Tresse & Stock (p. 293-309).


XV


Le souvenir de ces abominables magistères lui trotta par la tête, le lendemain, et, tout en fumant des cigarettes au coin de son feu, Durtal songea à la lutte de Docre et de Johannès, à ces deux prêtres se battant sur le dos de Gévingey, à coups d’incantations et d’exorcismes.

Dans la Symbolique chrétienne, se dit-il, le poisson est une des formes figurées du Christ ; c’est sans doute à cause de cela et afin d’aggraver ses sacrilèges, que le chanoine bourre des poissons d’hosties pleines. Ce serait alors le système retourné des sorcières du Moyen Âge qui choisissaient, au contraire, une bête immonde, vouée au diable, le crapaud, par exemple, pour lui donner le corps du Sauveur à digérer.

Maintenant qu’y a-t-il de vrai dans cette prétendue puissance dont les chimistes déicides disposent ? quelle foi ajouter à ces évocations de larves tuant, sur un ordre, une personne désignée, avec des huiles corrosives et des sangs vireux ? Tout cela semble bien improbable, voire même un peu fol !

Et pourtant ! quand on y réfléchit, ne retrouve-t-on pas, aujourd’hui inexpliqués et se survivant sous d’autres noms, les mystères que l’on attribua si longtemps à la crédulité du Moyen Âge ? À l’hôpital de la Charité, le Dr Luys transfère d’une femme hypnotisée à une autre des maladies. En quoi cela est-il moins surprenant que les artifices de la goétie, que les sorts jetés par des magiciens ou des bergers ? Une larve, un esprit volant, n’est pas, en somme, plus extraordinaire qu’un microbe venu de loin et qui vous empoisonne, sans qu’on s’en doute ; l’atmosphère peut, tout aussi bien charrier des Esprits que des bacilles. Il est bien certain qu’elle véhicule sans les altérer, des émanations, des effluences, l’électricité par exemple, ou les fluides d’un magnétiseur qui envoie à un sujet éloigné, l’ordre de traverser tout Paris pour le rejoindre. La science n’en est même plus à contester ces phénomènes. D’un autre côté, le Dr Brown-Séquard rajeunit des vieillards infirmes, ranime des impuissants avec des injections de parties distillées de lapins et de cobayes. Qui sait si ces élixirs de longue vie, si ces philtres amoureux que les sorcières vendaient aux gens épuisés ou atteints de ligature, n’étaient pas composés de substances similaires ou analogues ? On n’ignore point que la semence de l’homme entrait presque toujours, au Moyen Âge, dans la confection de ces mixtures. Or, le Dr Brown-Séquard, après des expériences réitérées, n’a-t-il pas récemment démontré les vertus de cette matière enlevée à un homme et instillée à un autre ?

Enfin, les apparitions, les dédoublements de corps, les bilocations, pour parler ainsi que les spirites, n’ont pas cessé d’exister depuis l’Antiquité qu’ils terrifièrent. Il est, malgré tout, difficile d’admettre que les expériences poursuivies pendant trois années et devant témoins, par le Dr Crookes soient mensongères. Et alors, s’il a pu photographier de visibles et de tangibles spectres, nous devons reconnaître la véracité des thaumaturges du Moyen Âge. Tout cela demeure évidemment incroyable ; — comme était incroyable, il y a seulement dix ans, l’hypnose, la possession de l’âme d’un être par un autre qui le voue au crime !

Nous balbutions dans des ténèbres, cela est sûr. Et puis des Hermies le remarquait justement, il importe moins de savoir si les sacrilèges pharmaceutiques des cercles démoniaques sont puissants ou débiles, que de constater ce fait indéniable, absolu : il existe à notre époque des agences sataniques et des prêtres déchus qui les préparent.

Ah ! s’il y avait moyen de joindre de chanoine Docre, de s’insinuer en sa confiance, peut-être finirait-on par voir un peu clair, dans ces questions. Au reste, il n’y a d’intéressants à connaître que les Saints, les scélérats et les fous ; ce sont les seuls dont la conversation puisse valoir. Les personnes de bon sens sont forcément nulles puisqu’elles rabâchent l’éternelle antienne de l’ennuyeuse vie ; elles sont la foule, et elles m’embêtent ! Oui, mais comment approcher de ce monstrueux prêtre ? — Et, tout en tisonnant le feu, Durtal se dit : par Chantelouve, s’il le voulait, mais il ne le veut pas. Reste sa femme qui a dû le fréquenter. Il faut que je l’interroge celle-là, que je sache si elle correspond avec lui, si elle le voit encore.

