L’Abbaye de Fontenay et l’architecture cistercienne/4.2

LA SCULPTURE

Ph. L. B.
54. Vierge de Fontenay.
(xiiie siècle)

La sculpture ne trouvait pas grâce, non plus, dans les coutumes cisterciennes, et, pendant que, de toutes parts, dès le début du xiie siècle, les églises, et principalement celles de l’ordre de Cluny, se paraient à l’envi de l’ornementation sculptée la plus riche, la plus exubérante, parfois même singulièrement osée, saint Bernard, dans une apostrophe célèbre[1], s’élevait contre cette abondance de monstres grimaçants, « de singes immondes, de lions farouches, de centaures monstrueux, de guerriers combattants, de quadrupèdes à queues de serpent », qu’il considérait comme des fables grossières, aussi coûteuses qu’ineptes, propres à détourner l’attention des moines dans le lieu saint. Aussi n’avons-nous rencontré dans la sculpture de Fontenay que des chapiteaux dont le décor, emprunté aux motifs végétaux les plus simples, ne se compose que de feuilles plates à côtes faiblement indiquées.

L’abbaye peut cependant revendiquer quelques œuvres de statuaire de premier ordre, mais qui sont d’une époque où la règle, déjà plus tolérante, avait admis dans ses murs des artistes de valeur.

Vierge Mère. Pierre : 2 mètres. Fin du xiiie siècle (fig. 54). — L’église de Fontenay, comme toutes celles de Cîteaux, était placée sous le vocable de la Vierge, en mémoire de la dévotion toute spéciale de saint Bernard pour la reine du Ciel.

La statue de Notre-Dame qui, au xiiie siècle, était présentée à la vénération des religieux, existe encore, malheureusement en dehors de l’abbaye.

Légèrement infléchie sur la jambe droite, Marie, la tête couronnée, porte l’Enfant Jésus sur le bras gauche et la main droite tient un sceptre, aujourd’hui brisé. Sous ses pieds, on distingue un animal assez difficile à identifier. L’Enfant entoure : le col de sa mère de son : bras droit et appuie sur sa poitrine une colombe ; c’est là une mère au port solennel, mais toute gracieuse, jouant avec son enfant. Cette statue était polychromée et on reconnaît encore de nombreuses traces du bleu du manteau.

Malgré les lichens et les mousses qui ont envahi cette admirable figure, exposée aux intempéries dans le cimetière de la commune de Touillon, voisine de Fontenay, on doit la considérer comme une des plus majestueuses productions de la sculpture française.

Lors de la vente mobilière de Fontenay, en octobre 1791, elle fut adjugée au prix de 6 livres.


Retable. Pierre : hauteur, 0m80 ; largeur, 2m50 (fig. 55). — Ce très bel ensemble appartenait probablement au maître-autel de l’église. Il se compose de trois fragments principaux, dont la réunion donne encore une haute idée de ce que devait être cette sculpture, alors qu’elle était dans son intégrité. Ce retable a, malheureusement, subi de graves mutilations, ayant été utilisé comme dallage, la face sculptée noyée dans un sol particulièrement humide. Il se compose d’une scène centrale et de deux groupes de sujets latéraux divisés en deux registres.

Au centre, sous un arc trilobé, la Crucifixion. Au pied de la croix, Marie tombe dans les bras des Saintes Femmes et saint Jean, admirablement drapé, est entouré d’un groupe de soldats. Au-dessus des bras de la croix, deux anges à mi-corps — détail assez particulier — tiennent le soleil et la lune, en partie voilés dans les plis de leurs draperies et, dans les écoinçons, deux têtes feuillagées n’ont qu’une fonction décorative. À droite et à gauche, sous des arcatures plus étroites, deux élégantes figurines apportent au sujet central un complément symbolique, suivant la tradition constante du Moyen Age. À gauche, l’Église couronnée tient à la main l’étendard crucifère. À droite, la Synagogue, très endommagée, n’est reconnaissable qu’à la hampe de sa bannière brisée, qu’on distingue dans la partie supérieure. Des cadres trilobés surmontent ces dernières figures et renferment des groupes de petites figurines merveilleusement ciselées, mais difficiles à identifier.

