L’Âme bretonne série 1/Le Théâtre du peuple en Bretagne



LE THEATRE DU PEUPLE
EN BRETAGNE




À M. A. Delboulle


La Bretagne aura demain son « Théâtre du peuple ». Il se dressera en plein air, sur la place publique du petit bourg de Ploujean, près de Morlaix. La campagne, autour de Ploujean, a je ne sais quelle beauté méditative, comme une beauté de pensée, tant les lignes en sont graves et douces ; il semble qu’elle fonde en elle l’austère pays de Léon et l’aimable Trégorrois. Ploujean même, mitoyen aux deux diocèses, emprunte à l’un et à l’autre. Le leur-ger où se dressera la scène passe justement pour l’un des plus pittoresques de la Bretagne, avec son cimetière latéral, ses grands ormes, son clocher à jour et son encadrement de maisons basses, trapues et grises, aux pierres rejointoyées par des filets de chaux vive qui leur font un quadrillage argenté. L’inauguration du théâtre est fixée au 14 août 1898. Je ne veux point anticiper sur la représentation ; je dirai seulement qu’on y jouera un antique mystère, la Vie de saint Gwénolé, et que les acteurs qui joueront ce mystère sont des artisans et des laboureurs de la localité, petites gens donc, sans grande éducation, sans talent même, au sens où nous le prenons des acteurs ordinaires, mais de foi vive et tout soulevés par endroits de je ne sais quelle fureur barbare et sacrée. Le chef de la troupe, Thomas Parc, dit Parkik, cumule, dans le privé, les professions de cultivateur, de fournier, d’aubergiste et de barbier. Placée sous le patronage des plus hautes autorités du monde celtique (MM. Gaston Paris, d’Arbois de Jubainville, Alexandre Bertrand, Gaidoz, Loth, Ernault, etc.), la représentation de Ploujean ouvrira un nouveau cycle et marquera peut-être une date dans l’histoire du théâtre populaire breton.

À la vérité, ce théâtre n’avait point cessé d’exister, mais il n’avait plus qu’une vie pâle et intermittente. La dernière représentation connue remonte à 1888 et fut organisée par le savant folk-loriste F.-M. Luzel. On y avait convié la presse parisienne ; elle vint au rendez-vous et s’en retourna criant à la mystification. Je n’ose point dire qu’elle ait eu tout à fait tort. Luzel était un lettré fort respectable et le meilleur homme du monde au demeurant : Celte jusqu’au bout des ongles, les dieux lui avaient dénié toute espèce de sens pratique. Cette représentation, qui demandait le plein air et la foule, il l’avait donnée dans une sorte de cave, aux chandelles, devant un public goguenard de clercs d’huissier et de garçons de magasin. Le rideau tombait et se relevait à contretemps ; les entrées et les sorties n’étaient point réglées ; le souffleur avait déserté son poste. Et, pour que la bouffonnerie fût complète, on avait laissé aux acteurs le soin de s’habiller à leur guise. Ces pauvres gens n’y entendaient point malice. Ils figuraient des princes, des princesses, des chevaliers, des évêques et des pages, et ne paraissaient point trop mal à l’aise dans des emplois si disproportionnés. Mais ils manquaient totalement de critique ; la pièce qu’ils jouaient (Sainte Tréphine et le roi Arthur) nous reporte au VIe siècle de l’ère chrétienne, ce qui n’empêchait point Arthur d’avoir dans sa suite un cavalier du 5e « tringlot » et la bonne Tréphine d’arborer sur sa perruque un chapeau mascotte dans le dernier goût du jour. Tel qui jouait un messager anglais avait enfilé une tunique de dragon ; tel autre, qui prêtait sa haute stature et sa voix d’airain au traître Kervoura, s’était coiffé d’une turlurette à grelots ; et Abacarus, roi d’Hibernie, drapé dans un peignoir blanc, trônait au milieu d’une cour de pierrots et de débardeurs. La municipalité de Morlaix — quantum mutata ! — avait dignement fait les choses sans doute : chacun des acteurs avait reçu, pour ses frais de costume, environ 3 fr. 70. Ils étaient dix-sept ; le total de la subvention montait à cinquante francs !

