L’Âme nue/L’Église

G. Charpentier et Cie, éditeurs (p. 171-175).
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L’ÉGLISE


à armand silvestre



Les vierges des vitraux et les saints en camail,
Tamisant le soleil dans leur corps translucide,
Versent des tons mouillés et des lavis d’émail
Sur les marbres luisants qui montent vers l’abside.


Les cierges clignotants tremblent au pied des croix,
Dans l’ombre où les lauriers se penchent sur les vases ;
Un silence mystique engourdit les airs froids
Que les vapeurs d’encens ont parfumés d’extases.

Et dans la solitude énorme du saint lieu,
Les sièges, flancs à flancs, s’alignent en prière :
On dirait, prosternés sous l’image du dieu,
Des spectres de l’ennui qui pleurent sur la pierre.

 
Un malaise sacré tombe des cintres lourds ;
Par degrés, lente, autour des colonnes massives,
Voici que la nuit tend ses nappes de velours :
L’âme d’un siècle mort plane sous les ogives.


Elle descend, la nuit muette : son front brun
Se couche pour dormir dans l’angle des chapelles ;
Les feux, les ors, les tons, tous meurent, un par un…
La nuit dort. Les vitraux sont voilés de dentelles.


                                  ⁂



Oh ! ne pouvoir plier l’orgueil de mes jarrets
Vers ces dalles que tant de douleurs ont baisées !
Ne plus pouvoir prier sur les marches usées
Des vieux autels que j’adorais,
Au temps où mes ferveurs apprises
Se courbaient sous les voûtes grises
Et voyaient Dieu dans les églises
Ou les forêts !


L’âge pieux n’est plus où je chantais les psaumes
Et les vers incompris des cantiques romains,
Où mon enfance émue élevait ses deux mains
Vers l’Enfant-roi né sous les chaumes,
Âge naïf, bel âge blanc
Où sur mon cœur déjà brûlant
L’amour du Berger consolant
Mettait ses baumes !

.



Ô Christ, tu n’es pas Dieu ! Jésus, tu me trompais !
Mais qu’importe l’erreur, si la foi nous assiste ?
Pourvu qu’on aime un dieu, qu’importe qu’il existe ?
Tout est beau, si je me repais
D’un mot par qui mon cœur exulte :
Qu’il soit tangible ou soit occulte,
Il faut un rêve ! Il faut un culte !
 Il faut la paix !



Dans l’air religieux et tiède de la chambre,
Les flambeaux parfumés versent des reflets d’ambre.

Toute nue, allongée, Elle dort, les seins droits :
Ses pieds sont joints, ses bras sont déployés en croix.

Vers l’épaule, sa tête impassible se penche,
Et ses cheveux luisants glissent sur sa peau blanche.

Son front rit, son sommeil a des rythmes si lents,
Si doux, si lents qu’à peine ils soulèvent ses flancs.

Son âme est insensible et sa chair inféconde :
Mais Elle est la splendeur et la gloire du monde.

Son cœur n’a ni regrets, ni vœux, ni passions,
Mais Elle est la douceur des consolations.

Un charme destructeur flotte autour de sa bouche :
Mais sa lèvre guérit les chagrins qu’Elle touche.

Les clous des sept péchés, les clous des sept douleurs
Sur son chevet sacré font des grappes de fleurs.

Et parmi le roseau, les trois lis et les palmes,
Une tête de mort baise ses deux pieds calmes.