L’INTERNATIONALE - Tome IV
Sixième partie
Chapitre VIII
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VIII


Le huitième Congrès général de l’Internationale, à Berne (26-29 octobre 1876).


Une correspondance envoyée de Berne au Bulletin, le 26 octobre, parle en ces termes de l’ouverture et de la première journée du huitième Congrès général :

« Le restaurant dans lequel siège le Congrès est situé sur la rive droite de l’Aar, au lieu dit Schwellen-Mätteli. Pour y arriver, les délégués sont obligés de passer la rivière sur un bac, car il n’y a pas de pont à proximité. Il faut vous dire que tout local a failli nous manquer pour nos réunions. La commission que les trois sections de Berne avaient nommée pour l’organisation du Congrès s’était adressée à tous les propriétaires de salles en ville, elle n’a reçu que des refus systématiques : il paraît qu’un mot d’ordre avait été donné par la police bernoise, interdisant de louer des locaux aux internationaux, sous la menace qu’à l’avenir toute permission de nuit serait refusée pour des bals publics ou autres circonstances du même genre. Ce n’est qu’après des difficultés de toute espèce que la commission est parvenue à louer le local où nous sommes.

« La salle dans laquelle nous siégeons peut contenir environ deux cents personnes ; elle a été coquettement décorée par les soins de nos amis de Berne ; les parois sont recouvertes de rosaces contenant les noms des différentes fédérations qui composent l’Internationale ; chacune d’elles est entourée d’une couronne de verdure et surmontée de petits drapeaux rouges. Dans le fond de la salle on a disposé une mappemonde ceinte d’un ruban qui porte l’inscription : Association internationale des travailleurs... Le Congrès a tenu aujourd’hui [jeudi 26] deux séances administratives, l’une ce matin et l’autre cet après-midi. Parmi les invités figure un membre du Parti socialiste allemand, député au Reichstag; l’arrivée d’un deuxième nous est annoncée[1]. La plus cordiale fraternité règne parmi les délégués et en général parmi tous les assistants appartenant à l’Internationale... Au moment où je vous écris, [le soir,] nous tenons une [troisième] séance, publique, dans laquelle on discute de l’attitude des socialistes en présence de la guerre d’Orient. La salle est comble, d’un public très sympathique et très attentif ; les opinions émises sont très applaudies, la discussion est bien nourrie, et tous les orateurs, chacun à son point de vue, flétrissent les horreurs de la guerre... »

Un correspondant du journal radical de la Chaux-de-Fonds, le National suisse, rendant compte de cette séance publique du jeudi soir, s’exprima ainsi : « Aujourd’hui c’était réunion publique et familière, où il était loisible, à quiconque se sentait le goût de parler, de développer ses idées sur les questions du jour... On étouffait dans la salle, qui était trop petite. Tous les discours prononcés, généralement en langue française, et dont la substance était fort bien rendue en allemand par un traducteur qui n’est pas sans mérite, ont roulé sur la question de savoir quelle attitude doivent observer les internationalistes vis-à-vis de la guerre d’Orient... Bien que je ne nage pas dans les eaux de l’Internationale, j’ai trouvé qu’il s’était dit bien des choses sensées dans cette première réunion, et j’ai fait la réflexion que beaucoup de gens qui se prennent pour des personnes d’esprit, et qui déblatèrent contre les congrès ouvriers sans jamais avoir assisté à aucun d’eux, feraient mieux de s’y rendre, avant d’énoncer leurs jugements téméraires, pour écouter les idées raisonnables qui y sont émises. »

Dans la première séance du Congrès (privée), le jeudi matin 26, avait été nommée une commission de vérification des mandats, composée de César De Paepe, James Guillaume, et Carlo Cafiero. Voici la liste des délégués :


Fédération belge.

César De Paepe, délégué de la Fédération belge.


Fédération espagnole.

Antonio Sanchez [pseudonyme de Vinas]
Francisco Portillo [pseudonyme de Soriano]
} délégués de la Fédération espagnole


Fédération française.