S’il ne s’était agi que d’une représentation populaire, devant un auditoire approprié de paysans et de marins, il n’y aurait eu que demi-mal. La « couleur locale » est une invention de blasés : le peuple s’en soucie peu et ses fournisseurs habituels encore moins. Ils ignorent tout de la chronologie : dans le Mystère de sainte Geneviève, Charles Martel est général en chef des armées de Henri IV ; dans le Mystère de saint Gwénolé, les Sarrasins font une descente en Bretagne trois cents ans avant l’apparition de Mahomet. Un public qui s’accommode de ces à-peu-près historiques n’est point trop exigeant en matière de costumes. Il se peut qu’à défaut de fidélité ces costumes aient eu jadis quelque fraîcheur et même une certaine richesse. Dans le Buce en tri Roué (mystère vannetais des trois Rois), par exemple, cité par M. d’Arbois de Jubainville, le manuscrit porte comme indication de costume pour Hérode : « une chemisette brodée d’or, des culottes, des bas, des souliers blancs, des gants jaunes, un beau sabre attaché à un ruban de soie bleue, une cravate de toile, une robe de chambre dont les manches sont fendues jusqu’aux coudes, un bonnet de velours bleu avec trois boutons d’or au sommet, une couronne de fer-blanc faisant bordure, les cheveux cachés dessous, un bâton royal ou sceptre jaune dans la main droite ». De tels costumes, si compliqués, ne purent être d’emploi qu’aux premiers jours de la scène bretonne et en un temps où c’était le clergé lui-même qui réglait les représentations, composait les pièces, copiait les manuscrits, distribuait les rôles et ouvrait toute grande aux acteurs la garde-robe paroissiale. Le théâtre n’était alors que le prolongement de l’église ; la pièce continuait le prône et lui servait d’illustration. Plus tard, quand le clergé se fut désintéressé des représentations populaires, sans que le théâtre breton, coupé de ses origines liturgiques, eût réussi comme en France à se séculariser dans sa lettre et dans son esprit, les acteurs, livrés à eux-mêmes et quoiqu’ils protestassent justement du caractère édifiant de leur apostolat dramatique, durent subvenir en personne aux frais de la mise en scène et des costumes. Pour ceux-ci, ils les fabriquaient comme ils pouvaient ou les louaient chez des fripiers. Au besoin, ils se satisfaisaient de moins encore, et c’est ainsi qu’au témoignage d’un contemporain, cité par M. d’Arbois de Jubainville, le rôle de la Vierge, dans une représentation donnée à Vannes du Mystère des trois Rois, était joué par un paysan qui avait simplement et pour tout costume passé sur ses habits une chemise de femme ; le pétras n’avait même pas quitté son chapeau noir à larges bords !

Par parenthèses, il ne faut point trop s’étonner que le personnage de la Vierge ait été, dans ce mystère, confié à un homme. Il en est ainsi, en Bretagne, pour tous les personnages féminins. Le rôle de sainte Tréphine était tenu à Morlaix, en 1888, par un cordonnier du nom de Hernol. Semblablement, dans le Mystère de saint Gwénolé, c’est un cultivateur, Pierre Pape, qui tient le rôle d’Alba, mère du saint, comme son frère, Jean-Marie Pape, cultivateur, tient le rôle de Marharidik et Jean-Marie Keringant, forgeron, celui de Clervie. Cette distribution est un souvenir du moyen âge qui interdisait aux femmes de paraître sur la scène dans les mystères dramatiques, mais, par une contradiction singulière, autorisait leur présence dans les mystères mimés et dans les « tableaux vivants ». L’arrêt de la Cour de Rennes du 24 septembre 1753, « faisant défense aux artisans, laboureurs, etc., de représenter des tragédies ou comédies », parle bien d’ « enfants de famille de différent sexe ». Simple confusion : étrangers à la Basse-Bretagne, les juges de Rennes s’en tenaient trop strictement à la lettre du texte portant indication de personnages féminins et ne réfléchissaient point que les rôles de ces personnages étaient tenus par des adolescents du sexe fort. Cet arrêt de 1753 est intéressant à d’autre titres. Il nous apprend que les représentations de mystères bretons ou, comme on disait, de tragédie bretonnes, avaient surtout lieu à cette époque dans les villes et bourgades de l’évéché de Saint-Brieuc. Les acteurs n’étaient pas des citadins, mais des « jeunes gens de la campagne. » L’arrêt parle de « quarante ou cinquante enfants de famille s’attroupant et abandonnant pendant un temps assez considérable leurs devoirs et les travaux de la maison paternelle pour se mettre en état de jouer leurs rôles ». Les représentations duraient effectivement deux et trois jours. Vainement une ordonnance du 7 novembre 1714 les avait une première fois suspendues « dans la ville de Guingamp » ; une autre ordonnance, en date de 1732, portait « deffence de jouer à Lannion ny dans aucun des faubours d’ycelle la Conversion de saint Guillaume » : ces représentations en langue bretonne répondaient à un besoin si profond que le peuple y accourait de plusieurs lieues à la ronde.

