L’économie politique en vingt-deux conversations/Conversation 13

Traduction par Caroline Cherbuliez.
Établissement encyclographique (p. 130-149).

CONVERSATION XIII.


DU REVENU PROVENANT DE LA CULTURE DE LA TERRE.

Deux capitaux employés sur la terre. — Deux revenus qui en proviennent. — Du capital et des profits du fermier. — De la durée et des termes des baux. — Des dîmes. — Extrait de Paley. — Des propriétaires fermiers de leurs propres terres. — Extrait des voyages de Townsend. — Fermes régies par un administrateur. — Avantage de la richesse des tenanciers. — Système des métayers. — Petites propriétés. — Extrait des voyages d’Arthur Young. — Laiteries suisses. — Petites fermes. — Étendue des fermes dans la Belgique et la Toscane. — Des mines. — Des pêcheries.
CAROLINE.

D’après ce que vous disiez dans notre dernier entretien, je vois que l’agriculture donne deux revenus distincts ; l’un au propriétaire, l’autre au cultivateur de la terre.

MADAME B.

Et elle emploie aussi deux capitaux pour produire ces deux revenus ; l’un pour acheter, l’autre pour cultiver la terre. Un homme qui emploie son argent à acheter une terre devient propriétaire foncier, et obtient un revenu sous forme de rente. Celui qui applique un capital à la culture de la terre devient fermier, et obtient un revenu sous forme de produit.

CAROLINE.

Qu’entendez-vous par le capital du fermier, madame B. ? Je croyais que la terre était le capital d’où provenaient ses profits.

MADAME B.

C’est une erreur. La terre est le capital du propriétaire, et, comme tel, lui donne un revenu ; tout ce que le fermier en obtient provient de la culture, c’est-à-dire, du travail et des dépenses qu’il fait sur le sol. La terre est la machine avec laquelle il fabrique les produits agricoles, et le revenu qu’il en tire est celui du capital employé à faire jouer cette machine. Un fermier a besoin de capital pour payer ses ouvriers, et pour acheter ses fonds de ferme (ses bestiaux, ses chariots, ses charrues, etc.). La terre nue et les bâtiments de la ferme sont les seules choses qu’il prenne à ferme par son bail. Les récoltes pendantes sur terre au moment du contrat se paient à part, et deviennent la propriété du fermier. À moins donc qu’il n’ait un capital pour suffire à ces dépenses, il ne peut pas prendre la terre à ferme.

CAROLINE.

J’avais toujours cru que le produit d’une ferme suffisait à en payer les dépenses ; et je ne puis comprendre comment on peut retirer des profits d’une ferme, si la culture et la rente coûtent plus que ses produits ne peuvent rembourser.

MADAME B.

Ce n’est pas ainsi qu’il faut l’entendre. Le capital du fermier est employé comme un moyen de cultiver sa ferme ; et quand, à la fin de l’année, après avoir payé sa rente, ses ouvriers, et remis ses fonds de ferme en bon état, il se trouve en possession, non-seulement de son capital primitif, mais aussi d’un surplus ou d’un profit, c’est une preuve que la ferme produit plus que ne lui coûtent la rente et la culture. Il en est de même dans tous les emplois de capitaux. Le fabricant, qui les emploie à acheter des matériaux bruts et à payer le travail qui leur est appliqué ; le marchand, dont le capital s’emploie à acheter des marchandises pour les revendre, ne pourraient point se livrer à leurs occupations respectives, s’ils ne commençaient par employer leur capital ; mais il leur revient avec les profits provenant de son emploi. Chacune de ces occupations rapporte plus que l’on n’a déboursé, mais aucune ne peut se passer de capital.

CAROLINE.

Oh ! oui ; je n’ai pas oublié que l’ouvrier produit, pour celui qui l’emploie, plus qu’il ne reçoit à titre de salaire, et c’est ce surplus qui fait le profit du maître. Mais si le fermier n’avait pas de quoi payer les salaires de ses ouvriers, il ne pourrait pas les mettre à l’ouvrage.

C’est donc sur le capital employé par le fermier sur sa terre, que celui-ci calcule ses profits ?

MADAME B.

Supposons qu’un fermier emploie un capital de 3000 livres sterling sur sa ferme : il peut se faire, qu’après avoir déduit la rente et les frais de culture, il fasse un profit de dix pour cent, ou 300 livres sterling.

CAROLINE.

C’est-à-dire, qu’à la fin de l’année il se trouverait plus riche de 300 liv. sterl., qu’il ne l’était auparavant ?

MADAME B.

Pourvu qu’il n’ait dépensé aucune partie de son gain pendant le cours de l’année. Mais comme d’ordinaire sa famille est entretenue du produit de la ferme, il sera à la fin de l’année ou plus riche ou plus pauvre, selon le rapport de son gain à sa dépense domestique. Cette dépense toutefois ne peut pas être considérée comme une déduction faite à ses profits, puisque, de manière ou d’autre, l’entretien de sa famille doit être pris sur son revenu.

CAROLINE.

Et quelle est la rente ordinaire que l’on paie pour une telle ferme ?

MADAME B.