Louis Pindy
Paul Brousse
} délégués de plusieurs Sections de France


Fédération hollandaise.

César de Paepe (déjà nommé), délégué de la Fédération hollandaise.


Fédération italienne.

Errico Malatesta
Carlo Cafiero
} délégués de la Fédération italienne.

Oreste Vaccari, délégué des Sections de Ferrare et de Città di Castello[2].

Ferrari, délégué des Sections de Palerme, de Trapani et de Termini-Imerese.


Fédération jurassienne.

James Guillaume
Paul Brousse (déjà nommé)
Auguste Spichiger
} délégués collectifs de la Fédération jurassienne.

Vial, délégué de la Section de langue française de Zürich.

Cafiero (déjà nommé), délégué de la Section de Bellinzona.

Henri Robert, délégué de la Section de langue française de Neuchâtel.

Rodolphe Kahn, délégué de la Section d’études et de propagande de langue allemande de Lausanne.

Debernardis, délégué du Circolo italiano de Berne.

G. Görges, délégué de la Section de langue allemande Gleichheit de Zürich.

Henri Soguel, délégué de la Section des graveurs et guillocheurs du district de Courtelary.

Auguste Reinsdorf, délégué du Sozialdemokratischer Verein de Berne.

Alcide Dubois, délégué des Sections de Saint-Imier et de Sonvillier.

Sommazzi, délégué de la Section de propagande de Berne.

Charles Perron, délégué de la Section de Vevey.

Auguste Getti, délégué de la Section de langue italienne de Neuchâtel.

Müller [pseudonyme d’Eugène Weiss], délégué d’une Section d’Alsace (Mulhouse).

Hugues, délégué de la Section de langue française de Lausanne.

André [pseudonyme de Gross], délégué des Sections de Porrentruy et de Boncourt.


Sections isolées.

Dumartheray, délégué du Cercle d’études sociales de Genève.

Nicolas Joukovsky, délégué de la Section de propagande de Genève.

Ferrari (déjà nommé), délégué de la Section du Ceresio (Lugano[3]).


Il fut procédé ensuite à la nomination du bureau. Trois délégués furent désignés pour présider les débats à tour de rôle : De Paepe, Perron et Cafiero (dans la séance de l’après-midi, De Paepe demanda à être remplacé par Müller, d’Alsace, ce qui fut adopté). Kahn, Soguel, Dubois, Teulière (ce dernier non-délégué) furent choisis comme secrétaires. Une commission de revision fut chargée de la publication du Compte-rendu du Congrès, et composée de N. Joukovsky, R. Kahn et J. Guillaume.

Le Congrès décida qu’il serait tenu chaque jour deux séances privées, le matin et l’après-midi, et chaque soir une séance publique.


Dans la seconde séance (privée), le jeudi après-midi, on s’occupa d’abord des questions d’organisation intérieure. Il y avait à décider quelle serait la situation des délégués (il y en avait trois) représentant des sections isolées qui avaient voulu rester en dehors de la Fédération de leur région. L’article 7 des statuts généraux disant que le vote, aux Congrès, se ferait par fédération, De Paepe conclut à refuser voix délibérative à ces délégués, tandis que Cafiero et Malatesta, au contraire, considérant que les votes n’avaient d’autre valeur que celle d’une statistique des opinions, proposaient de leur accorder le droit de voter. La majorité se rangea à l’avis exprimé par De Paepe ; Joukovsky déclara alors que, la situation qui lui était faite étant celle d’un simple invité et non d’un délégué, il refusait de faire partie d’aucune commission ; néanmoins, sur l’assurance qui lui fut donnée que la décision prise n’avait qu’un caractère de principe et n’était à aucun degré une mesure hostile à son égard, il consentit à revenir sur cette résolution.