Sur toutes les routes de Bretagne, dans la nuit qui précédait la première « journée », c’était, sous les étoiles, un exode singulier, le fiévreux défilé de paroisses entières qu’un vent sacré, une irrésistible et magnétique haleine, semblait chasser vers la ville des quatre aires de l’horizon. Un mot d’ordre fixant la date et le lieu du rendez-vous circulait de foire en foire longtemps à l’avance, et, colporté dans les veillées d’hiver par les pillawers et les mendiants, faisait en quelques semaines, à la muette, le tour du pays, pénétrait subrepticement dans les chaumières les plus reculées. Dès lors, aucune défense, aucun interdit, laïque ou religieux, n’eût pu arrêter le branle des imaginations et des jambes. Coûte que coûte, on se mettait en marche par familles, par tribus, hommes, femmes, enfants, l’un traînant l’autre. Un piétinement de foule, pareil à une rumeur de mer montante, emplissait les chemins creux de la Cornouaille et du Goëlo ; à peine si l’on prenait le temps de s’arrêter aux fontaines quand la soif était trop grande, et beaucoup, en marchant, mordaient à même dans la miche de pain bis qu’une ménagère prudente leur avait pendue au col. Des campagnes, l’enthousiasme gagnait les bourgades et la ville. C’était à qui, de ses deniers ou de ses soins, contribuerait à l’éclat de la représentation. Une complicité générale paralysait les mauvaises dispositions de l’autorité civile et du clergé. Les menuisiers, charpentiers, forgerons donnaient gratuitement une ou deux journées de travail ; les paysans fournissaient le charroi, les aubergistes des fûts vides, les bourgeois des ornements et des planches. Il n’était pas jusqu’aux familles nobles qui ne se fissent un devoir de fouiller dans leur garde-robe et d’y emprunter « de vieilles rapières rouillées, des perruques, des habits de marquis et de marquises, des tentures à personnages, voire des costumes de gardes nationaux pour orner la scène et habiller les acteurs ». Une quête, au commencement et à l’issue de la représentation, servait à défrayer ces braves gens et à solder le banquet gargantuélique qui les réunissait sous quelque tente à la fin de la dernière journée. « Je remercie les nobles et les bourgeois de qualité qui nous ont prêté leur assistance, dit le prologue de Louis Eunis, et je leur souhaite l’accomplissement de tous leurs désirs en ce monde et le Paradis en l’autre ». — « Je ne saurais remercier trop les gens du canton de nous avoir secondés, dit un autre prologue tiré du Mystère de Moïse, chacun suivant ses moyens, en nous prêtant des charrettes, des planches, des soliveaux et des barriques pour construire notre théâtre. » Le clergé seul, sauf en quelques paroisses où il était revenu sur son interdit, ne désarmait pas. Dans l’épilogue de la Vie de monsieur saint Jean-Baptiste, l’acteur s’écrie tristement : « Tout ici-bas trouve sa fin, tout, excepté la grâce de Dieu : notre tragédie aussi touche enfin à son terme. — En l’année 1763, nous avons donné une représentation de la Vie de saint Jean-Baptiste, copiée sur le cahier écrit à Pluzunet par un jeune homme du pays. — Nous eussions bien désiré continuer d’en donner des représentations, mais, hélas ! un ordre de monseigneur l’évêque de Saint-Brieuc défend les représentations de tragédies bretonnes dans toute l’étendue de son évéché. — Il y est même dit que représenter des vies de saints est un cas réservé : et, cependant, interrogez l’histoire, feuilletez les livres les plus anciens du pays, vous n’y trouverez nulle part que ce soit même un péché véniel que de réciter les vies des saints ».

La conviction de ces pauvres komedianchers était fort grande, en effet, la plupart du temps. Si l’Église ne les avait pas laissés à eux-mêmes, nul doute qu’ils n’eussent jamais manqué aux bonnes mœurs et à la bienséance. Mais l’écart était trop considérable déjà entre la mentalité des campagnes bretonnes, restée stationnaire depuis le XVe siècle, et les façons policées, la délicatesse relative de la bourgeoisie et du clergé des villes. Ce n’était guère par son raffinement que brillait le théâtre du moyen âge. Le réalisme y était des plus vifs ; toutes choses, pour y être saisies du public, devaient être traduites aux yeux devant qu’à l’esprit. Dans un Mystère de la Nativité, du XIIIe siècle, la Vierge accouchait sur la scène ; la didascalie dit expressément : Maria vadat in lectum suum et pariat filium. Semblable spectacle se voyait en Bretagne dans le Mystère des Trois Rois. C’est un viol qui sert de pivot dramatique au Mystère de sainte Nonne, et ce viol s’accomplissait aussi sur la scène.[1]. La crudité de ces situations ne choquait aucunement le public, pas plus qu’elle n’avait choqué autrefois le clergé. Mais celui-ci avait marché avec le siècle et ne comprenait plus ces enfances. En certaines paroisses, sans prétendre couper court aux représentations populaires, il s’efforçait tout au moins d’en atténuer le péril. Un anonyme, ecclésiastique évidemment, dans la préface manuscrite du Buce en tri Roue, reconnaissait qu’il y a « un petit bien quelconque à tirer du théâtre » et en particulier de « la farce sainte des Trois Rois », mais sous condition que la scène de l’accouchement fût supprimée et que, dans les représentations futures, on remplaçât par une statue «  l’actrice ou l’homme déguisé en femme qui représentait la Vierge ».

