Augustin Côté & Cie (p. 39-45).

VI

Fief de Beaulieu


Site superbe — L’Arbre sec — La S. Joseph, feu d’artifice — Gourdeau de Beaulieu et Éléonore de Grand-Maison — Il brûle vif dans sa maison, incendiée par un valet — Supplice de ce dernier.


Le joli groupe de maisons qui frappent le premier les regards du voyageur, à l’extrémité sud-ouest de l’Île, se trouve compris dans le fief de Beaulieu, et fait partie de la paroisse de Saint-Pierre. Le point le plus élevé de la rive, est l’endroit qu’occupait autrefois l’église de cette paroisse, à environ une lieue et un quart du bout de l’île. Le coup d’œil, en ce lieu, est magnifique et enchanteur. L’église de Saint-Pierre fut construite d’abord, à l’endroit appelé l’Arbre-sec, et, par suite, la paroisse porta longtemps, la dénomination de Saint-Pierre de l’Arbre-sec. Cette église a depuis été transportée ailleurs, sur une élévation qui portait nom les Coteaux. Vis-à-vis, mais du côté sud, se trouve l’anse appelée Trou Saint-Patrice. Cette anse est mentionnée sous cette dénomination sur la carte du sieur de Villeneuve, ingénieur du roi, dressée en 1689.

Le fief de Beaulieu, qui occupe une longueur de quarante arpents, sur toute la largeur de l’île, fut primitivement concédé par Jacques Gourdeau, écuyer, sieur de Beaulieu, le ler mars, 1652. Outre plusieurs qualités qui faisaient de lui un brave gentilhomme, le sieur Gourdeau était un habile artificier. Nos anciennes chroniques nous en conservent un bon témoignage. (Relations des Jésuites, année 1637.) C’était à l’occasion de la fête de Saint Joseph, père, patron et protecteur de la Nouvelle-France. On sait que nos pères la considéraient comme l’une des plus grandes solennités, et qu’ils n’épargnaient rien de ce qui pouvait en rehausser l’éclat. Citons une page qui ne peut qu’intéresser la curiosité du lecteur.

« D’vn costé on avait dressé vn pan, sur lequel paroissait le nom de saint Joseph en lumières ; au-dessus de ce nom sacré brilloient quantité de chandelles à feu d’où partirent dixe-huict ou vingt petits serpenteaux, qui firent merveille. On auoit mis derrière cette première inuention quatorze grosses fusées, qu’on fit enleuer les vnes après les autres, avec l’estonnement des François et bien plus des sauvages, qui n’auoient iamais rien veu de semblable ; ils admiraient la pluie d’or, ou de feu, et les estoiles retomboient de fort haut. Le feu des fusées se portant tantost tout droit, maintenant comme en arcade, et touiours bien haut dedans l’air.

« Assez proche de là, on auoit dressé vn petit chasteau, fort bien proportionné et enrichi de diverses couleurs ; il estoit flanqué de quatre tourelles remplies de chandelles à feu, qui fesoient voir par leur clarté toute cette petite batterie à descouvert. Il y auoit à l’entour de cette machine seize grosses lances à feu, reuestues de saussissons. Aux quatre coins d’icelle, on voioit rouës mouvantes et vne autre plus grande au-dessus du chasteau, qui tournait à l’entour d’vne croisée à feu, esclairée de quantité de chandelles ardentes qui la faisoient paroistre comme toute couverte de diamans. De plus, on avoit mis à l’entour de cette forteresse en égale distance, quatre grosses trompes d’où l’on vit sauter treize douzaines de serpenteaux sortant six-à-six avec vne iuste distance et quatre douzaines de fusées, qui se devoient enlever douze à la fois. »

M. de Beaulieu était mariée à demoiselle Éléonore Grand-Maison, veuve de M. Bondies, sieur de Beauregard. Vers 1660, mademoiselle de Grand-Maison épousait, en secondes noces, à Québec, François de Chavigny, écuyer, sieur de Berchereaux.

La maison qu’occupait le sieur Gourdeau de Beaulieu, était bâtie en pierres ; elle était longue, mais basse et située à gauche, sur le premier plateau de l’Île. Au mois de mai, 1663, cet infortuné gentilhomme fut assassiné nuitamment, sur les 10 heures du soir, dans sa maison, par un de ses valets, qui, selon les uns, voulait le dépouiller, et, selon d’autres, ne désirait que se venger des réprimandes qu’il recevait très souvent, pour sa mauvaise conduite, et notamment pour sa tendance à l’ivrognerie. Pour cacher toute trace d’assassinat, le coupable eut recours à un autre crime, il mit le feu à la maison qui, en quelques heures, fut totalement incendiée. Le meurtrier ayant subi son procès, fut amené à conviction, et condamné à avoir le poing coupé, à être pendu, et son corps fut jeté aux flammes. Cette sentence fut exécutée le 8 juin, même année.