Gutsmann, délégué du Club indépendant des socialistes de Genève, et Vahlteich, député au Reichstag allemand, venu au Congrès à titre d’invité, reçurent l’un et l’autre le droit de prendre part aux discussions.

L’ordre du jour du Congrès fut ensuite définitivement fixé : il comprit, outre les cinq questions annoncées dans la circulaire de convocation, une sixième question proposée par la Section de Vevey.

Les commissions pour l’étude des six questions de l’ordre du jour furent formées par inscription volontaire, comme dans les précédents Congrès.

Voici la liste des questions, avec les noms des membres des commissions :

1re question : Adjonction aux statuts généraux d’un article prévoyant le paiement d’une cotisation fédérale (proposition espagnole) : Sanchez [Vinas], Spichiger, Brousse, Reinsdorf, Kahn.

2e question : De la solidarité dans l’action révolutionnaire (proposition espagnole) ; Sanchez [Vinas], Guillaume, Malatesta, Gorges, Dumartheray, Vial.

3e question : Pacte de solidarité à établir entre les différentes organisations socialistes (proposition jurassienne) : Guillaume, Reinsdorf, De Paepe, Vaccari, Vial.

4e question : Convocation d’un Congrès socialiste universel en 1877 (proposition belge) : De Paepe, Perron, Reinsdorf, Kahn, Cafiero, Brousse, Müller [Weiss], Vial.

5e question : Des rapports à établir entre les individus et les groupes dans la société réorganisée (proposition jurassienne) : Görges, Malatesta, Spichiger.

6e question : De l’attitude de l’Internationale dans la guerre d’Orient (proposition de la Section de Vevey) : Perron, Guillaume, Cafiero, Joukovsky.


Le rapport du Bureau fédéral de l’Internationale fut lu par Auguste Spichiger. Quoiqu’il embrassât une période de deux ans, il était très court. En voici le texte :


Rapport du Bureau fédéral.

Le Congrès de l’Association réuni à Bruxelles en 1874 avait chargé la Fédération jurassienne de former le Bureau fédéral jusqu’au prochain congrès. En vous souhaitant la bienvenue, nous venons aujourd’hui nous démettre entre vos mains de nos fonctions.

Nous avons adressé notre circulaire de convocation pour le présent Congrès aux huit fédérations régionales composant l’Internationale, savoir : les Fédérations espagnole, italienne, belge, hollandaise, anglaise, américaine, française, et jurassienne. Nous avons reçu des réponses de six d’entre elles nous annonçant qu’elles enverraient des délégués : ce sont les Fédérations italienne, espagnole, belge, hollandaise, française et jurassienne. En outre, des adresses exprimant des vœux pour la prospérité de l’Internationale nous sont parvenues d’Angleterre et de Grèce.

L’époque de la réunion du Congrès avait été renvoyée d’abord au 1er octobre sur la demande des Espagnols, pour leur donner le temps, ainsi qu’aux Italiens, de se préparer à y participer. Plus tard cette date fut encore reculée, parce que, à la suite de pourparlers spontanés qui eurent lieu entre des membres du Parti socialiste allemand et des internationaux appartenant à la Fédération jurassienne, l’idée leur vint qu’on pourrait profiter de la réunion des délégués de l’Internationale pour avoir une explication fraternelle sur les points du programme sur lesquels ces deux fractions du grand parti socialiste universel n’étaient pas d’accord. À une invitation qui fut faite aux socialistes d’Allemagne d’assister à notre Congrès il fut répondu affirmativement, moyennant que la date de sa réunion fût renvoyée à la fin d’octobre.

Nous ne vous parlerons pas des événements qui ont surgi dans l’Internationale depuis le dernier Congrès. Les délégués des différents pays représentés ici devant nous faire un rapport sur ce qui s’est passé dans leurs fédérations respectives, nous nous bornerons à vous rappeler que le Congrès de 1870 fut supprimé d’un commun accord, sur la proposition de nos amis d’Espagne, à cause des persécutions dont les socialistes italiens et espagnols étaient alors l’objet tout particulier. Ajoutons que la situation en France était la même à peu près qu’aujourd’hui où ce pays ne peut encore se faire représenter qu’indirectement.

