II

L’EMPIRE ET LA GUERRE


« L’Empire allemand, tel qu’il est sorti des baptêmes du feu de Kœniggrœtz et de Sedan, comme le fruit tardif de la longue évolution de notre peuple, — dit M. de Bülow en sa Conclusion, — ne pouvait naître qu’au moment où se rencontreraient l’esprit allemand et la monarchie prussienne : il fallait qu’ils se rencontrassent pour que l’Allemagne pût obtenir une vie unitaire d’une force durable. C’est dans l’Ouest et dans le Sud de l’Allemagne qu’a été formé l’esprit allemand. C’est en Prusse qu’a été formé l’État allemand. »

Mais cinquante ans après la rencontre de l’esprit allemand et de la monarchie prussienne, M. de Bülow ne pensait pas que l’Allemagne fit un seul cœur avec la Prusse ; il croyait, tout au contraire, que la tâche essentielle du nouvel Empire était encore de vaincre les résistances de l’éternelle Germanie et de « réaliser l’unité de vie intellectuelle et politique en Allemagne, c’est-à-dire la pénétration réciproque du génie prussien et du génie allemand ; » il disait que « l’avenir de l’Allemagne dépendait de la façon dont l’âge contemporain réussirait à amalgamer l’esprit allemand avec la monarchie prussienne. »

Passé politique du Peuple allemand ; l’Esprit séparatiste dans le nouvel Empire allemand ; Tâche de la Prusse ; le Devoir national allemand, &c ; autant de chapitres où M. de Bülow retourne le problème : comment réconcilier l’esprit allemand et la monarchie prussienne ? comment imposer définitivement l’ordre prussien au désordre g germanique, l’État fédéral au tumulte des associations locales, l’Empire national aux revendications ou à la mauvaise humeur des peuples et des partis ? comment empêcher les gens de Prusse de « ne voir dans la vie politique de l’Allemagne du Sud qu’une dissolvante démocratie, » et les gens du Sud de « récuser, comme réactionnaire, la vie gouvernementale de la Prusse ? »

Puisque Prusse et Allemagne, Empire et Germanie sont inséparables pour la grandeur et la prospérité des deux contractans, ne pourrait-on pas imaginer qu’entre les libertés germaniques et l’autorité prussienne, quelque ajustement des droits et des usages gouvernementaux fit la part de chacun, sous l’arbitrage de la discussion publique et de l’intérêt général ? C’est la solution qu’en des problèmes analogues, ont adoptée toutes les nations occidentales, que sont en train d’adopter toutes les nations européennes : c’est ce que l’on appelle ici régime constitutionnel, ailleurs régime parlementaire.

En terres germaniques, répond M. de Bülow, ne croyons pas à l’efficacité d’un pareil arbitrage : « Ici encore, s’applique l’avertissement de Bismarck : ne pas chercher nos modèles à l’extérieur, du moment que nous ne possédons pas les antécédens et les qualités nécessaires pour imiter l’étranger. » L’État prussien, dont « la perte briserait la colonne Vertébrale de l’unité allemande, » a une nature spéciale qui ne s’accommode pas du régime parlementaire. Même on ne saurait plier ce rigide organisme prussien à des exercices d’assouplissement constitutionnel. À quoi bon, d’ailleurs ? « Ce qui nous fait défaut au point de vue politique, à nous Allemands, nous ne l’obtiendrons pas au moyen de modifications constitutionnelles : dans une représentation Commune de la nation, les forces allemandes ont plus de tendances à se disperser qu’à se grouper pour de grandes tâches nationales. »

On ne peut donc rien changer à la monarchie prussienne, ni au régime unitaire que Bismarck sut « magistralement » combiner pour « créer un ensemble solide, sans détruire l’originalité et l’indépendance des différentes monarchies, et, tout en faisant de la Prusse l’État-directeur, non seulement de nom, mais aussi de fait, » Même si l’on pouvait modifier ce régime, M. de Bülow ne voyait aucune utilité à rien changer aux habitudes prussiennes. C’est sur l’Allemagne qu’il conseillait d’agir pour en modifier l’esprit. Il voulait mettre la Germanie en disposition, en nécessité de mieux apprécier le pas de parade et la stricte obéissance au Kriegsherr national : « Il faut éveiller en elle les sentimens patriotiques, les vivifier, les fixer par une politique vaillante et de grande allure, qui sache conserver dans le peuple l’amour de la vie nationale. Le point de vue national doit sans cesse être mis en avant par des entreprises nationales, afin que l’idée nationale ne cesse jamais de remuer les partis, de les unir et de les séparer. Rien ne décourage, ne paralyse et n’aigrit un peuple d’une activité intellectuelle, d’une vitalité et d’un développement pareils à ceux du peuple allemand, autant qu’une politique monotone et sans vie. Pour l’Allemand, la meilleure politique n’est pas celle qui le laisse tranquille : c’est celle qui le tient en haleine, sur le qui-vive, et lui permet de montrer à l’occasion sa force, »

Donc, l’unité allemande, fondée par le militarisme prussien, ne peut être maintenue que par des ministres « qui sachent risquer la forte mise, sauter une haute barrière » et ne jamais laisser l’Allemagne tranquille. Les conducteurs de l’Empire doivent rester toujours « assez frivoles » pour ne pas sacrifier aux considérations de prudence ou d’humanité ce vieil amour de la bataille que l’histoire et la légende ont toujours vanté chez les Allemands. « Le devoir du gouvernement impérial n’est pas de procurer de nouveaux droits au Parlement : c’est d’éveiller l’intérêt politique du peuple dans toutes les classes de la nation par une politique vivante, résolue dans le sens national, grande dans ses ambitions, énergique dans ses moyens. » Que l’on pèse tous les mots de cette formule.

En 1914-15, les XCIII Intellectuels allemands voudraient faire croire au monde que la savante, pieuse, morale et pacifique Allemagne n’a aucune responsabilité dans la guerre présente, qu’elle a répondu seulement à l’agression ou aux menaces de ses voisins jaloux, qu’elle est le champion du droit contre l’argutie anglaise et de la civilisation contre la barbarie moscovite. Dès 1913, M. de Bülow prédisait, au contraire, et réclamait cette politique vivante, ambitieuse, énergique ; il y voyait l’aboutissement nécessaire de l’œuvre de Hohenzollern, — mieux encore : le seul moyen de prolonger l’unité de tout Empire allemand. À l’entendre, le militarisme prussien ne pouvait maintenir sa prise sur l’Allemagne actuelle qu’en l’étendant sur l’Europe et le monde, parce qu’il n’y a jamais eu d’autre moyen pour un pouvoir unitaire, quel qu’il ait été, de maintenir sa prise sur l’éternelle Germanie.

XCIII intellectuels d’un côté, M. de Bülow de l’autre : auquel de ces Allemands devons-nous croire ?

Les XCIII intellectuels affirment sans la moindre preuve. M. de Bülow n’est pas seulement l’homme d’Allemagne qui connaît le mieux les nécessités de la monarchie prussienne. Il est encore l’homme qui connaît le mieux l’esprit germanique. Personne n’a plus réfléchi sur les conditions permanentes de tout Empire allemand à travers l’histoire, et personne n’a jamais été mieux placé, durant toute sa vie, pour bien apercevoir ces conditions. Or, l’Empire du Hohenzollern apparaissait à M. de Bülow, comme le renouveau d’une tentative cinq ou six fois reprise au cours des siècles, toujours contrariée par le même tempérament des peuplades allemandes et toujours condamnée jusqu’ici à l’échec final, faute de cette politique ambitieuse et résolue dans le sens national, qui, seule, aurait pu jadis assurer la domination et la durée aux dynasties impériales du Moyen Age, aux Hohenstaufen par exemple.

Voyez cette dynastie des Hohenstaufen, qui, durant un siècle (1138-1250), établit sa monarchie souabe sur l’Allemagne, l’Italie, la Sicile, la Provence, les deux Bourgognes, les deux Lorraines et les Pays-Bas, sur toute l’Europe centrale, de Hambourg à Palerme et de Vienne à Cambrai. Cette dynastie « kolossale » qui, trois cents ans après Charlemagne et six cents ans avant Guillaume Ier de Hohenzollern, fournit aux peuplades allemandes leur plus beau type d’Empereur, leur légendaire Barberousse, dont elles attendirent durant sept siècles la résurrection, pourquoi est-elle tristement tombée « sous les intrigues papales et françaises ? » pourquoi l’œuvre de Frédéric Ier Barberousse fut-elle ruinée par son petit-fils Frédéric II ?

C’est, — pensait M. de Bülow, — que, séduit « par la splendeur romane des Croisades » et par l’enchantement du rêve méditerranéen, Frédéric II se tourna « vers les grandioses mais malheureuses aventures » d’outre-monts et d’outre-mer et négligea la vraie besogne allemande. Une seule besogne pouvait, en assurant de nouveaux bénéfices à ses peuplades, lui assurer, à lui, leur dévouement ; c’était la conquête de nouveaux territoires à l’expansion germanique, la « prosaïque et vulgaire, mais vaillante et laborieuse colonisation » des Marches germaniques sur tout le pourtour de l’Empire continental. L’annexion et le dressage des peuples voisins à la Kultur allemande, leur asservissement à la race allemande, l’extension quotidienne du germanisme, de son « domaine politique et de ses possessions nationales, » bref « l’acharné travail civilisateur » aux dépens des humanités voisines que « leur situation gouvernementale tourne vers l’anarchie ; » telle est, au gré de M. de Bülow, la besogne vitale de tout Empire allemand, parce que la guerre à répétition, la guerre perpétuelle peut, seule, permettre à l’unité allemande de vivre et de durer.