J’ignore si les acteurs du mystère tinrent compté de ces observations. Ce qu’il y a de sûr, c’est que ni l’interdit de l’Église en quelques endroits, ni ses réserves, en d’autres, non plus que les trois ordonnances de 1712, de 1732 et de 1753, ne parvinrent à déraciner le goût du théâtre chez les paysans bretons. L’orage passé, le vieil instinct héréditaire, comprimé, persécuté, nullement affaibli, se redressa comme par enchantement. C’est qu’au plus fort de la tourmente le théâtre indigène, proscrit de la place publique, avait trouvé un refuge au foyer de la famille. La nuit venue, dans les longues veillées d’hiver, laboureurs et pâtres se serraient sous le chambranle de la vaste cheminée. « Alors, dit Luzel, le tad-coz (l’aïeul) tirait pieusement du fond du vieux bahut sculpté quelque antique manuscrit, recouvert d’un parchemin jauni et crasseux, précieux héritage légué par les pères et pour lequel la famille avait une grande vénération, car elle le croyait doué de certaine puissance inconnue, d’une vertu secrète, d’où dépendait ou son bonheur ou son malheur. Il l’ouvrait gravement, se signait au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, puis déclamait d’un ton solennel un acte ou deux de la Passion de notre maître Jésus, de sainte Tréphine ou de toute autre œuvre populaire du même genre. » Parfois un des réveillonneurs, compagnon du tad-coz aux beaux âges du théâtre breton, lui donnait la réplique ; les couplets alors, sur un rythme de plain-chant, déroulaient leurs grandes ondes alternantes ; une atmosphère d’héroïsme enveloppait l’assistance ; le geste large des récitants semblait écarter les murs et faire surgir dans une brume d’enchantement les mystérieux paysages sous-marins, l’ondoyant décor des Atlantides bretonnes…

Bercée à ce foyer, la tradition dramatique ne se perdit point en Bretagne ; comme Arthur, elle n’était qu’endormie et n’attendait qu’une occasion pour rebondir à la lumière. 89 la lui donna, et ce n’est peut-être pas un des effets les moins singuliers de ce cataclysme social qu’il ait provoqué, en Bretagne, le réveil d’un théâtre foncièrement, exclusivement religieux. Plus tard encore, dans les moments de crise politique et dès que la surveillance de l’autorité semblait se relâcher, la tragédie bretonne refaisait son apparition, timidement au début, dans des salles fermées, puis ouvertement, en plein air. Les premières années du règne de Louis-Philippe et de la seconde République furent ainsi l’occasion d’un renouveau dramatique dans tout le diocèse de Tréguier, à Paimpol, à Lannion et à Pluzunet particulièrement. Jean le Ménager et Claude le Bihan, l’un fournier, l’autre cultivateur, paraissent avoir dirigé sous la Révolution et l’Empire la troupe de Pluzunet. À Lannion, les acteurs se réunissaient d’abord dans l’arrière-salle d’une maison sise rue de l’Allée-Verte et occupée maintenant par la boulangerie Guégou. Mais ils ne tardèrent pas à quitter ce réduit pour se porter sur le forlac’h, vaste champ de foire qui s’étend aux deux ailes du cimetière communal. La troupe locale qui donnait ces représentations avait pour directeur un tailleur de la rue de Tréguier nommé Yves Le Pezron, qui avait lui-même pour second un cordonnier nommé l’Hélicoq et un cultivateur de Loguivy, paroisse voisine, nommé Pierre Le Moullec. Les pièces qu’on jouait le plus fréquemment au forlac’h étaient la Vie de sainte Tréphine, la Vie de sainte Geneviève de Brabant, la Vie de sainte Hélène, surtout la Vie de Louis Eunius ou le Purgatoire de saint Patrice. Elles ont été éditées pour la première fois par mon père, imprimeur à Lannion et qui pensait donner ainsi satisfaction au goût dramatique de ses concitoyens. Jusqu’alors les acteurs qui jouaient ces pièces les apprenaient sur des manuscrits péniblement copiés par eux et qui ne leur avaient pas coûté quelquefois, comme le manuscrit du Mystère de sainte Anne à Pierre Le Moullec, « moins de trois hivers de travail et de patience »[2]. La troupe de Lannion se disloqua vers 1870[3]. Les manuscrits qu’elle avait en sa possession ou, comme on dit en Bretagne, les « cahiers de tragédies », furent répartis entre les acteurs. Il y en avait de précieux dans le nombre. Beaucoup s’égarèrent. Ce qu’on put sauver du reste fut déposé à la Bibliothèque nationale avec les autres mystères trouvés par Luzel dans ses diverses missions à travers la Bretagne. Mais personne ne prit soin de recueillir l’héritage dramatique de Pezron et de ses lieutenants. Le théâtre lannionnais avait cependant connu de beaux jours. On accourait en foule à ses représentations. Peut-être les acteurs n’apportaient-ils pas toujours un tact suffisant dans interprétation de leurs rôles. Le cidre frais et le gwin-ardent jouèrent plus d’un méchant tour, m’a-t-on dit, aux personnages sacrés de la pièce, déshabitués sans doute de nos libations terrestres. En général pourtant ces acteurs lannionnais étaient de fort honnêtes gens, laborieux et paisibles, et que leur métier sédentaire (ils étaient presque tous tailleurs, menuisiers, tisserands, couvreurs) munissait d’une intellectualité assez fine. Les représentations qu’ils donnaient deux ou trois fois l’an, si elles leur étaient un prétexte pour humer le piot de compagnie, satisfaisaient d’abord leur instinct du théâtre. Ces représentations étaient libres. Y assistait qui voulait et payait aussi qui voulait. L’acteur chargé du prologue ou de l’épilogue, au commencement et à la fin de chaque « journée », se bornait à recommander ses confrères et lui-même à la générosité des auditeurs. « De crainte que vous ne l’oubliiez, dit le prologue de Louis Eunius, je vous prie d’apporter chacun pour le moins une pièce de trente sols ; les pièces de vingt-quatre sols aussi ne seront point refusées, non plus que les rouleaux de vingt et dix sols ». Dans l’épilogue de Moïse, l’acteur revient, avec quelque insistance, sur ce point capital : « Honorables assistants, deux des acteurs vont maintenant descendre parmi vous, avec un plat chacun, et tous, j’en suis persuadé, vous ferez votre devoir et les verrez sans déplaisir. Car, comptant sur vos libéralités et pleins de confiance en votre générosité, nous espérons nous asseoir à une table bien servie et faire ce soir un peu de bonne chère ». Cette « bonne chère », cette frairie de la fin, c’était, en somme, tout le salaire des pauvres gens. L’intérêt, comme on le voit, entrait donc pour bien peu dans leur amour du théâtre. Ils exerçaient vraiment leur métier d’acteurs comme un ministère, avec un sérieux, une foi extraordinaires. Aussi avaient-ils sur le peuple une prise irrésistible. Pierre Le Moullec racontait que dans un repas de noce, au bourg de Ploulec’h, où on l’avait prié de « déclamer quelque chose », une jeune fille, en l’entendant réciter le terrible prologue du Jugement dernier, se « mit tout à coup à crier qu’elle se voyait environnée de flammes et que des diables hideux l’entraînaient en enfer ». Son faible cerveau n’avait pu résister à un tel ébranlement : elle était devenue folle. À Ploudaniel, un autre komediancher de talent, Kerambrun, dont la mémoire était prodigieuse, paria un jour de donner à lui seul une représentation du mystère sur le placitre de l’église. « À l’issue de la grand-messe, rapporte N. Quellien, il monta sur la borne où le garde-champêtre fait ses publications et il invita la foule à écouter l’aventure des Pevar mab Emon. Jusqu’à la nuit avancée, il tint la place indistinctement de tous les personnages devant une assistance ravie d’un tel événement. Les gendarmes de Lézardrieux durent mettre fin à ce spectacle en plein vent »[4].