Nous n’avons donc à vous signaler que l’événement heureux dont nous vous parlions dans notre circulaire de convocation, le rapprochement avec nos frères d’Allemagne, après une séparation dont les ennemis du socialisme eussent été heureux de ne jamais voir la fin.

Nous espérons que de cette réconciliation tant désirée par tous les socialistes sincères va sortir une nouvelle phase d’agitation et d’action révolutionnaire, et que, tout en respectant mutuellement leurs convictions quant aux moyens à employer, ils marcheront tous vers le même but : l’abolition de l’exploitation du travail par le capital, l’avènement du prolétariat à la jouissance de tous ses droits.


Dans la même séance furent encore entendus les rapports des Fédérations italienne et espagnole.

Le rapport de la Fédération italienne fut présenté oralement par Malatesta. En voici le résumé, d’après le Compte-rendu :

« Malatesta annonce que le rapport italien, élaboré au Congrès de Florence, a été détruit par les compagnons qui en étaient porteurs, pour empêcher qu’il ne tombât entre les mains de la police : cependant la Fédération italienne a pris des mesures pour assurer l’impression de ce rapport, qui doit paraître dans peu de jours[4]. Puis il fait l’historique de l’activité des internalionalistes en Italie.

« C’est contre les soi-disant révolutionnaires mazziniens et garibaldiens que l’Internationale a eu la lutte la plus acharnée à soutenir.

« Au commencement de 1874, une très vive agitation se produisit sur différents points de l’Italie, par suite de la baisse des salaires et du renchérissement exorbitant des objets de consommation. Dans un grand nombre de localités les magasins furent pris d’assaut et mis au pillage. L’Internationale se trouvait par là dans la nécessité de repousser entièrement ces actes populaires ou de s’en déclarer solidaire ; c’est ce dernier parti qui fut pris. Malatesta pense que l’Internationale ne pouvait agir autrement : d’abord parce qu’il estime que si l’Internationale avait repoussé ces actes accomplis par le peuple, elle aurait perdu tous les partisans pratiques de la révolution ; puis parce qu’il croit que la révolution consiste bien plus dans les faits que dans les mots, et que, chaque fois qu’éclate un mouvement spontané du peuple, chaque fois que les travailleurs se lèvent au nom de leurs droits et de leur dignité, il est du devoir de tout socialiste révolutionnaire de se déclarer solidaire du mouvement.

« Le gouvernement italien, soupçonnant l’Internationale d’être l’instigatrice de toute cette agitation révolutionnaire, entreprit contre les membres de notre association une campagne de persécutions telle, qu’il devint nécessaire de transformer l’Internationale en organisation secrète. Une commission d’hommes de confiance[5] fut chargée de maintenir l’organisation et de faciliter les relations entre les groupes.

« Des hommes qui avaient été exclus de l’organisation secrète de l’Internationale[6] crurent le moment favorable pour essayer de se mettre à la tête du mouvement ouvrier, afin de l’exploiter à leur profit. Ces hommes eurent le triste courage de lancer des attaques et des insultes aux internationalistes qui étaient emprisonnés et persécutés de toute manière par le gouvernement.

« Mais depuis quelques mois, après le procès de Bologne, l’Association internationale a pu reprendre son action au grand jour, et tous ceux, mazziniens et autres, qui se croyaient les maîtres des forces populaires, ne tardèrent pas à être délaissés ; maintenant le nom de l’Internationale a rallié autour de lui toutes les forces révolutionnaires de l’Italie.

« La Congrès tenu dernièrement à Florence a pu donner une idée de la propagande socialiste faite en Italie. Dans toutes les régions se forment de nouvelles sections. Le Piémont, où l’Internationale n’avait jamais réussi précédemment à s’implanter, possède maintenant ses sections. A Gênes même, qui est le boulevard du mazzinianisme, une section vient d’être fondée. Le Congrès a reçu des communications de diverses localités avec lesquelles l’Internationale n’avait pas encore eu de rapports.