Pour avoir négligé cette œuvre de conquête continentale, les Hohenstaufen succombèrent, et leur Empire avec eux. Les Habsbourg la reprirent ; mais, durant les quatre ou cinq siècles qu’ils détinrent presque continûment les titres et les ornemens impériaux, leur égoïste maison d’Autriche ne pensa qu’à ses intérêts, agrandissemens et bénéfices, non pas aux profits et prestige de la race allemande. Ils ajoutèrent sans cesse de nouvelles couronnes et de nouveaux domaines à leurs couronnes et domaines autrichiens ; mais ils ne firent pas entrer leurs nouveaux peuples sous la culture et l’exploitation germaniques. Ils devinrent possesseurs de fiefs et de royaumes étrangers ; mais ils négligèrent de les transformer en terres allemandes. Et c’est pourquoi, margraves d’Autriche et de Moravie, ducs de Styrie, de Carinthie, de Bukowine, de Salzbourg et de Frioul, comtes de Tyrol et de Trieste, rois de Bohême, de Hongrie, de Croatie, de Dalmatie, de Slavonie, de Galicie et de Lodomirie, maïtres à leur heure de l’Italie et de l’Espagne, prétendans à la domination universelle et sur le point d’y parvenir, les Habsbourg ne furent jamais en Allemagne empereurs que de nom.

Ils constituèrent et accrurent leur Autriche en marge du germanisme. Le germanisme les méprisa et les eut en haine. Après quatre ou cinq siècles de mauvais ménage, le Habsbourg et la Germanie divorcèrent, et l’Allemagne s’offrit au Hohenzollern parce que, depuis quatre siècles, il n’avait vécu, lui, dans sa Marche de Brandebourg, puis dans son royaume de Prusse et ses duchés de Poméranie, de Silésie, de Posen et de Sleswig-Holstein, que pour toujours pousser l’offensive allemande contre les races et les organisations voisines, pour germaniser Sorabes, Wondes, Lithuaniens, Polonais et Danois, et, tout autour de lui, imposer la Kultur allemande.

C’est à son offensive de quatre siècles contre les voisins du Nord et de l’Est que le Hohenzollern dut l’admiration et le respect des peuples germaniques. C’est à sa dernière offensive de 1870 contre las Français qu’il dut son Empire allemand. En 1913, après un demi-siècle d’Empire restauré, M. de Bülow se demandait si le Hohenzollern saurait poursuivre son destin. Séduit par l’exemple funeste du Habsbourg et du Hohenstaufen, se tournerait-il tout entier vers les grandioses, mais malheureuses aventures d’outre-mer et vers les rêves de domination mondiale ?… C’était la ruine de son pouvoir en Allemagne, le divorce assuré entre l’esprit allemand et la monarchie prussienne… Par une nouvelle extension du domaine germanique, le Hohenzollern renouvellerait-il au contraire entre l’Allemagne et sa maison le pacte qu’avaient scellé les extensions de 1864, de 1866 et de 1870 ?…

Il suffirait de trouver le problème ainsi posé dans le livre de M. de Bülow pour nous permettre d’affirmer que la guerre présente ne fut pas un accident dans la politique de Berlin : disgracié par Guillaume II, éloigné du pouvoir, M. de Bülow n’en gardait pas moins, en 1913, la confiance des bureaux, d’une puissante coterie à la Cour et d’un nombreux parti dans le Parlement ; on dit même que le chef du parti militaire, le Kronprinz, le déclarait son homme…

Mais il faut aller plus avant en cette affaire : à regarder toute l’histoire de l’Allemagne sous l’angle où M. de Bülow nous la montre, on arrive à se convaincre qu’il avait raison, que cette guerre était indispensable à la durée de l’œuvre bismarckienne, à la suprématie absolue de la Prusse et du Hohenzollern sur les autres États et dynasties germaniques. Politiquement et éçonomiquement, c’est à cette guerre de rançons et de conquêtes… ou à la faillite, que devait aboutir l’empire de Guillaume Ier entre les mains de Guillaume II, comme l’empire de Frédéric Ier entre les mains de Frédéric II, comme l’empire d’Henri Ier entre les mains d’Henri II et comme celui de Charlemngne entre les mains de Charles le Chauve. Tout au bout de cette longue méditation sur la Politique allemande, le dernier mot de M. de Bülow est une pensée de Gœthe, « conclusion suprême de la sagesse : Celui-là seul mérite la liberté et la vie qui est forcé de la conquérir tous les jours. » Il semble, en effet, que l’Empire allemand depuis onze siècles n’ait jamais eu de vie, que l’Empereur allemand n’ait jamais eu de liberté que dans la conquête journalière aux dépens du voisin.

Vue sous cet angle, la chaotique histoire des Allemagnes depuis onze siècles, ce tohu-bohu de peuplades et de dynasties, de majestés presque divines et de sujétions presque misérables, cette succession d’apogées splendides et d’éclipses totales, de terribles fracas et de mornes silences, s’éclaire tout à coup et s’ordonne et se déroule en un ensemble rythmé. Depuis les plus lointaines origines jusqu’à l’heure présente, on y discerne l’action de deux forces contradictoires : « De même qu’une des meilleures vertus allemande, le sentiment de la discipline, — dit M. de Bülow, — se manifeste d’une façon particulière et inquiétante dans notre Social-Démocratie, de même s’y montre aussi notre vieux défaut, — l’envie, — que Tacite remarquait déjà chez nos aïeux ; c’est par envie, dit-il, propter invidium, que les Germains ont mis à mal Arminius le Chérusque, leur premier libérateur. »

Dans toute l’histoire des peuples allemands, comme dans la Social-Démocratie d’aujourd’hui, M. de Bülow retrouve « ces deux forces ou ces deux faiblesses du tempérament national : » l’organisation disciplinaire, et la jalouse envie d’échapper au joug de l’unité. « Le socialisme allemand n’est si dangereux pour l’Empire que parce qu’il est si foncièrement allemand. Pas un peuple n’a des capacités d’organisation pareilles aux nôtres ; aucun n’a une pareille disposition de la volonté pour la discipline ; aucun n’est prêt comme lui à se soumettre aux lois d’une rigide discipline ; ce que d’autres peuples arrivent à faire dans le feu de l’enthousiasme national, nous l’avons souvent réalisé grâce à la force de la discipline. » Mais « le ciment de cette discipline est toujours une hostilité ; »  l’envieux égoïsme germanique ne veut subir de contrainte que dans l’espoir d’un gain ou d’un contentement personnels, d’une revanche ou d’une conquête : « L’organisation socialiste se pose en ennemie de notre vie gouvernementale actuelle : son ciment est dans cette hostilité ; elle se sent beaucoup trop forte pour se laisser traîner comme un wagon par la locomotive gouvernementale sur la voie normale : elle voudrait être elle-même la locomotive et tenter de tirer dans le sens opposé… Le socialisme français a ses racines dans la grande Révolution, le socialisme italien dans le Risorgimento ; la Révolution et le Risorgimento étaient animés d’un esprit passionnément patriotique. Notre Social-Démocratie n’est pas, comme le socialisme français et italien, un sédiment dans l’évolution historique de la nation ; elle est l’ennemie voulue de notre histoire et de notre passé national. »

Histoire sédimentaire des nations latines, histoire cataclysmique des peuplades allemandes : voilà encore une de ces formules où M. de Bülow excelle à enfermer une admirable vue de longs siècles d’histoire, à définir deux systèmes de construction nationale, deux processus de géologie politique.

Depuis les temps les plus reculés que la science puisse atteindre jusqu’à l’heure présente, la construction du peuple français se poursuit, en effet, lente, continue, sédimentaire. Elle est interrompue, de loin en loin, par quelque cataclysme, révolution interne ou invasion étrangère, surtout par les invasions violentes ou sournoises de l’étranger. Mais à peine ces invasions installées, le ruissellement, si l’on peut dire, des générations reprend suivant la pente de l’équilibre national : comme une loi de pesanteur politique, le besoin d’égalité et de légalité, reprenant ses effets traditionnels, tend, travaille, réussit toujours à désagréger et à épandre la race, la langue ou l’idée étrangères, à niveler les apports des cataclysmes et à déposer, en strates horizontales, égalitaires, une nation gallo-romaine durant les temps anciens, germano-latine durant les temps modernes, franco-européenne durant les temps nouveaux qui vont commencer.

Depuis les temps les plus reculés, il semble que l’Allemagne n’a jamais été que cataclysmes politiques et que l’inondation étrangère y eut toujours un rôle, non de bouleversement, mais de pacification et d’équilibre sous la compression. C’est l’influence ou l’action directe de l’étranger qui, du chaos germanique, tira toujours un ordre temporaire, dont le lent travail ou quelque subite explosion du tempérament germanique refaisaient bientôt un chaos.

Produit soudain de quelques volontés humaines, l’ordre politique établi là-bas n’a jamais eu chance de durer que sous un chef de guerre, imposé aux sursauts de la masse par la crainte de l’invasion ou par les bénéfices de la conquête. Même après les victoires triomphales, ce chef n’est toléré par « l’envie » nationale que si, tenant toujours ses Germains en haleine et leur fournissant « l’occasion de montrer leur force, » il détourne du dedans vers le dehors les explosions du volcan jamais endormi. Cataclysme politique au dedans ou offensive nationale au dehors : l’Allemagne a toujours eu besoin de passer sur elle-même ou sur le voisin son furor teutonicus, son invidia de destruction, sa Schadenfreude (plaisir de nuisance). Dans toute l’histoire germanique, regardez l’alternance : la Germanie n’est une nation disciplinée que sous un chef de guerre en campagne ; la paix assurée ou seulement prolongée en refait toujours une cohue de peuplades ennemies.