Cette entrée de Mme Chantelouve dans ses réflexions l’assombrit. Il tira sa montre et murmura : quelle scie, tout de même ! elle va venir et il va encore falloir… s’il y avait seulement possibilité de la convaincre de l’inutilité des soubresauts charnels ! En tout cas, elle ne doit pas être satisfaite car à sa lettre frénétique sollicitant un rendez-vous, j’ai répondu, après trois jours, par un petit mot sec, l’invitant à venir, ici, ce soir. J’ai manqué de lyrisme, trop, peut-être !

Il se leva, s’en fut vérifier dans sa chambre à coucher si le feu flambait et il retourna s’asseoir, sans même arranger, comme les autres fois, sa chambre. Maintenant qu’il ne tenait plus à cette femme, toute galanterie fuyait, toute gêne. Il l’attendait sans impatience, les pieds dans ses pantoufles.

En somme, se disait-il, je n’ai eu avec Hyacinthe de bon que le baiser échangé, près de son mari, chez elle. Je ne retrouverai certainement plus la senteur de sa bouche et sa flamme ! Ici, le goût de ses lèvres est fade.

Mme Chantelouve sonna plus tôt que d’habitude.

— Eh bien, fit-elle, en s’asseyant, vous m’avez écrit une jolie lettre !

— Comment cela ?

— Allons, avouez-le sincèrement, mon ami, vous avez assez de moi !

Il se récria, mais elle hochait la tête.

— Voyons, reprit-il, que me reprochez-vous ? de vous avoir envoyé un billet bref ? mais j’avais quelqu’un ici, j’étais pressé, je n’avais pas le temps d’assembler des phrases ! — De ne pas vous avoir désigné un rendez-vous plus proche ? mais je ne le pouvais ! je vous l’ai dit, notre liaison exige des précautions et elle ne peut être fréquente ; je vous en ai laissé entendre clairement les motifs, je pense…

— Je suis si sotte que je ne les ai probablement pas compris ces motifs ; vous m’avez parlé de raisons de famille, je crois…

— Oui.

— C’est un peu vague !

— Je ne puis cependant mettre les points sur les i, vous dire que…

Il s’arrêta, se demandant si l’occasion n’était pas venue de rompre, sans plus tarder, avec elle ; mais il songea aux renseignements qu’elle devait posséder sur le chanoine Docre.

— Que quoi ? allons, dites.

Il secoua la tête, hésitant, non à lâcher un mensonge, mais une insolence ou une vilenie.

— Soit, reprit-il, puisque vous m’y forcez, je vous avouerai, bien qu’il m’en coûte, que j’ai une maîtresse depuis des années ; j’ajoute tout de suite que nos relations sont maintenant purement amicales…

— Très bien, fit-elle, en l’interrompant, vos raisons de famille s’expliquent.

— Et puis, poursuivit-il d’une voix plus basse, si vous désirez tout savoir, eh bien, j’ai un enfant avec elle !

— Vous avez un enfant !… ô mon pauvre ami.

Elle se leva. — Je n’ai plus qu’à me retirer. Adieu, vous ne me reverrez plus.

Mais il lui saisit les mains et, satisfait tout à la fois de son mensonge et honteux de sa brutalité, il la supplia de rester encore.

Elle refusait. Alors il l’attira à lui, l’embrassa sur les cheveux, la cajola. Elle plongea dans ses yeux ses prunelles troubles.

— Ah ! viens, dit-elle ; — non, laisse-moi me déshabiller !

— Mais non, à la fin !

— Si !

— Bon, voilà la scène de l’autre soir qui recommence, murmura-t-il en s’affaissant, accablé, sur une chaise. Il se sentait terrassé par une tristesse indicible, accablé d’ennui.

Il se déshabilla près du feu, se chauffa, attendant qu’elle fut couchée. Une fois dans le lit, elle l’enroula de ses membres souples et froids.