« Malatesta raconte ensuite les persécutions qui ont été dirigées contre les internationalistes à propos du Congrès de Florence... Mais ces sortes de persécutions n’ont jamais fait en Italie qu’avancer l’œuvre de la propagande socialiste révolutionnaire. »

Le rapport de la Fédération espagnole, lu par Sanchez [Viñas], occupe huit pages du Compte-rendu. Je ne l’analyserai pas ; la plupart des faits qu’il contient ont déjà été mentionnés à leur date. J’en extrais seulement deux passages, dont le premier indique la force numérique de la Fédération espagnole dans l’été de 1876 : « La fédération comarcale de Catalogne comprend 23 fédérations locales ; la fédération comarcale de Valencia, 10 fédérations locales ; celle de Murcie, 4 ; celle de l’Andalousie de l’Est, 21 ; celle de l’Andalousie de l’Ouest, aussi 21 ; celle de l’Estrémadure, 10 ; celle d’Aragon, 2 ; celle de Vieille-Castille, 7 ; celle de Nouvelle-Castille, 10 ; total, 112 fédérations locales. » Le second passage donne l’opinion des internationalistes espagnols sur les grèves et sur la coopération : « Les ouvriers d’Espagne, malgré la dictature qui les opprime, ont soutenu plusieurs grèves importantes... Celles des tonneliers et des teinturiers ont coûté à l’organisation corporative plus de 50,000 duros (250,000 francs) ; si ces ressources eussent été employées au développement de l’organisation révolutionnaire, on eût pu obtenir de grands et féconds résultats. Les tailleurs de pierre de Barcelone ont réussi à faire réduire à sept heures la journée de travail. La plus importante des grèves actuelles est celle des serruriers de Barcelone, qui absorbe 300 duros (1500 fr.) par semaine. Les ouvriers de fabriques (clases de vapor) gaspillent aussi en grèves presque toutes leurs ressources. Toutefois l’esprit gréviste perd du terrain, à mesure que l’esprit d’action révolutionnaire en gagne[7].

« Le système de coopération de production, si hautement préconisé par quelques socialistes, a produit des résultats funestes, en particulier pour la fédération des tonneliers. Les ateliers coopératifs ont doté cette fédération d’une douzaine de bourgeois nouveaux, et lui ont occasionné une perte de cinq à six mille duros (vingt-cinq à trente mille francs). En présence de cet échec, le cinquième Congrès de l’Union des tonneliers a résolu, à la presque unanimité, la dissolution des ateliers coopératifs. La coopération de consommation a produit des résultats réguliers, et elle fournit un moyen commode pour permettre de réunir publiquement un nombre considérable d’ouvriers. »

Quand la lecture du rapport espagnol fut achevée, la séance fut levée.


Presque immédiatement après s’ouvrit, dans la même salle, devant une nombreuse assistance, la troisième séance (publique) qui fut présidée par Müller [Weiss], et consacrée à un débat sur cette question : « L’attitude de l’Internationale dans la guerre d’Orient ». Prirent la parole : Joukovsky, Gutsmann, Perron, De Paepe ; la citation que j’ai faite (p. 92) d’une correspondance publiée par le National suisse indique l’impression produite sur l’assistance par les discours prononcés.


La quatrième et la cinquième séances (privées), le vendredi matin et le vendredi après-midi, furent remplies par l’audition de la suite des rapports des Fédérations, et de communications des invités.

Le premier rapport lu le vendredi matin fut celui de la Fédération jurassienne, très court, et indiquant sommairement le développement pris par la Fédération depuis le dernier Congrès général. Il exprimait, en terminant, la joie que nous avait causée l’appel à la conciliation lancé par un groupe de socialistes à l’occasion des funérailles de Bakounine, et la certitude que, « si on voulait chercher loyalement à réaliser une entente amicale, on y réussirait ».

