L’Abîme (Rollinat)/Requiescat in pace

L’Abîme. PoésiesG. Charpentier et Cie, éditeurs. (p. 278-283).


REQUIESCAT IN PACE


Il faut croire qu’enfin cet homme de mensonge
Purifiera son cœur avant ses derniers jours,
Car, ainsi qu’un remords, un cauchemar le ronge,
Un cauchemar sinistre, et le même toujours !
Voici, de point en point, ce formidable songe :

À l’office d’un trépassé
Indifféremment il assiste,
Quand s’élève ce chant si triste :
Requiescat in Pace.


Il frémit décontenancé,
Et bientôt sur son âme impie
Il sent une angoisse accroupie :
Requiescat in Pace.

Ce lamento noir et glacé
Du fond de l’Église hagarde
A semblé lui crier : « Prends garde ! »
Requiescat in Pace.

Par son trouble il se voit forcé
De s’avouer sans subterfuge
Que dans la tombe il flaire un juge :
Requiescat in Pace.

Alors toujours plus oppressé,
Pénétré d’horreur et de honte,
Il entend pour son propre compte :
Requiescat in Pace.


Dans son délire d’insensé
Il croit que sa vie est dissoute…
C’est à lui qu’on donne l’Absoute… :
Requiescat in Pace.

C’est lui le Mort clos et vissé
Sous ce long couvercle en dos d’âne :
Tout ce qu’il a fait le condamne :
Requiescat in Pace.

Son démérite est là, dressé,
Fantôme entre les cierges blêmes,
Plein de griefs et d’anathèmes :
Requiescat in Pace.

Oh ! trop vil croupit son passé,
Pour que jamais se réalise
Le vœu suprême de l’Église :
Requiescat in Pace.


Il dormait le cœur enlacé
Par la rancune et par l’envie…
La luxure a mangé sa vie :
Requiescat in Pace.

Nuit et jour il a transgressé
Toutes les lois de la justice.
Il pratiquait le Bien… factice :
Requiescat in Pace.

Il avait le vice exercé,
La pitié feinte, l’honneur fourbe,
L’amour tortu, l’amitié courbe :
Requiescat in Pace.

Son égoïsme intéressé
N’était pas même charitable
Avec les miettes de sa table :
Requiescat in Pace.


Son esprit n’a tergiversé
Autant qu’il se le remémore
Que pour vouloir plus mal encore :
Requiescat in Pace.

Et toujours ce chant ressassé
Revient flageller d’ironie
Sa scélératesse finie :
Requiescat in Pace.

L’affreux verdict est prononcé,
Il n’a donc plus qu’à se maudire ;
Car voilà bien ce que veut dire :
Requiescat in Pace.

Que son châtiment commencé,
Rigoureusement s’accomplisse !
En l’Éternité du supplice :
Requiescat in Pace.


— Il se réveille alors aussi froid qu’une pierre
Et, sentant la Peur le serrer,
Il étend ses deux bras comme pour s’assurer
Qu’il n’est pas encor dans sa bière ! —