L'esclavage aux Antilles françaises avant 1789/II/X

CHAPITRE X

RÉSUMÉ. — CONCLUSION : CONSÉQUENCES DE L’ESCLAVAGE


« Quand la politique humaine attache sa chaîne au pied d’un esclave, la justice divine en rive l’autre bout au cou du tyran. » (Bernardin de Saint-Pierre, Études de la nature, liv. 7.)


I. — Résumé des chapitres précédents.
II. — Rien ne justifie l’esclavage moderne, qui a été l’abus conscient de la force. — C’est la métropole qui l’a imposé aux Antilles françaises. — L’esclavage a été un fléau à tous les points de vue. — Son principe n’est plus discutable. — Ses conséquences funestes.
1° Il a empêché le développement, reconnu possible, de la population blanche aux Antilles. — Résultats du mélange des races. — Influence de la servitude sur les maîtres comme sur les esclaves. — Le régime forcé de la terreur réciproque. — L’absentéisme.
2° Développement de la grande propriété, presque exclusivement sucrière. — Disparition progressive des « petits blancs ». — Inconvénients de la réunion de la culture et de la fabrication du sucre sur les mêmes habitations. — Abandon de la charrue pour la houe de l’esclave. — La routine : stagnation des procédés agricoles et industriels. — Production exclusive et intensive des denrées d’exportation. — Presque point de « cultures vivrières ».
3° Application du pacte colonial aux Antilles. — Leur dépendance absolue de la métropole. — Point de circulation monétaire. — Le troc ; ses difficultés et ses abus.
4° L’esclavage a empêché la naissance d’industries variées.
5° Défaut de vie intellectuelle et artistique.
6° Avilissement du travail libre. — Des avantages relatifs du travail servile par suite du bon marché de la main-d’œuvre. — Revenus produits par les Antilles au siècle dernier. — Prospérité du commerce extérieur.
7° Rapidité des fortunes créoles, mais leur instabilité. — La généralité des propriétés endettées.
8° Constitution d’une société factice. — Responsabilité de la métropole.
9° L’héritage du passé pèse encore aujourd’hui sur les Antilles. — Problèmes soulevés par l’émancipation. — L’avenir.


I

Nous voici arrivé au terme de notre étude. Avant de conclure, il importe de récapituler les faits.

La traite des nègres commence vers le milieu du xve siècle. Les Français, imitant les Espagnols et les Portugais, l’introduisent aux Antilles deux siècles plus tard. Ils exploitent d’abord le sol au moyen des esclaves africains, concurremment avec des travailleurs libres européens ou engagés. Mais, peu à peu, les préjugés de l’intérêt les portent à écarter les blancs ; de même, ils renoncent prématurément à utiliser la population indigène des Caraïbes. C’en est fait : l’esclavage triomphe. — C’est surtout Colbert qui régularise et développe l’importation des noirs. Après lui, le gouvernement suit l’impulsion qu’il a donnée. Privilèges et primes ne cessent d’encourager les Compagnies. Malgré tout, les colons se plaignent qu’on ne leur apporte jamais assez de nègres. Personne, d’ailleurs, ne paraît songer au caractère immoral et inhumain de ce commerce.

Ainsi, voilà de malheureux êtres qui, pour la plupart, étaient libres chez eux[1], habitués à vivre au grand air, sans travailler, et, — ce qui est, je le veux bien, un médiocre idéal, — faisant du farniente, du laisser-aller à toutes les impulsions de la nature, la suprême jouissance. Assurément, ils ne seraient jamais allés bien loin dans la voie du progrès intellectuel et moral. Mais, survient le blanc, l’homme civilisé, l’envoyé de Dieu, s’il fallait en croire les motifs qui ont officiellement guidé les nations chrétiennes vers les côtes d’Afrique. Alors, au nom de je ne sais quel droit supérieur qui est, à proprement parler, celui de la force, mise au service de l’intelligence et de la cupidité, il devient possesseur de ces autres hommes. Qu’ils aient commis la moindre faute, qu’ils aient été accusés de sorcellerie, ou qu’en guerre ils aient eu le malheur de se laisser faire prisonniers, — quand leur roitelet lui-même ne leur a pas simplement donné la chasse comme à des animaux, — les voilà réduits à l’état de bétail humain. On leur met une fourche au cou, et en marche la caravane ! Ils sont troqués contre toutes sortes de pacotilles apportées par les Européens, et c’est à qui, dans cet échange, se dupera le plus.

Voyez-les maintenant, chargés de chaînes, entassés à bord, soigneusement séparés les uns des autres, dès qu’ils sont parents, amis ou seulement de la même tribu, pour qu’ils ne puissent pas se comprendre et tramer un complot. Oui, on les transforme bien en bêtes brutes, puisque le langage qui les en distinguait surtout leur est rendu inutile. Impossible même d’avoir aucune communication avec leurs bourreaux, qui ne connaissent pas leur idiome. Aussi bien, qu’en est-il besoin ? Qu’ils respirent et mangent pour ne pas mourir, c’est assez. S’ils font mine de broncher, il n’y a qu’à frapper sur eux, à resserrer les chaînes. Et, pendant de longues semaines, ils voguent ainsi, loin, toujours plus loin du pays natal, sur cet Océan dont la seule vue les emplit d’épouvante. Peuvent-ils concevoir quel terrible sorcier fait aller ainsi leur prison mouvante ? Nous figurerons-nous jamais quelles fantastiques chimères hantaient leur pauvre cerveau[2] ? Ils ont vite fait de tomber dans une stupidité morne. Mais, halte-là ! La mélancolie est de mauvaise hygiène. Ils n’ont pas le droit d’être tristes. Allons ! il faut qu’ils s’amusent. S’ils hésitent, le fouet cingle leurs membres roidis par l’immobilité prolongée dans un espace trop étroit. Et en avant la danse, la danse du pays, au son des instruments du pays, que font résonner les bombes ! Ils commencent à s’animer, un instant peut-être ils oublient leurs misères. Mais ils sont délassés ; c’en est fini de sauter et de rire. L’équipage a fini, lui, sa corvée de surveillance. Qu’on enferme le troupeau. L’un d’entre eux tombe-t-il malade ? S’il est condamné, on n’attend même pas toujours qu’il meure pour le jeter par-dessus bord. Et il est rare qu’il n’en disparaisse pas ainsi au moins un chaque jour. Qu’importe après tout au négrier ? C’est le déchet calculé dans les frais généraux. Ceux qui ont la malchance de survivre arrivent déjà plus ou moins exténués. D’autres blancs viennent les examiner, les essayer comme ils feraient d’un cheval. Marché conclu. L’esclave est à son nouveau maître.

Il lui a coûté tant, il doit lui rapporter tant. Tel est le calcul du colon. Le nègre n’est-il pas sa propriété ? N’a-t-il pas le droit d’en user à son gré ? Tous ses efforts vont tendre à obtenir le rendement maximum de ce capital vivant. Du reste, l’arbitraire le plus illimité lui est laissé, jusqu’au moment où le gouvernement se préoccupe pourtant de régler la situation de cet être hybride, qui tient en même temps de la nature des personnes et des choses ? De là le Code Noir, œuvre de Colbert, inspiré à la fois de la Bible et du droit romain, du christianisme et du droit canonique, et dans lequel a passé, malgré tout, un souffle d’humanité.