De Paepe présenta ensuite un double rapport, sur la Belgique et sur la Hollande.

Le rapport expliquait qu’en Belgique la situation s’était insensiblement modifiée, « par les éléments nouveaux qui entrent dans le mouvement ouvrier socialiste et par la nouvelle ligne de conduite que les ouvriers belges veulent suivre en ce moment. En parlant d’éléments nouveaux, nous voulons dire que dans beaucoup de sections de l’Internationale les anciens membres ont disparu en assez grande partie, pour faire place à des hommes nouveaux, et notamment à des jeunes gens qui n’étaient que des enfants lors des premiers Congrès de l’Internationale ; nous voulons dire aussi que le mouvement paraît se déplacer, en ce sens que dans le pays wallon beaucoup de sections ont disparu ou ont décliné, tandis que dans le pays flamand les sections sont en voie de progrès et se livrent à une propagande active. Et en parlant de nouvelle ligne de conduite, nous faisons allusion à l’initiative prise par les Sections de Gand et d’Anvers, reprise à Bruxelles par la Chambre du Travail[8], de s’adresser à la législature pour obtenir une loi sur le travail des enfants ; ce mouvement est un premier pas sur le terrain de la politique, qui sera probablement suivi d’autres manifestations ou d’autres mouvements de politique ouvrière. » Pour montrer que, dans le pays wallon, l’Internationale était en recul, De Paepe ajouta : « La fédération de Charleroi, qui contenait des sections très nombreuses, a disparu ; celle de Liège également ; dans le Borinage, une seule section a survécu, celle de Jemappes[9] ; la fédération de la vallée de la Vesdre, par contre, s’est maintenue ; à Verviers, les sections, toujours animées du même esprit révolutionnaire, sont devenues moins nombreuses, mais donnent toujours à l’Internationale un contingent très respectable ». À l’égard du mouvement politique préconisé par les ouvriers flamands, le rapport disait : « Beaucoup de socialistes belges étaient imbus des idées de Proudhon sur la non-intervention de l’État et sur l’an-archie ; un journal très bien rédigé et savamment écrit, la Liberté de Bruxelles, propageait les idées proudhoniennes parmi les travailleurs les plus instruits : et l’on peut dire que, en se combinant avec la politique abstentionniste qui fut alors notre ligne de conduite, elles devinrent à un moment donné l’opinion dominante de la plupart de nos sections de langue française et wallonne, et surtout de la fédération de la vallée de la Vesdre (Verviers). L’influence plus grande qu’ont prise aujourd’hui les sections flamandes au sein de la Fédération belge, et l’entrée dans ces sections de l’élément jeune dont nous avons parlé, ont notablement modifié cette attitude anti-politique. Les pétitions adressées au Parlement par nos sections de Gand… ; un manifeste émané des mêmes Gantois, qui revendique les droits politiques et émet des idées analogues à celles des socialistes allemands ;… l’échange d’idées qui s’opère entre nos compagnons flamands et les ouvriers d’Allemagne et d’Angleterre par l’intermédiaire du Werker d’Anvers ;… tout cela fait que le temps n’est pas loin, pensons-nous, où les travailleurs belges commenceront une agitation politique, mais en n’oubliant pas, cependant, que cela ne doit pas constituer un but définitif, mais seulement un des nombreux moyens propres à hâter l’émancipation économique et sociale du prolétariat… Nous devons ajouter que les sections de la vallée de la Vesdre ont conservé l’ancienne attitude abstentionniste : ce fait vient de se confirmer encore par le manifeste publié il y a peu de jours par des ouvriers verviétois, à propos de la question du travail des enfants dans les manufactures, manifeste dans lequel on combat le mouvement parti de Gand, d’Anvers et de Bruxelles[10]. » Et le rapport conclut en ces termes au sujet de la Belgique : « En résumé, voici la méthode que suit actuellement le mouvement socialiste en Belgique : Organisation de sociétés corporatives de résistance ; fédération de ces sociétés ; affiliation de ces sociétés à l’Internationale, ou, pour le moins, accord entre elles et les sections sur le terrain des idées et de la propagande par les meetings ; à côté ou au sein de ce groupement économique, fondation de cercles d’études sociales, de bibliothèques populaires, d’associations rationalistes, en un mot développement des idées philosophiques et socialistes ; enfin, revendication des droits politiques, protestation contre des lois spéciales dont souffre plus particulièrement la classe ouvrière, etc. En un mot, faire au système bourgeois, sur le triple terrain économique, religieux et politique, une guerre incessante, livrer des combats de chaque jour, qui nous apparaissent comme des moyens de nous préparer et de nous aguerrir pour la grande bataille de l’avenir, pour la révolution sociale. »