Cela dépend en grande partie de l’étendue et de l’état de la terre. Une ferme considérable dans un bon état de culture, jouissant de l’avantage d’un sol fertile, ne peut pas exiger un capital de plus de 3000 liv. sterl. pour être conduite, tandis qu’une ferme, moins étendue de moitié, mais en mauvais état, et sur un sol ingrat, pourrait exiger autant de capital. Mais pour ces deux fermes on paierait une rente fort différente.

CAROLINE.

Il est clair que la ferme grande et productive doit payer une plus forte rente que celle qui est plus petite et en mauvais état.

MADAME B.

Et la différence de ces rentes égalisera les profits que ferait un fermier en versant sur chacune de ces fermes un même capital. Par une moyenne de culture, une ferme qui exige un capital de 4 000 liv. sterl. peut payer une rente d’environ 200. sterl. ; la part du fermier étant à peu près le double de celle du propriétaire.

CAROLINE.

Vous m’avez dit dans notre dernier entretien qu’on avait récemment estimé la rente de la terre seulement à un cinquième du produit. Une ferme telle que celle dont vous parlez, donnerait donc un produit de 1 000 liv. st. ; et dans ce cas les profits du fermier seraient quatre fois aussi grands que ceux du propriétaire ?

MADAME B.

Vous oubliez que du profit total, il faut déduire, non-seulement la rente, mais aussi les frais de culture ; ceux-ci sont généralement estimés à une moitié du produit, déduction faite de la rente ; il restera donc 400 liv. sterl. ; ce qui est un profit de dix pour cent sur le capital employé dans cette ferme. Si, sur cette somme, le fermier fait une épargne de 50 liv. sterl., il peut l’employer à améliorer sa terre, ce qui lui vaudra un produit plus abondant l’année suivante ; le bénéfice qui en résultera sera en entier pour lui, puisque la rente reste la même jusqu’à la fin de son bail.

CAROLINE.

Mais au renouvellement du bail, le propriétaire apparemment demandera une plus forte rente pour sa terre ainsi amendée ?

MADAME B.

Sans contredit ; et par cette raison, il est à désirer que les baux à ferme ne soient pas faits à termes courts ; car avec de tels baux, les fermiers n’auraient pas de motifs à faire des améliorations sur leurs terres, puisqu’ils n’auraient pas un certain nombre d’années pour en jouir.

CAROLINE.

Mais vers la fin du bail, cette objection demeure dans toute sa force ?

MADAME B.

Oui ; mais pour la prévenir, les fermiers obtiennent généralement le renouvellement de leur bail, quelque temps avant que le terme en soit expiré. Il serait d’ailleurs contre les intérêts du propriétaire de traiter à cet égard ses tenanciers trop durement, puisque ce serait les décourager de rien entreprendre pour l’amélioration de leurs terres ; avantage que tôt ou tard le propriétaire partage.

Dans les comtés de Stafford, de Nottingham et ailleurs, il n’est pas d’usage de faire des baux ; les tenanciers tiennent leurs fermes au bon plaisir du propriétaire. Il y a toutefois une sorte de convention entre les parties, de ne pas renvoyer le fermier tant qu’il se conduit bien, et de ne pas changer la rente pendant un certain nombre d’années. Quelques personnes croient cet arrangement préférable à un bail fixe, parce que, disent-elles, l’industrie du fermier est excitée par l’espérance et par la crainte ; l’espérance du gain que lui doit procurer son travail, et la crainte d’être renvoyé s’il néglige sa ferme. Mais en raisonnant ainsi, on ne songe pas que la crainte peut agir ici de deux façons ; car plus le fermier améliore, plus le propriétaire, s’il n’est pas libéral, peut être tenté de le renvoyer ou de hausser sa rente. En un mot, rien n’arrête plus les progrès de l’industrie, que le défaut de sûreté dans les profits qu’elle donne ; et comment un fermier peut-il regarder ses profits comme assurés, lorsqu’il dépend, pour les obtenir, de la volonté du propriétaire ?

CAROLINE.

En outre, quelque confiance qu’un fermier puisse avoir dans le caractère personnel de son propriétaire, il doit songer à l’incertitude de la vie, qui peut le mettre dans la dépendance d’un héritier. Celui-ci peut bien être un jeune dissipateur, qui, sans égard à son intérêt éloigné, exigera de ses tenanciers la plus forte rente.

MADAME B.

La sécurité est sans contredit le point le plus important pour l’encouragement de l’industrie ; et le plus grand, ou plutôt le seul encouragement, que le gouvernement puisse donner à l’agriculture, est de faire jouir le fermier, sur sa terre, de toute la puissance nécessaire pour la mettre en parfaite culture, et de lui assurer pleinement les profits de toutes les améliorations qu’il y fera. Je veux vous lire, à ce sujet, un morceau de Paley :

« Le principal moyen d’encourager l’agriculture par les lois est de soumettre celles sur la propriété aux deux règles suivantes ; 1o donner à celui qui occupe une terre toute la puissance sur cette terre, qui est nécessaire pour une parfaite culture ; 2o laisser le profit entier de chaque amélioration aux personnes par qui elle a été faite.