Avant l’ère chrétienne, le monde antique ne la connut que comme une impénétrable forêt où s’agitait et se battait, dans les clairières et les marécages, une cohue d’irréconciliables voisins ; mais il en surgissait parfois, à la lisière, une nuée de combattans confédérés sous un nom de guerre, Cimbres, Teutons, Suèves, ou sous un chef de guerre, Arioviste. La Germanie de cette première période est personnifiée dans cet Arioviste, ce chef de cent cantons, qui levait dans chacun mille guerriers pour la campagne annuelle, tandis que les autres amassaient la nourriture de l’armée. Cette première organisation germanique se dressa brusquement en terres gauloises, devant le défenseur romain de la Gaule, Jules César, et brusquement elle s’évanouit, sitôt après la victoire romaine, dès qu’Arioviste, chassé de la plaine vosgienne, eut été rejeté en terres germaniques sur l’autre bord du Rhin.

Alors, durant quatre ou cinq cents ans (50 ans avant J.-C, 400 après), l’exemple et la pression de l’Empire romain incitent la Germanie à unir ses clairières, à grouper ses peuplades, à les fondre en une res publica, copiée de cette res publica romaine, qui fait alors l’envie de toute l’humanité blanche. La Germanie de cette seconde période est personnifiée dans Marbod, qui rêve d’une royauté efficace sur sa peuplade suève et d’un commandement stable sur toute la forêt germanique : imperium certum vimque regiam, durant cinq siècles, c’est le rêve de tous les Germains disciplinés à la romaine. Armin le Chérusque, Marbod le Marcoman, Civilis le Batave, Décébal le Dace, tous veulent aller chercher en terres romaines la force et le crédit de ranger sous leur commandement l’anarchie germanique. Mais à l’orée de la forêt, au long du « Seuil romain, » veillent les légions et, durant quatre siècles, ni l’offensive marcomane, ni l’offensive batave ou dace ne peut, en livrant à l’une de ces peuplades une porte de conquête, donner à l’un de ces chefs le dévouement discipliné de toute la race ; c’est « à peine si la défensive victorieuse des Chérusques confère à Armin sur sa peuplade un pouvoir que l’invidia des siens a tôt fait de ruiner.

Après quatre ou cinq siècles, le Seuil romain tombe (406 ap. J.-C.) comme de lui-même, moins sous l’offensive dispersée des Germains que sous son propre poids : la forêt déverse par toutes ses cornes les Invasions qui submergent l’empire des Romains. Quelle floraison alors de royautés et de commandemens germaniques ! quel afflux de dévouemens et de fidélités autour des Alaric, des Clovis et des Théodoric ! Mais la plupart de ces envahisseurs s’enfoncent au loin dans les terres de Rome ; ils perdent tout contact avec la forêt ancestrale ; ils perdent même la langue et les mœurs des aïeux ; ils ne rêvent plus de royauté ni d’empire germaniques : c’est à la restauration d’un ordre latin dans leurs nouveaux royaumes que leurs dynasties se consacrent.

Une seule des peuplades qui ont franchi le Rhin, — les Francs, — demeure au voisinage de ce fleuve : sans pénétrer au delà de la Seine et du Rhône, elle fixe sa vie nouvelle dans ces villas du Nord de la Gaule, dont les champs et les vignes avaient été conquis par la bêche et la charrue gallo-romaines sur les bois de l’Oise, de la Seine et de la Meuse. Les Francs entrent dans les mœurs et la religion de Rome ; mais ils gardent leur langue, leurs traditions et leurs ambitions germaniques. Durant quatre siècles (406-800), ils travaillent sous leurs dynasties mérovingienne et carolingienne à élargir toujours leur domaine gallo-romain, jusqu’aux Pyrénées et jusqu’aux Alpes, jusqu’à l’Èbre et jusqu’au Tibre ; mais ils ont aussi l’ambition de rapporter en Germanie la royauté de leurs Mérovingiens et l’empire de leurs Carolingiens.

Regnum et Imperium, c’est après quatre siècles d’offensive en terres latines que les Francs réussissent à ramener leur monarchie royale et impériale en terres germaniques, à dresser sur la « nation germanique, » enfin constituée, cette royauté de Clovis, qui avait eu Reims pour baptistère, et cet empire de Charlemagne qui eut et, durant six siècles et demi (800-1452), conserva Rome pour lieu de son couronnement.

Nouvelle ère de l’histoire allemande, épanouissement de la puissance impériale, montée et apogée de la gloire romano-germanique : durant les quatre ou cinq siècles qui suivent (800-1250), les quatre monarchies successives de l’Ancien Empire et leurs quatre dynasties franque, saxonne, franconienne et souabe maintiennent l’unité de la « nation germanique. »  Pourquoi ?

C’est qu’une perpétuelle offensive, une guerre ininterrompue jette les appétits et les forces germaniques sur les peuples voisins, sur toute la chrétienté. C’est l’expédition annuelle vers l’Italie, la France, la Bourgogne ou les Marches de l’Est, qui maintient la cohésion et la discipline impériales. Sitôt que l’Empereur la laisse au repos, la Germanie reprend ses rébellions particularistes et ses luttes intestines. Quatre siècles et demi d’unité : quatre siècles et demi de chevauchées et de batailles ! Pour mener à bien cette « politique vaillante et de grande allure, » mais épuisante et de grands frais, tour à tour chacune des grandes peuplades, qui composent la race, Francs, Saxons, Franconiens et Souabes, fournit sa dynastie de Carolingiens (800-919), d’Ottoniens (919-1024), d’Henriciens (1024-1125) et de Hohenstaufen (1125-1250) ; mais chacune de ces dynasties et de ces peuplades, à la troisième ou quatrième génération, s’éclipse ; chacune d’elles, au bout d’un siècle, est épuisée par ce travail de géant : maintenir l’offensive germanique sur le monde romain pour maintenir l’ordre impérial sur le monde germanique.

Avece les Hohenstaufen, tombe l’Ancien Empire, le Saint Empire romain germanique : durant vingt années, l’Allemagne vit sans empereur, dans le Grand Interrègne (1254-1273) ; puis elle vit deux siècles sans empire ni royauté, ou du moins tout lien royal et impérial entre les peuplades semble rompu ; de l’Empire, il ne reste que les titres et les ornemens que, deux siècles durant (1274-1452), se disputent tous les chefs de pays ou de bandes, jusqu’au jour où, fondant à la lisière et en dehors des terres allemandes sa monarchie autrichienne, le Habsbourg obtient avec le titre impérial un droit de présidence sur la « Confédération » germanique.

Mais sous ce nom trompeur de Confédération, c’est vraiment le Grand Interrègne qui continue durant six siècles (1254-1870) entre les Hohenstaufen et les Hohenzollern, entre l’Ancien Empire et le Nouveau. Il existe un empereur et roi d’Allemagne, mais dépouillé de tous les droits, pouvoirs et revenu impériaux : il n’a plus ni budget, ni armée, ni justice, ni police ni diplomatie d’empire ; il n’a même plus de droits ni de pouvoirs régaliens que sur ses propres domaines ; il est considéré par l’Allemagne moins comme un chef que comme un ennemi et les « membres de l’Empire » sont toujours disposés à se coaliser entre eux ou avec les nations du dehors pour ruiner « la tyrannie » du Habsbourg.

Donc, six siècles d’interrègne (1254-1870) : la Germanie redevient ce qu’elle était avant l’établissement du Regnum et de l’Imperium à la romaine et même avant son premier contact avec les civilisés du monde gréco-romain. C’est la forêt désordonnée, un inextricable fourré de droits particularistes et de violences individuelles, d’organisations locales et d’anarchie plénière, d’indépendances et de sujétions, de guerres privées et de contrats, de royaumes et de villes libres, de ligues et de cercles, d’alliances et de fédérations. Ligue souabe, Ligue hanséatique, Sainte Wehme, Corpus evangelicorum, Corpus catholicorum, Confédération du Rhin, etc. Chaque région et chaque génération, chaque peuple et chaque caste, chaque métier et chaque quartier s’organisent, se séparent, se fédèrent, et c’est un collège d’Électeurs qui dispose de la royauté ; l’Empire n’est plus rien pour les Allemands ; mais le titre sonne encore aux oreilles de la chrétienté.

Le Habsbourg délaisse ou trahit le germanisme : durant deux siècles et demi (1273-1519), il n’est occupé que d’acquérir pour sa maison ; durant trois siècles ensuite (1519-1806), il n’a que trop de peine à écarter de ses propres terres l’offensive turque et l’offensive française. L’Empire, qui n’a plus son chef de guerre, est livré à « l’envie » de ses membres et aux attaques de ses voisins : il se disloque et se mutile. Le germanisme partout recule. Dans les Marches du Nord-Est seulement, le Hohenzollern fait son métier de margrave, de défenseur de la frontière et de « civilisateur. » Mais au Nord, à l’Ouest, au Sud, à l’Est même, toutes les conquêtes de l’Ancien Empire sont entamées par l’offensive russe, suédoise et danoise, par l’indépendance hollandaise, par les annexions espagnoles et les reprises françaises, par les libertés helvétiques et italiennes, par les défections tchèques, hongroises et polonaises. Quel recul, sur toutes les frontières du majestueux domaine que les Hohenstaufen avaient jadis possédé dans les deux tiers de l’Occident !