C’est au nom de la religion qu’on essaie de légitimer l’esclavage. Ne faut-il pas estimer heureux ces fétichistes que des chrétiens sont allés chercher pour les retirer des ténèbres de l’idolâtrie et leur permettre de faire leur salut ? Mais nous avons vu comment ils comprenaient le catholicisme. De fait, maintenus dans la plus profonde ignorance, ils restèrent, sauf de rares exceptions, à peu près païens. Comment eût-il été possible de leur faire comprendre qu’ils étaient les frères des blancs ? En tout cas, ils devaient trouver que ceux-ci avaient une singulière façon de mettre en pratique le précepte : « Aimez-vous les uns les autres. » — Et l’on émet officiellement la prétention de les moraliser ! Or nombre de maîtres sont les premiers à abuser des négresses. En vain le gouvernement essaye de refréner le libertinage, d’empêcher le mélange des sangs. Les unions légitimes furent extrêmement rares parmi les esclaves. La famille n’exista pour ainsi dire pas pour eux.

Donc ils furent réduits à n’être guère que des corps, des instruments de travail. C’est ici que commence l’exploitation en règle de la machine humaine. Ce travail, que le nègre a en horreur, le prend tout entier, du matin au soir, quand ce n’est pas du soir au matin. Le jour naît et on entend claquer le fouet du commandeur. À genoux pour la prière ! Ne convient-il pas d’abord que l’esclave rende grâces au ciel pour ses bienfaits ? Ironie du sort et profanation !… Allons, en route pour les champs ! Il faut bien qu’il fasse pousser la canne à sucre, et le café, et le cacao, pour que ses frères blancs aient quelques douceurs. S’il ne va pas assez vite, s’il commet quelque inattention, s’il se relâche une minute de la besogne sous cet ardent soleil, qui fait ruisseler la peau même du nègre, le fouet s’allonge de-ci, de-là, et de-ci, de-là, il la raye, cette affreuse peau noire, parfois même en emporte quelque lambeau. Pendant ce temps, à l’atelier, d’autres esclaves sont attelés au moulin à sucre ou postés près de la chaudière : ce service se fait jour et nuit, par des équipes qui se relaient de douze heures en douze heures. Malheur à celui qui, vaincu par la fatigue ou le sommeil, s’approche trop des roues du moulin, qui emportent ou la main ou le bras, ou le corps tout entier saisi dans l’engrenage ! Malheur à celui qui, se penchant sur la chaudière, tombe dans le sucre bouillant[3] ! Ah ! qu’ils ont bien peiné les travailleurs ! Que la journée et que la nuit ont été bonnes ! Et que la récolte et la fabrication s’annoncent productives ! Ils méritent bien un peu de repos ; ils ont bien gagné de quoi réparer leurs forces. Pour se reposer, ils ont, en effet, la ressource d’aller se jeter dans leur case sur un affreux grabat. Mais bah ! pourquoi les nourrir ? Ne coûtent-ils pas déjà trop cher à se procurer ? Les coquins sauront bien se tirer d’affaire. Et, sous ce prétexte, les maîtres leur donnent peu ou point de nourriture. Les misérables en sont réduits à s’ingénier pour trouver n’importe quoi. Très souvent il leur faut voler cette nourriture si durement gagnée. Ils volent aussi pour se vêtir, ou les femmes recourent à d’autres moyens pour satisfaire leur goût de la toilette. Se charger de parures bizarres et éclatantes était, en effet, leur principale satisfaction, comme leur plus grande passion était la danse. Malades ou vieux, ils étaient censés devoir être soignés par leurs maîtres. Mais, dans la plupart des cas, cette prescription du Code Noir n’était qu’illusoire. Rarement ils arrivaient à un âge avancé. C’est à peine si, vers la fin du xviiie siècle, cette lamentable situation matérielle de l’esclave s’améliore.

Que dire des droits inscrits dans les règlements en sa faveur ? Théoriquement, on semble bien lui reconnaître une sorte de personnalité. Mais combien les manifestations en sont restreintes dans la pratique ! S’il peut contracter mariage, ce n’est que du consentement de son maître. Et quel père que celui dont la femme et les enfants sont au pouvoir d’un autre, exposés à être malmenés, châtiés, sans qu’il ait le droit de les protéger ! Nous savons combien peu la femme était à l’abri des caprices du maître. Le principal avantage du mariage pour l’esclave est de ne pouvoir être vendu séparément de sa femme et de ses enfants impubères. D’autre part, on discute sans cesse pour savoir s’il doit être considéré comme meuble ou comme immeuble. La plupart du temps, il est rattaché au fonds qu’il sert à exploiter. Pourtant il reparaît à chaque instant — c’est fatal — avec les caractères propres à l’être humain, mais ne pouvant agir que par la volonté d’un maître. Le Code Noir stipule qu’il lui est interdit de posséder. Néanmoins, en réalité, la facilité lui est laissée de se constituer un pécule ; mais jamais il n’en jouit qu’à titre précaire ; il ne saurait, en particulier, en disposer par testament. Il est également incapable de recevoir ni donations, ni legs. Qu’il soit ouvrier ou commerçant, c’est toujours le maître qu’il représente, et c’est le maître qui est responsable de ses actes. Mais lui n’a pas le droit d’assumer une responsabilité personnelle ; c’est pour cela que tous offices ou fonctions publiques lui sont interdits. En justice, il n’est autorisé à figurer que comme témoin ; encore est-ce à défaut de blancs et à la condition que son maître ne soit pas en cause. Quand il est compté comme tête, c’est à l’exemple du bétail, pour être assujetti à la capitation et aux corvées.

La loi est faite surtout pour se garantir contre lui. La contrainte exercée par le maître sur son habitation à l’aide du commandeur constamment armé du fouet ne suffit pas. Les esclaves sont le nombre, de 10 à 15 contre un. S’ils s’avisaient de raisonner, de se concerter, que deviendraient les blancs ? Aussi accumule-t-on toutes sortes de précautions contre eux. Il leur est interdit de circuler sans une permission écrite, de porter des armes, de s’attrouper. Mais, la plupart du temps, les maîtres ne se soucient guère de les livrer à la justice pour ces infractions aux règlements : car leur emprisonnement leur impose une perte, outre que certains châtiments mettent l’esclave dans l’impossibilité de travailler pendant un temps plus ou moins long. Ce n’est donc que pour les vrais délits ou crimes que l’action de la justice publique les atteint réellement. Ils sont coutumiers de vols, de violences, de meurtres, d’incendies et d’empoisonnements ; ce dernier crime, si fréquent aux Antilles, fut comme un produit spécial de l’esclavage. On les fustige, on les marque au fer rouge, on leur fait subir la question ordinaire et extraordinaire, on les pend, on les brûle, on les applique à la roue, on les écartèle. Les maîtres eux-mêmes inventent parfois pour les punir les supplices les plus atroces. Mais tous les moyens restent insuffisants pour assurer la sécurité générale. Tout dommage causé par ses esclaves, le maître est tenu de le réparer ; seulement, si c’est un crime qui entraîne contre eux la peine de mort, il est indemnisé de leur perte. Les propriétaires furent amenés à organiser une sorte d’assurance mutuelle pour se prémunir contre les risques à courir de ce fait. Tant ils étaient sans cesse à redouter les excès de ceux qui ne cherchaient qu’à se venger de leurs cruautés ! En somme, les rapports de maîtres à esclaves en arrivèrent à produire un régime de barbarie réciproque ; elle fut seulement, d’un côté, plus sauvage, et, de l’autre, plus raffinée.