Du reste il est indifférent au public que cette puissance sur le sol soit en telle ou en telle main, pourvu qu’on en fasse un bon usage ; il importe peu à qui la terre appartient, pourvu qu’elle soit bien cultivée.

L’agriculture est découragée par tout établissement de propriété foncière, en vertu duquel ceux qui ne prennent aucune part aux améliorations sont appelés à en partager les profits. Cette remarque s’applique à toutes les coutumes, qui, soit à la mort du seigneur ou du tenancier, soit au moment où la terre est aliénée, soumettent le propriétaire à une amende proportionnée à l’augmentation de valeur produite par l’amélioration de la terre. Mais, de toutes les institutions qui nuisent de cette manière à la culture et aux améliorations, il n’y en a point de plus pernicieuse que la dîme. Quand des années de travail et de soin ont amené une amélioration à son point de maturité, quand le cultivateur voit ses nouvelles récoltes répondre à son active industrie, au moment d’y porter la faucille, il est appelé à la partager avec un étranger. La dîme est une taxe, non-seulement sur l’industrie qui nourrit les hommes, mais sur l’espèce de travail que les lois doivent le plus encourager. »

CAROLINE.

Il est en effet bien à regretter que les sommes nécessaires à l’entretien du clergé ne puissent pas être levées par quelque autre voie.

MADAME B.

Puisque tout droit de propriété dérive d’une institution légale, le clergé a le même droit à ses dîmes, que le propriétaire foncier à sa terre. Mais cette loi pèse si durement sur le cultivateur, qu’il y a, je crois, peu de membres du clergé qui lèvent leurs dîmes dans toute l’étendue de leurs droits. Ils ne peuvent le faire sans s’exposer à la malveillance et sans éprouver quelque opposition de la part de leurs paroissiens. Combien doit être défectueuse une institution, qui prive un homme du fruit de son travail, et qui ne permet pas à un autre de recevoir sans inquiétude ce que la loi lui donne !

Les dîmes sont une portion du surplus du produit agricole, destiné à l’entretien du clergé. On doit donc les considérer comme une partie de la rente ; car si le fermier ne payait pas la dîme au recteur de sa paroisse, la rente qu’il paie au propriétaire croîtrait en proportion ; et en effet les terres franches de dîmes paient toujours une plus forte rente.

Ne serait-il donc pas mieux que le fermier payât la dîme sous forme de rente à son propriétaire, qui la transmettrait à l’ecclésiastique à qui elle appartient ? Les dîmes alors se proportionneraient à la rente, et non au produit annuel de la terre. Par un règlement de cette espèce, le clergé saurait sur quel revenu il peut compter, et le fermier n’aurait pas le chagrin de voir un autre que lui recueillir une partie du fruit de son travail. Ce règlement tarirait une source de malveillance et de disputes entre les ecclésiastiques et leurs paroissiens, il préviendrait une opposition d’intérêts également nuisible à la morale et à la religion ; il ferait disparaître ce constant obstacle à l’industrie qui, dans la manière actuelle de lever la dîme, se fait péniblement sentir.

CAROLINE.

Un tel changement serait certainement avantageux à toutes les parties intéressées.

Puisqu’il est si fort à désirer pour le cultivateur d’avoir, sur sa terre, une puissance illimitée, j’aurais cru fort avantageux aux propriétaires fonciers de cultiver eux-mêmes leurs terres au lieu de les mettre à ferme ; et cependant on observe communément que les hommes d’une classe supérieure à celle des simples cultivateurs sont ceux qui font le moins de profits en se livrant aux travaux de l’agriculture. Cela est d’autant plus singulier qu’étant à la fois propriétaires et fermiers, ils perçoivent les deux revenus compris dans le produit de la terre, la rente et les profits.

MADAME B.

Mais n’oubliez pas qu’ils emploient aussi deux capitaux, l’un pour acheter la terre, l’autre pour la cultiver. La raison pour laquelle les hommes d’une classe supérieure qui cultivent leurs propres terres font moins de profits que les fermiers ordinaires, et qu’ils n’entendent pas aussi bien leur métier, ou qu’ils y donnent moins d’attention. Un fermier ordinaire donne communément tout son temps à sa ferme soit comme inspecteur soit comme ouvrier. Un fermier d’un rang supérieur ne gagne point de salaires, et abandonne presque toujours à un substitut l’important office d’inspecteur. S’il fait d’aussi bonnes récoltes que le fermier ordinaire, il les fera à plus grands frais, et son gain sera réduit en proportion. Quant à la rente, comme il la reçoit à titre de propriétaire, elle doit être comptée à part.

CAROLINE.

Ainsi le produit agricole du pays serait probablement plus grand, si les hommes d’une condition supérieure à celle des fermiers ordinaires mettaient leurs terres à ferme, au lieu de se faire leurs propres fermiers.

Madame B.