Les traités de Westphalie (1648) consacrent tout à la fois la ruine du Regnum et Imperium au dedans et les triomphantes reprises de tous les voisins au dehors : durant les deux siècles suivans (1648-1848), il n’y a plus en vérité d’Allemagne. Du Rhin à l’Oder et de la mer aux Alpes, les clairières germaniques ne sont plus que terrains sans maître, où se donnent rendez-vous toutes les monarchies européennes en envie de guerre ou de chasse : sur ce champ de batailles et de traités, l’Europe entière vient vider ses querelles ; mais l’offensive française surtout s’y donne libre carrière…

Puis l’histoire recommence : après trois ou quatre siècles de contact, l’offensive romaine d’autrefois avait fini par éveiller en Germanie un besoin de cohésion nationale et le désir d’une organisation politique, plus ou moins imitée de la res publica et des lois de Rome. Tout pareillement, les deux siècles d’offensive française produisent « le ciment d’hostilité » qui, peu à peu, restaure la discipline et refait l’unité des Germains. L’empire des Napoléons sert de modèle à l’Allemagne du xixe siècle, comme à la Germanie d’autrefois l’empire des Augustes : un Empire allemand ressuscite le jour où le Marbod des temps nouveaux, Bismarck, trouve dans les conquêtes des Moltke et des Manteuffel les fondations solides d’un imperium certum et d’une vis regia.

Au bout et comme moralité d’une pareille histoire, un aphorisme de M. de Bülow ne prend-il pas toute sa valeur : « Dans la lutte des nationalités, une nation est marteau ou enclume, victorieuse ou vaincue ; il n’existe point de troisième solution ? » La nationalité germanique n’a jamais eu et gardé conscience d’elle-même que dans la lutte contre le dehors : un Français, un Anglais, un Italien peut se réclamer et se réjouir de sa nationalité au coin du feu familial, dans la vie quotidienne et tranquille de la cité ou de l’État, eh montrant ses vertus, ses talens, son pouvoir ; l’Allemand ne devient Allemand qu’au feu de la bataille ; il ne le reste que dans la vie des camps et des combats, dans la lutte violente, en faisant montre de sa force. Depuis vingt siècles qu’elle fait des apparitions intermittentes dans l’histoire, la « nation germanique » ne naît et ne vit que pour l’offensive ; elle ne duré que par la victoire ou pour les apprêts de revanche ; elle n’a jamais survécu à la défaite, ou seulement à la paix.

D’autres nations peuvent mettre leur morale et leur bonheur dans un pacifique échange de services avec tous leurs voisins : chez elles, l’état de guerre est l’accident du présent, le mauvais héritage du passé ; elles rêvent d’un avenir de paix éternelle entre tous les hommes. On a même vu de grands empires maintenus sur cet idéal pacifique : du jour où Rome eut assuré toutes ses frontières contre la barbarie, elle donna à l’humanité méditerranéenne trois et quatre siècles de cette paix romaine, durant lesquels l’Espagne, l’intérieur de la Gaule, l’Italie, le Levant balkanique et anatolien, l’Égypte et toute l’Afrique du Nord ne connurent que par de lointains échos le bruit des armes ; quelques opérations de police à l’intérieur et aux frontières ne troublaient jamais que localement, pour quelques mois, cet état de paix ; durant trois ou quatre cents ans, la paix romaine devint un idéal et une habitude pour les deux tiers de l’humanité blanche, qu’abritaient les légions et les défenses du Seuil romain.

C’est pourquoi, tout au fond de leur cœur, même quand elles admirent le plus l’homme de guerre, même quand elles le considèrent comme le plus utile des serviteurs de la res publica, les nations latines ne le jugent pas comme le seul indispensable. Elles gardent toujours la meilleure moitié de leur admiration aux œuvres et aux hommes de paix. Elles pensent qu’un peuple peut et doit tour à tour porter les armes et la toge, mais que, dans la vie courante, c’est la toge qui est de mise, et les armes, qui doivent être de garde… Mais du jour où la Germanie n’est pas en armes, groupée sous un chef de guerre pour marcher au pillage et à l’asservissement d’autres peuplades germaines ou étrangères, il n’y a plus de « nation germanique. » Le vieux Dieu allemand est toujours le Thor au marteau, dont les fidèles ne peuvent être, dit M. de Bülow, que « le marteau ou l’enclume » des nations.

C’est du monde latin que sont toujours sortis les prophète et les rêveurs de paix universelle, de désarmement général, de fraternité humaine, de « paix loyale et continue, » continua ac fida pax, disait déja l’Empereur Claude aux Lyonnais, — et Pline célébrait « l’immense majesté de la paix romaine, » immensa pacis romanæ majestas, et Vopiscus, à la veille des Invasions, saluait l’univers délaissant la fabrication des armes, orbis terrarum non arma fabricabitur : plus de guerre, nulla erunt bella ; partout la paix, partout la loi latine, ubique pax, ubique romanæ leges… Mais c’est de Germanie que toujours sont venus les louangeurs et les théoriciens de la guerre éternelle, nécessaire, bienfaisante, de la guerre entre hommes et entre peuplades, entre nations et entre citoyens, guerre de cantons, de royaumes et de religions autrefois, guerre de races aujourd’hui, guerre de classes demain, guerre de haines toujours ; la Germanie est le Faustreich, le Royaume du Poing, ou elle n’est pas.

Il en est résulté pour l’Europe et pour l’humanité quelques conséquences toujours pareilles. L’Empire romain avait couvert ses provinces de villas et de cités, d’exploitations rurales et de marchés urbains. En Espagne, en Gaule, en Afrique, au Levant, le sol romain avait été transformé par la villa, dont les conquêtes journalières défrichaient la forêt et asséchaient le marais, épierraient les pentes et drainaient les creux pour l’extension continue du fonds et des revenus pacifiques. En même temps, espagnole, gauloise, africaine, levantine ou italienne, l’humanité romaine était transformée par ces centres de culture civile qu’étaient les cités et leur prétoire. Rome n’était pas seulement la maîtresse du sol et des êtres ; elle éduquait la terre et les esprits pour les annexer à l’unanimité de la « paix romaine. »

L’Empire allemand n’a jamais existé sans obliger et l’Allemagne et l’Europe à tout sacrifier aux préparatifs ou aux œuvres de guerre. Aussi bien en France, en Angleterre, en Espagne, en Italie qu’en terres germaniques, l’Ancien Empire du Moyen Age obligea tous les hommes qui voulaient rester libres à endosser l’armure, à vivre sous le poids du casque et de la cuirasse. Dans notre Europe du xixe siècle et même dans la moitié de l’univers présent, le Nouvel Empire allemand obligea tous les peuples qui voulaient rester libres à endosser les armemens, à vivre sous le fardeau de la paix armée. Avant 1870, il y avait en Europe des nations civiles, qui étaient pourvues d’une armée, comme d’une justice ou d’une police ou d’une administration, mais qui ne vivaient pas seulement pour leur armée. Après 1870, ne purent subsister en Europe que les seules nations enrôlées, dont toutes les autres fonctions passaient ou même disparaissaient derrière la préparation militaire.

Rome avait donné au monde la villa et la cité, le pont et la route, la basilique, les thermes et le théâtre. Les Invasions germaniques et le Moyen Age, qui fut leur héritier, ne firent partout sortir de terre que fossés et remparts, tours, plessis, fertés, burgs, villes fortes. Chaque homme de guerre s’isola dans son donjon en coupant autour de lui les ponts et les routes. Il fallut les dix siècles de barbarie, qui séparent les Invasions et la Renaissance, avant que l’ingénieur italien se remît à l’œuvre, et il fallut quatre siècles de travail avant que l’ingénieur français ou anglais rendît à l’humanité des moyens de commerce et des relations d’amitié aussi rapides que ceux dont on avait joui sous la paix romaine : l’éternelle guerre germanique fait qu’aujourd’hui encore, quatorze siècles après les Invasions, nos chemins de fer n’ont pas rétabli entre Marseille et Cologne le contact journalier que jadis assurait le chemin de pierre des Romains… Et qu’a fait de l’Allemagne et de l’Europe le nouvel Empire allemand, sinon une caserne de soldats, un arsenal de munitions et un laboratoire d’explosifs, une place de guerre, où le bonheur des individus, l’amélioration de la race et de la société, le progrès de l’esprit et des mœurs, la morale et la religion, tout est subordonné à la science et aux apprêts du combat ?

Fustel de Coulanges a dressé le bilan des charges militaires que l’Empire romain imposait à ses citoyens : « Les armées de l’Empire se composaient d’environ trente légions, comprenant chacune de 5 000 à 6 000 soldats. En y ajoutant les corps auxiliaires ainsi que les cohortes prétoriennes et urbaines, on peut estimer qu’elles comptaient environ 400 000 hommes : ce, chiffre suffisait à un État dix fois plus étendu que la France actuelle ; c’était un soldat pour trois cents habitans. Les soldats servaient vingt ans en moyenne : il suffisait d’un enrôlement annuel d’environ 30 000 conscrits pour tout l’Empire. » La Gaule n’étant pas même un sixième de l’Empire, c’est tout au plus 6 000 conscrits que Rome lui demandait chaque année. Faites la somme : durant les quatre cents ans de la paix romaine, la Gaule n’eut pas à fournir les 2 500 000 hommes que l’Empire allemand vient d’obliger la France à mettre en ligne pour la seule campagne de 1914.