Faut-il s’en étonner ? La force seule maintient les nègres. Ils se vengent comme ils peuvent. Ils n’ont qu’une idée, fuir le maître maudit. Alors ils s’en vont, marrons, errer dans la montagne ou la forêt, et là, réunis en bandes, ils vivent libres entre eux ; par leurs incursions ils terrorisent les habitations. On leur donne la chasse comme à des bêtes fauves ; on les traque, on tire sur eux. S’ils sont pris, c’est le fouet et la fleur de lys pour la première fois ; c’est le jarret ou la jambe coupés pour la deuxième, et, pour la troisième, la mort, ou, à tout le moins, les travaux publics à la chaîne, leur vie durant. Heureusement pour les colons, ils ne parvinrent jamais à être assez disciplinés pour tenter avec succès des révoltes générales. Sans quoi ils auraient pu facilement se rendre maîtres des îles et reconquérir leur liberté.

La liberté ! Mais qu’en avaient-ils donc tant besoin, disaient les esclavagistes ? Après tout, étaient-ils si malheureux ? N’étaient-ce pas uniquement les natures vicieuses qui recouraient à la vengeance, à la fuite, à la révolte ? Est-ce qu’il n’y avait pas plus d’un paysan, plus d’un ouvrier en France qui ne mangeait pas toujours à sa faim ou qui se trouvait même sans abri ? Et les soldats de l’ancien régime, et les matelots avaient-ils donc un sort beaucoup plus doux ? Quelle différence si grande entre eux et les esclaves ? Pourquoi donc plaindre tant les nègres ? N’avaient-ils pas du moins la vie matérielle assurée ? Tout ceci a été dit souvent. Mais la liberté avec tous ses risques n’était-elle pas préférable à un état qui retranchait ces humains de l’humanité ? N’ont-ils pas eux-mêmes montré constamment que tel était en réalité leur sentiment ? Force est bien de recourir aux sophismes pour tâcher de justifier l’esclavage.

Aussi bien, que ne demanda-t-on à rétablir en France la servitude personnelle abolie depuis des siècles ? Nous avons montré que la question se posa précisément au sujet des nègres des Antilles amenés par leurs maîtres dans la métropole. Nul doute qu’ils dussent être libres de par les lois du royaume. Mais quel dommage ce principe absolu n’aurait-il pas causé aux propriétaires ? Aussi les législateurs furent-ils obligés de s’ingénier pour y apporter des restrictions. Il fut admis, dès 1716, qu’un esclave pouvait rester momentanément esclave, même sur le sol de la métropole. Ce fut la cause d’une véritable invasion lente de noirs dans les ports et à Paris, jusqu’à ce qu’en 1777 le roi eût pris le parti d’interdire l’entrée de son royaume à tous les gens de couleur, sauf les domestiques des colons. Encore ces prescriptions furent-elles bien incomplètement observées jusqu’à la Révolution.

L’état de domestique fut assurément de beaucoup le meilleur pour les nègres. C’était pour eux le moyen de s’insinuer dans les bonnes grâces du maître et d’arriver à se faire affranchir. La liberté devenait le prix d’un long dévouement ; souvent, il est vrai, il était plus simple pour les négresses de l’obtenir de la faiblesse d’un maître pour elles et pour leurs enfants ; dans certains cas, des esclaves se rachetaient ; parfois encore, — mais c’était l’exception, — ils étaient libérés pour actions d’éclat en temps de guerre, ou pour services rendus à la cause publique. Ces divers motifs multiplièrent vite dans une proportion excessive les affranchissements. Aussi le gouvernement dut-il songer à imposer, un frein à l’arbitraire des maîtres. D’où la nécessité d’une autorisation préalable, puis l’établissement d’une taxe des libertés. Mais que de moyens il restait de tourner la loi ! Ici encore, la plupart des arrêts édictés restèrent souvent lettre morte. L’affranchissement aurait pu du moins être conçu comme un moyen d’arriver progressivement à la suppression de l’esclavage, lorsque le progrès des idées humanitaires l’eut condamné. Mais on ne paraît guère y avoir songé sérieusement.

La classe des gens de couleur libres se juxtaposa donc à celle des blancs. Mais le Code Noir ordonnait en vain qu’il ne devait plus y avoir entre eux aucune différence légale. Non seulement le préjugé de couleur les marqua dans l’opinion publique d’une tache ineffaçable, mais il parvint à provoquer contre eux une série de mesures générales ou locales qui les maintinrent toujours à distance des blancs. Si l’égalité a été définitivement proclamée, on sait de quel œil sont même encore aujourd’hui regardés les sang-mêlé aux colonies.



II

Finalement, nous croyons pouvoir dire que l’esclavage moderne, avec les horreurs de la traite, a été aussi terrible pour les victimes, sinon même plus, que l’esclavage ancien. Or, à la différence de ce qui s’était passé dans l’antiquité[4], où la servitude était devenue une des conséquences naturelles de l’état social, rien ne justifiait chez les nations modernes cet odieux abus de la force. Il faut bien le reconnaître, c’est avant tout l’intérêt qui a guidé les Européens dans cet asservissement méthodique d’une race de civilisation inférieure par la race plus civilisée, du noir par le blanc, de l’idolâtre par le chrétien. Ne devons-nous pas ajouter que, par suite du progrès des temps et des idées, ils furent sciemment coupables ?

Il est juste de rappeler qu’à l’origine c’est la métropole qui institua l’esclavage. C’est elle, du moins, qui organisa la traite au profit exclusif des commerçants du royaume ; car jamais les habitants des îles ne furent autorisés à aller chercher régulièrement eux-mêmes des nègres sur les côtes d’Afrique, ils durent se contenter d’acheter ceux que des Compagnies privilégiées et, parfois, des armateurs particuliers voulaient bien leur apporter. Comme en aucun cas ces trafiquants ne favorisèrent l’émigration des travailleurs libres, si même ils n’entravèrent pas les tentatives faites en ce sens par les gouvernants, il y a lieu de constater que les colons se virent imposer le système de l’esclavage comme unique moyen de cultiver leurs terres. Sans doute, ils en profitèrent et eux-mêmes en arrivèrent bientôt, par la force des choses, à ne plus concevoir d’autre manière de mettre le sol en valeur. Puis, quand l’esclavage fut devenu comme la base de la propriété aux Antilles, n’est-il pas naturel qu’ils s’en soient faits les plus acharnés défenseurs, puisque toute leur fortune en dépendait et que sa suppression leur apparaissait comme la ruine ?

Toutefois, nous affirmerons que l’esclavage a été un fléau pour tous, aussi bien oppresseurs qu’opprimés, et à tous les points de vue, social, économique et politique, aussi bien que philosophique et humanitaire.

On ne discute plus sur le principe même de l’esclavage. « L’illégitimité de la servitude, comme on l’a bien dit[5], est au petit nombre des vérités que l’Évangile, la science et la liberté politique ont rendues maîtresses de la conscience humaine dans toute l’Europe. « C’est pourquoi nous n’avons pas jugé à propos de reproduire les théories diverses émises sur cette question par les moralistes et les philosophes. Après avoir exposé l’organisation de l’esclavage dans les Antilles françaises, nous voudrions simplement indiquer quelles nous paraissent en avoir été les conséquences.