À l’égard de la Hollande, le rapport de De Paepe s’exprimait ainsi : « Il y avait jadis dans ce pays des sections de l’Internationale dans les principales villes ; plusieurs corporations ouvrières y marchaient avec l’Internationale… Tout ce mouvement se rattachant à l’Internationale est à peu près disparu ; il ne reste que quelques petites sections internationales dans quelques villes, qui ont pour organe le Werkman. De ce que nous disons là, il ne faudrait pas conclure qu’il n’existe plus de mouvement ouvrier ou socialiste en Hollande. Loin de là. Il existe une fédération ouvrière, le Nederlandsche Arbeidersbond, qui s’étend sur toute la Hollande… De plus, les ouvriers hollandais, qui ont déjà obtenu une loi sur les fabriques, se préparent à un mouvement politique en faveur du suffrage universel. Enfin, sur le terrain de la propagande philosophique et sociale, les travailleurs hollandais ne sont pas non plus sans faire de progrès. À la tête de ce mouvement intellectuel se trouvent plusieurs écrivains philosophes aux allures les plus indépendantes et dont les plus célèbres sont le Dr Feringa et Douwes-Dekker (Multatuli) ; au point de vue de la propagande socialiste, notre ami Gerhard, d’Amsterdam, a publié dans le courant de cette année un beau travail, qui a été imprimé par les ouvriers de Gand, et qui est un véritable manifeste du communisme hollandais... Donc, sur le terrain politique, économique et intellectuel, la Hollande apporte son contingent au progrès social. Mais tout cela se fait en dehors de l’Internationale... Ajoutons que ce qui distingue encore le mouvement ouvrier hollandais du mouvement ouvrier belge, c’est que le premier n’a rien du souffle révolutionnaire qui anime les Belges, lorsqu’ils arborent le drapeau rouge. »

Le rapport se terminait ainsi : « Nous pourrions dire, pour terminer par une comparaison, que — sauf les proportions — le mouvement actif des Belges tend de plus en plus à prendre l’attitude des socialistes allemands (hormis sur le terrain électoral, où nous ne pouvons les suivre, n’ayant pas le droit de vote), tandis que le mouvement ouvrier des Hollandais semble se rapprocher davantage de la méthode des ouvriers anglais ».

Après De Paepe, je pris la parole pour compléter le rapport de la Fédération jurassienne, dont j’avais donné lecture au début de la séance, par quelques observations orales, qui sont résumées en ces termes par le Compte-rendu :