Il en est toujours résulté pareillement certains caractères spécifiques de l’État allemand, de l’Empire allemand. Voici quelques-uns de ces caractères.

Le premier est que là-bas l’État, cadre de la nation, n’a jamais pu être que d’origine et de nature militaires : c’est la force militaire qui, seule, peut le créer, la force militaire qui, seule, le maintient. D’autres sentimens peuvent exciter dans l’âme germanique la tendance ou la résignation à l’union nationale. Deux seulement peuvent l’imposer : la crainte du maître étranger ou le respect du vainqueur national. « L’Empire allemand du Moyen Age, dit M. de Bülow, n’a pas été fondé par la libre adhésion des peuplades, mais par la victoire d’une de ces peuplades sur les autres, qui longtemps ne reconnurent qu’à contre-cœur la domination de la plus forte… L’unité actuelle de l’Allemagne n’a pas été obtenue par un accord pacifique, mais par des batailles entre Allemands : l’Ancien Empire avait été fondé par une peuplade supérieure en forces ; le Nouveau a été fondé par le plus fort des États. »

Mais, dans la mêlée des peuplades germaniques, que l’invidia particulariste et les rivalités personnelles dissolvent chaque jour en un plus grand nombre de clans et de bandes, aucune peuplade ne put jamais avoir par elle-même la force militaire qu’eût exigée cette œuvre nationale. Dans la forêt morcelée et de sol pauvre, aucune clairière n’était assez grande, assez riche pour devenir la base de « l’État allemand. » Chaque peuplade, loin de pouvoir imposer sa loi à tout le voisinage, avait assez de peine à soutenir son propre État, petit ou grand, contre les empiétemens du voisin. D’où le second caractère de tout Empire allemand : une monarchie germanique n’est jamais parvenue à courber les résistances de toute la race sous le joug de son Empire qu’en acquérant hors des Allemagnes l’appoint de forces et de ressources étrangères qui, jointes à ses forces allemandes, lui donnaient la suprématie.

Ce n’est pas un effet du hasard que l’Empire eut toujours sa capitale en dehors des terres germaniques, dans les Marches de l’Est ou de l’Ouest, Comme le Carolingien et comme le Habsbourg d’autrefois, c’est en marge de l’ancien germanisme que le Hohenzollern d’aujourd’hui a sa ville impériale.

Au delà de l’Elbe, qui, de ce côté, est l’ancienne frontière germanique, Berlin garde encore son vieux nom slave, dans ce pays slave de Branibor, dont les comtes de la Marche, les margraves germaniques, firent leur électorat de Brandebourg, et c’est en annexant à cette Slavie de l’Elbe les Slavies et Lithuanies de l’Oder, de la Vistule et de la Pregel, en devenant rois de pays forains, rois en Prusse, que les Hohenzollern eurent enfin le moyen de devenir empereurs en Allemagne. En deçà du Rhin germanique, la capitale de Charlemagne, la Ville et la Chapelle des Eaux, a gardé jusqu’à nous son nom romain d’Aix-la-Chapelle, en ce pays gallo-romain, où le Carolingien avait commencé par être comte, duc et roi, et c’est des pays forains entre Meuse, Loire et Rhône, c’est de la Gaule romaine que Charlemagne tira les soldats et les armes qui soumirent à son imperium toute la Germanie.

C’est tout pareillement que le Habsbourg eut sa capitale à un autre bout du monde germanique, à l’entrée de ces plaines danubiennes qu’ont submergées tour à tour les invasions de toutes les races, en pleine Marche ou Royaume de l’Est, en Ostmark, en Ostreich, il fixa sa résidence en cette ville de Vienne, dont le vieux nom celtique continue de subsister sous les apports romains, germains et slaves, et c’est aussi dans ses royaumes forains de Bohème, de Moravie, de Hongrie et de Croatie, dans ses Slavies et Magyaries de la Moldau, de la Theiss et de la Save, que ce margrave d’Autriche trouva les moyens de conserver, durant cinq siècles, le titre impérial…

Avant les Habsbourg, qu’auraient été les Hohenstaufen, sans leurs royaumes forains de Bourgogne, de Provence et des Deux-Siciles ? et les empereurs franconiens sans leurs margraviats de Thuringe, de Bohême et de Moravie ? et les empereurs saxons sans leur quadruple et quintuple marche de Misnie, de Lusace, de l’Allmark, des Billungs et de Nordalbingie ? Avant les Saxons, quand s’éteignit la lignée légitime de Charlemagne, c’est un margrave de Carinthie, Arnulf, puis un margrave de Thuringe, Conrad, qui furent appelés à l’Empire.

Ainsi toutes les dynasties impériales sont montées du margraviat à l’Empire ; mais c’est faute d’une Marche que, malgré la grandeur, la prospérité et l’heureuse situation de sa monarchie bavaroise, jamais la plus authentiquement noble des maisons germaniques, — les Wittelsbach, — ne put se maintenir à ce pouvoir suprême, tant de fois convoité et plusieurs fois obtenu par elle. Car la Bavière, comme la Saxe sur l’Elbe, avait eu jadis sur le Danube sa Marche de l’Est : le margrave de Vienne dépendait alors du duc bavarois. Mais, s’affranchissant du duché et devenant le domaine du Habsbourg, on peut dire que cette Ostmark coupa désormais à la Bavière le chemin du pouvoir. Et la Saxe, après les Ottons eut les mêmes échecs que la Bavière, pour avoir aussi perdu sa Marche de l’Elbe, qui devint le domaine du Hohenzollern : privée de son margraviat, la Saxe ne put jamais reprendre la gloire et le fardeau de l’Empire que, durant un siècle, ses Ottons avaient si noblement portés.

Autour de cette cathédrale gothique, qu’est la majesté impériale, le margraviat et le royaume forain, les domaines mi-étrangers et mi-germaniques sont donc les contreforts indispensables : coupez-les, et la majesté s’écroule, comme les voûtes de nos cathédrales s’écroulaient dès que les fureurs civiles en abattaient les arcs-boutans. « Sans la monarchie prussienne, dit M. de Bülow, il n’y aurait pas d’Empire allemand ; avec elle, dans l’avenir, l’Empire restera debout et tombera. » Puisse cet avis ne pas être oublié de nos diplomates quand ils auront à traiter de la paix : si l’Europe veut ne plus rien avoir à craindre de l’Allemagne, il suffit, mais il faut que la Prusse disparaisse.

Et voici un troisième caractère de cet État fondé par la force, et par la force étrangère, de cet Empire margravial : « La rancune contre l’État, dit M. de Bülow, est coutumière en Allemagne ; elle est presque inconnue en Angleterre ; une des principales raisons pour lesquelles l’Anglais est si bon citoyen, c’est qu’il peut être dans l’État un aussi libre particulier. » Il n’y a pas de place dans l’Empire allemand pour de libres particuliers, pour des citoyens : l’Empire ne peut avoir, ne doit avoir que des soldats. La loi civile est, dans le monde, le lien d’autres États ; même à l’intérieur de l’Empire, elle est le lien de certains États allemands, en particulier des États du Sud, qu’ont civilisés leurs origines celtes, puis le voisinage séculaire et la domination des peuples latins. Mais c’est la seule discipline militaire qui lie et peut lier les sujets de l’Empereur. L’Empire allemand n’est toujours qu’une armée sur le pied de paix ou sur le pied de guerre ; retrempé par la guerre, il est toujours amolli et menacé de dissolution par la paix.

Aussi quand l’Empereur n’est pas en campagne contre les résistances ou les reprises de l’étranger, il doit être en manœuvres contre la rancune ou la désaffection de ses peuples. Toujours en route ; jamais en repos ; toujours en montres de sa majesté, en revues de ses troupes, ah ! ce ne fut jamais un métier tranquille que celui d’Empereur allemand ! Toujours chevaucher, toujours parader ! à travers monts et vaux, clairières et fourrés du grand bois germanique, errer, courir toute sa vie, chaque matin repartir sous le soleil ou sous la pluie, chaque soir se coucher en un lit d’emprunt !…

Heureuses majestés civiles des pays de droit laïque ou divin ! vous pouvez vivre à votre envie devant la foule ou dans la retraite, dans l’éclat de la pourpre ou dans les joies de la famille, derrière les grilles d’un palais ou sous les ombrages de vos parcs ! Heureux Bourbons de France qui, dans un rayon de vingt lieues autour de votre Paris, ne voyagiez qu’à petites heures, en lourds et lents carrosses, du Louvre à Saint-Germain, à Versailles, à Fontainebleau ! Les coteaux de la Seine étaient votre horizon ! Chambord était votre ultima Thule ! … Heureux Cobourgs d’Angleterre qui, durant tout votre règne, allez rendre une ou deux visites aux différens peuples de votre Empire, mais, d’ordinaire, ne changez de home que pour vos aises ou votre plaisir ! Vous ne montez en selle que pour vos chasses ; vous ne sortez en casque et sabre que pour aller chez vos soldats ou vos confrères en royauté !…