1° Tout d’abord, si on n’avait pas recouru aux noirs d’Afrique, la population des Antilles eût été entièrement changée. Nous pensons avoir démontré qu’il n’était pas indispensable, — comme les colons finirent par le croire eux-mêmes, — d’importer des nègres et que des travailleurs blancs auraient parfaitement pu s’acclimater dans ces îles. Le système des engagés avait d’ailleurs bien réussi à l’origine. Il aurait suffi de le modifier en encourageant l’émigration d’Européens[6] mieux recrutés, qui auraient pu devenir de petits habitants. Il est à présumer que cette population se serait développée normalement et aurait constitué une société régulière et pleine de vie, tandis qu’on fut obligé de recourir sans cesse à la traite pour réparer la décroissance continuelle du nombre des nègres. Et quels furent les résultats du mélange inévitable des deux races produit par le libertinage des maîtres ? De créer l’espèce particulière des mulâtres et autres sang-mêlé qui, à l’époque même de l’esclavage, durent, dans la plupart des cas, leur affranchissement à des causes immorales. Entre les blancs et ces nouveaux libres il ne pouvait y avoir assimilation. Au contraire, l’antagonisme naquit dès le début et ne fit que s’aviver par suite du préjugé de couleur. Certes il n’est pas douteux qu’il eût infiniment mieux valu une population uniquement blanche — eût-elle dû être moins nombreuse — d’habitants n’ayant jamais connu la servitude. Quelques ressources en effet qu’offre actuellement la population de nègres et de gens de couleur émancipés, dont un certain nombre font preuve de qualités remarquables, ne constatons-nous pas que les descendants des maîtres et des esclaves d’autrefois subissent encore les conséquences fatales des lois de l’hérédité ? Ce n’est évidemment pas dans l’espace de quarante ou cinquante ans que se transforment radicalement des habitudes et toute une manière d’être contractées pendant deux siècles. Or qui ne sait que, si la servitude avilit l’esclave, elle exerce, en un autre sens, une influence non moins néfaste sur le caractère du maître ? Celui-ci s’accoutume trop facilement à ne rien faire, à se laisser dominer par ses passions, à ne pas tolérer la moindre velléité de résistance. Celui-là, dont les instincts sont sans cesse réprimés, devient un être absolument passif, sans initiative, sans responsabilité, sans moralité[7]. Il est obligé de recourir à la dissimulation et à la ruse pour voler ce qui lui est refusé, ou bien à la violence pour se venger. S’il parvient à la liberté, son idéal est d’imiter le blanc. On comprend que, lors de l’abolition de l’esclavage par la Convention, les noirs aient cru qu’ « être libre, c’est avoir des esclaves » et qu’ils en aient réclamé à grands cris ; on comprend encore que, suivant cette autre idée, « être libre, c’est ne rien faire », ils aient obstinément refusé de travailler. « Les Africains, privés par l’esclavage de cette règle intérieure qui détermine la moralité des actions humaines, jetés soudainement de la servitude dans les excès d’une licence sans bornes, étrangers à nos usages et à nos lois, ont été égarés par les leçons qu’ils ont reçues au moment de leur entrée subite dans la société[8]. »

En outre, les nègres, dix ou quinze fois plus nombreux que les blancs, n’ont pu être domptés que par la terreur. Mais les propriétaires eux-mêmes ont vécu sans cesse en proie à la crainte des révoltes serviles ou, tout au moins, des brigandages des nègres marrons, qui exercèrent si souvent contre eux de si terribles représailles. Ils ont dû appliquer la maxime : Oderint dum metuant, et pour cela se conduire sans cesse en bourreaux. Plaignons-les eux-mêmes d’en avoir été réduits à ce triste rôle. L’impartialité nous oblige de constater ici qu’il ne manqua pas de bons maîtres et qu’à ceux-là les esclaves se montrèrent dévoués. De plus, à l’occasion des fréquentes attaques dirigées contre les Antilles par les Anglais, on vit des esclaves combattre vaillamment contre l’ennemi. Mais pouvait-on jamais compter sur leur fidélité, quand il leur était si facile d’acheter la liberté par la trahison — bien excusable chez eux — plutôt que de la conquérir par une conduite héroïque ?

Quoi qu’il en soit, peu à peu, à la fois par suite du manque de sécurité et de confortable aux îles, les colons les plus riches se décidèrent à aller jouir de leurs revenus dans la métropole. Les colonies souffrirent alors de l’absentéisme, qui rendit encore pire la condition des esclaves, dont les gérants n’avaient naturellement aucune pitié. S’il en fut ainsi, c’est qu’on n’était pas parvenu à faire du séjour des Antilles comme une seconde patrie[9].

2° Si nous passons de la condition des personnes à celle des terres, que voyons-nous ? Au début, alors qu’il n’y avait pas encore quantité de noirs aux Antilles, chacun vivait facilement sur des terres peu ou point délimitées, étonnamment fertiles, qui, grâce à un travail insignifiant[10], donnaient des produits largement rémunérateurs. Comme en France, on labourait avec la charrue et on cultivait les denrées de première nécessité. Mais l’esclavage eut presque immédiatement trois conséquences capitales : il amena le développement de la grande propriété, l’abandon de la charrue pour la houe de l’esclave, la culture à peu près exclusive des produits de luxe et d’exportation.

L’extension de la culture pratiquée en grand et appliquée presque exclusivement à la canne à sucre coïncide avec celle que Colbert donna à la traite. À l’origine, chacun n’avait besoin que d’une portion de terre peu étendue, parce qu’on cultivait presque uniquement le tabac, avec le cacao, le roucou, le gingembre, l’indigo. Ces produits convenaient très bien à la petite et à la moyenne propriété[11]. Mais on constata bientôt que le sucre rapportait bien davantage[12]. Aussi « les plus accommodés » commencèrent à acheter les terres de leurs voisins. Dès 1680, les Antilles ont perdu « plus de 4.000 habitants, dont les terres sont à présent possédées, écrit l’intendant Patoulet, par 12 ou 15 sucriers seulement… L’habitation du sieur de Maintenon, la plus grande et la plus fructueuse, n’a qu’un économe blanc et plus de 150 nègres[13]. » À Saint-Christophe, les gros propriétaires forcent les petits par tous les moyens à abandonner leurs terres pour s’agrandir. Il finira par ne rester que « les grosses familles, c’est-à-dire les sucriers[14] »… Ce mouvement ne fait que s’accélérer. Les administrateurs se plaignent constamment que les « petits blancs » diminuent, qu’il n’arrive pas assez d’émigrants d’Europe, que les « cultures vivrières » sont de plus en plus abandonnées. Le Ministre écrit à ce sujet, le 30 mars 1687, au chevalier de Saint-Laurent[15], qu’il y a déjà trop grande abondance de sucre : « Il est nécessaire de les obliger (les habitants) à partager la culture de leurs terres en indigo, rocou, cacao, casse, gingembre, coton et autres fruits qu’ils peuvent cultiver, et de tenir la main à ce qu’ils se mesurent dans ce partage, de manière qu’ils ne tombent pas dans l’excès d’une même espèce, autant qu’il sera possible. Il faut aussi qu’ils s’attachent à élever des vers à soie[16]. » Il insiste peu après sur ce point dans un autre mémoire[17], en ces termes frappants : « La perte infaillible des îles sera causée par l’excessive quantité de cannes de sucre que les habitants ont plantée. » Malheureusement, rien ne peut arrêter le mouvement donné. Tout est sacrifié par quelques propriétaires ayant des capitaux à l’établissement d’ « habitations sucrières », qui exigent un vaste terrain, un grand nombre de nègres, des bâtiments considérables.

