L'esclavage aux Antilles françaises avant 1789/I/IV

CHAPITRE IV

EXPORTATION ET VENTE DES NÈGRES


« … Ils n’occupent que le même espace qu’ils auraient dans leur tombeau. » (J.-J. Virey, Dict. de la conversation, art. Traite des nègres.)


I. — Les nègres achetés sont réunis au tronc avant rembarquement. — Les préparatifs du départ. — Règlement destiné aux bâtiments négriers. — Soins et discipline. — Propreté. — Divers témoignages à ce sujet. — Révoltes à bord. — Perte moyenne de 7 à 8 % pendant la traversée.
II. — Arrivée aux îles. — Visite sanitaire. — Cas rédhibitoires. — Vente à bord ou à terre. — Le commerce du regretage. — Prix de revente des nègres. — Bénéfices de la traite.
III. — Les nègres de choix des gouverneurs. — Abus. — Le droit de 2 %. — Divers essais de réglementation. — Suppression du droit en 1760.
IV. — La traite n’a été qu’un commerce d’échange. — Inconvénients de ce système. — Causes qui empêchaient souvent les colons de payer les nègres. — Manque d’argent aux îles. — Exemption de moitié des droits pour les marchandises provenant de la traite.
V. — Du nombre des noirs importés aux Antilles. — Défectuosité des recensements. — Recherches d’après divers documents officiels. — La reproduction n’a jamais été suffisante pour qu’on pût se passer de la traite. — Décroissance annuelle de 2½ %. — C’est là encore une des raisons qui font condamner la traite et l’esclavage.


I

Une fois la marchandise achetée, il s’agit de la transporter à destination. Nous extrairons la plupart de nos renseignements d’un Mémoire intitulé : « De l’ordre et des usages qui règnent généralement à bord des navires négriers tant pendant leur séjour sur les rades des côtes d’Afrique que pendant le cours de la traversée jusqu’à l’Amérique[1] ». À vrai dire, l’auteur, qui ne se nomme pas, nous a paru suspect d’une certaine partialité ; aussi lui opposerons-nous d’autres témoignages.

Les nègres, rapporte-t-il, ont été d’abord, au fur et à mesure des achats, réunis au tronc, qui est une espèce d’abri ou de prison, où le tronquier les surveille et les soigne[2]. Pour les conduire au navire, on ne leur met que des poucettes. On fait passer les femmes en arrière de la ranbarde, qui est une sorte de cloison de 10 pieds de haut, élevée sur le milieu du pont dans toute sa longueur et munie de pointes ou de clous. Quant aux hommes, ils restent sur le pont ; et aux plus forts on met des fers aux pieds et des menottes.

Les navires qui partent de la côte d’Or relâchent aux îles portugaises du Prince ou de Saint-Thomas. On y fait descendre toute la cargaison qui, dès ce moment, est nourrie avec des vivres frais. Le séjour est ordinairement de trois semaines et quelquefois même de six. On décharge le navire, on le nettoie et on le dispose pour la traversée. Pendant ce temps, on ôte les fers aux nègres, on les mène régulièrement se promener et se baigner. La nuit, on sépare les hommes d’avec les femmes et on les entoure de la plus étroite surveillance pour qu’ils ne puissent pas combiner de complot à exécuter durant la traversée. Bien plus, on a soin de ne pas placer à côté les uns des autres ceux qui sont de même origine. Du moment qu’ils ne se comprennent pas, c’est une sécurité de plus ; que ce soit aussi pour eux une torture de plus, c’est ce dont s’inquiète peu le négrier. Les malades sont soignés à part ; mais c’est moins encore par humanité que pour éviter la contagion.

Pour repartir, on remet les fers aux hommes, tandis que les femmes sont toujours laissées libres. On place d’abord les hommes dans l’entrepont, jusqu’à ce qu’on ait perdu la terre de vue ; puis, on les fait monter peu à peu sur le pont, en redoublant d’attention, « pour tâcher de s’apercevoir de la sensation que leur fait le départ de la terre. S’ils paraissent tranquilles et contents, on leur ôte les menottes et quelquefois les fers. » Le jour, les femmes sont souvent parmi les officiers.

Le capitaine Guillaume Littleton nous apprend[3] que quelques nègres seulement sont sujets au mal de mer, au début de la traversée, pendant deux ou trois jours.

Du Congo ou de la côte d’Angola on part directement pour l’Amérique. On est dans l’usage, en attendant le départ, de faire venir à bord deux « fils de terre ou bombes », qui apprennent aux captifs à danser. Il faut avoir soin de proportionner le nombre de nègres à la quantité de vivres, d’eau et de bois que peut contenir la cale du navire, pour assurer leur nourriture. On calcule une barrique d’eau par individu, et 10 tonneaux de vivres pour 100 têtes de captifs. Il est bon de les nourrir, autant qu’on le peut, avec de la nourriture de leur pays, soit du petit mil ou du riz. Dès le matin, on leur donne un peu de biscuit, puis on leur sert deux repas par jour, de neuf heures et demie à dix, et de trois heures et demie à quatre. Ils ont une gamelle d’une pinte pour 10. En dehors des repas, on leur donne à boire entre midi et une heure. Une fois ou deux par semaine, on les ranime par « un petit coup d’eau-de-vie ». Certaines traversées durent jusqu’à soixante-quinze et quatre-vingts jours, si l’on a beaucoup de calmes ; mais généralement on ne met guère que la moitié de ce temps.

Voici une analyse du Règlement destiné aux navires négriers. Mais il resterait à savoir comment il était appliqué dans la pratique. La première partie traite des soins et de la discipline.

Article premier. — Défense aux matelots de frapper les nègres ; s’ils ont à se plaindre d’eux, ils doivent faire leur rapport à l’officier de service. — Ajoutons que, d’habitude, le capitaine choisissait un nègre intelligent et affidé pour mieux surveiller la cargaison ; ce privilégié portait une culotte et un gilet, et était nourri comme un matelot.

Art. 2. — Les matelots ne doivent avoir aucune communication avec les femmes.

Art. 3. — Si les femmes se querellent, on avertit l’officier de service, qui leur fait donner un ou deux coups de martinet par une « quartière-maîtresse », femme raisonnable choisie pour surveiller les autres.

Art. 4. — S’il se produit des disputes pendant la nuit, soit dans le compartiment des hommes, soit dans celui des femmes, on se borne à leur faire imposer silence par les quartiers-maîtres ou les quartières-maîtresses. Les blancs doivent bien se garder alors de pénétrer parmi les nègres qui pourraient les étouffer et profiler de l’occasion pour se révolter.

Art. 5. — Quand les nègres sont sur le pont, il doit toujours y avoir des blancs pour les surveiller.

Art. 6. — Pendant les repas, tout l’équipage est sur le pont.

Art. 7. — On ne doit y laisser traîner aucun outil avant de faire monter les captifs.

Art. 8. — Quand ils montent, un charpentier et un officier-major se tiennent aux guichets pour visiter les fers. Pendant ce temps, on établit les manches à vent pour augmenter l’air dans les compartiments (des claires-voies sont ménagées au-dessus de l’entrepont pour faire circuler l’air).

Art. 9. — Avant qu’ils redescendent, tous les soirs, un charpentier et un officier visitent les compartiments pour voir s’ils n’auraient rien caché.

Art. 10. — On ne fait monter les nègres que quand le pont est bien sec.

Art. 11. — « Soir et matin, ou avant et après le dîner, on fait danser et chanter la cargaison, afin d’éviter qu’elle ne prenne de mélancolie[4]. »

La deuxième partie du Règlement est relative à la propreté[5].

Article premier. — Tous les soirs, le pont est lavé, gratté et frotté à blanc.

Art. 2. — Tous les jours, on gratte à blanc, on parfume les compartiments où couchent les captifs, et on passe partout une éponge mouillée de vinaigre. — Les bailles de commodité sont jetées toutes les deux heures et lavées chaque fois, même la nuit.

Art. 3. — Tous les matins, sur le pont, on fait laver la bouche aux noirs avec de l’eau et du vinaigre, du jus de citron ou quelque autre antiscorbutique. Ils se lavent aussi le visage, les mains, les pieds, etc.

Art. 4. — Deux ou trois fois par semaine, ou les fait baigner, si le temps le permet.

Art. 5. — « Tous les quinze jours ou trois semaines, on fait raser la tête à la cargaison, ainsi que toutes les parties du corps qui en sont susceptibles. Ce soin leur fait beaucoup de plaisir, en ce qu’ils sont dans cet usage dans leur pays. On leur fait également couper les ongles aux mains et aux pieds. »

Art. 6. — Il est d’usage de tenir les captifs nus pour éviter la vermine. Aux femmes seulement on donne un quart d’aune pour couvrir leur nudité, et un peu de linge pour les soins du corps.

Art. 7. — Après les repas, on leur fait laver la bouche, et on leur demande s’ils ont été contents de leur manger ; quand il arrive à l’un d’eux d’en être mécontent, il n’hésite pas à se plaindre. — Tous les matins, les chirurgiens visitent la bouche des captifs et leur demandent s’ils souffrent de quelque chose. Dans ce cas, ils sont immédiatement soignés. — On donne des soins particuliers aux femmes qui accouchent à bord.

On le voit, tout ce dernier article est presque attendrissant. Pauvres nègres, s’ils allaient tomber malades et succomber ! Un corps de plus à la mer, et au minimum 500 livres de moins dans la bourse du négrier.

