection Bourgogne.

Un dessin à la sanguine de la collection Gaignères, no 3.949, représente la tombe du seigneur de Mailly, 1749. Il est figuré revêtu de la cotte d’armes écartelée au 1er et au 4er de à trois maillets, au 2er et au 3er de à l’aiglette éployée. L’inscription porte : Cy gist Philippe de Mailly, escuier, fils de noble et puissant seigneur messre Claude de Mailly, chevalier seigneur Darceaulx, Darcelot et des Bares d’Oysans qui trespassa au mois d’Octobre M CCCC LXXIX. Pries pr luy (fig. 85).

Les tombes suivantes sont mentionnées dans la Collection Bourgogne, II, fo 261 et suivants.

Ph. L. B.
85. Tombe de Philippe de Mailly, 1739.
(Collection Gaignières)

Un dessin au trait représente un chevalier, les mains jointes, tête nue, vêtu de la cotte de mailles et du surcot, ceint de son épée, les pieds appuyés sur un lévrier (fig. 86). On lit dans le cadre : † Ci : gist : Messires : Iehans : chevaliers jadis : Sires : de : Frolois : nostres : … sires : pour… sa grâce : li ouctroit : vie perdurable : amen. Dans le haut, on voit ses armes : d’azur à trois bandes d’or bordé de gueules.

1310. Semur (Rigaud de), chevalier : Ci gist messire Rigaud, chevalier, sire de Toulses qui trépassa l’an de grâce M CCCX.

1309. Et, sur la même tombe : Ci gist Madame Johanne de Riveve dame de Toulses qui trépassa l’an de grâce M CCCIX. Dieu ait son âme.

1346. Etienne de Grignon, écuyer.

1479. Mailly : Cy gist noble et puissante dame, Madame de Montieni, à son
86. Tombe de Jean de Frolois.

vivant femme de feu noble et puissant seigneur, messire chevalier sire de Mailly qui trépassa à fin d’Octobre M CCCC LXXIX. Priez Dieu pour elle.

Arcey (Guy d’) : Hic jacet nobilis vir Guido dominus quondam Ariciacum qui construxit capellam istam. Anima ejus per misericordiam Dei et Christi nomine requiescat in pace, amen.

1547. Jacques de Jaucourt, dernier abbé régulier de Fontenay, 1530-1547 : Hic jacet venerabilis vir frater Jacobus de Jaucourt, quondam abbas Fonteneti qui obiit IIII Kalend. Mai 1547. Ejus anima requiescat in pace.

La tombe d’un duc et de deux duchesses de Bourgogne nous est conservée par une gravure des plus médiocres[7] accompagnée de la mention suivante : « Tombe d’un duc ou prince de Bourgogne, de Jeanne de France, duchesse de Bourgogne, femme du duc Eudes, quatrième du nom, et de Jeanne de Bourgogne, sœur du duc Philippe de Rouvre et fille de Jeanne de France. Elle est dans l’église de l’abbaye de Fontenay, en la chapelle des ducs de Bourgogne. »

Les personnages, les mains jointes, sont encadrés par des architectures du XIVe siècle, surmontées d’anges aux ailes éployées. Le duc porte, suspendu au ceinturon de son épée, un écu aux armes de Bourgogne.

Ph. L. B.
87. Cloître de Fontenay.
(Côté nord.)
ABBAYE DE FONTENAY
Ph. L. Bégule.
le colombier                         façade de l’église
  1. Institut. capit. gen. cist., dist. X, cap. XXIV.
  2. Ce tombeau ne porte aucune inscription, mais la tradition le désigne comme étant celui du fondateur de l’église du prieuré : Thibauld, fils aîné de Bouchard, baron de Marly, de la noble famille de Montmorency (Viollet-le-Duc), « Église et chœur de Saint-Thibauld » (Annales Archéologiques, t. V). M. Henri Chabeuf reconnaîtrait plutôt la sépulture de Jean II, de Thil, seigneur de Saint-Beury, mort en 1306 (la Côte-d’Or monumentale, p. 59)
  3. Bibl. Nat, coll. Bourgogne, t. LXXIV, fol. 178.
  4. A. Kleinclausz,« les Prédécesseurs de Claux Sluter » (Gazette des Beaux-Arts, juillet 1905). Cf. Alphonse Germain, les Néerlandais en Bourgogne, p. 36, Bruxelles, 1909. Voir également, du même auteur : « l’Art funéraire de la Bourgogne au moyen âge » (Gazette des Beaux-Arts, 1902).
  5. Dom Martène, ouvrage cité, p. 150. — Dom Plancher, Histoire générale et particulière de la Bourgogne, I, p. 314.
  6. Les indications concernant les deux dernières tombes sont fournies par la Collection Bourgogne, III, Bibl. Nat.
  7. Dom Plancher, ouvrage cité, t. II, p. 238.