Au contraire, il est, je crois, à désirer qu’un petit nombre d’hommes de cette classe, répandus en différentes provinces, cultivent eux-mêmes leurs terres. Comme ce sont en général des hommes plus instruits que les fermiers ordinaires, ils sont plus enclins à faire des expériences, à adopter les nouvelles méthodes qui, dans les divers travaux d’agriculture, promettent quelque succès. D’ailleurs la terre est souvent mise en meilleur état par le propriétaire, que par un fermier ordinaire, parce qu’il a le plus souvent l’avantage de pouvoir y verser plus de capitaux, et qu’il ne craint pas, en améliorant, de se voir obligé de payer une plus forte rente.

Townsend, dans son Voyage en Espagne, a fait quelques observations judicieuses sur les cultivateurs de cet ordre :

« En résidant sur leurs terres, dit-il, non-seulement ils dépensent, parmi leurs tenanciers, de l’argent, qui en circulant anime tout et produit une nouvelle richesse, mais ils s’amusent à faire des améliorations. En plantant, desséchant, rompant des terres en friche, ils tentent de nouvelles expériences, que leurs tenanciers n’auraient pu hasarder, et qui, si elles réussissent, sont bientôt adoptées par leurs voisins. Ils introduisent les meilleures races de bestiaux, les meilleurs instruments d’agriculture, les meilleures méthodes ; ils excitent l’émulation, font réparer les routes, assurent une bonne police aux villages qui les entourent. Leur présence empêche que leurs tenanciers ne soient à la merci de leurs intendants. Ils encouragent les sobres, les habiles, les diligents ; et se débarrassent de ceux qui surchargent inutilement leurs terres. Leurs fermiers, de leur côté, trouvant un marché tout prêt pour les produits du sol, deviennent riches, et par cette augmentation de biens rendent la terre de plus en plus productive. »

CAROLINE.

Tant d’avantages me frappent, et je commence à croire que, si tous les propriétaires cultivaient eux-mêmes leurs terres, le pays s’en trouverait bien ; car quoiqu’ils n’y gagnassent pas, les améliorations et les progrès de la science agricole seraient un profit général.

MADAME B.

Un petit nombre de cultivateurs de cet ordre suffit à la science. Si c’était un usage établi que les propriétaires fussent leurs propres fermiers, je crois que le produit agricole en souffrirait ; car ni l’étendue du capital, ni la science, ne peuvent en général compenser la vigilance et la sagacité d’un fermier laborieux, sans cesse attentif à faire en sorte que tout donne un bénéfice.

CAROLINE.

Je suggérerais l’idée d’une espèce de milieu entre ces deux méthodes. Un propriétaire pourrait ne point donner à ferme et ne point être son propre fermier, mais employer un agent, dont le salaire serait proportionné au produit qu’il obtiendrait de la terre.

MADAME B.

C’était à peu près ainsi, je crois, que les fermes des nobles étaient tenues par leurs vassaux, à l’époque où ceux-ci commencèrent à sortir d’esclavage, et où les services militaires cessèrent de paraître, comme aux temps de la féodalité, une rémunération suffisante pour la concession du sol. Donner au cultivateur une part dans le produit est certainement un aiguillon d’industrie ; mais il est beaucoup moins puissant que la sécurité et l’indépendance d’un fermier à bail, qui, après avoir payé une rente stipulée, jouit en entier du fruit de son travail.

Townsend nous apprend que la plupart des grandes terres en Espagne sont en régie, c’est-à-dire, qu’elles sont tenues par des agents ou intendants pour le compte du propriétaire ; et c’est principalement à cette cause qu’il attribue le mauvais état de l’agriculture. « Aucun pays, dit-il, ne peut souffrir plus que l’Espagne du manque de riches tenanciers, et peut-être à cet égard aucun n’égale l’Angleterre. On observe universellement que la richesse produit la richesse ; mais pour l’obtenir de la terre, il faut que le fermier en ait déjà beaucoup. Plusieurs hommes d’une classe supérieure, ou par amusement ou en vue du gain, s’appliquent parmi nous à l’agriculture et occupent une grande étendue de terres. Ils ont obtenu de riches récoltes et introduit de bonnes méthodes de culture ; mais je crois que très-peu d’entr’eux peuvent se vanter d’avoir fait de grands profits, et plusieurs avouent franchement qu’ils ont fait quelques pertes. Puis donc que résidant sur leurs propres terres et y donnant toute leur attention ils y perdent, combien n’y perdraient-ils pas davantage, si, dans des provinces éloignées, ils se contentaient d’employer des intendants pour labourer, semer, vendre et consommer le produit de leurs terres. »