Ph. L. B.
55. Retable du maître-autel de Fontenay.
(Fin du xiiie siècle)

Le décor des parties latérales se divise en deux séries de trois sujets superposés, encadrés par des quatre-lobes, réunis par des roses épanouies. Les deux médaillons de l’extrémité gauche ont disparu. Le premier à gauche du spectateur est une Nativité, composition bien conforme à la tradition iconographique de l’époque. Marie repose sur un lit de parade, le bras droit gracieusement replié sous la tête, tandis que saint Joseph sommeille, appuyé sur son bâton. Dans le haut, l’Enfant Jésus, dans son berceau, est réchauffé par l’haleine du bœuf et de l’âne. À côté, l’Adoration des Mages ; au-dessus, la Flagellation et le Portement de la Croix.

56. Vierge mère.
(xive siècle)

Les trois scènes du registre inférieur du côté droit sont : la Présentation, la Naissance de la Vierge et son Couronnement. En haut, le premier sujet à gauche montre la Résurrection, ou plutôt le Christ dans sa gloire, assis entre deux anges adorateurs, au-dessus de son tombeau orné d’arcatures dans chacune desquelles un garde est endormi. La Vierge et les Apôtres, témoins de l’Ascension, occupent les deux derniers médaillons.

Exécutée dans un style simple et noble, cette œuvre doit être rapprochée de celles qui décorent les soubassements de la cathédrale d’Auxerre et principalement du portail central, côté nord, qui sont, incontestablement, de la même école et de la même date : fin du xiiie, ou début du xive. La disposition des médaillons en quatre lobes et le caractère de la sculpture rappellent aussi de très près les innombrables bas-reliefs des portails de la Calende et des Libraires de la cathédrale de Rouen et surtout le merveilleux ensemble iconographique du soubassement de la cathédrale de Lyon.

Les trois œuvres suivantes, qui appartenaient à Fontenay avant la Révolution, sont actuellement conservées dans la chapelle du Petit-Jailly.


Vierge. Pierre de Tonnerre : hauteur, 1m60 (fig. 56). — Portant l’Enfant Jésus sur le bras gauche, la Vierge tient un lis de la main droite. C’est une œuvre charmante du plus pur xive siècle, avec tout le maniérisme qui caractérise l’époque, en opposition à l’idéalisme du xiiie siècle. Le visage de Marie, rond, sans grande individualité, est encadré de fortes nattes de cheveux ; le déhanchement est accentué et le manteau, drapé en travers du corps, retombe en plis amoncelés sur la hanche gauche, enroulés comme des feuilles de parchemin. Tous ces caractères sont bien ceux de l’école de sculpture si florissante en Bourgogne dès la fin du xiiie siècle.

Ph. L. B.
47. Devant d’autel.
(Fin du xve siècle)

Un long bas-relief, de 1m50 sur 0m85, utilisé dans le maître-autel de la même

église, représente, en plein relief, la Mise au Tombeau. Au centre, le Christ, mort, est déposé dans le sépulcre par Joseph d’Arimathie et un disciple, en présence des Saintes Femmes qui occupent le fond du tombeau.
58. Ecce Homo.
(xviie siècle)
Au bas du sépulcre, les gardes endormis et, aux deux extrémités, les donateurs, le mari et la femme, à genoux, les mains jointes, en costume de riches bourgeois. Cette sculpture, en parfait état de conservation (fig. 57), vaut surtout par le pittoresque de la composition et la fidélité des détails des costumes, car il s’y trouve de grossières erreurs de dessin et de proportions ; c’est encore une œuvre bien bourguignonne de la fin du xve siècle.

D’après l’abbé Corbolin, ce bas-relief se trouvait dans la chapelle du Saint-Sépulcre de l’église de Fontenay.


Ecce Homo. Pierre : hauteur, 1m10. — Cette sculpture de style classique, non sans valeur, est très probablement du xviie siècle (fig. 58).

  1. Apologia ad Guillelmum, inter Tractatus, cap. i.