— Alors, c’est bien vrai, je ne viendrai plus ?

Il ne répondait rien, comprenant qu’elle ne voulait pas du tout s’en aller, appréhendant d’avoir décidément affaire à un crampon.

— Dis ?

Il s’enfouit la tête dans sa gorge qu’il embrassa, pour se dispenser de répondre.

— Dis-moi cela dans mes lèvres !

Il l’éperonna furieusement pour la faire taire ; et il demeura désabusé, las, heureux que ce fût fini. Quand ils se furent recouchés, elle lui entoura le cou d’un bras et lui vrilla la bouche ; mais il se souciait peu de ses caresses, restait triste et faible. Alors elle se courba, l’atteignit, — et il poussa des gémissements.

— Ah ! s’exclama-t-elle, tout à coup, en se redressant, je t’entends donc enfin crier !

Il gisait, esquinté, fourbu, incapable de réunir deux idées dans sa cervelle qui lui semblait battre, décollée, sous la peau du crâne.

Il se recolligea pourtant, se mit debout et, pour la laisser s’habiller, il s’en fut dans son cabinet où il se vêtit.

Au travers de la portière tirée séparant les deux pièces, il apercevait le trou de lumière percé par la bougie, placée derrière le rideau, sur la cheminée en face.

Hyacinthe, en passant et repassant, éteignait ou allumait la flamme de cette bougie.

— Ah ! fit-elle, mon pauvre ami, vous avez un enfant !

— Tiens, ça a porté, se dit-il. — Oui, une petite fille.

— Et quel âge a-t-elle ?

— Elle va avoir six ans ; — et il la dépeignit, une blondine très intelligente, vive, mais de santé fragile, elle exigeait de multiples précautions, de constants soins.

— Vous devez avoir des soirs bien douloureux, reprit-elle, d’une voix émue, derrière le rideau.

— Oh oui ! pensez donc, si demain je mourais, que deviendraient ces malheureuses ?

Il s’emballa, finit par croire à l’existence de l’enfant, s’attendrit sur la mère et sur elle ; sa voix trembla ; des larmes lui vinrent presque aux yeux.

— Il n’est pas heureux, mon ami, dit-elle en soulevant la portière et en rentrant habillée, dans la pièce. C’est donc pour cela que même lorsqu’il sourit, il a l’air si triste !

Il la regardait ; à coup sûr, à ce moment, son affection ne le dupait pas ; elle tenait vraiment à lui, pourquoi fallait-il qu’elle éprouvât ces rages de luxure ; on aurait peut-être pu sans cela rester camarades, pécher modérément ensemble, s’aimer mieux que dans la voirie des chairs ; mais non, cela n’est pas possible, conclut-il, voyant ces yeux sulfureux, cette bouche spoliatrice, terrible.

Elle était assise près de son bureau et jouait avec un porte-plume.

— Vous étiez en train de travailler quand je suis venue ? où en êtes-vous sur Gilles de Rais ?

— Il avance, mais je suis retardé ; pour bien faire le satanisme au Moyen Âge, il faudrait se mettre dans ce milieu, s’en fabriquer au moins un, en connaissant les affidés du Diabolisme qui nous cerne ; — car l’état d’âme est en somme identique, et si les opérations diffèrent, le but est le même. Et, la fixant bien en face, jugeant que l’histoire de l’enfant l’avait amollie, il mit toute voile dehors et l’aborda.

— Ah ! si votre mari voulait se dessaisir des renseignements qu’il possède sur le chanoine Docre !

Elle demeura immobile mais ses yeux s’enfumèrent. Elle ne répondit pas.

— Il est vrai, que Chantelouve qui se doute de notre liaison…

Elle l’interrompit. — Mon mari n’a rien à voir dans les rapports qui peuvent exister entre vous et moi ; il souffre évidemment lorsque je sors, ainsi que ce soir, car il sait où je vais ; mais je n’admets aucun droit de contrôle, ni de sa part, ni de la mienne. Il est comme moi libre d’aller où bon lui semble. Je dois tenir sa maison, veiller à ses intérêts, le soigner, l’aimer en dévouée compagne, cela je le fais et de grand cœur. Quant à s’occuper de mes actes, cela n’est pas son affaire, pas plus à lui, du reste, qu’à tout autre…

Elle dit cela d’un ton décidé, d’une voix nette.