Il y a cependant dans les climats plus chauds que l’Angleterre, des produits dont les fermiers n’oseraient pas entreprendre la culture pour leur propre compte, et que les propriétaires craindraient de leur confier sans réserve. Tels sont la vigne et les oliviers. Ces plantes demandent beaucoup de soin et une attention vigilante pendant plusieurs années avant de donner du fruit ; or les fermiers sont rarement assez opulents pour s’engager dans un genre de culture dont les profits sont si tardifs. D’un autre côté, on peut nuire essentiellement à ces végétaux en leur faisant produire du fruit trop tôt et en trop grande abondance ; et comme le fermier pense moins à l’avenir qu’au présent, on craindrait de le laisser maître de hâter indiscrètement ses profits. De là vient que la vigne et les oliviers sont cultivés à moitié frais et à moitié profits par le propriétaire et le fermier. Celui-ci prend alors le nom de métayer. Ce système de culture était autrefois pratiqué fort généralement sur le continent pour les produits de tout genre. Il prévaut encore en Italie, où la terre est tellement subdivisée, que souvent un métayer, réduit à vivre du produit de trois ou quatre acres, ne jouit pas de beaucoup plus d’aisance qu’un de nos simples manouvriers d’Angleterre. En France et en Suisse, ce système est borné presque exclusivement à l’olivier et à la vigne. Mais quelque convenance qu’il puisse y avoir à l’adopter pour certaines cultures particulières, la méthode usitée en Angleterre, qui consiste à mettre les terres à ferme, me paraît plus avantageuse non-seulement au fermier, mais aussi, en dernier résultat, au propriétaire, qui par-là peut obtenir la plus forte rente pour la terre la mieux cultivée ; et comme elle donne le plus grand produit, elle est aussi la plus avantageuse pour le pays. En Espagne, cette méthode ne peut être adoptée faute de riches tenanciers. La richesse y est principalement possédée par la noblesse et le clergé. Il n’y a point d’yeomen, c’est-à-dire de fermiers qui cultivent leurs propres fonds ; ceux qui composent la classe moyenne sont en petit nombre, et tellement destitués de capital, qu’ils sont hors d’état de prendre une terre à ferme.

CAROLINE.

J’ai souvent désiré que la propriété de la terre fût plus subdivisée dans notre pays. Qu’il serait doux de voir chaque cabane entourée de quelques acres appartenant à celui qui l’habite ! Cela le mettrait en état d’avoir une vache, quelques cochons, et de nourrir, en partie au moins, sa famille du produit de sa petite ferme. Vous rappelez-vous les vers de Goldsmith ? « Il fut un temps, avant que les maux de l’Angleterre eussent commencé, où chaque quart d’arpent nourrissait un homme : mais aujourd’hui, hélas !… le long des prairies, où s’élevaient des hameaux répandus çà et là, reposent une richesse gigantesque, une pompe incommode, et tous les besoins qu’entraîne le luxe[1]. »

MADAME B.

Voici un passage des Voyages en France d’Arthur Young, où cette question me semble très-bien discutée.

CAROLINE lit.

« Je n’ai rien vu de respectable dans les petites propriétés, si ce n’est une activité sans relâche. Il faut ici que mes lecteurs se pénètrent de cette vérité, que, dans un très-grand nombre de cas, j’ai trouvé l’agriculture aussi mauvaise qu’on puisse l’imaginer, mais que l’activité laborieuse des propriétaires m’a paru si remarquable et si méritoire, qu’on ne peut en faire trop d’éloge. Cela prouve assez que la propriété du sol est l’aiguillon le plus pressant à un travail rude et soutenu. C’est une vérité frappante et si généralement applicable, que, pour mettre au labour le sommet d’une montagne, le moyen le plus sûr est de permettre aux villages voisins d’en acquérir la propriété. C’est ce qu’on voit en Languedoc, où les villageois ont porté, sur leurs dos, dans des hottes, au haut de leur montagne, de la terre propre à la culture, que la nature leur avait refusée. »

MADAME B.

La terre, trop pauvre pour donner une rente peut suffire à récompenser le propriétaire qui la cultive ; c’est donc uniquement la propriété qui, sur de tels sols, peut maintenir la culture. — Continuez.

CAROLINE lit.

« Mais dans les petites propriétés, il résulte de grands inconvénients de la division sans fin, qui a lieu à la mort du propriétaire. J’ai vu, par exemple, de grandes fermes de 40 ou 50 acres réduites de la sorte à un demi-acre, avec une famille, qui y était autant attachée que si elle avait été de cent acres. La population que produit cette extrême division n’est souvent qu’une multiplication de misère. Les hommes croissent en nombre au delà de ce qu’en demandent les villes et les manufactures ; la suite de cet ordre de choses est l’extrême détresse et la mortalité causée par les maladies qu’amène le défaut d’une bonne nourriture. Voilà comment les propriétés trop divisées deviennent une source féconde de malheur et de misère.

» En Angleterre les petites propriétés sont singulièrement rares. Nos pauvres qui travaillent ont avec raison l’ambition de devenir propriétaires de leur cabane, et du petit morceau de terre qui en fait le jardin ; mais il est très-rare qu’ils songent à acheter assez de terre pour employer leur activité. Un homme chez nous, qui a deux ou trois cents livres sterling, n’achète pas un champ, mais des fonds pour une ferme. Dans toutes les parties de l’Angleterre que j’ai visitées, il n’y a point de comparaison entre le sort d’un ouvrier à la journée et celui d’un très-petit fermier. Personne n’a une vie plus dure et ne travaille plus mal que ce dernier. Il n’y a point de travail plus cher et plus misérablement exécuté que celui d’un homme qu’on loue pour le faire, tandis qu’à l’ordinaire il travaille pour lui-même. Il y a chez lui un sentiment de dégoût et une faiblesse d’attention, qui ne peuvent échapper à un observateur exercé ; la détresse seule peut engager ces petits propriétaires à travailler pour les autres. Peut-il y avoir rien de plus absurde en apparence, que de voir un homme fort et dispos faire quelques milles et perdre un jour pour vendre une douzaine d’œufs ou un poulet, dont la valeur ne paierait pas le transport, si les hommes étaient utilement employés ? »

CAROLINE.