La grande propriété est rendue aussi nécessaire, parce qu’on n’a pas l’idée de séparer les deux opérations, agricole et industrielle, de la production de la canne et de la fabrication du sucre. Autrement, les petits propriétaires auraient pu continuer à vivre en apportant leurs cannes à des établissements spéciaux chargés de les travailler. Ce procédé a été préconisé surtout au moment de l’abolition de l’esclavage, et l’expérience a prouvé qu’il était beaucoup plus rémunérateur[18]. Il est certain que, s’il avait été adopté autrefois, la propriété ne se serait pas concentrée en un aussi petit nombre de mains qu’elle le fut aux Antilles. Mais c’est précisément ce que ne voulurent pas les spéculateurs les plus hardis, qui ne s’expatriaient que dans l’espoir de faire rapidement de grosses fortunes. L’aléa qui les tentait n’existant plus, ils ne se seraient sans doute pas aventurés au delà des mers pour y chercher simplement la paisible et médiocre existence d’un petit cultivateur. C’eût été une perte, car les audacieux sont nécessaires dans les pays neufs. Peut-être donc exprimons-nous une vue purement chimérique en regrettant qu’on n’ait pas eu primitivement recours à cette division du travail, qui semble impliquer une société déjà pleinement organisée. Nous n’ignorons pas que l’histoire ne se refait pas après coup. Mais ne serait-il pas excessif de se contenter de dire toujours : il en a été ainsi ; il ne pouvait pas en être autrement ?

Pour la charrue, par exemple, elle avait été importée aux Antilles par les premiers colons. Mais elle fut à peu près complètement délaissée, dès que la main-d’œuvre fut tombée à vil prix. « Du jour où le rang social se mesura au nombre des nègres que l’on possédait, le dédain de tout autre instrument que la houe de l’esclave devint à la mode pendant deux cents ans, et ce ne fut que vers la fin du siècle dernier, lorsque le régime de la servitude avait été ébranlé, que reparurent quelques charrues[19]. » En effet, à cette époque, le sieur Brun, ancien major des volontaires corses, se fait accorder le privilège exclusif pendant six ans pour la vente d’une charrue de son invention, destinée à « labourer à l’aide d’un nègre et d’un mulet autant de terres que 12 nègres par la méthode ordinaire du pays[20] ». Cette méthode, empruntée aux Espagnols, et déjà décrite par l’historien Oviedo dans les premières années du xvie siècle, était des plus primitives, et elle maintint l’agriculture dans la plus déplorable routine. Il faut attribuer sans doute à la nonchalance des créoles, produite à la fois par le climat et la facilité de la vie, le manque absolu d’initiative dont ils témoignèrent pour améliorer leurs procédés de culture. En même temps, ils ne se préoccupèrent pas du danger qu’ils couraient d’épuiser le sol par le développement à outrance d’une seule culture, sans avoir recours à l’alternance des récoltes.

L’intérêt ne fut même pas pour eux un stimulant suffisant. On reste confondu en constatant avec quelle insouciance, uniquement préoccupés de fournir des denrées d’exportation à la France, ils négligèrent les cultures destinées à leur propre alimentation et à celle de leurs esclaves. Ce fut au point que, plus d’une fois, les Antilles furent exposées à la famine, quand, pour une cause ou pour une autre, manquaient les arrivages de farine, ou de bœuf salé d’Irlande, ou de morue de Terre-Neuve, importés de France. Dans la vie ordinaire, il ne fut pas rare de voir des propriétaires obligés de recourir à leurs esclaves, — qu’ils étaient tenus de nourrir, — pour se procurer leur propre nourriture journalière ; car ceux-ci élevaient de la volaille, ou bien un porc, une chèvre, cultivaient quelques légumes, ou encore allaient à la pêche ou à la chasse, bien entendu avec l’autorisation de leurs maîtres. Mais on ne comprend pas que les propriétaires des grandes habitations n’aient pas plus souvent pris soin d’entretenir une basse-cour, d’élever des bestiaux, de réserver une portion de terrain pour la production de denrées alimentaires.

3° Ajoutons à cela qu’en vertu des idées économiques de l’époque, représentées, par le régime exclusif du pacte colonial, la métropole ne voyait dans les colons que des sujets d’une espèce particulière destinés à lui acheter ses produits manufacturés et alimentaires, à des prix, le plus souvent, excessifs[21], alors qu’ils étaient contraints de céder en échange leurs denrées de culture à un taux relativement bien moindre, vu le manque absolu de débouchés et, par conséquent, de concurrence. Le peu d’argent qui avait été importé aux Antilles par les colons ou par les Compagnies disparut rapidement, si bien que tout le commerce ne consista plus que dans le troc. Les principaux produits des îles étaient le sucre, de beaucoup le plus important et dont les variations de prix déterminaient la valeur des échanges, l’indigo, le tabac, le café, la casse, , le séné, le gingembre, le coton, le caret ou écaille de tortue, les bois de teinture, le roucou, Les colons auraient pu garder l’argent contre lequel ils auraient vendu leurs produits, tandis qu’il leur était impossible de conserver la marchandise elle-même. Ils furent donc contraints de subir les exigences des négociants de France.

4° Remarquons que, les nègres étant presque exclusivement attachés à la culture du sol et à la fabrication du sucre, aucune autre industrie, importante ne se créa aux Antilles. Pour les besoins de la construction, on éleva seulement des briqueteries, des tuileries et des fours à chaux, de même qu’il y eut des menuisiers, des charpentiers et des forgerons. Mais c’est à peine si quelques blancs, quelques gens de couleur libres ou des esclaves formés en France, puis travaillant au retour pour le compte de leurs maîtres, se livrèrent à la production de menus objets d’usage journalier[22]. Ils pratiquaient de préférence le négoce de pacotilles provenant de l’importation. Dès que les libres avaient quelques fonds, ils aimaient mieux acheter une habitation, ou tenir un cabaret, qui leur permettait de faire rapidement fortune. Tous les métiers restèrent en somme à l’état rudimentaire. Du moment qu’il n’y avait pas d’émulation, il n’y eut point d’initiative, partant point de progrès[23].

5° Ne parlons pas de l’art, qui aurait probablement pu susciter quelques vocations chez les créoles[24], si la douceur de l’existence, — tandis que d’autres peinaient pour eux, — n’avait développé à un si haut degré leur penchant trop naturel à l’indolence et aux jouissances purement matérielles, sous le climat enchanteur des îles. À plus forte raison, ne soyons pas surpris que les gens de couleur n’aient produit en aucun genre[25] aucun homme vraiment remarquable, digne d’être cité. La vie intellectuelle et artistique fut aussi restreinte que possible aux Antilles[26]. « Nous remarquerons — écrit justement Boyer Peyreleau[27] — avec Léonard (poète créole de la Guadeloupe, de la fin du xviiie siècle), — que c’est surtout dans les colonies que l’Européen éprouve le regret des beaux-arts qu’il a laissés dans sa patrie. Les talents y sont rares, et l’homme de lettres, fût-il créole, y porte un air étranger. À l’exception de quelques hommes instruits, dont le nombre est petit et qui possèdent des livres, le reste vit dans l’ignorance de tout ce qui ne tient pas au commerce ou à l’économie rurale, et, dans ces objets mêmes, il ne voit qu’une routine aveugle. Il est vrai que l’élan de l’homme laborieux et intelligent y est incessamment arrêté par des institutions qui ne sont en harmonie ni avec les besoins, ni avec les intérêts, par l’arbitraire qui tient lieu de justice, par la routine et les préjugés locaux, par les passions des chefs, souvent même par leur impéritie ou leur cupidité. Le climat et le sol énervent l’homme, les institutions l’y dégradent, et il est très difficile, pour ne pas dire impossible, d’y garantir les livres de l’humidité, des vers et des insectes. »