Faut-il, en regard de ce tableau que nous offre ledit règlement, en montrer un autre ? Qu’on lise ce court passage extrait du Compte rendu de la séance de la Chambre des communes d’Angleterre, du 9 mai 1788[6]. Nous l’avons choisi entre bien d’autres, parce qu’il nous a paru caractéristique. Il est vrai que c’est un document anglais, et que les Français passaient généralement pour mieux traiter leurs esclaves. Mais nous sommes bien obligés de reconnaître qu’à peu de chose près tous les négriers devaient se ressembler. William Dolben s’adresse donc à ses collègues en faveur des esclaves : « Il ne parle ni de leurs souffrances dans leur patrie entre les mains de leurs cruels concitoyens, ni de leurs peines avec leurs insensibles maîtres des colonies, mais de cet état intermédiaire dix fois pire où ils se trouvent pendant leur transfert d’Afrique aux îles. À bord, ces malheureux sont enchaînés de l’un à l’autre par les mains et les pieds et tenus si pressés qu’ils n’ont pas plus d’un pied et demi pour chaque individu. Ainsi serrés comme des harengs dans des barils, ils engendrent des maladies putrides et toutes sortes d’affections dangereuses, de manière que, quand leurs gardiens viennent les visiter le matin, ils ont chaque jour à ôter plusieurs nègres morts des rangs et à séparer leurs carcasses du corps de leurs malheureux compagnons auxquels ils étaient unis par les fers. » Le volume auquel nous avons emprunté cette citation contient la gravure et la description d’un de ces bagnes flottants, de ces « bières mouvantes », suivant l’expression de Mirabeau, qu’on appelait bâtiments négriers[7].

Nous ajouterons une sorte de témoignage mixte, tiré de la déposition d’un capitaine nommé Jean Knox devant le Comité d’enquête de la Chambre des Communes en 1789[8]. « Les esclaves embarqués sont, déclare-t-il, traités avec humanité et attention. » Et, répondant à une question : « Je n’ai jamais présumé qu’aucun soit mort pour avoir été trop foulé. » On voit qu’il n’en est pas très sûr. Comme on lui demande quelles précautions sont prises pour conserver la santé des nègres : « La plus grande propreté, dit-il, les fumigations, les aspersions de vinaigre et surtout le renouvellement de l’air. » Mais voici qui va nous édifier sur le degré de bien-être dont ils peuvent jouir à bord. Les nègres sont enchaînés jambe droite avec main droite, et jambe gauche avec main gauche. Le fer qui embrasse la jambe a à peu près la forme d’un demi-cercle : chaque bout est percé d’un trou à travers lequel passe une barre, qui relie les différents anneaux servant à enserrer les jambes d’une rangée de nègres. Dans le compartiment où ils sont enfermés la nuit, il serait impossible qu’ils pussent se mettre debout. Ce n’est que dans les grands vaisseaux qu’il y a place, et encore pas toujours, pour se tenir droit immédiatement sous le caillebotis ; mais, dans les petits, il est rare que la hauteur dépasse 4 pieds. Le capitaine cite encore plusieurs voyages qu’il a faits et où les nègres embarqués en trop grand nombre n’avaient même pas assez de place pour se coucher sur le dos. Il ajoute qu’il n’a jamais vu qu’il fût nécessaire d’user de violence pour les faire danser. Sans doute à la torture de l’immobilité forcée dans un espace restreint ils devaient encore préférer cette manière de délasser leurs membres ankylosés. Mais, s’ils les avaient trop raidis pour se livrer à cet hygiénique exercice, on avait vite fait de les stimuler à l’aide de quelques coups de fouet. Aussi quelle rancune dans le cœur de ces misérables pour qui un de leurs amusements favoris devenait ainsi un supplice nouveau !

Naturellement les bourreaux ne prennent pas le soin de raconter leurs exploits. Aussi les documents sont-ils rares qui nous font connaître exactement ce qui se passait à bord des bâtiments négriers. Cependant nous savons que, malgré toutes les précautions prises, il fallait encore compter de temps en temps avec les révoltes. Mais alors la répression était impitoyable. En 1724[9], par exemple, un capitaine, sur le simple soupçon que ses nègres voulaient se révolter, en condamne deux à mort. Le premier est égorgé devant les autres ; il lui fait arracher le cœur, le foie et les entrailles, ordonne de les partager en 300 morceaux et contraint chacun de ses esclaves à en manger un, menaçant du même supplice ceux qui refuseraient. Le second était une femme : suspendue à un mât, elle fut d’abord fouettée jusqu’au sang ; puis, on lui enleva plus de cent morceaux de chair avec des couteaux, jusqu’à ce que les os fussent à nu et qu’elle expirât. — Un jour, le 19 juillet 1768, sur le Saint-Nicolas, comme le capitaine plaisantait au milieu de sa cargaison, à un signal donné, les nègres se précipitent sur lui et sur son entourage. Vingt d’entre eux, laissés libres, avaient détaché les fers des autres. Une lutte terrible s’engage ; mais les nègres, manquant d’armes, étaient bien forcés de succomber. Ils parviennent pourtant à blesser un certain nombre de blancs, tandis que 32 d’entre eux, dont 15 femmes, étaient tués, et 27 blessés grièvement. — Isert raconte, dans sa lettre du 12 mars 1787[10], une révolte dont il faillit être victime. Le lendemain du départ, les nègres étaient sur le pont, assis, observant un profond silence ; tout à coup, ils se lèvent tous en poussant des cris épouvantables. Pendant plus de deux heures il fallut lutter contre eux ; mais ils n’avaient réussi à blesser que 2 Européens, tandis que 34 des leurs étaient restés sur le carreau. Moreau de Saint-Méry, dans ses notes manuscrites[11], écrit d’une manière générale : « Il y a des bâtiments où les nègres se mutinent ; alors c’est un affreux carnage. Il est des nègres qui, quoique avec des fers qui leur ont fait enfler les jambes, et avec des menottes, se révoltent et enchaînent les blancs avec leurs menottes mêmes. On en a vu qui, après avoir tenté une révolte dans laquelle ils étaient battus, se laissaient mourir de faim et de soif. »

À part des accidents de cette nature ou des épidémies, le déchet ordinaire pendant les traversées parait avoir été de 7 à 8 % en moyenne. Le capitaine Jean Knox[12] déclare que, lors de son premier voyage à la côte d’Angola en 1782, sur 450 nègres, il lui en est mort 17 ou 18 ; dans le deuxième, sur 320, 40 ; cette mortalité plus considérable s’explique par la lenteur de l’achat et parce qu’il n’avait pas pu se procurer des aliments du pays pour nourrir sa cargaison ; dans le troisième, sur 290, 1 seul ; enfin, dans un de ses derniers, sur 600, 9. D’après ces chiffres, la moyenne n’est que de 4 %. Le capitaine Macintosh n’avoue qu’une perte de 7 au plus sur 400 et parle de plusieurs voyages qu’il a faits sans en perdre un seul. Jean Fontaine dit 1 sur 300. Mais nous sommes loin de compte d’après d’autres documents également dignes de foi. Ainsi, dans un Mémoire du 15 mai 1714[13], adressé au Ministre pour lui faire connaître la nécessité d’accorder aux négociants autant de permissions qu’ils en demanderont pour le commerce de Guinée, nous lisons : « Un navire qui en charge 300 en perd au moins 1/6 dans la traversée. » Consultons, d’autre part, la Réponse faite à Messieurs les philanthropes anglais[14], elle est d’un anonyme, qu’on ne saurait accuser d’exagérer la vérité, puisque, au contraire, il s’efforce de réfuter les accusations portées contre ceux qui font la traite avec cruauté. Il revient à plusieurs reprises sur cette question de la mortalité. Il est vrai, dit-il d’abord au § 4, que la mortalité des captifs va quelquefois à 20 % ; mais ce n’est que dans des temps de maladies épidémiques en Afrique, et alors ils meurent chez eux comme à bord des navires. On peut seulement se demander dans ce cas pourquoi les traitants avaient l’imprudence de les embarquer. Rapportons textuellement une partie du § 11 : « L’auteur anglais (également anonyme) cite des exemples de 50 et 60 % de perte. Cela est possible et arrive souvent dans les cargaisons de Bénin et de Kalbarre. Les peuples de ces parties sont plus mélancoliques que ceux des autres parties de l’Afrique. Quand ils sont à bord de nos navires, ils cherchent à se détruire, imaginant qu’après leur mort ils se retrouveront dans leur pays. » Il n’y avait pas moyen de les égayer. Il arrivait d’ailleurs qu’ils s’empoisonnaient eux-mêmes avant de partir et mouraient ainsi d’une sorte de consomption lente. Aussi les Français ne faisaient-ils guère la traite de ces côtés, quoique le prix des nègres y fût souvent de moitié moins cher. Voici la partie de ce témoignage la plus caractéristique et que nous croyons pouvoir être adoptée comme l’expression de la vérité générale : « J’ai vu, dans tous les voyages de la côte d’Angolle, la perte ne pas excéder 4 et 6 % et, dans ceux de la côte d’Or, de 8 à 10 %. J’ai même connu plusieurs voyages d’Angolle où la perte ne dépassait pas 2 et 3 %. » Et notre auteur conclut : « J’ose affirmer que pas une nation ne traite les captifs avec plus de soins, d’égards, de considération et d’humanité que les Français. Aussi en perdons-nous beaucoup moins. » D’après lui, nous en revenons donc à peu près à la moyenne de 7 à 8 % de perte indiquée tout d’abord. Nous voyons ce chiffre ramené pour les besoins de la cause à 5 % dans le Règlement d’une association de commerce maritime pour la traite des nègres[15] ; en effet, il est question de six cargaisons à faire dans les ports de Bordeaux, Nantes et Le Havre ; les navires doivent pouvoir contenir à l’aise de 460 à 500 nègres. Seulement on a soin de calculer que chaque cargaison de 500 sera réduite à 475 à l’arrivée. Mais il paraît évident qu’on ne fait entrer en ligne de compte que le minimum de déchet, pour ne pas décourager les actionnaires. En effet, écrit encore officiellement un administrateur : « On évalue communément la perte des noirs depuis le départ de la côte d’Afrique jusqu’à l’introduction dans nos colonies à sucre sur le pied de 7 à 8 %. Il peut cependant se faire que, dans certaines circonstances, soit faute de bons vivres, ou par des embarquements trop nombreux sur les navires, la mortalité surpasse cette évaluation[16]. »