Je ne sais trop ce qui amena la dislocation de la troupe lannionnaise. L’administration impériale, sollicitée peut-être par le clergé, la voyait d’assez mauvais œil. À partir de 1865, il n’y eut plus que de loin en loin, dans le diocèse de Tréguier, des représentations dramatiques. À Pluzunet pourtant s’était formée une nouvelle troupe d’acteurs, qui donna deux représentations d’un intérêt assez vif, l’une en 1867, à Saint-Brieuc, sous la direction de Luzel, l’autre en 1878, à Pluzunet même, le jour du grand pardon. Lanmeur eut aussi une compagnie d’acteurs qui se disloqua un peu plus tard et dont les « cahiers » furent achetés par la troupe de Ploujean ; il est question enfin, dans les Chansons et Danses de N. Quellien, d’une représentation des Quatre fils Aymon donnée à Langoat en 1886, lors des fêtes de Pâques, mais l’auteur ne dit ni par quelle troupe ni dans quelles conditions de mise en scène. C’est à Morlaix que la Melpomène bretonne, chassée du diocèse de Tréguier, cette Attique de la Basse-Bretagne, comme l’appelait Luzel, se réfugia définitivement, mais pour sombrer presque aussitôt dans une déchéance lamentable. Auguste Le Corre, ouvrier, né à Lannion, le 23 août 1807, s’était établi à Morlaix et y avait formé une troupe dans les premières années du règne de Louis-Philippe. Il avait pour second Vincent, puis Joseph Coat qui devait lui succéder plus tard, comme directeur. Cette troupe morlaisienne joua d’abord en plein air et en s’en tenant à l’ancien répertoire. C’est ainsi que Le Corre réduisit en une seule journée, pour sa troupe, le Mystère de sainte Tréphine qui fut représenté à Morlaix le 14 février 1844. On a conservé les noms des acteurs qui prirent part à cette représentation : Le Corre, Le Goff, Baillet, Baud, Pot-Loë, Corvezy, Dumoulin, Guéguen, Boga, Richard et Ginof. Sans doute n’eut-elle qu’un demi-succès, puisque Auguste Le Corre et Joseph Coat imaginèrent de traiter eux-mêmes des sujets mieux appropriés à leur auditoire, presque exclusivement composé d’ouvriers et de petits boutiquiers de la ville. Leur répertoire, à partir de ce moment, comprend surtout des pièces tirées de la Bibliothèque Bleue, telles que la Vie d’Olivier de Montrevel, les Douze pairs de France, la Vie de Jean de Paris, etc., dont l’auteur est Joseph Coat, ou empruntées directement des drames français en vogue, tels, que les Brigands de l’Estramadure ou l’Orphelin de la forêt, par Auguste Le Corre. Joseph Coat en particulier était un grand liseur de pièces françaises et étrangères. Il se les assimilait avec une sorte de frénésie, traduisant ou adaptant pour sa troupe tout ce qui lui tombait sous la main, sans distinction, depuis Mithridate, Athalie et Mérope, jusqu’à la Jérusalem délivrée, en passant par la Tour de Nesle et Agnès de Méranie. Ce fut vraiment le Hardy de la scène bretonne. Il n’a pas composé moins d’une centaine de pièces, aussi plates les unes que les autres, et dans un breton déguenillé à faire honte. L’ « actualité » patriotique lui inspirait, en 1859, une pièce intitulée : Martha ou La sœur hospitalière à la guerre d’Italie. Ce fut son triomphe. Dans l’intervalle cependant, la troupe morlaisienne avait quitté la place publique pour se transporter rue Bourret, dans une arrière-salle d’auberge où un plancher volant lui servait d’estrade. Plus rien là, ni le décor, ni les acteurs, ni le public, ni les pièces ne rappelaient l’ancien théâtre breton. Les acteurs étaient des ouvriers de la ville, quelques-uns même des portefaix sans état civil bien défini, comme Pot-Loë, Pot-Téo, Pot-Lannion, et, parmi eux, une anonyme désignée sous le nom de la « juène actrice ». La salle de la rue Bourret pouvait contenir de cent cinquante à deux cents spectateurs au maximum. Les représentations s’y prolongèrent jusqu’à la fin de l’Empire, d’où elles se transportèrent dans une autre salle dite de la Renaissance et sise place du Dossen. En 1888 enfin, le regretté Luzel et M. Rochelan, juge de paix à Plouaret, tentèrent de renouer la tradition en faisant jouer à Morlaix le Mystère de sainte Tréphine. Une compagnie d’acteurs paysans s’était nouvellement formée à Plouaret, sous la direction d’un tailleur nommé Mainguy ; ce fut à elle qu’ils s’adressèrent. L’échec fut complet. On pouvait craindre qu’il ne décourageât d’autres tentatives, et le théâtre breton semblait définitivement entré dans l’histoire, quand quelques cultivateurs d’une commune voisine de Morlaix, Ploujean, s’associèrent à des employés de la ville pour former une nouvelle troupe. Ils eurent la bonne fortune d’être aidés par un maire avisé, M. Émile Cloarec, qui disposa pour eux à Troudoustain, faubourg de Morlaix, une petite salle où ils jouaient le dimanche des pièces réduites de l’ancien répertoire et, de préférence, la Vie des quatre fils Aymon. Cette troupe, où l’élément campagnard était en majorité, présentait, à défaut de talent, des qualités de foi profonde et de réalisme vivace ; qu’il nous fut donné d’apprécier. Mis en rapport avec leur chef, Thomas Parc, nous songeâmes, Le Braz et moi, à utiliser sur une vraie scène, dans le décor traditionnel de la place publique, des qualités qui ne demandaient qu’à s’employer pour le plus grand honneur des lettres bretonnes[5]. Le choix de la pièce, empreinte d’un caractère profondément religieux, la parfaite moralité des acteurs, donnaient toute garantie au clergé de Bretagne ; Mgr Vanneau, évêque de Quimper, daigna patronner l’œuvre entreprise comme pouvant offrir à la population des campagnes bretonnes les éléments d’une distraction réconfortante et saine. Mais elle a d’autres avantages pour les lettrés. Le Mystère de saint Gwénolé, qui remonte vraisemblablement à la fin du XVIe siècle ou au commencement du XVIIe est écrit dans une langue relativement pure. On sait que les mystères bretons, comme les mystères français dont ils procèdent, peuvent se diviser en quatre grands cycles : le cycle de l’Ancien Testament, le cycle du Nouveau Testament, le cycle des Saints et le cycle des Héros. C’est au troisième de ces cycles qu’appartient le Mystère de saint Gwénolé. Il fait partie de la collection déposée par Luzel à la Bibliothèque nationale et qui comprend une centaine de numéros, parmi lesquels deux pièces comiques » seulement : La fille aux cinq amoureux et un Carnaval ou Farce faisant suite au Mystère de Charlemagne. Beaucoup de ces numéros, du reste, sont de simples répliques. En dehors de cette collection, on en peut citer trois ou quatre autres, comme la collection que M. Léon Burau, de Nantes, acquit à la vente de Jean-Marie Le Jean, instituteur et poète breton, la collection de M. Gabriel Millin, de l’île de Batz, et la collection morlaisienne de M. Émile Picot. Le catalogue de ces différentes collections a été dressé, il y a quelques années, par MM. Gaidoz et Sébillot. On y trouve des manuscrits et des imprimés, ceux-ci en petit nombre et pour moitié du XVIe siècle. Les éditions gothiques sortent presque toutes des presses d’un Breton établi à Paris, rue de la Bûcherie, et nommé Yves Quillevéré. Un autre libraire breton, Jean Hardoin, de Morlaix, publia vers le même temps la Vie de sainte Barbe. De nos jours enfin quelques imprimeurs régionaux (Guimer, Lédan, Le Goffic) ont donné des éditions populaires des mystères de saint Guillaume, des Quatre fils Aymon, de Louis Eunius, de sainte Geneviève de Brabant, etc. Il va sans dire que le texte n’en est point irréprochable et qu’il y a loin de ces éditions « à bon marché » aux éditions savantes de MM. l’abbé Sionnet, Luzel, La Villemarqué et Ernault.