Toujours à cheval, toujours en vedette, l’Empereur allemand, n’eut jamais droit au loisir de la solitude, aux aises de l’habit civil. L’Allemagne n’a jamais respecté que deux majestés assises et solitaires : Charlemagne muré dans sa tombe d’Aix-la-Chapelle, et Barberousse endormi dans sa grotte des monts. Comme deux de ces grands premiers rôles de notre monde gréco-latin, acteurs, chanteurs, parleurs, musiciens, qui faisaient leurs tournées méditerranéennes aux temps des Empires d’Alexandre et de Rome, qui font leurs tournées mondiales aujourd’hui, deux empereurs d’Allemagne, un Charlemagne et un Guillaume II, peuvent n’avoir rien de commun, sinon l’obligation de toujours figurer devant la foule et de ne subsister qu’en tournées de représentation. Sa noblesse native, sa générosité, sa bravoure, son éducation latine, son respect de la loi chrétienne et la saine rudesse de son entourage donnèrent à Charlemagne de vivre son personnage, d’en avoir, avec l’attitude, les qualités et les vertus. Mais il faut, en toute justice, reconnaître que Guillaume II ne fut ni plus comédien, ni plus agité, ni plus phraseur, ni plus vaniteux, ni plus quêteur d’applaudissemens, ni plus craintif des sifflets que la plupart de ses prédécesseurs à cette rampe de l’Empire, où il fut entouré d’une servilité, d’une hypocrisie et d’une corruption toutes byzantines, — c’est le mot du pamphlet fameux Unser Kaiser und Byzantinismus. Guillaume II vint après Guillaume Ier, comme Frédéric II de Hohenstaufen après Barberousse : n’ayant pas étonné l’Allemagne par des victoires, il dut l’éblouir par des spectacles, des cortèges, des musiques et des discours militaires, la courtiser et la séduire par des flatteries à tous ses faibles, faire montre de tous les talens, lui apparaître tour à tour en chef d’armée et en chef d’orchestre, en amiral et en prédicant, en tragédien, en exégète, en interprète de textes cunéiformes : l’art, la science, la religion, la politique, la guerre, le passé, le présent, l’avenir, Babel und Bibel, rien ne devait échapper au « Surhomme » qui avait à conduire cette « Surallemagne. »

La perpétuelle exhibition de la personne et de la majesté impériales est une nécessité de cet Empire. Dans nos États nationaux, les Lois, les justes Lois apparaissent aux consciences les plus obscures et les plus révoltées comme les régulatrices ou les vengeresses de la vie privée et publique : du jour où Socrate mourant s’inclina devant Elles, plutôt que de leur refuser sa mort, c’est Elles qui règnent sur la Cité, sur les désirs ou les remords des citoyens ; à l’école de Rome, Elles durent seulement formuler leurs préceptes en un texte précis et clair, dont le citoyen pût vérifier et discuter l’application…

La Germanie eut toujours l’horreur d’une loi écrite, « exposition logique des vérités démontrées par la raison naturelle, applicable, par conséquent, à tous les peuples, ratio scripta, raison écrite[1]. » Le Germain n’a jamais accepté que les ordres oraux et individuels, les Commandemens du Chef. C’est le Chef, le noble Chef, que le Germain s’engage, du jour où il le reconnaît, à écouter docilement, à servir fidèlement, à suivre militairement ; mais il n’est jamais lié à l’État que par son « hommagei » au Chef, par son serment personnel, son engagement de bouche et de cœur. En l’an de grâce 1914, l’inscription à l’état civil fait de tout Français un citoyen quelques heures après sa naissance : ce qui fait, à vrai dire, le sujet allemand, c’est le serment militaire qu’il prête à son entrée dans la caserne du Maître. La naissance et la race n’ont rien à voir en cette attribution de l’homme à un Service : « Vous êtes Allemands et resterez Allemands avec l’aide de Dieu et de notre sabre germanique, — dit Guillaume II aux recrues de Metz (4 septembre 1893), — Deutsch sind Sie und werden Sie bleiben, dazu helfe uns Gott und unser deutsches Schwert. »

Or, on ne suit que ceux que l’on voit ; on n’écoute que ceux que l’on entend ; loin des yeux, loin du cœur ; la fidélité, d’ordinaire, ne s’entretient que par la présence. Les lois écrites tiennent le citoyen, et leurs textes demeurent ; mais les paroles s’envolent, et c’est l’homme qui tient son serment où l’oublie. La fidélité du serment et le respect de la parole sont les vertus les plus nécessaires au maintien de l’Empire allemand ; mais on ne peut pas dire qu’elles soient les qualités les plus marquées de l’esprit germanique : ni Bismarck, ni Luther, ces deux incarnations du génie de la race, ne furent aux heures décisives de leurs carrières des miroirs de véracité ; rien ne ressemble autant à l’affaire de la dépêche d’Ems que l’affaire du mariage de Hesse. Toute l’histoire d’Allemagne montre que la morale des « chiffons de papier » ne date pas de 1914 : la guerre perpétuelle n’entretient pas seulement le courage et la discipline ; elle développe le sens de la ruse, et la fraude semble toujours de jeu contre l’ennemi, adversus hostem œterna duplicitas.

Aussi, de par sa fonction, l’Empereur du xxe siècle, comme celui du xiiie ou du ixe, est-il condamné à une vie de chef errant. « Pour amalgamer, comme dit M. de Bülow, l’esprit allemand avec sa monarchie » prussienne, souabe, franconienne, saxonne ou franque, l’Empereur dut toujours intervenir quotidiennement et personnellement dans tous les rapports entre ses Allemagnes et sa majesté : il faut toujours habituer les sujets, par de subites apparitions et des alertes continuelles, à respecter la consigne impériale, à supporter l’unité nationale, à pousser l’offensive allemande. Quand l’Empereur fait son métier et y réussit, les Allemagnes, perinde ac cadaver, ne sont plus entre ses mains qu’un instrument inconscient et docile : « Il n’y a que deux choses parfaites au monde, s’écriait un jour un fervent serviteur du Tsar : l’Église catholique et l’armée prussienne. » Mais quand l’Empereur néglige son métier ou rate ses effets, le corps germanique reprend sa figure de monstre sans règle, irregulare aliquod corpus et monstro simile, disait S. de PÜfendorf au xve siècle, et les Allemagnes (la comparaison est encore de lui) ne sont plus qu’une cohue de Grecs marchant contre Troie sous le sceptre impuissant d’un Roi des Rois.

Si donc, — pensait M. de Bülow, — si l’Allemagne eût toujours entendu son intérêt et sa grandeur, elle se fût ralliée, corps et âme, esprit et volonté, aux regna militaires qui lui imposèrent successivement leur imperium. Elle eût toujours obéi au premier signe des monarchies franque, saxonne, franconienne et souabe de l’Ancien Empire. Elle obéirait à tous les ordres de cette monarchie prussienne qui vient de relever le Nouveau. Dans ce nouveau mariage, c’est « l’État prussien qui est l’être viril, l’homme et, comme tout homme méritant ce nom, il présente une foule de contrastes brutaux ; il n’est capable de grands services que si une forte volonté règne en lui. » Voilà encore l’une de ces heureuses formules qu’il faut souligner au passage : au gré de M. de Bülow, un homme ne mérite ce nom que dans la mesure de sa brutalité.

Le malheur est qu’en son ménage actuel avec l’État prussien, comme en ses ménages d’autrefois avec les États souabe, franconien, saxon ou franc, — et comme beaucoup de femmes dans beaucoup de ménages, — l’Allemagne semble ne pas admirer toujours la brutalité : souvent elle consent, parfois elle aspire à être battue, car son « tempérament inné » l’incline vers la soumission à l’être viril ; elle a le sens, l’amour de la discipline. Mais son esprit et son cœur ont de longs jours de rêverie où, regardant par-dessus les Alpes et le Rhin, elle envie, — c’est le grand défaut germanique : propter invidiam, disent Tacite et M. de Bülow, — elle envie le sort d’autres ménages. Là-bas, les nations-épouses subissent, sans doute, la loi de l’homme, mais lui imposent aussi la leur. Elles laissent au maître les relations avec le dehors ; mais elles règnent à leur foyer, sur leurs enfans, sur leur maison, sur la vie domestique ; elles discutent et ordonnent les dépenses, déconseillent les entreprises et les amitiés dangereuses, empêchent les coups de bourse et les coups de tête, calment les désirs de bataille ou de vaine gloire, orientent les efforts de la communauté vers la paix et le bonheur, — la paix, que l’être viril et ses contrastes brutaux mettent trop souvent en risque ou en oubli.

« C’est à l’Ouest et au Sud de l’Allemagne, dit M. de Bülow, qu’a été formé l’esprit allemand ; c’est en Prusse qu’a été formé l’État allemand. » C’est toujours, en effet, du Sud et de l’Ouest, par-dessus les Alpes et le Rhin, que depuis deux mille ans sont venues les idées, les préférences et les modes qui, acclimatées en terres germaniques, adaptées au tempérament héréditaire, ont conquis le cœur de l’éternelle Allemagne et, de siècle en siècle, façonné le génie allemand. C’est de Rome et de Gaule autrefois, d’Italie, de France, des Flandres, de Hollande et d’Angleterre ensuite, que passèrent en terres germaniques les croyances, les sciences, les arts et les lois.