Nous empruntons à ce sujet quelques notes à l’excellent travail : « Notes sur les Registres de Notre-Dame de Québec, » page 36. Nous remonterons même à une autre source pour avoir de plus amples détails, et jeter un plus grand jour, sur ce lugubre épisode.

Le journal des Supérieurs des Jésuites est plus explicite. Voici ce que nous y lisons :

« Mai, 1663. Le même jour (29), sur les neuf ou dix heures du soir, fut brûlé dans sa propre maison, à l’île d’Orléans, le sieur de Beaulieu, avec un sien valet, par accident du feu… »

« Juin. — Il se trouve que le feu, qui avait pris à la maison de sieur de Beaulieu, n’avait pas été causé par accident, mais bien par la méchanceté d’un valet, après avoir tué son maître et un autre valet, son camarade[1]. Il fut convaincu et condamné à avoir le poing coupé, à être pendu et brûlé. Monsieur le gouverneur le baron d’Avaugour, se contenta de la mort à la potence, où, après avoir été fouetté, il fut fusillé le 8 juin. »

Il en était presque toujours ainsi sous le régime français, les sentences étaient sévères, parfois cruelles, atroces même, afin de faire une impression salutaire sur les esprits, mais le chef du gouvernement y apportait tous les adoucissements possibles dans l’exécution.

François Gourdeau de Beaulieu était fils d’un procureur du Roy, à Niort, dans le Poitou, au diocèse de la Rochelle.

Il y avait 11 ans qu’il était marié à Éléonore de Grand-Maison lorsqu’arriva sa mort si tragique.

Nous avons dit que l’épouse de Gourdeau de Beaulieu, était veuve de François de Chavigny, sieur de Berchereaux. Ce dernier était originaire de la paroisse de Créancée, en Champagne, département de la Haute-Marne. En 1640 et 1647, il occupa un rang distingué dans la colonie, il y prit en concession deux seigneuries, l’une à Sillery, l’autre au-dessus. Il remplaça quelque temps le gouverneur, lit-on quelque part. Cependant, au mois de mars 1652, ces mêmes propriétés furent transportées à son épouse, « parce qu’il avait abandonné la colonie, qu’il y avait cédé à sa femme tout ce qu’il possédait, et qu’il laissait ses affaires dans un état d’incertitude, qui pouvait empêcher d’autres particuliers de cultiver les dits lieux. » (Texte du contrat octroyé à son épouse.) Le sieur de Berchereaux mourut peu de temps après avoir quitté la colonie, vers 1651.

Le quatrième mari de mademoiselle Éléonore de Grand-Maison fut Jacques Cailhant, écuyer, sieur de la Tesserie, un des ancêtres de la Gorgendière, lieutenant du baron d’Avaugour, gouverneur de cette colonie, et membre du Conseil Supérieur de Québec, dès les premières années de sa création. Dès 1648, il était membre du conseil d’administration du gouverneur d’Aillebout.

Au mois d’août, 1666, l’intendant Talon envoya le sieur de la Tesserie à la baie Saint-Paul, en qualité d’ingénieur civil et de minéralogiste. Ce monsieur, dit le Rév. P. de Charlevoix (Histoire de la Nouvelle-France, tome 1er, page 300), découvrit une mine qui lui parut très abondante ; il espéra même d’y trouver du cuivre et même de l’argent.

Dans le récit qu’il fit de son voyage, il remarqua que, partout où il avait travaillé, le sol était encore remué et bouleversé par suite du tremblement de terre de l’année 1663. Au mois de juillet, 1666, les RR. PP. Bescherfer et Bailloquet, de la compagnie de Jésus, ayant été envoyés en ambassade au fort d’Orange (Albany), M. de la Tesserie leur fut associé comme interprète. Ces différentes missions, ainsi que son rang de conseiller à la Cour Souveraine du pays, prouvent qu’il était pourvu de connaissances étendues et variées et qu’il jouissait d’une grande estime en cette colonie.

Son épouse, mademoiselle Éléonore de Grand-Maison, mourut en 1692, à l’âge de 70 ans. Elle avait été pendant près de trente ans la femme de La Tesserie.

  1. (a) C’était la répétition d’un crime commis dix ans auparavant par deux de ses serviteurs sur la personne de M. Claude Charron, marchand à Québec. Le Journal des Jésuites, sous la date du 29 avril 1653, nous informe que cet honnête citoyen fut blessé à la gorge d’un coup de pistolet, dans son habitation à l’île d’Orléans, par ses deux serviteurs. C’est le même qui, en 1663, fut élu échevin de Québec, avec le sieur Jean Madry. — Voir Edits et Ordonnances Royaux, Québec, tome II.