Tous ces mystères semblent appartenir, par les mœurs plus que par la langue, au XIVe et au XVe siècle. La plupart sont en vers de douze syllabes à rimes plates. La Vie de saint Gwénolé est du nombre ; mais le Mystère de sainte Nonne contient des vers de toute sorte, depuis le vers de cinq syllabes jusqu’au vers de vingt ; le Grand Mystère de Jésus en contient de cinq, six, huit, dix et seize syllabes ; d’autres mystères, enfin, comme celui de sainte Barbe, sont en laisses rimées[6]. On ne connaît point de mystère en prose, et c’est, je pense, qu’il n’en a point existé. Car ce théâtre, tout mélodique, aurait eu de la peine à se passer du vers. Il se souvient du chœur où il est né, voilà sept cents ans, et le vers s’y psalmodie encore et ne s’y déclame point. Je ne sais au juste quelle a pu être la mélopée du Mystère de sainte Barbe ou des vers libres du Grand Mystère de Jésus. Quoi qu’il en soit, on reconnaît aisément dans la mélopée qui accompagne les vers des tragédies à rimes plates une imitation non déguisée du plain-chant romain. Cette mélopée est la même pour chaque acteur, et, comme les mystères bretons procèdent par couplets ou « tirades », elle n’y est presque jamais brisée. Au reste, tous les acteurs que j’ai vus à Morlaix, en 1888, s’y soumettaient correctement. Ils avaient la voix juste et nette, un grand sens des mesures, et prenaient garde, même aux endroits les plus pathétiques, de ne couper la phrase d’aucun geste déclamatoire. Je crois bien qu’il en devait être de même au moyen âge et dans l’antiquité. La mimique n’a dû se mêler à la récitation que de nos jours. Cette opinion ne paraîtra point trop hasardée, si l’on veut bien remarquer que nulle part plus qu’en Bretagne les traditions ne se sont conservées fidèlement et qu’il est permis d’y induire presque en toutes choses du présent au passé[7].