II

Lorsque les navires arrivaient aux îles, les capitaines devaient prévenir immédiatement le gouverneur général ou son représentant[17], Ils étaient aussitôt soumis à la visite d’un médecin, qui ne les autorisait à débarquer que si les nègres étaient exempts de toute maladie contagieuse. Cette précaution, à laquelle on ne paraît pas avoir songé tout d’abord, ou plutôt devant laquelle on reculait de peur de décourager le commerce, fut prise lorsque l’expérience eut montré combien elle était nécessaire. Une Ordonnance des administrateurs généraux des îles, du 18 janvier 1685[18], parle des maladies contagieuses produites « par l’infection que le nombre des noirs embarqués cause » ; elle rappelle une épidémie déterminée en 1669 par le débarquement de noirs malades et prescrit, en conséquence, une visite sanitaire avant que la cargaison ne soit mise à terre. Nous avons trouvé aux Archives coloniales[19] un certificat manuscrit de visite d’un négrier par François Allard, docteur en médecine, et Alexandre Duga, chirurgien, daté du 15 janvier 1686, Il s’agit du navire la Renommée, appartenant à la Compagnie d’Afrique. Il est constaté que 20 nègres sont atteints de la petite vérole, et Duga les fait amener sur son habitation pour les soigner. Dans un Mémoire du roi en date du 3 septembre 1690, adressé à M. Dumaitz[20], Sa Majesté approuve qu’il oblige les nègres attaqués de la petite vérole, venant de Guinée, à faire une espèce de quarantaine ; cependant Elle lui recommande la plus grande circonspection pour ne pas empêcher les Compagnies de faire leurs affaires. Un Règlement du 25 juillet 1708[21] prescrit aux navires de faire ladite quarantaine en observant de mettre tous leurs passagers dans un bâtiment particulier, « où ils seront parfumés pendant vingt-quatre heures ». Nous voyons par un rapport de médecin, du 12 juillet 1715[22], que les nègres atteints de la petite vérole ou de l’escorbut devront être débarqués hors du bourg Saint-Pierre. La cargaison se décomposait ainsi : 227 nègres mâles, 117 négresses, 30 négrillons, 20 négrittes, 3 négrillons et 2 négrittes à la mamelle, Une Ordonnance du roi, du 25 juillet 1724[23], en interprétation d’une précédente, du 3 avril 1718[24], confirme la défense de vendre les nègres avant la visite de santé. C’est pour cette raison d’hygiène qu’en 1764 un certain nombre de colons protestent dans un Mémoire[25] contre la vente à terre des cargaisons de nègres. « Assez ordinairement, disent-ils, les cargaisons de Guinée sont-elles plus ou moins affectées de scorbut… Les premières approches de la terre le font se manifester. » Un Règlement des administrateurs de la Guadeloupe[26], du 10 novembre 1779, fixe à 150 livres les honoraires du médecin pour chaque visite qu’il fera des navires portant jusqu’à 100 nègres ; au delà, il recevra en plus 20 sols par tête, ce qui pouvait monter assez ordinairement jusqu’à 4 à 500 livres.

Cette visite sanitaire constituait une garantie pour les acheteurs. Cependant il est des maladies que le médecin était dans l’impossibilité de constater, Aussi voyons-nous que la jurisprudence admet un certain nombre de cas rédhibitoires. Telle est l’épilepsie, d’après une sentence du juge du Cap du 21 février 1699[27]. Un arrêt du Conseil de Léogane, du 15 juillet 1721[28], ordonne que les vendeurs de nègres atteints de folie ou de mal caduc seront, pendant le cours de six mois, tenus de les reprendre. Quelque temps après, il n’est plus question que de trois mois, d’après une lettre adressée, le 22 avril 1727, par le Ministre à l’administrateur de Cayenne[29] : il approuve, en effet, une ordonnance locale fixant ce laps de temps, et il dit que c’est la règle suivie dans les autres îles. Mais on paraît en être revenu définitivement au délai de six mois. C’est ainsi qu’en juge l’intendant de la Martinique, le 28 décembre 1740[30] : un marchand ayant vendu 100 nègres pour la somme de 100.856 livres est tenu de rembourser 500 livres pour prix d’un des nègres devenu fou. Le 19 février 1779, un arrêt du Conseil du Cap[31] accueille l’action rédhibitoire pour un nègre mort des suites d’une attaque de folie dans les six mois de la vente. L’imbécillité est indiquée aussi comme un cas rédhibitoire, suivant le Code de Saint-Domingue[32]. Quant aux hernies, dont les nègres étaient assez fréquemment atteints[33], elles n’étaient pas considérées comme cas rédhibitoires ; c’était au médecin qu’il appartenait de les constater. Ainsi on achetait un esclave à peu près comme on achète un cheval ou un bœuf. Si les esclaves ainsi vendus étaient de nouveau mis en vente, le vendeur était tenu d’indiquer leur maladie. Aussi personne n’en voulait-il. On en vit acheter pour 20 sols. Lorsqu’on ne pouvait s’en débarrasser, on les donnait aux religieux de la Providence ou on les employait d’une manière quelconque[34].

Une question en apparence insignifiante, à savoir si la vente des nègres devait avoir lieu à bord ou à terre, provoqua souvent des difficultés et fut l’objet de mesures diverses. D’une part, sur le navire, il est difficile de bien examiner la marchandise. De l’autre, il est nécessaire d’abriter les esclaves, une fois qu’ils sont mis à terre, il faut pour cela « des magasins en planches bien clos, afin de les tenir moins exposés au chique, insecte particulier du pays, qui leur perce les pieds[35] ». On n’y pourvoit officiellement qu’assez tard. C’est ainsi qu’en 1764 les deux Conseils supérieurs de Saint-Domingue défendent de vendre les nègres à bord. Il est dit à ce propos : « Cette sage précaution, qui réunit d’ailleurs plusieurs avantages, est établie dans d’autres colonies et a été anciennement pratiquée dans celle-ci[36]. » Et l’on décide de construire aux extrémités des villes du Cap, de Port-au-Prince, des Cayes, des halles closes où capitaines et négociants pourront « déposer » sans rétribution pendant un mois leurs nègres à vendre. Mais il y a lieu de croire qu’on s’en tint au projet. En effet, au commencement de 1778, le vaisseau négrier le David, de La Rochelle, allant à Saint-Domingue, la nouvelle de la guerre le contraignit de rester à la Martinique. Il voulut essayer d’y introduire l’usage de Saint-Domingue de vendre les nègres à bord ; « mais, huit jours s’étant écoulés sans qu’un seul acheteur vînt à bord, il fallut se soumettre et faire débarquer les nègres[37] ». De plus, voici les renseignements que nous trouvons encore à la date du 27 février 1784 pour Saint-Domingue[38]. Le Ministre répond aux administrateurs qui ont proposé de transformer un hôpital en lazaret, où les noirs seraient vendus, à la charge d’un droit de 24 livres par tête au profit du roi : ce serait sans doute un moyen de « remédier aux inconvénients que la vente des cargaisons de noirs qui se fait à bord des vaisseaux occasionne par la communication des maladies pestilentielles que l’intérêt des capitaines leur fait cacher malgré les précautions des officiers de santé ». Mais, en revanche, les négociants des ports protestent « pour conserver la liberté dont les capitaines des bâtiments négriers ont toujours joui dans la vente de leurs cargaisons en rade ». Il est difficile de contenir les noirs rassemblés à terre en grand nombre ; puis, la réunion de plusieurs cargaisons cause de la confusion. Aussi paraît-il bon d’établir simplement le dépôt volontaire. — En fait, on n’avait le plus souvent pour la vente à terre que des abris insuffisants, mal clos, et trop étroits, où les malheureux étaient entassés. Les autorités avaient vainement à plusieurs reprises formulé des prescriptions à ce sujet[39]. Les administrateurs font, le 24 mai 1724, la description suivante de ce qu’ils ont vu : « La visite que le ministère public a fait faire de sept de ces magasins actuellement remplis nous a présenté le tableau révoltant de morts et de mourants jetés pêle-mêle dans la fange. » En somme, il n’y eut jamais de règle fixe ; seulement il semble, malgré tout, que c’est la vente à terre qui a prévalu.

De bonne heure, il s’était constitué des intermédiaires achetant en gros pour revendre en détail. Les habitants de la Martinique ayant adressé une pétition à M. de Tracy, gouverneur général des îles, celui-ci promulgue, le 17 mars 1665, un règlement[40] dans lequel il est dit à l’article 21 : « Il n’est permis à aucuns habitants ni autres d’acheter des nègres des maîtres des navires, d’en faire regretage (c’est le commerce des revendeurs) et les survendre. » Un arrêt du Conseil d’État, du 25 mars 1679[41], autorise cependant la Compagnie du Sénégal à vendre ses nègres de gré à gré. Mais il se produisait fatalement des abus. Par exemple, nous lisons, dans une lettre du Ministre à un gouverneur, M. Dumaitz[42], qu’il est obligé de le menacer de la révocation, « parce qu’il a fait arrêter des navires allant à Saint-Domingue et à la Guadeloupe et s’est fait donner aux prix qu’il voulait des nègres choisis pour les revendre ensuite ». Dans une lettre au Ministre, du 20 juin 1698[43], M. d’Amblimont se plaint que la Compagnie vende des nègres à des gens qui les revendent ensuite plus cher. Par une ordonnance du 28 mai 1717[44], les administrateurs de Saint-Domingue annulent une vente ainsi faite et « défendent aux capitaines négriers de vendre en gros leurs cargaisons et à toutes personnes de les acheter qu’après quinze jours de vente au détail ». Le roi approuve ensuite, en 1721[45], une autre ordonnance des administrateurs de Saint-Domingue, « qui enjoint aux capitaines négriers de tenir leurs ventes ouvertes pendant quinze jours, sans pouvoir pendant ce temps disposer de leurs cargaisons entières ». C’est « absolument nécessaire pour que les petits habitants puissent avoir des nègres sans passer par les mains des regratiers qui les survendent ». Un arrêt du Conseil de Léogane, du 1er mars 1723[46], « défend à toutes personnes, de quelque qualité et condition qu’elles soient, d’acheter en gros les cargaisons des nègres pour les revendre, à peine de confiscation des nègres, ou du prix de la vente, et de 20.000 livres d’amende pour la seconde fois ; il permet néanmoins aux capitaines, après avoir détaillé la majeure partie de leurs nègres, de vendre en gros ceux de rebut ».

