Rosa MysticaAlphonse Lemerre, éditeur (p. 140-142).


L'aimant


Vertigineux aimant de l’Azur idéal
Vers qui tout Être noble oscille,
Mes yeux sont-ils de fer, ou d’un autre métal
À tes attirances docile ?

J’ai beau darder en bas mon regard. — Sur le sol
Il se sent exilé sans trêve.
Mon front, comme au soleil la fleur de tournesol,
Se dresse vers l’astre du rêve !


Mon pied s’écorche aux durs cailloux, et les buissons
Déchirent ma chair… Et qu’importe ?
La prunelle au zénith, (curieux des chansons
Que la brise errante m’apporte,)

Je trouve, en contemplant les sereines splendeurs
Des grands ciels violets ou roses,
L’Oubli des maux, dans les mystiques profondeurs
Ruisselantes d’apothéoses !

Le vol éblouissant de mes Pensers, vêtus
De rhythmes, en guise de voiles,
— Tels voltigent au vent des milliers de fétus —
Montent, montent jusqu’aux étoiles ;

Et dans mon corps meurtri, lassé, silencieux,
Rien ne reste plus de moi-même :
Mon Être véritable a rejoint, dans les cieux,
L’aimant que j’adore — et qui m’aime.


Ta fonction, Cerveau mortel, t’enorgueillit,
Étant auguste et solennelle :
Tu n’es, mon front, qu’un moule obscur, et d’où jaillit
La Pensée, éployant son aile !


Janvier 1884.