— Diable ! fit Durtal, vous restreignez singulièrement le rôle d’un mari, dans un ménage.

— Je sais que ces idées ne sont pas celles du monde où je vis, et elles ne paraissent pas non plus être les vôtres ; elles furent d’ailleurs, pendant mon premier mariage, une cause de malheurs et de troubles ; — mais j’ai une volonté de fer, et je ploie ceux qui m’aiment. Avec cela, je hais le mensonge ; aussi, quand après quelques années de ménage, je fus éprise d’une personne, je l’ai dit très franchement à mon mari et je lui ai avoué ma faute.

— Oserai-je vous demander comment il reçut cette confidence ?

— Il eut un tel chagrin qu’en une nuit ses cheveux blanchirent ; il ne put jamais accepter ce qu’il appelait, à tort, selon moi, une trahison et il se tua.

— Ah ! fit Durtal, interloqué par l’allure placide et résolue de cette femme. — Mais s’il vous avait tout d’abord étranglée ?

Elle haussa les épaules, enleva un poil de chat qui s’était fixé sur sa robe.

— De sorte que, reprit-il, après un silence, maintenant vous êtes à peu près libre, votre second mari tolère…

— Laissons-là, s’il vous plaît, mon second mari ; c’est un homme excellent qui mériterait d’avoir une meilleure femme. Je n’ai absolument qu’à me louer de Chantelouve et je l’aime autant qu’il m’est permis ; et puis, parlons d’autre chose, car j’ai suffisamment de tracas à se sujet avec mon confesseur qui m’interdit de m’approcher de la Sainte-Table.

Il la contemplait, voyait encore une nouvelle Hyacinthe, une femme pertinace et dure qu’il ignorait. Pas un accent ému, rien, pendant qu’elle racontait le suicide de son premier mari ; elle ne paraissait même pas se douter qu’elle avait à se reprocher un crime. Elle demeurait impitoyable, et pourtant, tout à l’heure, alors qu’elle le plaignait, lui, Durtal, à cause de son illusoire paternité, il l’avait sentie tressaillir. Après tout, c’est peut-être bien une comédie qu’elle jouait ; — comme lui, alors !

Il restait étonné de la tournure qu’avait prise cette conversation ; il chercha un joint pour en revenir à ce point de départ d’où Hyacinthe l’avait écarté, au Satanisme du chanoine Docre.

— Enfin, ne pensons plus à cela, dit-elle en s’approchant. Elle souriait, redevenait la femme qu’il avait connue.

— Mais, si vous ne pouvez plus communier à cause de moi…

Elle l’interrompit. — Vous plaindrez-vous de n’être pas aimé ? — et elle l’embrassa sur les yeux.

Il la serra poliment dans ses bras, mais il la trouva frémissante et, par prudence, il s’écarta.

— Il est donc bien inexorable votre confesseur ?

— C’est un homme incorruptible, des anciens temps. Je l’ai, du reste, choisi exprès.

— Si j’étais femme, il me semble que j’en prendrais un, au contraire, qui serait câlin et souple, qui n’écartèlerait pas avec de gros doigts les petits paquets de mes péchés. Je le voudrais indulgent, huilant le ressort des aveux, amorçant avec des gestes tout doux les méfaits qui rentrent. Il est vrai que l’on risque alors de s’amouracher d’un confesseur qui est peut-être, lui-même, sans défense et…

— Et c’est l’inceste, car le prêtre est un père spirituel, et c’est aussi le sacrilège, car le prêtre est consacré. Oh ! j’ai été folle de tout cela ! fit-elle, subitement exaltée, se parlant à elle-même.

Il l’observa. Des étincelles filaient dans ses extraordinaires yeux de myope. Il venait évidemment, sans s’en douter, de la frapper en plein vice.

— Voyons, et il sourit, — me trompez-vous toujours avec un faux moi-même ?

— Je ne comprends pas.

— Oui, recevez-vous, la nuit, la visite de l’incube qui me ressemble ?

— Non, puisque je vous possède en chair et en os, je n’ai nul besoin d’évoquer votre image.