Il se produisait encore cette autre difficulté : c’est que les habitants qui se trouvaient éloignés des ports où arrivaient les navires n’avaient pas toujours la ressource d’acheter des nègres à temps. Aussi, dans une pétition qu’ils adressent aux administrateurs, le 19 août 1670[47], ceux de la Martinique demandent, à l’article 24 : « Que de tous les nègres qui viendront pour le compte de nos seigneurs de la Compagnie il soit fait un lot pour chaque quartier ; pour les nègres qui viendront par les navires particuliers, nosdits seigneurs sont priés de nous procurer la même chose, vu que c’est l’intérêt général que les quartiers éloignés soient peuplés. » Qu’advint-il de cette demande ? Nous n’en savons rien. Ce n’est que près d’un siècle après que nous trouvons une ordonnance du général et intendant de la Martinique prescrivant cette vente des nègres de traite dans les diverses parties de l’île[48].

Aussitôt après la vente, le propriétaire faisait étamper les nègres qu’il venait d’acheter ; on leur imprimait au fer chaud ses initiales ou une marque particulière sur les deux côtés de la poitrine, car les négriers les avaient déjà fait marquer sur les épaules.

Il est assez difficile de donner des indications absolument précises sur le prix de revente des nègres. Nous avons vu (page 102) que les écarts extrêmes pour l’achat aux côtes d’Afrique avaient varié de 30 à 500 livres. De même, il y eut de très grandes différences pour la vente aux Antilles, suivant les époques et les individus. Les prix, relativement peu élevés tout à fait au débuts parce qu’on trouvait des noirs en abondance dans leur pays d’origine et qu’ils n’étaient pas encore très demandés aux îles, montèrent considérablement à mesure que la marchandise devenait plus rare et était plus recherchée. Il faut tenir compte aussi des temps de guerre, pendant lesquels les transports étaient beaucoup plus difficiles à cause des risques à courir.

Dès 1643 (V. ci-dessus, p. 38), on achète les esclaves 200 livres la pièce. La raison en est sans doute qu’on n’en apportait encore que fort peu ; car, quelque temps après, le prix a diminué et n’est plus guère que de moitié. Notre affirmation s’appuie sur un document officiel du 24 septembre 1670[49]. C’est un état des nègres vérifié dans un des magasins de la Compagnie par le juge de la Guadeloupe. Il contient même quelques détails curieux sur la manière dont se faisaient les ventes primitivement. Il s’agit d’un lot de 268 têtes, « desquelles, est-il dit, avons procédé à la distribution et vente par le sort ». Il en a été délivré 48 « par choix et préférence ». Pour chacun de ceux qui restaient, « nous avons fait un billet conforme aux étiquettes qui étaient aux bras des nègres, marquant le numéro de chacun d’eux, et lesdits billets de nous paraphés ont été mis en quatre différents chapeaux, les premiers contenant les grands mâles tant pièces d’Inde que vieux, lesdits vieux contremarqués, dans le deuxième les billets contenant les grandes femelles tant pièces d’Inde que vieilles aussi contremarquées, dans le troisième les jeunes nègres et négresses de 3 pour 2 ou 2/3, dans le quatrième les négrillons mâles et femelles de 2 pour 1. Après quoi, il a été procédé à la distribution par le sort ainsi qu’il suit, ayant préalablement crié et fait dire à haute voix le prix de chaque pièce de nègre dans sa qualité et estimation attaché à chaque billet. » Les 268 ont été vendus 718.750 livres de sucre ; comme les 100 livres de sucre valaient alors environ 4 livres d’argent, nous obtenons le prix moyen de 107 livres.

Le 29 mars 1671[50], M. de Baas se plaint au Ministre de ce que M. Pelissier a donné ordre de vendre les nègres 4.000 livres de sucre — soit 160 livres, — car les Hollandais ne les vendent que 2.000. Il ajoute qu’à la vérité il est beaucoup dû à la Compagnie, mais ce n’est pourtant pas une raison pour rebuter les habitants. Or le roi lui répond, le 4 novembre suivant[51], qu’il n’y a pas moyen de les donner à moins. Cependant, dès 1682, les prix remontent à 200 livres. L’intendant Patoulet[52] estime du moins que la Compagnie d’Afrique, qui doit porter tous les ans 2.000 nègres aux îles, « ne saurait les donner avec profit pour elle à moins de 200 francs la pièce ». À Cayenne, où ils coûtaient plus cher parce qu’on y en transportait moins, ils étaient en cette même année « à 300 livres la pièce d’Inde, et ce fut longtemps leur prix[53] ». En 1689, 102 nègres sont vendus à la Martinique 631.800 livres de sucre, soit 6.194 par tête et environ 280 à 300 livres en argent[54].

En 1700, on vend en deux jours, également à la Martinique, de 1.000 à 1.200 nègres à raison de 450 livres pour les pièces d’Inde et 400 pour les négresses[55]. L’année suivante, il faut payer jusqu’à 580 livres par pièce d’Inde et 500 pour un médiocre[56]. Aussi se plaint-on, de tous côtés, qu’ils sont trop chers. Et, le 26 août 1705, le roi écrit aux Directeurs de la Compagnie de l’Assiente[57] qu’un sieur de Crozat lui a fait la proposition avantageuse d’en fournir sur le pied de 400 livres pièce d’Inde. « Je l’ai approuvé, ajoute-t-il, et vous devrez incessamment conclure le marché avec lui. »

En 1714[58], un sieur Montaudouin, de Nantes, proposa de fournir aux habitants de Cayenne, pendant cinq ans, 4 à 500 noirs par an, ou même davantage, au prix de 550 livres les pièces d’Inde et les autres à proportion. Nous lisons, à la date du 18 août 1716, dans un Mémoire adressé au duc d’Orléans, régent du royaume, et à nos seigneurs de son conseil de la marine : « Les nègres s’achetaient autrefois, à leur arrivée de Guinée, 100 écus au plus. Nous les payons à présent jusqu’à 600, 650, 700 livres. » Les auteurs du Mémoire s’étonnent que les négociants se plaignent de perdre ; en réalité, c’est qu’ils mènent trop grand train, voulant « en tout se mouler sur les officiers de Sa Majesté » ; voilà pourquoi leurs bénéfices ne leur suffisent pas. Et ils concluent : « Nous prenons la liberté de faire remarquer à nos seigneurs du conseil de la marine combien nous serait avantageux le commerce libre ici des Hollandais. » Il est de fait que les Hollandais s’arrangeaient pour fournir la marchandise à des prix moitié moindres. Mais nous savons combien on était toujours préoccupé en France d’empêcher le commerce fait par les étrangers avec les îles. Les commerçants métropolitains y gagnaient ; mais c’étaient les colons qui en supportaient les conséquences.

En 1728, il est constaté dans une lettre du Ministre[59] que le prix des nègres aux îles a « plus que doublé depuis 1694 », époque à laquelle une ordonnance les évaluait à 400 livres. Leur valeur aurait donc dépassé alors 800 livres. L’augmentation des prix est, en réalité, constante d’année en année. Mais des documents se rapportant à peu près à la même date nous donnent des renseignements assez différents. Par exemple, il ressort d’un jugement rendu par l’intendant de la Martinique en 1740[60], que 200 nègres ont été vendus 100.856 livres, ce qui les met à 600 livres pièce en moyenne. D’autre part, en 1743, à la Guadeloupe, on paie 1.100 livres ceux qui ne sont « ni les plus jeunes, ni les plus beaux[61]. » Il faut dire que les habitants de la Guadeloupe étaient obligés de les acheter à la Martinique, où on les leur revendait le plus cher possible, d’autant plus qu’on n’en avait jamais assez.

Il serait fastidieux d’accumuler les documents très nombreux que nous avons recueillis aux Archives Coloniales. Aussi bien avons-nous trouvé pour la seconde moitié du xviiie siècle deux états qu’il nous suffira de citer pour donner une idée d’ensemble assez nette des variations que subit encore le commerce des noirs. Le premier[62] indique le prix moyen pour les années ci-après :

1740    — 950 livres 1769    — 1.465 livres
1749    — 1.400     — 1772    — 1.680     —
1753    — 1.300     — 1775    — 1.600     —
1764    — 1.500     — 1776    — 1.560     —
1767    — 1.242     — 1784    — 1.795     —

Le second est un tableau du prix des pièces d’Inde à Saint-Domingue.