Sans doute, les représentations dramatiques n’y eurent jamais l’éclat et l’ampleur qu’on leur vît prendre dans nos autres provinces. Le théâtre breton, fort rudimentaire et tout en planches de sapin, çà et là voilées de feuillages et de tentures, s’adossait ordinairement à quelque mur de cimetière ou au pignon d’un édifice municipal[8]. La mise en scène n’y était point très compliquée. Il se peut qu’à l’origine et pour répondre aux nécessités d’une action qui se transportait, par heure, en vingt endroits différents, le théâtre ait été divisé, comme dans les mystères français, en un certain nombre de compartiments ou mansions. Cette mise en scène coûtait lourd et réclamait des escarcelles bien garnies. Si quelques villes s’en permirent le luxe, ce n’a dû être qu’aux occasions solennelles ou quand un grand seigneur en prenait les frais à sa charge, comme il arriva pour la représentation du mystère de la Passion et Résurrection de Notre Seigneur qui fut donnée à Rennes en 1430[9]. Plus tard, et quand le public des campagnes se fut épris du genre, il dut se former dans les petites villes et dans les bourgs des associations dramatiques analogues à celles d’aujourd’hui, où entrèrent des laboureurs, des tailleurs, des forgerons, des commissionnaires, etc. Ces braves gens allèrent au plus simple. « En thèse générale, dit Luzel, les théâtres bretons sont construits avec des planches, placés les unes transversalement, les autres perpendiculairement sur des madriers et des barriques… Quelquefois, à côté du théâtre principal, on en construisait un second, plus petit, un peu plus bas et destiné à jouer les intermèdes[10]. Des deux côtés, il y avait des coulisses reliées entre elles par un corridor circulaire ; au fond, existait un escalier par où les artistes pouvaient descendre sous la scène pour attendre leur tour de reparaître, pour repasser leurs rôles ou se rafraîchir. » Le détail vaut d’être noté, car le moyen-âge français semble n’avoir point connu ces coulisses, où les acteurs bretons, à l’inverse des siens qui restaient presque toujours en scène, se retiraient librement, une fois leur rôle débité.

C’est sur ce modèle qu’a été construit le théâtre de Ploujean[11]. Respectueux des anciennes traditions, nous n’avons rien négligé pour conserver à ce théâtre son innocent archaïsme. Qu’on n’y cherche point autre chose. Qu’on tâche surtout de se placer dans les conditions d’esprit du public breton et de reculer — avec lui, par delà le temps et l’espace, jusqu’aux âges enchantés de la légende et de la foi. Bien comprise, la représentation de Ploujean rendra peut-être quelque vie à une forme d’art inférieure sans doute, mais tout illuminée par endroits de belles scènes et de fortes pensées et d’autant plus sympathique enfin que, née du peuple et ne s’adressant qu’au peuple, elle est restée fidèle jusqu’au bout à ses origines et à sa destination populaires.