6° Enfin, un des résultats les plus funestes de l’esclavage a été l’avilissement du travail libre. Comme dans le monde antique, il finit par sembler aux libres que toute besogne matérielle les eût fait déroger à leur état. Mais, à la différence des anciens, ce n’était pas pour mieux vivre de la vie de l’esprit qu’ils s’abstenaient de ces travaux. En définitive, le nom de manœuvre ou de laboureur resta indissolublement lié à celui d’esclave. Déjà, avant 1848, on a pu dire : « L’esclave déteste le sol ; l’homme de couleur et l’affranchi le méprisent, et le blanc l’exploite à la hâte comme une mine qu’on fouille avidement avec la pensée d’un prochain abandon[28]. » C’est pourquoi, après l’émancipation, il a été si difficile de réhabiliter la main-d’œuvre libre. Force a été de recourir à des travailleurs du dehors, tels que les coolis indiens, africains, même chinois, pour faire reprendre la culture, après la terrible crise provoquée par la suppression brusque de l’esclavage. Ce système, reconnu d’ailleurs par l’expérience comme détestable au point de vue social et économique, n’a pas non plus contribué à relever le travail libre[29].

7° Les économistes se sont demandé encore s’il y eut même une économie réelle à employer des esclaves, au lieu de libres, pour mettre en valeur le sol et ses produits. Suivant Adam Smith[30], « l’expérience de tous les temps et de toutes les nations s’accorde pour démontrer que l’ouvrage fait par des esclaves, quoiqu’il paraisse ne coûter que les frais de leur subsistance, est, au bout du compte, le plus cher de tous. Celui qui ne peut rien acquérir en propre ne peut pas avoir d’autre intérêt que de manger le plus possible et de travailler le moins possible. Tout travail au delà de ce qui suffit pour acheter sa subsistance ne peut lui être arraché que par la contrainte et non par aucune considération de son intérêt personnel. » Dans la pratique, il a été partout constaté, en effet, que la somme de travail des nègres uniquement obtenue par la force n’était pas équivalente à celle que pouvait fournir un colon libre, rémunéré par un salaire ou exploitant sa propre terre. Il est intéressant de voir qu’un administrateur de Cayenne, — qui, par conséquent, a étudié la question sur place, — écrit en 1768[31] : « On croit pouvoir mettre en fait que les propriétaires, en payant la journée d’un homme libre plus cher que ne leur coûte aujourd’hui la journée d’un esclave, ne diminueraient pas pour cela leur revenu. Un plus fort salaire rendrait une plus forte somme de travail. Des travailleurs libres, mieux entretenus et mieux traités que des esclaves, seraient plus dispos, plus vigoureux. Ils joindraient à la force mécanique l’intelligence et la bonne volonté qui manquent à la plupart des esclaves. » Il faudrait, en réalité, pouvoir calculer ce que coûtait le prix d’un esclave et le salaire d’un libre. Naturellement il y eut beaucoup de variations, suivant les époques. J.-B. Say évalue à 500 francs[32] le coût annuel d’un esclave, y compris l’intérêt et l’amortissement du prix d’achat, tandis qu’il porte à 1.800 francs les gages d’un laboureur. Peut-être ce dernier chiffre est-il exagéré. D’autre part, si l’entretien des nègres ne coûtait relativement presque rien[33], il faut faire entrer en ligne de compte, outre l’usure de ce capital vivant, les charges de corvées et de capitation, les maladies, les accidents, le marronage, les affranchissements, enfin mille frais imprévus qui mettaient certainement le renouvellement de ce matériel animé à un taux fort onéreux.

Malgré tout, cependant, il paraît difficile de contester qu’il n’y ait eu un intérêt immédiat pour les planteurs à employer des nègres esclaves. Il est certain que, sans eux, les Antilles ne seraient pas arrivées si promptement à une telle prospérité. Suivant un Mémoire de Malouet, de 1776[34], les îles à sucre « produisent 120 millions, qui, par l’action et la réaction des échanges, représentent une somme décuple ». Necker écrit dans son Traité de l’administration des finances de la France[35] : « Ce n’est qu’en vendant au dehors pour 220 à 230 millions de marchandises ou manufacturées ou apportées des colonies que la France obtient une balance de 70 millions. » Le Mémoire du Bureau de la balance du commerce des colonies françaises en 1787[36] donne, comme chiffre d’exportation du royaume, pour les colonies, 73.767.000 livres et, pour l’importation des colonies en France, 185.047.000 livres. Un négociant de la Martinique[37] estime à 235.436.000 livres, argent de France, les marchandises exportées des îles dans la métropole et à 317.000.000 seulement l’exportation totale des colonies espagnoles, portugaises, anglaises, hollandaises, danoises. Il est à noter que ce n’est qu’aux Antilles que notre colonisation était prospère[38]. Cette prospérité fit par contrecoup celle de certains de nos ports, en particulier de Nantes, Marseille et Bordeaux. Mais à quel prix ces résultats furent-ils achetés ? C’est aussi, au point de vue historique, ce qu’il est essentiel de faire voir.

6’Voici, d’abord, un aperçu des fortunes créoles. Vers 1700, d’après Labat[39], une habitation estimée de 350 à 400.000 francs rapportait 90.000 francs, soit environ 25 %. En tout cas, les revenus ordinaires étaient toujours évalués au minimum à 15 %. Or nous voyons, d’après un État du prix des habitations de la Grenade vendues aux Anglais en 1765[40], qu’il y en a 68, représentant un capital de 30.695.000 livres. Le prix le plus élevé est de 1.800.000 livres, le plus bas est de 150.000 livres seulement ; mais presque toutes dépassent 200.000, et la moyenne varie entre 300.000 et 500.000. Quoique nous n’ayons pas trouvé de renseignements aussi précis sur les autres îles, il est à présumer que la grande propriété y était au moins aussi développée, et probablement même plus. La plupart des propriétaires, de nombre restreint, avaient donc des revenus variant entre 50 et 100.000 livres, ou même dépassant souvent ces chiffres. Mais, ne l’oublions pas, ils n’ont guère la ressource de réaliser cette richesse en argent. Alors ils se livrent à des dépenses excessives pour se procurer des objets de luxe, qui leur sont d’ailleurs vendus à des prix exorbitants, ou bien ils s’arrangent pour aller consommer en France le produit de leurs propriétés. Malgré leur fortune, ces capitalistes terriens en sont réduits à vivre, pour ainsi dire, au jour le jour. Qu’il survienne donc seulement une sécheresse, une inondation, un incendie, une invasion de fourmis, — comme le cas était trop fréquent, — la récolte est compromise, les revenus manquent ; et, comme ils ne peuvent recourir à l’épargne, il suffit ainsi d’une mauvaise année pour les endetter. Presque tous les colons sont chargés de dettes, lisons-nous, en effet, dans un document officiel ; ils sont « plutôt les fermiers du commerce que les propriétaires des habitations[41] ». De là une très grande instabilité dans les fortunes et les situations sociales, ou, du moins, une prospérité souvent tout extérieure et de pur apparat. Cette situation est bien résumée par Moreau de Jonnès[42] : « Un propriétaire ne reçoit jamais d’argent et, par représailles, il en donne, s’il se peut, encore moins. C’est en quelque sorte un droit acquis que de ne pas payer ; comme on ne paie pas ses esclaves, on ne paie non plus personne autre, et ce sont deux coutumes qui se tiennent par une même origine. Aussi cite-t-on dans chaque colonie des dettes qui remontent jusqu’à Louis XIII, des habitations engagées pour dix fois leur valeur, et, par contre, des colons héritiers de fortunes immenses, dont ils ne peuvent ni disposer, ni même obtenir la moindre part ». C’est ce qu’écrit aussi l’amiral Roussin en 1842[43] : « Sauf de très rares exceptions, la propriété privée n’existe pas et n’est qu’un mot vide de sens… Ceux qui possèdent n’ont pas plus de crédit que ceux qui n’ont rien, tant l’opinion est générale que toutes les propriétés sont grevées de dettes supérieures à la valeur du fonds. »