Cela me rappelle une pauvre femme en Savoie, qui possédait quelques vaches dans les montagnes, à deux ou trois lieues de Genève. Comme elle n’avait pas d’autre marché pour son lait, elle le portait chaque jour à cette ville pour le vendre ; la plus grande partie de son temps se passait sur le chemin ; elle l’aurait sûrement mieux employé, si elle avait été laitière de quelque bon fermier, qui aurait eu assez de lait pour en faire du beurre ou du fromage, et l’aurait envoyé vendre en gros au marché.

MADAME B.

L’inconvénient dont vous parlez a été prévenu, ces dernières années, en plusieurs villages de Suisse et en particulier dans le voisinage de Genève, par l’établissement d’une espèce de laiterie publique, dont l’idée, à ce qu’on m’a dit, est originaire des plaines de Lombardie. Chaque fermier du voisinage porte à ces laiteries, connues sous le nom de fruitières, sa provision journalière de lait, qui y est convertie en beurre et en fromage, et lui est rendue sous cette forme, l’établissement ne retenant que ce qui est nécessaire pour en payer les frais.

Il y a, dans les montagnes de Suisse, des laiteries considérables, mais qui, pour l’ordinaire, sont des propriétés particulières ; le propriétaire d’un pâturage de montagne loue communément des vaches des fermiers voisins, qu’il paie le plus souvent en produits de sa fabrique de laitages.

Les petites propriétés de terre sont extrêmement communes en Suisse. Elles occupent la plus grande partie du canton de Vaud, et ne semblent pas y avoir les suites fâcheuses qu’A. Young leur attribue ; car le pays y est bien cultivé, et la propriété foncière n’y est pas soumise à cette division extrême qui est une source de misère.

CAROLINE.

J’ai entendu dire à un homme récemment revenu de France, que trois domestiques, qu’il avait pris à Marseille, avaient été tous trois des propriétaires de terres ; mais que la part héréditaire de chacun d’eux était si petite, qu’ils l’avaient vendue à d’autres membres de leurs familles, pour se faire domestiques.

MADAME B.

Quand une cause de cette nature, ou toute autre, prévient l’extrême division de la propriété foncière, la principale objection à laquelle les petites propriétés donnent lieu n’a plus de force ; et le désavantage, résultant du manque de capital, peut être compensé en grande partie par le stimulant que donne à l’industrie l’esprit de propriété. Ce système est peut-être plus propre aux pays de montagnes, où il faut les plus forts motifs pour porter les hommes à grimper les rochers, dans le but de cultiver quelque petit morceau de terre qui s’y trouve favorablement placé.

CAROLINE.

J’ai ouï dire, que la condition des classes agricoles inférieures en France avait été fort améliorée par la vente des domaines nationaux au commencement de la révolution ; que cette vente avait permis aux petits fermiers et paysans de devenir propriétaires de terres, et de cultiver leurs propres champs ; en un mot, que cette division de la propriété avait été très-avantageuse pour eux, tellement que, malgré tous les maux qu’ils ont soufferts depuis, ils sont encore dans un état prospère et qui tend à s’améliorer. Cela ne semble pas d’accord avec les principes d’Arthur Young ?

MADAME B.

Par la vente des domaines nationaux, de très-petits propriétaires, dont la terre suffisait à peine à l’entretien de leur famille, purent agrandir leurs fermes. Par-là furent prévenues les suites fâcheuses d’une extrême subdivision du sol. Mais il faut se souvenir, qu’au commencement de la révolution française, les lois restrictives et oppressives, qui arrêtaient les progrès de toutes les espèces d’industrie, furent abolies. Les entreprises agricoles furent en conséquence poussées avec plus de vigueur. Puis, la vente des terres confisquées, à une époque où la possession en paraissait fort mal assurée, les mit à si bas prix, qu’il devint presque aussi facile d’acquérir une terre en France qu’en Amérique, avec cet avantage de plus que ces terres étaient déjà en état de culture. Toutes ces circonstances concoururent à améliorer la condition des petits propriétaires de terre. Le désir d’amasser quelques capitaux, pour les verser sur leurs nouveaux domaines, leur a fait acquérir des habitudes de travail et d’économie, qui sont, pour tout pays, un véritable trésor. Ces petits capitaux qui se forment en France seront sans contredit pour elle une source de prospérité ; mais comme la loi française partage entre tous les enfants, par portions égales, la propriété foncière d’un homme qui meurt sans tester, il est probable, qu’avec le temps, la division de la propriété du sol sera poussée jusqu’au point qui a de si pernicieux effets.

CAROLINE.

Y a-t-il les mêmes objections aux petites fermes qu’aux petites propriétés ?

MADAME B.