Ratisbonne, Augsbourg et Nüremberg jadis, Munich aujourd’hui : grandes portes de cette influence du Midi qui fit de l’Allemagne du Sud une province romaine d’abord, une sujette de Rome, puis une élève des universités, des ateliers et des musées italiens, une cliente de Milan, de Florence et de Venise… Cologne et Mayence autrefois, Francfort et Strasbourg ensuite : grands ponts ou gués de l’influence occidentale. Ils amenèrent d’abord le christianisme, la morale de sa foi, la discipline de son Église, l’architecture de ses cathédrales et l’agriculture de ses abbayes ; ils importèrent ensuite les arts de la parole et de l’écriture, la poésie du Moyen Age et la littérature des derniers siècles, le latin de Charlemagne et le français de Louis XIV, les gestes, chansons et contes des xiiie, xive et XVe siècles, les tragédies, petits vers et romans des xviie, xviiie et xixe ; c’est par là que toujours entrèrent en Allemagne les conceptions politiques et les usages administratifs de la France, le Regnum et Imperium carolingien, « le Prince et les Bureaux » capétiens, « la Nation et la Liberté » révolutionnaires. Tous les fondateurs d’empire allemand eurent donc à concilier leur monarchie margraviale, leur absolutisme militaire, avec cet esprit que l’Allemagne empruntait toujours aux gens d’outre-Rhin. Quand M. de Bülow constate qu’après trois empereurs Hohenzollern et cinquante années du nouvel Empire, le problème capital est encore aujourd’hui de réconcilier l’esprit allemand avec la monarchie prussienne, il ne fait qu’énoncer une de ces vérités éternelles qui, à toutes les époques, dominèrent la vie des Empires germaniques.

Devenu empereur par les soldats et par les armes qu’il tirait de l’étranger, toujours le monarque-margrave sentit la double nécessité de donner une façade civile à l’Allemagne, qui la désirait, et d’emprunter cette façade aux seuls fabricans de cités et de civilité, aux nations latines. Ce fut vers la France ou vers l’Italie que toujours il regarda, lui aussi, pour copier l’État à la dernière mode. Mais toutes ces copies ne firent jamais que décevoir et l’envie de l’Allemagne et les besoins de l’Empereur.

L’Allemagne de 1848 était envieuse d’unité française et de libertés anglaises ; elle désirait une unité nationale, fondée sur les libertés parlementaires : « La démocratie patriotique de 1840 à 1850, dit M. de Bülow, rêvait une unification de l’Allemagne qui supprimât l’indépendance des États de la Confédération et fit reposer la force de l’union dans un Parlement d’Empire. » Les généraux du Hohenzollern ne lui avaient pas encore ouvert le chemin de l’Empire et son délégué à la Diète commune, Bismarck, semblait promettre à l’Allemagne une union toute moderne, et non plus une Confédération gothique, un Empire à la Napoléon, et non plus celui de Charlemagne, bref un État où, la place d’honneur étant réservée à une monarchie commune, on saurait accueillir dignement la nation et ses élus.

Après les victoires de la Prusse, que devient cet Empire national-libéral ? L’Allemagne avait rêvé d’une maison familiale qui abritât enfin toute la nation germanique, fraternellement conviée : dans le nouvel Empire, c’est une partie seulement des peuples allemands que l’on admet ; l’autre demeure exclue, sous le sceptre du Habsbourg dissident. Mais on fait une chaîne de peuples protestataires que l’on y adjoint de force et que l’on rive au trône du maître. Le résultat final n’est pas l’un de ces bons ménages parlementaires, où la Nation et l’État, l’Assemblée et le Monarque, jouissant de droits inégaux et de pouvoirs tout différens, se partagent néanmoins la direction et la responsabilité des affaires publiques. Ce n’est toujours que ménage de soudard, où l’être viril pense mériter son nom par la brutalité de ses contrastes et par la raideur de ses commandemens. C’est même l’un de ces ménages à trois, à dix, à trente, où la nation doit se donner tour à tour à plusieurs maîtres, subir la loi d’un empereur et de vingt-six rois, princes et souverains.

M. de Bülow est plein d’admiration pour cette œuvre de Bismarck : « La création bismarckienne de l’Empire a été magistrale, parce qu’elle créa un ensemble solide, sans détruire l’originalité et l’indépendance des différens États et parce que, tout en conservant les différentes monarchies dans le Nouvel Empire, elle fit de la Prusse l’État directeur, non seulement de nom, mais aussi de fait… Le Prussien Bismarck savait qu’en Allemagne on ne fonde et on ne conserve une forte vie gouvernementale que sous la forme monarchique et que l’Empire allemand, situé au centre de l’Europe, insuffisamment protégé par la nature de ses vastes frontières, doit être et rester un État militaire. » Je doute que les historiens du xxve siècle ratifient ces éloges de M. de Bülow.

Quand Bismarck, le génial ouvrier du Nouvel Empire, se mit à l’établi et commença de modeler le vase qui devait contenir enfin tous les espoirs, tous les désirs de la glorieuse, vertueuse, savante et philosophique Allemagne, ce fut comme en la fable du vieux potier romain : la Fortune lui prêtait sa roue ; les peuples, perchés sur lui, se demandaient quelle amphore noble et pure allait monter et sortir de ses mains ; la roue s’arrêta ; les mains s’ouvrirent : ce n’était toujours que la cruche germanique, l’éternelle « marmite » allemande, le vase de haine et d’explosifs à jeter sur la tête des voisins.

Tous les modeleurs d’Empire eurent, en terres germaniques, la destinée de Bismarck. De tous, l’Allemagne et le monde attendaient quelque belle amphore gréco-romaine, qu’eux-mêmes semblaient méditer et désirer. Mais, toujours plus forts que la volonté de l’homme, il semble que les caprices de la roue et les résistances de la matière renouvelaient toujours la déception. Avant la Nation et la Liberté du xixe siècle, d’autres Bismarck s’étaient mis en tête de copier, sur modèle franco-italien, Je Prince et les Bureaux des Temps modernes et, auparavant encore, sur modèle gallo-franc, le Regnum et Imperium du Moyen Age ; de ces deux formes politiques, aucune ne rendit à l’Allemagne les services qu’outre-monts et outre-Rhin, ou en avait tirés ; principes d’union et de paix civile en termes latins, toutes deux ne devinrent en Allemagne que sources de discordes et de guerres.

C’est dans la Gaule romaine et chrétienne, par l’heureux mariage du Droit et de l’Écriture, qu’était né ce regnum des Francs, qui confiait au rex, au nouveau chef des nations germano-latines, tous les pouvoirs de la res publica romaine et lui assurait tout le dévouement de l’Église chrétienne. Le roi devenait le magistrat unique de la res publica pour la gérance des intérêts civils et militaires, et l’avoué suprême de l’Église pour la défense des intérêts spirituels et sociaux : ce qui caractérisa désormais le roi, ce fut le devoir de paître son troupeau de sujets, non en loup ravisseur, ni avec le bâton du brigand, mais en père de famille chrétien, avec la houlette du bon pasteur ; ce qui caractérisa la royauté, ce fut l’onction divine, accordée moins à un homme qu’à une race, et ce fut, par suite, l’hérédité du regnum au profit de la famille élue de Dieu.

Dans tout l’Occident, durant quatorze siècles, depuis Clovis jusque la Révolution française et même jusqu’à nous, la royauté remplit sa fonction nationale dans la mesure de son hérédité, et c’est la race royale, où l’hérédité était le plus étroitement fixée par la loi salique, c’est la race de France qui fut du plus grand service pour l’unité et la continuité de la nation, pour la disparition des guerres privées et la diminution des guerres civiles… En terres germaniques, le regnum des Francs demeura quelque temps une « dignité héréditaire, » dignitas hereditaria, que les titulaires entendaient transmettre à leur fils comme un bénéfice de droit divin, conféré à leur race par Dieu lui-même, regnum hereditario jure nobis collatum. Mais la Germanie ne veut jamais « détruire l’originalité et l’indépendance de ses différentes » peuplades : bientôt, chacune d’elles revendiqua pour son chef la royauté commune et entendit que le regnum devint électif à son profit. Prétentions inconciliables… On en arriva néanmoins à ce que le roi de Germanie fût élu, et c’est l’élection par la foule ou par les princes qui lui permit d’accéder « au royaume paternel suivant le droit héréditaire, » jure hereditario paternis eligitur succedere regnis, dit, en une formule incompréhensible à nos cerveaux latins, l’un de ces Germains qui ont toujours excellé à concilier les contradictoires.

Aussi le résultat du regnum pour la Germanie, c’est quatorze siècles de guerres intestines, non seulement de guerres civiles entre les peuples ou les maisons, qui se disputent l’élection à la commune royauté, mais encore de guerres familiales, de guerres parricides entre les membres de la famille royale, frères contre frères, père contre fils, qui se disputent le commun héritage. La guerre parricide surtout, qui est la très rare exception dans la lignée des rois de France, devient la règle dans toutes les dynasties du royaume germanique : des fils de Louis Ier le Carolingien aux fils d’Henri IV le Franconien, au fils de Frédéric II le Souabe, au neveu d’Albert l’Autrichien, l’histoire de l’Ancien Empire en est tissue, et, trente ans après la fondation du Nouveau, même après l’installation de l’hérédité la plus fixe, un Guillaume II de Hohenzollern, se jetant sur la couronne par-dessus le corps de sa mère et voulant arracher une abdication à son père moribond, rentre dans la tradition germanique, qu’ont à peine adoucie dix siècles de Kultur, et qu’aujourd’hui son fils est tout disposé, nous dit-on, à reprendre contre lui.