1750    — 1.160 livres 1770    — 1.560 livres
1751    — 1.205     — 1771    — 1.820     —
1752    — 1.250     — 1772    — 1.860     —
1753    — 1.365     — 1732    — 1.740     —
1754    — 1.300     — 1774    — 1.760     —
1755    — 1.400     — 1775    — 1.720     —
1764    — 1.180     — 1776    — 1.825     —
1765    — 1.240     — 1777    — 1.740     —
1766    — 1.385     — 1778    — 1.900     —
1767    — 1.440     — 1783    — 2.000     —
1768    — 1.480     — 1784    — 1.900     —
1769    — 1.600     — 1785    — 2.200     —

L’évaluation moyenne serait donc de 1.443 pour les ordinaires et de 1.630 pour les pièces d’Inde, ce qui nous permet de fixer à environ 1.500 livres la valeur qu’avaient atteinte communément les esclaves vers la fin de l’ancien régime. En un siècle et demi, les prix étaient donc devenus 7 à 8 fois plus considérables[63]. En 1848, les esclaves furent estimés officiellement à 1.200 francs pièce.

En tenant compte de tous les frais et droits supportés, en même temps que des risques courus par les négriers, on peut encore évaluer, croyons-nous, à 50 % le montant de leurs bénéfices. Dans un mémoire concernant le commerce de la Compagnie d’Afrique, en 1703[64], on compte 1.000 nègres qui, tous frais déduits, produiront chacun au moins 200 livres de bénéfice net. Or, le prix moyen était alors d’environ 400 livres aux îles, ce qui donnerait 100 % de bénéfice. Il est vrai qu’il s’agit ici d’une sorte de prospectus et qu’il est bon de tenir compte de l’exagération des évaluations. Dans le règlement d’une association pour la traite des nègres, fondée en 1767[65], il est dit que « la traite des nègres a été dans tous les temps reconnue comme un des commerces les plus fructueux ». Dans celui que nous avons cité à la page 115, le profit est évalué à 90.394 livres par cargaison, soit environ 180 livres par tête. Comme on le sait, bien des grosses fortunes des habitants de nos ports, en particulier de Nantes et de Bordeaux, n’ont d’autre origine que la traite, soit au temps où elle était à la fois autorisée et encouragée, soit quand elle fut prohibée.


III

Il est naturel que, se trouvant soumis au contrôle des administrateurs, les négriers aient cherché à se concilier leur bienveillance. Le 26 février 1683, la Compagnie royale d’Afrique, écrivant à son agent général, M. Ducasse[66], lui dit de céder aux Gouverneur et Intendant les nègres à raison de 220 livres en argent ou 4.400 livres de sucre, pour s’attirer leurs bonnes grâces, à condition qu’ils n’en prennent pas plus de 15 à 20 chacun par an. Mais il dut se produire immédiatement des abus. En effet, dès le 29 août 1686, le Ministre écrit au sieur Dumaitz[67] : « J’ai été surpris au dernier point que vous ayez pris par autorité 3 nègres du navire la Prudence, qui allait à Saint-Domingue, et 12 de la Renommée, destinée pour la Guadeloupe, sous un prétexte mandié (sic), pour revendre ensuite ces nègres de choix. Si vous recommencez, il ne pourra vous arriver rien de moins que de vous voir révoquer de votre emploi. » Cependant, l’avertissement du Ministre ne paraît pas avoir été suivi d’effet. Dans une lettre de Phelypeaux, gouverneur et lieutenant général des îles, du 27 avril 1711[68], il est question de 12 nègres qui, par l’usage, appartiennent de droit au gouverneur sur chaque bâtiment négrier qui en amène à la Martinique. En deux ans, ce droit lui a rapporté 28.800 livres. Un mémoire de la même année, de M. de Gabaret[69], nous apprend aussi que, « suivant un usage ancien, le général peut choisir 12 nègres à l’arrivée d’un négrier, en les payant chacun 300 livres, quoique communément ils vaillent davantage ». Le lieutenant pour le roi au gouverneur général en prend 8 ; l’intendant, 8 ; le gouverneur particulier de l’île, 6. Sans doute, la Compagnie dut élever des réclamations, car le Ministre écrit à Phelypeaux, le 4 avril 1712[70], pour blâmer sa prétention sur le prix des nègres de choix. Il lui déclare que ces nègres ne sont dus ni à lui, ni à M. Gabaret, qui avait gouverné en son absence, et il lui défend d’en acheter par privilège au prix de 300 livres. De plus, le 28 mars 1714, il fait savoir au comte de Blenac[71] que les directeurs de la Compagnie du Sénégal se sont plaints qu’il ait exigé 10 nègres de choix ou 1.000 écus pour le bénéfice qu’il aurait pu faire sur ces nègres. Dans les premiers temps, dit-il, les négociants « faisaient un bénéfice si considérable » qu’ils offraient de leur propre mouvement quelques noirs aux gouverneurs ; puis, pour ne pas blesser leur délicatesse, ils leur cédèrent des nègres de choix à 300 livres ; mais, dans la suite, la plupart, ayant fait des pertes considérables, voulurent se soustraire à cet usage. Il n’est pas admissible que les agents royaux les exploitent. « Sa Majesté est seulement disposée à tolérer que les gouverneurs acceptent des pièces d’Inde à 300 livres, si le voyage a été bon et que le négociant les offre. »

D’après une lettre du 27 janvier 1715 aux administrateurs[72], le roi abolit entièrement l’usage des nègres de choix. Mais, en revanche, il permet de prélever un tant pour cent sur les nègres vendus[73] ; seulement, sous aucun prétexte, ce droit ne devra excéder 2 % ; il le fixe alors à 1 % pour M. Duquesne, 1/2 % pour M. de la Malmaison et M. de Vaucresson. C’est à ce sujet que Duquesne écrit au Ministre la curieuse lettre suivante[74] : « Je me conformerai, Monseigneur, à vos derniers ordres ; mais permettez-moi de vous représenter que le seul secours pour vivre était ce qui pouvait me revenir de ces nègres ; vous avez ôté 9.000 francs des appointements, dont le reste n’est pas payé ; vous me réduisez à un nègre par chaque cent de ceux que les négriers apportent, dont il arrive fort peu ; c’est tout au plus 500 francs. De quoi puis-je vivre, tout étant hors de prix ? » Et il demande au moins 3 %. Puis, le 5 juillet suivant[75], il réclame encore en écrivant que, si on ne lui accorde pas satisfaction, il sera « réduit à manger seul un morceau de pain ». D’autre part, le sieur de Montaudouin, négrier de Nantes[76], informe M. de Vaucresson qu’il s’est plaint au Ministre de la rapacité des officiers du roi. Il lui reproche d’avoir obligé les commandants de deux de ses vaisseaux à lui payer 5.800 et 5.700 livres et, de plus, à céder aux autres officiers à 300 livres des nègres qu’on pouvait vendre 600. « Vous vous jetez, ajoute-t-il, sur les pauvres vaisseaux négriers comme des vautours ravissants… À la fin, vous auriez peine à vous contenter de la moitié de la cargaison. » Sur ce, M. de Vaucresson informe le Ministre[77] qu’ « un nommé Montaudouin lui a écrit une lettre insolente ». Et il donne les explications suivantes au sujet des nègres de choix : « Depuis qu’on introduit des nègres ici, c’est-à-dire depuis cinquante à soixante ans, les capitaines en ont cédé les plus beaux aux personnes en place à 100 écus pièce. Le général en avait 12 à ce prix-là ; l’intendant, 8 à 10 ; et le gouverneur, 10. Ces mêmes capitaines faisaient aussi une gratification au capitaine des gardes, aux secrétaires, et cela allait souvent jusqu’aux domestiques. Enfin, ils s’attiraient tant qu’ils pouvaient de l’accès et de la protection par ce moyen pour recouvrer plus facilement leurs dettes et faire leurs voyages plus courts, et ils s’en trouvaient fort bien. Du depuis les capitaines ayant trouvé plus convenable pour eux de garder leurs plus beaux nègres pour assortir les ventes et de donner 300 livres au général et à l’intendant et au gouverneur pour chacun des nègres qu’ils ne prendraient pas, cela s’est fait ainsi sans la moindre contrainte et comme la suite d’un usage ancien… Il faut convenir qu’il y a des généraux qui ont poussé les choses jusqu’à prendre 20 nègres sur une cargaison… En tout cas, les nègres sont payés 300 livres, alors qu’ils ne reviennent pas au marchand à 120… C’est la seule ressource qui m’aide à vivre. Mes appointements me sont dus depuis six années. »

À chaque instant, cette question suscite des difficultés et des interprétations particulières. Ainsi le roi, dès 1721, abolit pour la deuxième fois « le prétendu droit[78] ». Mais, en revanche, il autorise De Pas de Feuquières et Blondel à accepter du Conseil des Indes une somme annuelle de 10.000 francs « par rapport au commerce exclusif des nègres dont jouit la Compagnie[79] ». Le droit de 2 % ne tarda pas à être rétabli. En effet, une ordonnance royale du 28 décembre 1723[80] décide que les intéressés n’en jouiront pas pendant leur absence des îles ; suivant une dépêche du 17 juillet 1732[81], il est prescrit de le percevoir d’après l’évaluation des cargaisons en pièces d’Inde ; il n’est dû que sur les nègres traités[82]. Une lettre ministérielle du 3 août 1747[83] rappelle encore que ce n’est qu’une tolérance de la part du roi et que, s’il a été fixé, c’est pour qu’il ne soit dépassé en aucun cas. Enfin, le roi écrit, le 28 juillet 1759, à MM. Bart et Elias[84] : « Cette perception a d’ailleurs donné lieu à tant d’abus et de représentations qu’indépendamment de la charge qu’elle fait supporter au commerce et qui retombe ensuite en entier sur les habitants, il a paru à Sa Majesté qu’il ne convenait point que des officiers généraux ni aucune personne employée à son service reçussent quelque rétribution que ce pût être d’autres mains que celles de Sa Majesté. » En conséquence, le 1er décembre suivant, fut promulguée une ordonnance[85] défendant purement et simplement aux gouverneur, intendant, lieutenant général, lieutenants et gouverneurs particuliers des îles, de percevoir le droit de 2 % sur les nègres importés, à partir du 1er janvier 1760.



