Édition de la Collection d’aventures (p. 3-7).


L’ÎLE AUX LINGOTS


I

L’Aurographe


Mme Cora Schlembung et sa pupille Adrienne avaient déjà sonné trois fois à une coquette villa de Saint-Cloud lorsque Crincrin, le domestique, vint ouvrir pour dire que M. Dagrier, son maître, était à Paris, chez le ministre.

— C’est pour l’affaire de l’appareil dont parlent les journaux, vous savez bien ? expliqua-t-il.

Mme Cora Schlembung, qui ne savait pas, mais qui brûlait d’apprendre, déclara qu’elle reviendrait un autre jour. Tandis qu’elle reprenait avec sa pupille le chemin de la capitale, un petit vieillard à barbiche blanche, manchettes couleur de sa barbiche, lunettes cerclées d’or derrière lesquelles pétillaient des yeux chargés d’intelligence et d’enthousiasme, était reçu dans le cabinet de travail du ministère des Colonies par le ministre en personne.

— Si j’ai bien compris, articulait ce dernier, le grand savant que vous êtes, monsieur Dagrier, se double d’un éminent géographe. Non seulement vous venez d’inventer un appareil, l’« aurographe », qui permet de découvrir l’or, mais encore vous admettez qu’il existe dans l’océan Pacifique une île encore inconnue qui contient de riches gisements aurifères. Si je vous demandais d’entreprendre une expédition pour vérifier votre hypothèse, accepteriez-vous ?

— De grand cœur, rayonna M. Dagrier.

Le ministre, enchanté de cette réponse catégorique, raccompagna le savant jusqu’à la porte du cabinet. Rentré chez lui, le vieillard se heurta à Crincrin qui lui remit une lettre.

— Mon fils Jean ! s’écria l’inventeur qui reconnut tout de suite l’écriture. Que me dit-il ? Qu’il est toujours lieutenant au front… qu’il se bat chaque jour… qu’il compte obtenir bientôt une permission…

« Il me demande si j’ai enfin réalisé mon aurographe… Cher petit ! Mais oui !… Je vais lui répondre que c’est fait… je lui apprendrai du même coup quelles propositions flatteuses le ministre a énoncées…

M. Dagrier écrivit donc à Jean, le vaillant officier, une réponse que le jeune homme perdit au cours d’un assaut contre les Allemands sans se douter de quelles suites graves cette perte allait être suivie.

Cependant Mme Cora Schlembung, de retour à Paris, descendit seule de voiture, recommanda à Adrienne de rentrer rue de Rome, où elles habitaient, et se fit conduire en taxi chez un certain Thomas Larruet, rempailleur de chaises à Belleville, qui s’appelait en réalité Hermann Wachter et était un espion allemand essayant de se faire passer pour Alsacien.

— Je viens de Saint-Cloud, déclara-t-elle. Dagrier a réalisé son fameux appareil… C’est le moment d’agir…

Hermann Wachter se gratta la tête, puis une flamme mauvaise passa dans son regard.

— C’est bien, fit-il, j’agirai… Comptez sur moi… Page:Adam - L'Île au lingots - Collection d'aventures 355 - 191x.djvu/6 Page:Adam - L'Île au lingots - Collection d'aventures 355 - 191x.djvu/7 Page:Adam - L'Île au lingots - Collection d'aventures 355 - 191x.djvu/8 carte. Sa sympathie va ouvertement à Hermann Wachter.

— Que devient-il ? demanda Jean.

— Il est soldat… Je ne sais où ni dans quel régiment.

Cora Schlembung revenait et les jeunes gens cessèrent de converser.

— Rien, dit-elle, pas de nouvelles.

Jean était navré et angoissé. Il revint à Saint-Cloud et trouva Crincrin qui brandissait un mouchoir.

— Que faites-vous ? interrogea le permissionnaire.

— J’ai trouvé ça dans le jardin, répondit le domestique. Je jurerais que ce n’est pas à nous.

Jean s’empara du carré d’étoffe et vit deux initiales brodées : H. W.

— Hermann Wachter ! s’écria-t-il. L’Alsacien est-il venu ces jours-ci ?

— Connais pas d’Alsacien, répondit Crincrin ; et une dame est venue il y a deux jours ; elle a pris le thé… Mme Schlembung.

Jean rapprocha ce fait de ce que lui avait dit Adrienne, et un commencement de lueur se fit dans son esprit.

Mme Schlembung joue je ne sais quelle comédie, se dit-il. Il faut que je la voie encore !

Il reprit, dans l’après-midi, le chemin de la rue de Rome. Comme il montait à l’entre-sol, la concierge de l’immeuble habité par l’Allemande l’arrêta.

Mme Schlembung et sa nièce sont parties pour un long voyage, déclara-t-elle.

Cette fois, Jean ne douta plus que son père n’eût été victime de quelque machination ténébreuse. Il fit part de la découverte du mouchoir à la police, qui se lança sur les traces d’Hermann Wachter. Celui-ci demeura introuvable. En revanche, l’enquête démontra qu’Hermann n’était pas Alsacien.

— Un boche ! j’aurais dû le deviner plus tôt ! gronda Jean.

Ainsi, son père était entouré de traîtres, et ces traîtres avaient attaqué le vieillard ! Peut-être l’avaient-ils tué ! Jean, accablé de peine et enfiévré de colère, marchait au hasard dans les rues de Paris et cherchait à s’orienter dans le dédale mystérieux des conjonctures quand, arrivé à la hauteur d’un kiosque à journaux, ses yeux tombèrent sur cette manchette :

« DÉCOUVERTE ÉTRANGE »