À peu près. Ce ne peut être que la pauvreté, qui engage un homme à prendre une très-petite ferme ; et un fermier pauvre ne peut pas faire les sacrifices qu’exige une bonne culture. Les profits que fait un gros fermier le mettent en état d’entreprendre des améliorations ; ceux du petit fermier s’emploient à l’entretien de sa famille ; sa terre est en conséquence mal cultivée, et il a peu ou point de surplus à envoyer au marché.

J’ai vu un exemple du désavantage des très-petites fermes dans une visite que je faisais à un grand propriétaire foncier du Hampshire. Il me fit remarquer un champ, où il avait un grand nombre d’ouvriers occupés à labourer et à semer des turneps, et me montra en même temps un homme dont l’extérieur annonçait beaucoup moins d’aisance. « Cet homme, » me dit-il, « a pris ce seul champ à ferme et demeure dans cette misérable cabane que vous voyez à l’extrémité du champ. Les simples ouvriers sont mieux nourris et mieux habillés que lui, parce qu’il gagne moins à sa ferme qu’eux à leurs journées. Comme il n’a pas de quoi entretenir un attelage pour labourer son champ, et qu’il ne sait où trouver des moutons pour manger les turneps, qui forment la seconde récolte dans l’ordre de ses assolements, il se disposait à laisser sa terre en jachère, lorsque je lui proposai de me charger de labourer et semer, à condition que mes moutons mangeraient les turneps sur place, ce qui lui servirait d’engrais et ferait que son champ lui serait rendu en meilleur état que s’il le laissait en jachère. Il consentit à cet arrangement, et nous y gagnons tous deux. »

CAROLINE.

Et le pays profitera du gain de l’un et de l’autre ; car les moutons seront engraissés par des turneps, qui, sans ce traité, n’auraient pas été produits ; et la prochaine récolte du fermier sera plus abondante, à cause de l’engrais que la terre aura reçu.

Mais quelles sont les fermes que vous supposeriez être les plus avantageuses à un pays ?

MADAME B.

Cela doit singulièrement varier, à raison de la situation locale, de la nature du climat et du sol, et du capital du fermier. Dans la Belgique, qui passe pour un des pays les mieux cultivés de l’Europe, les fermes, par une moyenne, sont d’environ 40 acres ; en Toscane, autre pays remarquable par son excellente culture, elles sont rarement de plus de 10 ou 15 acres, et toutes dans le système des métayers ; mais dans ce climat favorisé, les champs donnent de si abondantes récoltes, que le produit diffère de celui d’une ferme belge bien moins qu’on ne pourrait croire à en juger par leur étendue.

En Angleterre il y a, à ce qu’il me semble, une grande prédilection pour les très-grandes fermes. S’il fallait à cet égard avoir une opinion, je dirais qu’une ferme ne doit jamais être si vaste que le fermier ne puisse plus l’inspecter en entier par lui-même ; ni si bornée, qu’elle ne puisse suffire à tous les fonds nécessaires pour la mettre dans le meilleur état de culture. Mais c’est là un point que l’on peut en toute sûreté abandonner à lui-même. Je ne crains pas que ce pays-ci puisse souffrir de la différence d’étendue des fermes ; car il y a fort peu de petites propriétés foncières ; et comme il est de l’intérêt du propriétaire de tirer de sa terre le meilleur revenu, il la mettra à ferme par portions de telles grandeurs qu’il jugera les plus propres à remplir ce but. À un fermier opulent, il remettra une grande ferme, et refusera même un seul champ à celui qui, manquant de ressources, épuiserait sa terre au lieu de l’amender.

Les avantages des grandes fermes ont été si bien présentés dans un des derniers numéros du Journal d’Édimbourg, que je crois devoir vous lire ce morceau :

« Il est très-clair que quelques-unes des inventions mécaniques les plus utiles n’auraient jamais pu devenir d’un usage général, s’il n’y avait jamais eu de fermes de plus de 100 ou 150 acres ; qu’aucune amélioration n’aurait pu se faire dans les races de nos bestiaux ; que la division du travail serait restée encore plus imparfaite qu’elle ne l’est actuellement, et que l’accumulation de travail que nécessite en certains moments le besoin d’accélérer l’ouvrage aurait été encore plus difficile ; que l’on n’aurait pas pu se conformer à cet arrangement systématique, par lequel chaque différente qualité de terrain est appelée à produire les récoltes et à nourrir les animaux auxquels elle est le plus propre ; qu’il aurait été presque impraticable de suivre cette agriculture des assolements, qui, en combinant, sur une même ferme, les pâturages avec les terres labourées, contribue si puissamment à maintenir et accroître la fertilité du sol ; que le surplus du produit, destiné à l’entretien des villes, aurait été en tout temps peu considérable ; qu’à cause de la pauvreté des petits tenanciers, il aurait été porté au marché en trop grande abondance au commencement de la saison, au lieu de se distribuer convenablement sur toute l’année ; et que dans les mauvaises années il n’y aurait point eu de surplus : en un mot, il est clair que, comme aucun homme entreprenant et possédant de forts capitaux ne se serait livré à l’exercice de cet art, nos marais, nos terres inondées, et en général tous nos terrains de qualité inférieure, seraient restés dans leur état naturel, ou n’auraient été amendés que partiellement et d’une manière très-peu profitable sous l’inspection de ceux à qui quelques grands propriétaires en auraient confié le soin. »

Il est bien temps, je pense, de finir sur ce sujet et de dire un mot des mines. J’ai placé cette branche d’industrie immédiatement après l’agriculture, parce qu’elle a avec elle ce rapport, qu’elle donne une rente.