8° C’est ainsi que se constitua aux Antilles une société tout à fait factice, parce qu’elle ne s’était pas fondée et développée normalement. Ce qui manqua le plus, ce fut une classe moyenne, et ce qui l’empêcha de se créer, ou du moins de se maintenir, ce fut l’esclavage. Si les premiers colons, que nous avons vus à l’œuvre, firent preuve de qualités remarquables d’initiative, d’énergie et d’endurance, leurs successeurs, gâtés par l’introduction des esclaves, se laissèrent vaincre peu à peu par le climat et les séductions d’une vie molle et facile. Ce fait eut pour cause principale le « divorce de la propriété et du travail[44] ». La notion de l’effort, de la lutte nécessaire pour l’existence, fut bientôt perdue pour ceux qui n’avaient qu’à jouir du labeur des autres. La nature, — qui demande souvent à être vaincue, — ici spontanément féconde, les comblait de ses prodigalités ; la masse des hommes, — avec lesquels il faut compter d’habitude pour exercer contre eux la concurrence, — annihilés comme volonté, n’existaient plus que comme instruments. Dès lors, plus d’obstacle, et, par suite, plus de progrès, mais l’abandon aux instincts et aux passions, l’amour des jouissances frivoles suivant le caprice du moment, sans prévoyance, sans souci de l’épargne, sans réelles vertus de famille, sans un haut idéal de vie intellectuelle et morale, sans la moindre préoccupation, en un mot, de la justice et de l’humanité. Il est juste de dire que si les colons, contents de se laisser vivre, excédèrent ou laissèrent excéder par leurs gérants les nègres de fatigues et de cruautés pour obtenir d’eux le maximum d’efforts et de rendement possible, la cause en est, non pas uniquement à leur égoïsme et à leur désir immodéré du luxe, mais aussi, pour une bonne part, au régime tyrannique qu’ils furent eux-mêmes contraints de subir de la part de la métropole.

9° L’abolition de la traite, puis de l’esclavage, et enfin du pacte colonial, a changé la face des choses. Toutefois, il n’en reste pas moins établi que, l’esclavage ayant produit les tristes résultats que nous avons fait connaître, à la suite de l’émancipation se sont posés d’autres problèmes nés précisément de la situation antérieure, et qui sont loin d’être encore complètement résolus. En premier lieu est celui de l’accord des deux races qui, au fond, restent radicalement hostiles, mais avec cette différence que les gens de couleur jouissant désormais des mêmes droits que les blancs et l’emportant fatalement par le nombre, ont aujourd’hui la prépondérance. S’il est vrai qu’il existe « une justice immanente », on pourrait trouver que c’est là comme un « juste retour… des choses d’ici-bas », une sorte d’expiation du passé, subie, ainsi qu’il arrive trop souvent, par d’autres que les auteurs responsables. Quoi qu’il en soit, ce résultat n’est-il pas déplorable ? Et peut-on s’empêcher de regretter que le pouvoir soit précisément dévolu à ceux qui paraissent jusqu’ici le moins préparés à l’exercer ?

En second lieu, le sol ayant été, peut-on dire, lui aussi, libéré, s’est présentée la question de la reconstitution de la propriété, établie sur de nouvelles bases, et de l’organisation du travail libre. On sait qu’il a été impossible de ramener à la culture une grande quantité de gens de couleur, auxquels de trop vivants souvenirs la rendaient particulièrement odieuse. Mais, comme nous l’avons indiqué (p. 455), l’immigration des coolis n’a été qu’un expédient, et n’a pas permis de créer véritablement le travail libre.

En troisième lieu, les Antilles ont naturellement profité de la liberté commerciale, à laquelle est venue s’ajouter la liberté politique. Mais, malgré les progrès accomplis à ce double point de vue[45], peut-on dire que nous ayons trouvé la formule la plus pratique de conciliation entre le développement des intérêts particuliers de nos colonies et leur subordination aux intérêts généraux de la métropole ? Heureusement, la population de nos îles américaines se rattache de plus en plus par le sentiment patriotique à la France continentale, et leur territoire est bien devenu comme le prolongement de la mère-patrie au-delà de l’Océan. C’est ce qui rendra, espérons-le, l’entente de jour en jour plus facile. Mais, pour cela, il est nécessaire que la population de couleur ne devienne pas, à son tour, oppressive à l’égard de la population blanche. Oui, souhaitons surtout, en terminant, que, grâce au progrès des idées philanthropiques en notre siècle, la société des Antilles réalise le rapprochement et l’union de tous les Français, sans distinction de race. Un des éléments du patriotisme est d’ordinaire la communauté des souffrances et des joies dans le passé. Malheureusement, il ne saurait exister ici. Il faut donc que les descendants des anciens maîtres et des anciens esclaves oublient des souvenirs déjà lointains. Puissent-ils, se dégageant de préjugés funestes, se réconcilier et fraterniser bien plutôt par la communauté d’efforts en vue de l’œuvre présente qui s’impose à eux et par la communauté des espérances en vue de l’avenir !