Comparez de même les résultats de l’imperium à l’intérieur et en dehors des frontières allemandes. C’est de Rome que les Carolingiens le reçurent. Trois cent vingt-quatre ans (476-800) après que les Barbares avaient supprimé l’Empereur d’Occident, la res publica chrétienne conservait à Rome sa capitale occidentale et son chef spirituel, le Pape. Mais disloqués par les Invasions en de multiples regna germano-latins, la chrétienté, qui s’était donné en chacun des rois un avoué de ses intérêts locaux, n’avait plus pour défenseur de ses intérêts généraux que son Souverain Pontife. Or, après deux ou trois siècles de luttes inégales, le Pape se sentait impuissant à écarter de la Cité Chrétienne les assauts de l’Islam, à maintenir la morale et la discipline chrétiennes contre les corruptions de la barbarie, à sauvegarder l’indépendance et les domaines de l’Église contre les empiétemens des royautés.

En l’an 800, la Papauté restaurait donc l’Empire au profit de Charlemagne pour le service de la res publica chrétienne : le chef unique des regna de Gaule, d’Italie et de Germanie devenait le chef suprême de la chrétienté d’Occident. Cette union du Regnum et de l’Imperium établissait un dangereux cumul de besognes contradictoires : l’Empereur et Roi aurait à servir ensemble les intérêts d’une ou de plusieurs nations et ceux de toute la chrétienté, à mener les soldats et à gérer les consciences, à protéger et à diriger les clercs : toutes les monarchies, issues de l’empire carolingien, mirent de longs siècles à résoudre ce triple problème des relations que l’Imperium établissait entre eux et l’Église. Mais, outre-Rhin et outre-monts, l’esprit politique des Latins surmonta toutes les difficultés, et la France, après quelques tiraillemens, trouva la solution la plus élégante en cette « royauté impériale », comme disaient les légistes, qui, sans avoir le titre de l’Imperium, sut en acquérir tous les bénéfices et en accomplir tous les devoirs. Chef de la Croisade, fils de Saint-Louis et « évêque extérieur » en son royaume, le Capétien, fidèle serviteur de la nation française, apparut néanmoins à toute la chrétienté d’Occident comme le défenseur de la foi, de la morale et de l’Église chrétiennes, et rien ne servit les intérêts de la nation et ceux de la dynastie tout ensemble, — et ceux de l’humanité par surcroît, — autant que le rôle très chrétien de notre royauté.

En terres germaniques, l’Imperium devint un fléau pour la nation, pour les dynasties et pour la chrétienté : ni la Croisade, ni la morale chrétienne, ni la hiérarchie ecclésiastique ne rendirent à l’Allemagne les mêmes services politiques qu’à la France.

La Croisade allemande ne fut presque jamais le fait de l’Empereur. Elle n’en fut pas moins active, surtout contre les païens du Nord et de l’Est. Mais, loin de servir le pouvoir de la monarchie, elle eut pour premier résultat d’augmenter sans arrêt cette puissance des margraves, sous laquelle tombèrent l’une après l’autre les dynasties d’empereurs, au grand dommage de l’unité et de la continuité nationales. En outre, la Croisade contre les Musulmans mettait la chrétienté d’outre-monts et d’outre-Rhin en contact avec les deux civilisations arabe et byzantine : les arts et les sciences de l’Italie et de la France y gagnaient chaque fois. La Croisade contre les païens ne ramena au sein du germanisme que tribus sauvages et mœurs barbares ; elle n’entretint chez le Germain qu’appétits de conquête. Après d’inutiles, mais généreux exploits, la chevalerie latine revint plus chevaleresque de Terre-Sainte ; la chevalerie teutonique est restée jusqu’à nos jours dans ses acquisitions de l’Est, comme une milice énergique, mais hautaine, avide et détestée ; de l’Elbe au Niémen et jusqu’à la Duna, elle est toujours la semeuse de haines entre les nations, la servante et la bénéficiaire du militarisme prussien pour l’exploitation des autres races.

Quant à la morale chrétienne et à la hiérarchie ecclésiastique, elles devinrent tout d’abord un excellent outil de Kultur et d’organisation impériales. Durant les deux premiers siècles et sous les deux premières dynasties de l’Ancien Empire (800-1024), elles eurent comme le monopole dans la formation d’une conscience et d’une autorité germaniques. Mais, par-là même, elles privèrent l’Allemagne d’une nation véritable, en privant ses peuples de ce « sens de l’Etat » que la Rome païenne avait transmis à tous ses disciples. En Allemagne, toutes les théories et toutes les applications du droit impérial devinrent d’Eglise, et non d’État ; l’Allemand devint un bon chrétien peut-être, mais non pas le citoyen, l’animal politique qu’avait façonné le paganisme. Les germanisans ont raison d’opposer au droit laïque des Romains le droit chrétien de Germanie : le droit pour les Latins émane de l’État et de la volonté du peuple ; il est toujours considéré par les Germains comme une manifestation de la volonté divine. Onze siècles après Charlemagne, M. de Bülow trouve encore dans ce manque de sens politique l’une des pires faiblesses de tout Empire allemand.

En outre, si l’Église fut domestiquée, exploitée, violentée et corrompue par la barbarie de l’Empire durant ces deux premiers siècles de servage, elle prit sa revanche durant les deux siècles suivans, contre les deux dynasties franconienne et souabe (1024-1250) : au nom de la morale chrétienne, elle leur fit la Querelle des Investitures, puis, au nom des libertés ecclésiastiques, le procès de la Monarchie universelle ; la dynastie des Franconiens fut victime de la première ; la dynastie des Hohenstaufen succomba sous le second. Au bout du compte, l’Église triompha doublement de l’Empire, et ce fut le Grand Interrègne. Mais ces deux cents années de guerres religieuses (1024-1250) se continuèrent en trois siècles de luttes cléricales pour aboutir à la destruction de la res publica chrétienne, à la scission allemande de Luther, à la Réforme (1250-1525).

Comme fruit du Regnum germanique, l’Allemagne avait eu la guerre civile et familiale ; comme fruit de l’Imperium, on eut la guerre religieuse et étrangère. Une Royauté déconsidérée, dépouillée de ses droits, pouvoirs et revenus par tout ce qui possédait et maniait une arme, — un Empire dépecé en une multitude de souverainetés quasi absolues, quasi indépendantes, — une Église à moitié dissoute déjà par l’instinct particulariste de cette éternelle Allemagne : voilà ce qu’en terres germaniques l’œuvre de Charlemagne donnait entre les mains du dernier des grands Empereurs et Rois, Frédéric II de Hohenstaufen (1218-1250), à l’heure même où elle donnait en terres françaises la royauté impériale, nationale et chrétienne de saint Louis (1226-1270).

Mais c’est alors que, des universités d’Italie et de France, le légiste, apportant les nouvelles conceptions qu’il empruntait au droit laïque des Romains, fournit à tous les États modernes leur double fondement du Prince et des Bureaux. On connaît les services que le légiste rendit à la France, à la grandeur de sa dynastie, à l’unité de sa nation : du fils de saint Louis, Philippe le Bel, à son dernier « petit-fils », Louis XVI, le légiste fit de la royauté française la plus absolue et la plus nationale tout ensemble, de la France la plus moderne des royaumes, et de la nation française, la moins mécontente et le plus fière de son destin. Mais, en terres germaniques, chaque peuple, chaque canton, chaque seigneurie voulant avoir son Prince et ses Bureaux, l’Empire unitaire dut céder la place à une anarchie de principautés toujours rivales, toujours armées pour le combat entre voisins, toujours prêtes à l’alliance avec l’étranger, parfois confédérées de nom, rarement alliées de cœur, — et ce fut pour l’Allemagne entière les six siècles de guerres princières, au-dessus desquelles planait l’arbitrage impuissant de la dynastie autrichienne, dans lesquelles intervenaient tour à tour les armées de l’étranger.

De 1250 à 1815, il serait plus facile de compter les années où l’Allemagne ne fut pas envahie, ravagée, où l’Allemand récolta le grain qu’il avait semé, mangea son pain, vécut sa vie, que celles où il enfourna pour l’envahisseur ou le garnisaire. Il y avait alors une souveraineté impériale et une intégrité germanique comme il pouvait exister, hier encore, une intégrité marocaine et une souveraineté chérifienne : comme le Maroc d’hier, l’Allemagne d’alors, faute d’être une nation, n’était qu’un champ de bataille où l’autonomie des « caïds » et le « droit de voisinage » mettaient aux prises toutes les ambitions du dedans et du dehors.

La guerre, toujours la guerre, rien que la guerre, fut le fruit allemand de tous les régimes que l’Allemagne acclimatait du dehors et qui produisaient au dehors autre chose que la guerre ! Guerre civile, guerre familiale, guerre religieuse, guerre princière, guerre étrangère : entre les formes différentes de la bataille humaine, ces différens régimes ne laissaient à l’Allemagne que le choix ou le cumul. Du Carolingien au Hohenzollern, l’Ancien Empire (800-1250) et le Grand Interrègne (1250-1870) donnaient à la Germanie et à l’Europe dix ou onze siècles de violences. En 1913, après quarante années de paix armée, M. de Bülow prédisait que le Nouvel Empire leur donnerait une nouvelle explosion de cette « politique résolument nationale. » En 1914, le petit-fils de Guillaume le Grand ajoutait à la longue liste des formes de guerre allemandes un nouveau spécimen : la guerre mondiale. L’Empire romain avait trouvé sa devise dernière dans l'Unanimitas pacis romanœ, dans l’Unanimité de la paix romaine. Il semble qu’aujourd’hui l’Empire germanique, après onze siècles de grandeur, de décadence et de renouveau, ait enfin découvert la sienne : Unanimitas belli humani, l’Unanimité de la guerre humaine.

Victor Bérard.
  1. J. Janssen, L’Allemagne et la Réforme, I, pp. 150-151.