Les mines, ainsi que les terres, donnent généralement une rente au propriétaire, en même temps que l’entrepreneur en obtient des profits, à raison du capital qu’il emploie à les exploiter. Les mines de charbon, malgré le grand secours qu’elles tirent des machines, font travailler des ouvriers au nombre de plusieurs centaines de mille, qui y gagnent leur vie, outre les profits de celui qui les emploie et la rente payée au propriétaire. Cette rente même est en général plus forte que celle de la terre en culture, parce que le produit des mines de charbon a plus de valeur que celui du sol.

CAROLINE.

Les mines des métaux sont, je pense, encore de plus grande valeur ?

MADAME B.

Oui, et la rente en est proportionnellement plus grande ; mais les profits des capitalistes qui les afferment, et les salaires des ouvriers qui y travaillent, ne sont pas plus considérables. Cependant comme la valeur d’une mine ne dépend pas moins de la quantité que de la qualité du métal qu’on en tire, il arrive souvent qu’une mine de plomb donne une plus forte rente qu’une mine d’argent. Les frais d’exploitation sont moindres pour les mines de charbon que pour celles de métal. Le charbon n’exige que le travail de l’extraire du sein de la terre ; mais pour les métaux, il faut un travail plus compliqué ; il faut les séparer du minerai par le feu du fourneau, et par divers procédés de l’art.

Le risque et l’incertitude sont plus grands dans le travail des mines que dans tout autre emploi du capital ; on y fait aussi de plus grandes fortunes et il y a plus de gens qui s’y ruinent, que dans aucune autre branche d’industrie.

CAROLINE.

La chance de gain compense le risque de la perte ; mais apparemment qu’en tout les profits sont semblables à ceux que donnent les autres emplois du capital ?

MADAME B.

Je suis portée à croire les profits des mines un peu inférieurs au taux commun. Dans toutes les entreprises hasardeuses, les hommes sont disposés à se fier à leur bonheur, en envisageant les chances comme leur étant plus favorables que ne les donne un calcul exact. C’est ce que prouve la facilité avec laquelle ils hasardent leur argent à la loterie, quoiqu’il leur soit connu que les chances sont décidément contr’eux. Une mine est une loterie certainement plus avantageuse que celle du gouvernement, mais elle contient un nombre prodigieux de billets blancs et un petit nombre de gros lots. De grandes et vives espérances tiennent en quelque sorte lieu de gains actuels. Si cependant les profits moyens des mines venaient à tomber au point de décourager les entreprises et de diminuer la fourniture de métaux qui est requise, le prix des métaux hausserait jusqu’au point nécessaire pour ramener à cette branche d’industrie le capital qui peut suffire à la mettre en activité.

J’ai fait mention des pêcheries comme étant une source d’emploi pour les capitaux, et un moyen d’en tirer un revenu. Il y a de très-grands capitaux employés dans la pêche de la baleine, de la morue et des harengs, outre les capitaux moindres qui fournissent au pays le poisson frais. Mais comme les mers, dans lesquelles se font ces pêches, ne sont pas susceptibles de devenir une propriété particulière, elles ne donnent aucune rente. Il y a cependant quelques pêcheries considérables dans les rivières de l’intérieur, qui appartiennent à des particuliers et leur rapportent une rente, il n’y a pas moins de quarante et une différentes pêcheries de saumon sur la rivière Tweed, dont la rente est de plusieurs milliers de livres sterling par an ; et je sais que le Duc de Gordon donne à ferme une pêcherie de saumon sur la Spey, pour 7 000 liv. st. par an. Dans les pêcheries d’Écosse, il est très-commun de prendre d’un coup de filet quatre-vingts ou cent saumons. Il y a aussi en Angleterre des pêcheries de saumon considérables dans la Tyne, la Trent, la Saverne et la Tamise.

Nous avons déjà dit un mot de la manière dont on tire un revenu des manufactures ; ce que nous avons à ajouter sur cette branche d’industrie doit être renvoyé au moment où nous parlerons du commerce, qui se lie naturellement avec ce sujet.

CAROLINE.

Sera-ce l’objet dont nous nous occuperons dans notre prochain entretien ?

MADAME B.

Non ; nous avons encore à faire sur le revenu plusieurs remarques générales. Et il faut aussi, avant de diriger votre attention sur le commerce, que vous entendiez la nature et l’usage de la monnaie. Sans cette connaissance préalable, il serait fort difficile que cet autre sujet vous fût présenté avec une pleine clarté.


  1. A Time there was, e’er England’s griefs began
    When every rood of ground maintain’d its man :
    But now alas !…
    Along the lawn where scatter’d hamlets rose,
    Unwieldy wealth and cumb’rous pomp repose,
    And every want to luxury allied.