IV

Nous avons vu que, la plupart du temps, la traite française avait été insuffisante pour fournir aux îles le nombre de nègres nécessaire. On a fait valoir cet argument pour soutenir que les bénéfices qu’elle procurait ne rémunéraient pas assez les armateurs. Nous croyons que c’est là une erreur. On peut poser à peu près comme règle générale que les arrivages de nègres ont toujours été ralentis par d’autres motifs. Sans parler des risques de la guerre, le principal a été, en temps de paix, la difficulté pour les colons d’en acquitter le prix.

En effet, la traite des nègres, comme celle de toutes les marchandises manufacturées que la métropole importait aux îles, a été soumise aux nécessités de l’échange. Comme on le sait, d’après le principe fondamental du pacte colonial, les colonies n’avaient d’autre but que de servir de débouché aux produits de la métropole et de lui fournir des denrées de luxe. L’essentiel pour la France était de vendre le plus cher possible ses produits d’exportation et d’obtenir, en revanche, au meilleur marché possible, ceux qu’elle importait. Le troc fut un des moyens qui favorisèrent le plus ce système abusif ; car, dans le troc, il est très difficile d’établir une commune mesure. 1° Les colons ne pouvaient se munir des objets manufacturés qui leur étaient indispensables, — vu le manque d’industrie aux îles, — qu’auprès des marchands français, en raison de la prohibition rigoureusement observée à l’égard de l’étranger ; — 2° ils ne connaissaient pour ainsi dire pas les conditions du marché français. Aussi étaient-ils forcés d’accepter les marchandises qu’on leur apportait et de les acheter au prix que leur imposaient les vendeurs. Pour les nègres, en particulier, plus ils étaient rares et, naturellement, plus ils se vendaient cher. Ne jamais en laisser manquer les îles, n’était-ce pas s’exposer à voir tarir cette source de revenus, si la reproduction arrivait à assurer le renouvellement régulier de la marchandise ? Faire des envois absolument réguliers, n’était-ce pas courir le risque d’abaisser le taux de leur valeur ? En revanche, encombrer le marché de la métropole de denrées coloniales, c’était en réduire aussi le prix. Ces considérations durent sûrement se présenter à l’esprit des vendeurs.

Il faut dire encore qu’ils n’étaient pas toujours assurés d’un paiement exact. À diverses reprises, il fut répondu aux réclamations des habitants que, s’il ne leur arrivait pas d’autres cargaisons de nègres, c’est que le montant des précédentes n’avait pas été acquitté. Ainsi, nous trouvons à ce sujet deux pièces significatives. C’est d’abord une lettre du roi, du 4 décembre 1672, à M. de Baas, portant que, dans le courant de l’année 1673, le recouvrement de 3 millions de sucre sera fait sur les débiteurs de la Compagnie. Cette lettre accompagne un arrêt du Conseil d’État ordonnant ledit recouvrement. Sa Majesté s’est fait représenter les comptes de ce qui est dû à la Compagnie jusqu’en décembre 1671, soit 20.030.000 livres de sucre, devant se réduire à 13.740.000. Elle accorde cinq ans pour le paiement des 10.740.000 livres restant. Aussi le roi propose-t-il, quelque temps après[86], comme une sorte de garantie mutuelle des colons. Il engagera la Compagnie du Sénégal à faire passer des nègres à Saint-Christophe, et il ajoute : « Le meilleur moyen de les y attirer serait qu’on pût en assurer le paiement et que le risque du crédit ne roulât pas entièrement sur ceux qui les porteront. Lesdits sieurs d’Amblimont et Robert examineront si on peut mettre en œuvre quelque expédient pour réussir, tel que celui de former une espèce de communauté des plus accommodés des habitants qui se trouveront dans chaque quartier, qui s’en rendraient solidairement responsables pour le temps dont on conviendrait et prendraient ensuite leur sûreté avec les petits colons. » Pour que beaucoup ne fussent pas en état de payer, il suffisait que la récolte eût manqué une année. Les colons, en effet, vivaient au jour le jour, consommant ou vendant au fur et à mesure qu’ils produisaient[87]. C’est là une des conséquences fatales du système de l’esclavage et de cette culture exclusive et à outrance des denrées d’exportation qu’il amena, non moins que du pacte colonial. Ces questions se lient étroitement entre elles. Elles nous montrent combien fut mauvais le régime économique auquel furent soumises les îles, régime qui, au surplus, produisit lui-même de détestables conséquences morales : amour du luxe et de la jouissance facile, manque absolu de prévoyance. Ce n’est pas sur de telles bases que s’établit solidement une société.

Ce fut le manque d’argent qui empêcha presque toujours la constitution de fortunes mobilières. Il n’y avait au début que celui qu’apportaient avec eux les premiers habitants, et on devine qu’il n’était pas en quantité considérable. La première introduction officielle de la monnaie de France eut lieu en 1670[88]. Les pièces de 15 sols furent alors fixées par les Conseils souverains à 18 sols, et celles de 5 sols à 6. Il faut donc toujours avoir soin de distinguer dans les documents s’il s’agit d’argent de France ou d’argent des îles. Par suite de variations successives imposées à la monnaie de France, par suite aussi de la création d’une monnaie spéciale pour les îles, l’argent des îles arriva à ne plus valoir que la moitié de celui de France. Naturellement les vendeurs exigeaient qu’on les payât en « argent de France ». Mais il était très rare que les paiements se fissent en argent. Alors les marchands, qui d’ailleurs avaient besoin de revenir avec leurs navires chargés, bénéficiaient d’une exemption de droits de moitié sur les marchandises provenant du troc des nègres (Voir ci-dessus, p. 58). Une ordonnance du roi, du 31 mars 1742[89], enjoint de prendre toutes les précautions nécessaires pour qu’il ne se produise pas d’abus à ce sujet ; il fallait que les capitaines ou les agents de la Compagnie présentassent leurs comptes pour justifier exactement de la provenance des marchandises qu’ils embarquaient.



V

Il serait intéressant de savoir quel fut le nombre des noirs importés dans les Antilles françaises. Mais il est impossible d’arriver à un compte rigoureusement exact. Une première difficulté provient de ce que nous n’avons forcément pas de renseignements précis pour les nègres introduits en fraude, ceux que l’on appelait les noirs de pacotille, et qui, malgré les précautions prises à leur sujet, furent toujours assez nombreux. D’après diverses indications, relevées dans des lettres des Ministres ou bien des Administrateurs qui se plaignent de la contrebande[90], nous croyons pouvoir en évaluer en moyenne le nombre au moins à 3.000 par an. En ce qui concerne la traite officielle, les documents paraissent au premier abord très abondants. Mais il n’y a de relevés complets que pour certaines années et pour certains ports. Si nous nous reportons aux recensements de la population des Antilles[91], qui remontent à 1664, il y a lieu de noter aussi que les chiffres n’en sauraient être qu’approximatifs ; ceux qui étaient chargés de les établir le reconnaissent ; la cause en est que presque tous les habitants cherchent à dissimuler une partie de leurs nègres pour éviter le droit de capitation.

Moreau de Jonnès, dans ses Recherches statistiques sur l’esclavage colonial[92], donne des tableaux dressés, dit-il, d’après les sources officielles. Seulement il néglige d’indiquer quelles sont ces sources et, par exemple, s’il a puisé aux Archives Coloniales. Il n’y a aucun moyen de se rendre compte de la manière dont il est arrivé aux nombres qu’il cite comme résultats de ses recherches. Aussi avons-nous préféré recourir nous-même directement aux Archives Coloniales. Nous avons relevé les chiffres les plus importants ; pour certains, nous ne les avons obtenus qu’en totalisant des listes de noms.

Nous constatons, par exemple, qu’en 1664, à la Martinique, le nombre des nègres dépasse à peine celui des blancs, puisqu’on en compte 2.704 contre 2.681 blancs[93] ; les mulâtres, au nombre de 16 seulement, sont portés à part. Mais, dès 1678, il y a 5.085 nègres, tandis qu’il n’y a plus que 2.450 blancs. — À Saint-Christophe[94], en 1671, il y a 4.468 noirs, 2.810 blancs et 93 mulâtres ; en 1686, 4.346 noirs seulement, 2.297 blancs et 230 mulâtres. Pour la Guadeloupe, dans le recensement de 1664[95], les nègres et les blancs sont confondus. En 1671, on compte 4.267 noirs, 3.083 blancs et 47 mulâtres ; en 1686, 5.737 noirs, 3.209 blancs et 240 mulâtres.

Le premier recensement général pour les îles françaises de l’Amérique est du commencement de 1687[96]. On trouve 47.321 habitants qui se décomposent ainsi :

17.888 Blancs libres 7.086 Négrillons et négrittes.
999 Engagés 538 Mulâtres.
10.975 Nègres 339 Mulâtresses.
9.197 Négresses. 299 Caraïbes.

Voici le détail pour chaque île :

  Nègres Négresses Négrillons Mulâtres Mulâ- tresses Caraïbes libres
La Martinique 
4.461 3.109 3.231 157 157 119
La Grenade 
133 76 88 16 15 »
La Guadeloupe 
1.555 1.809 1.618 146 24 43
Marie-Galante 
261 298 186 6 7 14
Saint-Christophe 
1.694 1.665 1.111 68 52 3
Saint-Martin 
93 116 69 » » 1
Saint-Barthélemy 
32 25 24 3 2 »
Sainte-Croix 
546 » » » » »
Saint-Domingue 
1.400 1.499 459 142 82 »
Cayenne 
800 600 300 » » 100

Il faut ajouter 9 Caraïbes esclaves. D’après un autre recensement, pris à la même source et relatif à 1688, il n’y a, pour ainsi dire, pas de changement. Nous arrivons alors à un total d’environ 27.000 esclaves.