— Savez-vous que vous êtes une jolie satanique !

— Cela se peut, j’ai tant fréquenté de prêtres !

— Vous allez bien ! répondit-il, en s’inclinant ; mais, écoutez-moi, et rendez-moi service, ma chère Hyacinthe, en me répondant. Vous connaissez le chanoine Docre ?

— Eh bien oui !

— Mais enfin, quel est cet homme, dont j’entends constamment parler !

— Par qui ?

— Par Gévingey et des Hermies.

— Ah ! vous fréquentez l’astrologue. Oui celui-là s’est jadis rencontré, dans mon salon même, avec Docre, mais j’ignorais que le chanoine eût des relations avec des Hermies qui ne venait pas dans ce temps-là chez moi.

— Il n’en a aucune. Des Hermies ne l’a jamais vu ; il n’a, lui aussi, entendu que les racontars de Gévingey ; en somme, qu’y a-t-il de vrai dans tous les sacrilèges dont on accuse ce prêtre ?

— Je l’ignore. Docre est un galant homme, savant, et bien élevé. Il a même été confesseur d’une altesse royale et il serait certainement Évêque, s’il n’avait pas quitté le sacerdoce. J’ai entendu dire bien du mal de lui, mais, dans le monde clérical surtout, l’on dit tant de choses !

— Mais enfin, vous l’avez personnellement connu !

— Oui, je l’ai même eu pour confesseur.

— Alors, il n’est pas possible que vous ne sachiez à quoi vous en tenir sur son compte ?

— C’est, en effet, présumable. Enfin, voici des heures que vous tournez autour du pot ; que voulez-vous apprendre, au juste ?

— Mais tout ce que vous voudrez bien me confier ; est-il jeune, beau ou laid, pauvre ou riche ?

— Il a quarante ans, il est bien de sa personne et il dépense beaucoup d’argent.

— Croyez-vous qu’il se livre aux envoûtements, qu’il célèbre la Messe Noire ?

— C’est fort possible.

— Pardonnez-moi de vous forcer ainsi dans vos retranchements, de vous arracher de même qu’avec un davier les mots ; puis-je même être tout à fait indiscret ?… cette faculté de l’incubat…

— Parfaitement ; c’est de lui que je la tiens ; j’espère que vous êtes satisfait maintenant.

— Oui et non. Je vous remercie de votre bonne grâce à me répondre, — je sens que j’abuse, — une dernière question pourtant. Ne connaîtriez-vous pas un moyen qui me permettrait de voir en personne le chanoine Docre ?

— Il est à Nîmes.

— Pardon, il est à Paris, pour l’instant.

— Ah ! vous savez cela ! Eh bien, si je connaissais ce moyen, je ne vous l’indiquerais pas, soyez-en sûr. Il ne vous serait pas bon de fréquenter ce prêtre !

— Vous avouez donc qu’il est dangereux !

— Je n’avoue, ni ne nie ; je dis simplement que vous n’avez rien à faire avec ce prêtre !

— Mais si ; j’ai des renseignements à lui demander pour mon livre sur le Satanisme.

— Vous vous les procurerez d’une autre manière. D’ailleurs, reprit-elle, en mettant son chapeau devant une glace, mon mari a rompu toute relation avec cet homme qui l’effraye ; il ne vient donc plus comme autrefois chez nous.

— Ce ne serait pas une raison pour…

— Pour quoi ? dit-elle, en se retournant.

— Pour… rien. — Il retint cette réflexion : mais pour que vous ne le fréquentiez point.

Elle n’insista pas ; elle se tapotait les cheveux sous sa voilette. — Mon Dieu, comme je suis faite ! — Il lui prit les mains et les embrassa. — Quand vous verrai-je ?

— Je ne croyais plus venir.

— Allons, vous savez bien que je vous aime ainsi qu’une bonne amie, dites, quand viendrez-vous ?

— Après-demain, à moins que cela vous dérange.

— Du tout !

— Alors, au revoir. Ils se baisèrent sur la bouche.

— Et surtout ne rêvez pas au chanoine Docre, fit-elle, en le menaçant du doigt, au moment où elle partit.

— Que le Diable t’emporte, avec tes réticences ! se dit-il, en refermant la porte.