  1. S’il y en avait qui étaient déjà réduits en esclavage, c’étaient surtout des esclaves domestiques qui, nous l’avons vu, n’étaient pas d’ordinaire vendus aux Européens.
  2. Ils croyaient, en particulier, que les blancs les emmenaient dans leurs pays pour les manger et se faire ensuite des souliers avec leur peau.
  3. Ces accidents étaient assez ordinaires, au rapport des témoins oculaires.
  4. Pour tout ce qui est relatif à l’esclavage ancien, voir Wallon. Histoire de l’esclavage dans l’antiquité.
  5. A. Cochin, Abolition de l’esclavage, I, p. ix.
  6. On envoya aux îles un certain nombre de familles allemandes ; mais on y renonça aussi bien vite.
  7. Cf. De Broglie, Rapport de la Commission, etc., pp. 110 et 130.
  8. Arch. Col., Essai sur l’esclavage, F, 129, p. 131.
  9. Cf. Commission coloniale, 1849-1851. Rapport d’Em. Thomas, p. 21-22.
  10. « Le travail d’un homme pendant une heure par jour suffit pour assurer sa subsistance et celle de sa famille. » Arch. Col., Essai sur l’esclavage, F, 129, p. 244.
  11. Cf. P. Leroy-Beaulieu, op. cit., p. 163.
  12. La culture de la canne ne commence que vers 1650. On croit communément que c’est le juif Benjamin Dacosta qui l’importa du Brésil à la Martinique, en 1644 (P. Leroy-Beaulieu, op. cit., 162. Pourtant Labat, III, 323, est d’avis qu’elle existait déjà aux Antilles. Dacosta aurait seulement fait connaître les procédés par lesquels il fallait la traiter.
  13. Arch. Col., C8, II, Mémoire du 11 décembre 1680.
  14. Ib.’, F, 250. Mémoire de Blenac et de Goimpy, 6 mars 1687.
  15. Ib., B, 13, p. 8.
  16. Les instructions fréquemment renouvelées sur ce point n’eurent jamais de succès.
  17. Arch. Col., B. 13, p. 63, Instructions répétées dans les mêmes termes au comte Desnos, B, 24, p. 20. Lettre du 19 février 1720.
  18. Cf. Schœlcher, Abolition immédiate de l’esclavage, Paris, 1842, p. xxiii, et L’esclavage pendant les deux dernières années, II, 377. Il cite une brochure de M. P. Daubrée, Questions coloniales sous le l’apport industriel, 1841, où sont exposés les avantages de cette combinaison, qui ne nécessite plus un grand concours de bras, ni un gros capital d’exploitation. — Ramon de la Sagra, savant économiste espagnol, indique dans son Historia fisica, politica y natural de la isla de Cuba, que c’est ainsi qu’on procède à Java et qu’on obtient les meilleurs résultats. — V. aussi Revue Col., 1re série, 1845, t. V, p. 259 et suiv., Analyse d’un article de José-A. Saco, De la suppression de la traite des esclaves africains dans l’île de Cuba, — et 2e série, 1849, t. II, p. 7, un Mémoire de Don Domingo de Goicouria.
  19. J. Duval, op. cit., p. 154.
  20. Moreau de Saint-Méry, V, 332, 4 novembre 1770. — Le Ministre écrit, le 18 juillet 1777, à M. de la Busquière, médecin à Sainte-Lucie, pour lui accuser réception d’un Mémoire dans lequel il proposait d’encourager l’usage de la charrue. Arch. Col., B, 160, Martinique, p. 72. — « On peut démontrer facilement qu’en se servant de la charrue on laboure et l’on plante plus dans un jour et avec un nombre dix fois moins grand de nègres formés au travail qu’on ne pourrait bêcher et planter à la manière accoutumée. » Clarkson, op. cit., p. 268.
  21. « Il n’est pas rare de voir les marchands gagner 100 pour 100. » Du Tertre, II, 460. — En 1670, les habitants de Saint-Domingue se révoltent contre les abus du monopole commercial. La Compagnie vendait une aune de toile 6 livres, et les Hollandais 20 sols, un baril de lard 750 livres de tabac (ou 7 pistoles et demie), et les Hollandais 200. Dessalles, I, 500-501. — « … Le gain que les marchands font sur les marchandises qu’ils portent aux îles est si excessif qu’il n’y a presque plus moyen de le supporter. L’argent que la Compagnie avait apporté ici pour le bien commun des habitants a été tout enlevé… » Arch. Col., C8, I. Lettre de M. de Baas au Ministre, 8 juin 1674. Les administrateurs et les colons ne cessent de se plaindre de cette exploitation dont ils sont victimes. — « L’office de ces établissements est d’opérer la consommation des produits de la culture et de l’industrie du royaume ; ils fournissent de plus des denrées de luxe que l’habitude nous a rendus nécessaires. » Mémoire du roi, du 7 mars 1777. Durand Molard. III, 281.
  22. « Ce qui manque le plus, ce sont les artisans », malgré le privilège que leur accordait l’édit de mars 1642, de passer maîtres au bout de six ans de séjour aux îles. Du Tertre, II, 468.
  23. « On a bien vu quelques pays à esclaves fleurir par l’agriculture, mais on n’en peut citer un seul où les arts mécaniques aient été portés à un haut point de perfection. » Ad. Smith, t. I, liv. III, ch. ii, p. 464.
  24. Ceux que l’on peut citer et qui se sont fait par exemple un nom dans les lettres ont été élevés en France et soustraits par conséquent à l’influence énervante de ce milieu particulier auquel nous attribuons pour une bonne part l’absence d’un haut idéal chez les créoles.
  25. « Il y a eu depuis deux siècles plus de 200.000 individus affranchis, et pas un seul n’a laissé un nom dont les amis des sciences, des lettres et de la philosophie se souviennent. » Arch. Col., Essai sur l’esclavage, F, 129, p. 235. — Notre expression « en aucun genre » pourrait porter à nous objecter l’exemple de Toussaint Louverture. Mais nous n’avons pas dénié le courage à la race noire. Surexcité chez celui-là par un noble sentiment, il a fait de lui un héros, quelque appréciation que l’on porte sur son rôle et sur son caractère. Mais avec lui nous ne sommes plus dans le domaine des arts, des sciences, de la littérature.
  26. La première imprimerie ne fut introduite à Saint-Domingue qu’en 1762.
  27. Op. cit., I, 114.
  28. Revue coloniale, 1847, t. XII, p. 138. Art. de M. Garnier.
  29. Cf. P. Leroy-Beaulieu, op. cit., pp. 238 et suiv., et passim.
  30. T. I, liv. III, ch. ii, p. 463-465. Cf. aussi liv. I, ch. viii, p. 103. Voir encore G. Roscher, Principes d’économie politique, trad. Wolowski, Paris, 1857, 2 vol. in-8, I, pp. 156 et suiv.
  31. Arch. Col., Colonies en général, XIII, F, 90. Plan proposé pour opérer successivement la suppression de l’esclavage dans l’habitation de Montjoly, à Cayenne.
  32. Cf. P. Leroy-Beaulieu, op. cit., I, 773.
  33. La dépense occasionnée par un nègre « ne peut aller à 20 écus par an ». Lettre de De Goimpy, 28 juillet 1687. Arch. Col., C8, 4. — Labat, IV, 207, faisant le compte de la dépense totale d’une habitation de 120 nègres, l’évalue à 6.610 livres, soit 55 par tête. — Schœlcher, Colonies françaises, 268-269, donne le chiffre de 100 livres par an.
  34. Arch. Col., Colonies en général, XIII, F, 90.
  35. Éd. de 1785, t. II, ch. iii, p. 118.
  36. Arch. Col., F, 139, p. 85.
  37. Ib., ib., p. 5. Mémoire de Ruste.
  38. P. Leroy-Beaulieu, op. cit., 167.
  39. IV, 153.
  40. Arch. Col., F, 17, 24 avril.
  41. Moreau de Saint-Méry, IV, 660. Procès-verbal, etc., 1764.
  42. Op. cit., p. 242.
  43. Cf. P. Leroy-Beaulieu, op. cit., p. 241.
  44. Duval, op. cit., 166.
  45. « Depuis quelques années, au point de vue politique, nous avons introduit dans nos colonies les libertés de la France ; nous leur donnons des gouverneurs civils, nous admettons dans notre Parlement leurs représentants. On dirait que la France est pleine de regrets d’avoir manqué dans le passé sa vocation coloniale, et de ferme propos de réparer les fautes dans cette voie. À ces desseins virils, quoique tardifs, on ne saurait trop applaudir. » P. Leroy-Beaulieu, op. cit., p. 248.