  1. Jusqu’à la fin du XIIIe siècle, on jouait encore ce mystère à Dirinon (terre de Nonne), la veille du pardon.
  2. Aussi y tenaient-ils comme à la prunelle de leurs yeux. « Pendant que j’étais à Paimpol, raconte Frérainville, des paysans de la paroisse de Plourivo voulurent représenter la tragédie intitulée : La vie de l’Antéchrist, mais aucun d’eux ne la possédait. Obligés de l’emprunter à un habitant d’une paroisse voisine, afin d’apprendre leurs rôles, celui-ci ne leur confia son manuscrit qu’après avoir reçu d’eux en gage une somme de cent écus. » (Antiquités de la Bretagne.)
  3. Avant de disparaître pourtant, elle retourna dans les salles fermées qu’elle avait un moment quittées pour le forlac’h. Plusieurs représentations furent données à l’Allée-Verte, rue du Port, au Café des 500 couverts et, rue de Tréguier, au Chapeau Rouge. Le couvreur Drillet, dit Licoq, qui vit encore, partie de cette troupe.
  4. Le Moullec et Kerambrun ne sont pas des exceptions. Sans étude, sans éducation, quelques-uns de ces acteurs populaires parviennent à s’incarner dans leurs personnages d’une façon vraiment merveilleuse. Tel, dans la troupe de Ploujean, le cultivateur Alain Guivarch qui jouait un héraut et dont la voix profonde, le geste ample, le masque orageux et tragique, furent une révélation pour tous les spectateurs. Tel encore, jadis, lors de la représentation du Mystère de sainte Tréphine, donnée devant les membres du Congrès celtique international réuni à Saint-Brieuc en 1867, ce charpentier de Belle-Isle-en-Terre nommé Goëlo qui, dans le personnage de l’évêque d’Aleth, faisait pleurer d’enthousiasme le grand historien Henri Martin.
  5. De généreux souscripteurs, au premier rang desquels M. James de Kerjégu. M. Audren de Kerdrel, le cardinal Richard, M. Charles Pitet, etc., s’intéressèrent à notre entreprise. Qu’il nous soit permis de les remercier ici, ainsi que Mmme Mosher, la toute gracieuse « Américaine bretonnante », et Mmme Webb, qui, par les prix qu’elles ont fondés pour récompenser les meilleures pièces du nouveau répertoire, ont été les deux bonnes fées du Théâtre Breton, aujourd’hui majeur et en pleine possession de la faveur publique avec les pièces sociales de Jaffrennou, de Toussaint Le Garrec et du barde-facteur Charles Rolland.
  6. Suivant une opinion prêtée à la Villemarqué, le vers de douze syllabes aurait été destiné en général à faire parler Dieu, le vers de dix les gentilshommes, le petit vers de huit les plébéiens. Distinction ingénieuse, mais sans aucun fondement.
  7. Voici pourtant une coutume bizarre et dont je ne trouve l’équivalent dans aucun de nos mystères français : durant le prologue, il était d’usage en Bretagne que le récitant fît, de quatre vers en quatre vers, une évolution autour du théâtre. C’est ce qu’on appelait la marche. Un vieux manuscrit, cité par Souvestre, dit que pendant ce temps « rebecs et binious doivent sonner. » Il faut remonter à la scène antique, aux évolutions du chœur autour de l’autel de Dionysos, pour trouver quelque chose d’analogue. — Autre coutume signalée par Dufilhol et qui a disparu : « Dans la représentation des tragédies [bretonnes], deux hérauts, placés aux deux coins du théâtre, crient par intervalles : Chilaouet ! « Écoutez ! » Et ils accompagnent cet avertissement d’un coup de fusil ou de pistolet. » — Voir enfin, sur l’intermède du Prologue et de la « belle demoiselle » dans les représentations qui duraient plusieurs journées, Luzel, Introduction au Mystère de Sainte-Tryphine.
  8. Parfois même, tout simplement, on l’érigeait dans une prairie ou une lande. Émile Souvestre assista, en 1825, près de Lannion, à une représentation de cette sorte. Le théâtre avait été dressé au milieu d’une vaste garenne, autour de laquelle des planches mal clouées sur des pieux formaient une triple rangée de bancs. Les spectateurs qui n’avaient pu trouver place sur ces gradins se tenaient debout par derrière : les arbres du voisinage, les talus, les croix du chemin et les toits de quelques maisons assez éloignées étaient couverts d’enfants et d’écoliers : le nombre total des spectateurs pouvait s’élever à trois mille.
  9. Par parenthèses, c’est la première représentation dramatique dont il soit fait mention pour la Bretagne. Elle eut lieu en présence du duc Jean V et fut réglée sur sa cassette particulière, comme en témoigne un compte d’Aufroi Guinot, trésorier-général de Bretagne, qui déclare avoir payé diverses sommes « à plusieurs compagnons et joueurs de la ville de Rennes par mandement du 27 août 1430 » (D. Morice, Preuves, II, 1232).
  10. Fréminville parle aussi de cette disposition singulière dont nous n’avons pas trouvé trace ailleurs. Il se pourrait, d’ailleurs, que Luzel n’eût fait que répéter Fréminville.
  11. M. Ludovic Durand, qui en avait exécuté la maquette sur nos indications, avait bien voulu aussi dessiner les costumes. Les décors étaient de M. Maxime Maufra ; l’illustration du programme de M. Émile Dézaunay. Il n’est que juste enfin de rappeler le nom de M. Pierre Famel, trésorier du Comité, dont l’expérience financière fut particulièrement précieuse aux organisateurs.