Un mémoire[97], composé pour le duc de Choiseul, établit les chiffres suivants pour 1701 : 16.000 nègres pour la Martinique ; 8.000 pour la Guadeloupe ; 20.000 pour Saint-Domingue, soit déjà 44.000 rien que pour les trois îles principales.

Nous trouvons dans Dernis[98] un « État de la quantité de noirs introduits aux îles françaises de l’Amérique par les armateurs des villes ci-après, depuis l’année 1725 jusqu’à l’année 1741 ».


Années Nantes La Rochelle Bordeaux St-Malo Le Havre Marseille Vannes Dunkerque Bayonne Portugal Total
1725 à 1726 
1.390 » » » » » » » » » 1.390
1726 à 1727 
3.672 508 » 1.851 420 » » » » » 6.451
1727 à 1728 
2.043 269 » 563 » 642 » » » » 3.517
1728 à 1729 
3.741 504 » 922 516 » » » » » 5.683
1729 à 1730 
4.110 1.633 125 795 » 383 » » » » 7.046
1730 à 1731 
3.033 430 596 211 » » » » » » 4.270
1731 à 1732 
4.030 306 122 » 532 » 510 120 284 » 5.904
1732 à 1733 
1.468 1.458 » » » » » » » » 2.926
1733 à 1734 
2.550 687 » » » » » 77 » » 3.314
1734 à 1735 
1.196 178 123 » 77 382 » » » 110 2.066
1735 à 1736 
2.573 1.214 212 » » 437 » » » » 4.436
1736 à 1737 
5363 2.397 315 » » » » » » » 8.075
1737 à 1738 
4.247 1.431 634 410 232 » » » » » 6.954
1738 à 1739 
4.549 3.142 756 » » » » 238 » » 8.685
1739 à 1740 
7.146 4.202 493 » 345 » » » » » 12.186
1740 à 1741 
4.818 3.274 » 402 » » » » » » 8.494
Total 
55.929 21.633 3.376 5.154 2.122 1.844 510 435 284 110 91.397

De plus, suivant un État de la page 410 du même auteur, la Compagnie en a importé 43.661, ce qui fait en tout 135.058, soit une moyenne annuelle de 8.441.

En 1754, d’après le mémoire de Beaumont cité plus haut, les chiffres sont de 60.000 à la Martinique, 50.000 à la Guadeloupe, 230.000 à Saint-Domingue, soit au total 340.000 nègres esclaves. Un recensement officiel[99] ordonné à la Martinique par M. Dufane, gouverneur, donne pour cette île 65, 939 esclaves en 1763, 69.164 en 1764, 70.110 en 1766, 71.473 en 1767, plus environ 2.000 gens de couleur libres et de 4 à 500 noirs marrons.

Voici un relevé établi par une note manuscrite de Moreau de Saint-Méry vers 1780[100] :

  Esclaves
Affranchis
Saint-Domingue 
452.000 25.000
Martinique 
76.000 5.000
Guadeloupe 
90.000 3.500
Sainte-Lucie 
20.000 1.800
Marie-Galante 
10.000 100
Tabago 
15.000 300
Cayenne 
10.000 500
Les Saintes, Sainte-Marie et la Désirade 
500 200
  673.500 36.400

Un tableau de la traite française en 1785[101] indique une importation de 34.045 noirs des côtes occidentales d’Afrique uniquement pour Saint-Domingue, sans en compter au moins[102] 3 ou 4.000 expédiés des côtes de Mozambique. Nous savons que, pour 1787, l’introduction réelle a été de 31.171, et pour 1788, de 30.097. En 1789, écrit un auteur, « nos colonies exportent chaque année de la Guinée 36.500 nègres[103] ». En somme, la moyenne annuelle pour les Antilles françaises, de 1780 à 1789, paraît avoir varié de 30 à 35.000.

Le dernier recensement des esclaves fait avant la Révolution nous est fourni par l’auteur anonyme d’un volume manuscrit des Archives Coloniales[104]. Il arrive à un total de 683.121 ; c’étaient les neuf dixièmes de l’ensemble de la population. Combien avait-il fallu arracher de noirs à l’Afrique pour atteindre à ce résultat ? Nous croyons ne pas exagérer en en fixant le nombre à 3 millions. Et notons que la traite ne finit véritablement pour les îles françaises d’Amérique qu’après 1830. Quelle effroyable quantité d’existences humaines sacrifiées !

Une question se pose : comment les nègres introduits aux Antilles en aussi grand nombre ne sont-ils jamais arrivés à se reproduire suffisamment pour qu’on n’eût plus besoin de recourir à la traite ? Cette idée se trouve indiquée dans une lettre de Fénelon, gouverneur de la Martinique, au Ministre, en date du 11 avril 1764[105]. « Un de mes étonnements a toujours été, dit-il, que la population de cette espèce n’ait pas produit, depuis que les colonies sont fondées, non pas de quoi se passer absolument des envois de la côte d’Afrique, mais au moins de quoi former un fond, dont la reproduction continuelle n’exposerait pas à être toujours à la merci de ces envois. » L’auteur de cette lettre expose ensuite quelles sont, d’après lui, les causes du peu de développement de la population voire : mauvaise nourriture, excès de travail imposé même aux négresses enceintes, maladies très fréquentes des négrillons et des négrittes. On ne fait aucune attention même à leur « éducation animale » ; on les voit en particulier exposés tout le jour dans les champs au soleil brûlant. Aussi Fénelon propose-t-il de faire dans chaque quartier un établissement où l’on enverrait les enfants des nègres et où ils seraient par un bon chirurgien. Il constate qu’en général les religieux traitent assez bien leurs nègres pour n’avoir presque pas besoin d’en acheter ; « ils sont même en état d’en vendre de leur production ». Mais c’était la une exception des plus rares.

« Un observateur plein d’autorité, Bryan Edwards, calculait la décroissance de la population noire à 2 1/2 % par an[106]. » Moreau de Saint-Méry[107] évalue la perte naturelle à 5 % ; mais il faut tenir compte des naissances qui compensent pour moitié cette perte. Voici, à ce propos, l’indication que nous trouvons dans des instructions adressées au Comte d’Estaing, lieutenant général du roi à Saint-Domingue, le 1er janvier 1764[108]. Les colons, observe le roi, se plaignent de manquer de nègres ; ils disent qu’à supposer qu’ils en eussent le nombre nécessaire, il leur faudrait tous les ans un remplacement de 15.000 noirs. Or, à cette date, ils n’en avaient que 230.000, et ils estimaient qu’il leur en aurait fallu encore une quantité double de ce nombre. Si nous comptons 600.000, nous arriverions à la concordance avec le chiffre de Bryan Edwards, qui paraît exact.

Or, comme le remarque M. Leroy-Beaulieu à propos des Antilles anglaises, les affranchissements ne donnent pas la raison de cette constante diminution. D’autre part, il y avait un nombre presque égal de nègres et de négresses. Ce ne sont donc que les conditions anormales dans lesquelles vivaient ces malheureux qui puissent expliquer leur disparition progressive. « Le climat, le traitement, l’absence de la famille et peut-être aussi une loi naturelle, d’après laquelle l’esclavage serait à l’homme ce qu’est la domesticité aux animaux faits pour vivre en liberté, le rendaient moins apte à se reproduire : telles sont les causes vraisemblables de ce fait incontestable. Une population esclave doit se recruter au dehors et ne peut se maintenir, en général, par elle-même[109]. »

C’est donc là aussi une des raisons capitales qui ont contribué au développement de la traite jusqu’au moment où elle allait être sapée par la base, grâce aux philosophes et aux philanthropes. Sans la traite, la population esclave des Antilles aurait fini par disparaître entièrement dans l’espace d’une quarantaine d’années.


  1. Arch. Col., F, 61, 1790.
  2. On rassemble les noirs de traite dans des truncks, « qui sont des salles de putréfaction ». Le More-Lack, etc., p. 34. L’auteur dit qu’il tient ses renseignements d’un nègre affranchi. More-Lack désigne ledit nègre.
  3. Arch. Col., F, 61. Enquête de 1789.
  4. Voir la collection d’instruments accompagnant les danses et les chants des nègres donnée au Conservatoire de Paris par M. Schœlcher.
  5. Voir aussi Chambon, op. cit., II, 420 et suiv.
  6. Extrait des Parlementary Register, t. XXIII, p. 595. Cité dans un volume manuscrit des Arch. Col., intitulé : Traite des nègres, F, 128.
  7. Cf. Arch. Col., F, 133, p. 467 : « C’est une véritable prison mobile qu’un vaisseau négrier, etc. » Suit la description : partout des cloisons, des grilles, des serrures, des cadenas. Cf. aussi : Description d’un navire négrier, brochure de 15 pages, s. l. n, d., paraissant être de 1789.
  8. Arch. Col, F, 61.
  9. Le More-Lack, p. 47 et sqq.
  10. Cf. p. 281 et sqq.
  11. Arch. Col., F, 133, p. 467.
  12. Arch. Col., F, 61. Enquête de la Chambre des Communes en 1789.
  13. Arch Col., C6, 4.
  14. Arch. Col., F, 61. La pièce est sans date, mais elle doit être placée entre 1780 et 1790.
  15. Arch. nat., ZID, 139. Fascicule imprimé, sans date. — Cf. Arch. Col., F, 138, p. 403 : La perte depuis la traite jusqu’à l’arrivée = 7 %.
  16. Arch. Col., carton Police des nègres, Afrique. Lettre de M. Delessart à M. le marquis de Castries, ministre de la Marine, 7 juin 1782.
  17. Cf. Durand-Molard, Code Martinique, I, 144, Ord, royale du 3 avril 1718 ; p. 229, Ord, roy, du 25 juillet 1724 ; p. 289, Lettres pat. d’oct, 1727 ; p. 360, Déclar, royale du 3 octobre 1730 ; p. 602, Réglement du 8 mars 1751. — Voir aussi un Règlement des administrateurs du Cap sur la police du port, 1er août 1970.
  18. Moreau de Saint-Méry, I, 406.
  19. F, 141 bis.
  20. Arch Col, F, 249, p. 451. Voir aussi, p. 1032, Lettre du Ministre au marquis d’Amblimont, 8 avril 1698. — Mêmes recommandations aux administrateurs de Saint-Domingue, le 15 août 1721. Arch. Col., B, 44, p, 452.
  21. Arch, Col., B, 31.
  22. Arch. Col., F, 251, p, 466.
  23. Arch. Col., F, 69, Cf. aussi Ibid., Mémoire du Roi à l’intendant Blondel de Jouvancourt, 4 janvier 1723.
  24. Durand-Molard, Code Martinique, I, 229, Cf, Lettre ministérielle du 24 octobre 1721, à de Feuquières et Blondel à propos de ladite ordonnance, B, 47, p. 836.
  25. Arch. Col., Colonies en général, XIII, F, 90.
  26. Arch. Col. F, 231, p. 685.
  27. Moreau de Saint-Méry, Loix et Constitutions, etc., I, 624.
  28. Id., Ib., II, 763.
  29. Arch. Col., B, 50, p. 361. Il y est question d’une maladie appelée loppe(?).
  30. Arch. Col., F, 246, p. 1015.
  31. Moreau de Saint-Méry. Loix et Constitutions, etc., V, 858.
  32. Arch. Col., F, 138, p. 394. Arrêt du 19 octobre 1787.
  33. Arch. Col., F, 61. Déposition du capitaine Littleton et de Jean Fontaine.
  34. Arch. Col., F, 133, p. 231.
  35. Arch. Col., Colonies en général, XIII. Mémoire de 1764.
  36. Moreau de Saint-Méry, Loix et Constitutions, etc., IV, 681 et sqq. Procès-verbal de l’imposition de 4 millions faite par l’assemblée des deux Conseils supérieurs de la colonie tenue au Cap du 30 janvier au 12 mars 1864, art. X.
  37. Arch. Col., F, 133, p. 568.
  38. Arch. Col., B, 186, p. 35. Lettre ministérielle à MM. de Bellecombe et de Bongars.
  39. Cf. Ord. royales, 25 juillet 1708, 3 avril 1718, 25 juillet 1723 ; — Ord. des Adm., des 24 avril 1721, 22 septembre 1753 ; — Arr. du Cons. sup. du Port-au-Prince, du 22 janvier 1766 ; — Lettre de l’intendant, du 10 juin 1773. Ces documents sont cités par Trayer, op. cit., p. 17.
  40. Moreau de Saint-Méry, Loix et Constitutions, etc., I, 138.
  41. Arch. Col., F, 247, p. 431.
  42. Arch. Col., F, 246, p. 44.
  43. Ib., p 986.
  44. Moreau de Saint-Méry, Loix et Constitutions, etc., II, 567.
  45. Arch. Col., B, 44, p. 470. Mémoire du roi pour servir d’instruction à M. de Monthodon, intendant à Saint-Domingue, 19 octobre 1721. — Mêmes prescriptions dans une Lettre ministérielle du 3 septembre 1726 à de Feuquières et Blondel. Arch. Col., B, 48, p. 372.
  46. Moreau de Saint-Méry, III, 40.
  47. Moreau de Saint-Méry, I, 671.
  48. Arch. Col., F, 248, p. 773.
  49. Arch. Col., G1, 468.
  50. Arch. Col., C8, 1.
  51. Arch. Col., F, 247, p. 880.
  52. Arch. Col., C8, III. Mémoire de Patoulet pour Begon, 20 décembre 1682.
  53. Arch. Col., F, 22, p. 214. Mémoire du gouverneur, daté de 1687.
  54. Arch. Col., C8, V. Compte rendu par M. Dumaitz de Goimpy de la recette et dépense qui a été faite à l’occasion de la prise de Saint-Eustache, 6 décembre 1689.
  55. Arch. Col., C8, XII. Mémoire des Administrateurs, 25 juin 1700.
  56. Ib., XIII. Lettre de l’intendant Robert, 5 novembre 1701.
  57. Ib., B, 26, P.145.
  58. Ib., B, 36, p. 566.
  59. À M. d’Orgeville. Arch. Col., B, 51, p. 298, 19 octobre 1728.
  60. Arch. Col., F, 253, p. 1015, 23 octobre 1740.
  61. Cf. A. Dessalles, IV, 172, qui cite une lettre de De Clieu au Ministre, du 10 mai 1743.
  62. Arch. Col., carton F6. Police des nègres, côtes d’Afrique. Le même carton contient un autre mémoire intitulé : Colonies, où les mêmes chiffres sont rapportés et où il est dit : « C’est de M. Moreau de Saint-Méry qu’on a tiré des éclaircissements lorsque les états de la colonie ont manqué, et M. Moreau de Saint-Méry les a pris dans les prix courants des gazettes dont il a une collection. »
  63. Il ne s’agit ici que des nègres employés aux travaux qui n’exigeaient d’eux aucun apprentissage. Pour ceux qui avaient quelque talent particulier, on vit parfois les prix décupler. Ainsi Moreau de Saint-Méry nous apprend dans ses notes manuscrites — Arch. Col., F, 133, p. 289 — qu’en février 1788 M. Boury Joly refusa de M. le Chevalier du Fretty, 15.000 francs d’un mulâtre potier qui avait appris son métier en France.
  64. Arch. Col., C6, III.
  65. Arch. Nat., ZID, 102, A.
  66. Arch. Col., F, 248, p. 773.
  67. Arch. Col., B, 12, p. 11.
  68. Arch. Col., F, 250, p. 951.
  69. Arch. Col., C8, 18.
  70. Arch. Col., F, 251, p. 29.
  71. Ib., B, 36, Saint-Domingue, p. 599.
  72. Ib., F, 251, p. 409.
  73. Ib., ib., 433. Lettre du roi.
  74. Ib., C8, 20, 17 mai 1715.
  75. Col. Arch., C8, 20.
  76. Ib., ib. Lettre du 12 mars 1715.
  77. Ib., ib. C8, 21. Lettre du 3 janvier 1716.
  78. Arch. Col., B, 44, p. 347. Lettre ministérielle au comte de Moyencourt, 3 octobre 1721, et F, 69 : Mémoire du Roi, du 4 janvier 1723, à l’Intendant Blondel de Jouvancourt.
  79. Arch. Col., C8, 32. Lettre du 23 septembre 1723.
  80. Moreau de Saint-Méry, Loix et Constitutions, etc., III, 79.
  81. Arch. Col., B, 56, Îles-du-Vent, p. 370. À MM. de Champagny et d’Orgeville.
  82. Arch. Col., B. 59, Îles-du-Vent, p. 238. Aux mêmes, du 18 juillet 1733. — Cf. aussi B, 68, Îles-sous-le-Vent, p. 100. Lettre ministérielle à M. de Larnage, 12 décembre 1739, sur les plaintes réitérées des négriers.
  83. Arch. Col., F, 238, p. 305.
  84. Arch. Col., B, 109, p. 45.
  85. Code Martinique, Éd. Durand-Molard, II, 83.
  86. Arch. Col., F, 67, 20 avril 1698. Mémoire du roi à MM. le marquis d’Amblimont et Robert.
  87. Arch. Col., F, 22. Lettres de Lemoyne, ordonnateur de Cayenne, au Ministre, 23 septembre 1755 et 10 octobre 1756. Il montre bien que l’habitant « n’a rien à prévoir qu’à son désavantage ; il saisit l’instant présent, l’avenir ne lui promet rien » ; car, si les denrées sont trop abondantes, elles tombent à vil prix ou se perdent.
  88. A. Dessalles, op. cit., I, 513.
  89. Code Martinique, Éd. Durand-Molard, I, 433.
  90. Arch. Col., séries B et C8.
  91. Arch. Col., G1, cartons 468 à 472.
  92. P. 17 à 20.
  93. Arch. Col., G1, carton 470, Recensements Martinique.
  94. Arch. Col., G1, 471 et 472.
  95. Arch. Col., G1, 469.
  96. Il a été reproduit par A. Dessalles, op. cit., II, 453.
  97. Du 14 septembre 1765. L’auteur est De Beaumont, intendant des finances. Arch. Col., Mém. gén., t. XXI, n° 9.
  98. Op. cit., p.405.
  99. Arch. Col., F, 42, p. 237.
  100. Arch. Col., F, 134, p. 354. Les chiffres sont tirés des journaux et des documents officiels.
  101. Arch. Col., Police des nègres. Côtes d’Afrique.
  102. Ib., F, 158. Mémoire de M. de la Luzerne, gouverneur général des îles.
  103. Frossard, La cause des esclaves nègres, etc., I, 25.
  104. Essai sur l’esclavage, F, 129, p. 124.
  105. Arch. Col., Col. en général, XIII, F, 90, et B, 119, Îles-sous-le-Vent, f° 1er. Instructions au comte d’Estaing, 1er janvier 1764, Le roi le charge d’étudier les causes de la dépopulation.
  106. Leroy-Beaulieu, op. cit., p. 194.
  107. Arch. Col., F, 134, p. 191.
  108. Arch. Col., F, 71.
  109. Leroy-Beaulieu, op. cit., p. 195. Cf. aussi : Moreau de Jonnès, Recherches statistiques sur l’esclavage colonial, pp. 74-75 ; — et Wallon au sujet de l’esclavage antique : « Il faut que les marchés ravivent perpétuellement cette population placée hors des voies de la nature…; l’esclavage, semblable à Saturne, dévore ses enfants. » Introd., p. XXVII.