Tout à l’heure, De Paepe a parlé de la tactique des Belges, qui consiste à faire à la bourgeoisie, en attendant la grande lutte révolutionnaire, une guerre quotidienne sur toutes les questions d’un intérêt relativement secondaire qui peuvent se présenter. La Tagwacht aussi, dans un article où elle opposait la tactique du Schweizerischer Arbeiterbund à celle des Jurassiens, s’exprimait de la même façon, et disait qu’il fallait disputer le terrain pied à pied à la bourgeoisie, profiter de toutes les occasions pour la battre en détail et lui arracher pièce à pièce son influence. Il ne faudrait pas croire que sur ce point les Jurassiens se trouvent le moins du monde en désaccord avec les Belges et le Schweizerischer Arbeiterbund. Au contraire, ils suivent, eux aussi, cette tactique ; ils font, eux aussi, à la bourgeoisie cette guerre de détail et d’escarmouches. Ceux qui représentent les Jurassiens comme des théoriciens dédaigneux de la lutte quotidienne, vivant dans les nuages et attendant impassibles le jour de la grande révolution, ceux-là font un portrait de fantaisie inspiré par la malveillance. Les socialistes jurassiens profitent de toutes les circonstances propres à intéresser le peuple pour faire de l’agitation, pour intervenir dans la vie publique comme parti ayant son drapeau spécial, pour dénoncer la tactique hypocrite des partis soi-disant libéraux ; ils se mêlent à toutes les questions du jour et ne laissent jamais passer une occasion d’organiser une manifestation populaire.

Seulement, la façon dont ils interviennent dans la vie publique ne peut pas être la même que celle qu’ont adoptée les socialistes flamands et ceux de la Suisse allemande. Les questions de suffrage universel, d’abolition de la conscription, et autres semblables, au moyen desquelles on peut faire de l’agitation dans les Flandres, ne signifient plus rien chez nous, puisque nous vivons dans une république et n’avons pas d’armée permanente. De même, les questions qui paraissent préoccuper les ouvriers de la Suisse allemande, telles que la législation directe par le peuple, la séparation de l’Église et de l’État, la loi sur les fabriques, etc., ne nous offriraient aucune occasion de faire de la propagande socialiste parmi les ouvriers de notre région : en effet, ces questions-là forment chez nous, dans presque toute la Suisse française, le programme du parti radical bourgeois ; si nous voulions nous en occuper, nous renoncerions par là même à notre existence comme parti socialiste indépendant, pour devenir une simple annexe du radicalisme bourgeois. Or, comme notre tâche doit être tout au contraire de séparer les ouvriers de tous les partis politiques bourgeois, qui ne forment à nos yeux qu’une seule masse réactionnaire, et de les amener à se constituer en un parti socialiste du travail, nous avons dû, étant donné notre position spéciale, adopter une tactique spéciale. Cette tactique consiste, pour le moment, à dire aux ouvriers : « Cessez de vous laissez exploiter politiquement par les partis bourgeois, cessez de leur donner vos suffrages et de vous laisser embrigader par leurs agents électoraux ; organisez-vous tout d’abord sur le terrain économique du corps de métier ; sur ce terrain- là, vous vous apercevrez bien vite que le bourgeois qui, au sein du parti radical, vous apparaissait comme un allié et un coreligionnaire, est en réalité votre ennemi ».

Il ne faudrait pas croire que les Jurassiens aient pour la candidature ouvrière, envisagée comme moyen de propagande et d’agitation, l’invincible répugnance qu’on leur prête. Au contraire, ils ne seraient pas éloignés d’en essayer, ne fût-ce que pour démontrer expérimentalement, à ceux qui croient à la possibilité de transformer la société par la voie de simples réformes législatives, qu’ils se font des illusions. Mais la candidature ouvrière socialiste, chez nous, n’est pas pratiquement possible, pour faire élire leurs candidats, les socialistes seraient obligés d’accepter l’alliance des radicaux, et c’est ce que nous ne voulons pas. Du reste, les débats de nos Grands-Conseils cantonaux ont si peu d’intérêt pour la population ouvrière, que la propagande qu’il serait possible d’etîectuer par l’élection de députés socialistes serait presque absolument nulle. En Allemagne, Bebel et Hasselmann, parlant à la tribune du Reichstag, s’adressent au peuple entier et en sont entendus ; dans les petits parlements cantonaux de la Suisse française, la voix des députés socialistes n’aurait pas d’écho au dehors ; pour être entendu des ouvriers, il faut aller les trouver dans les assemblées populaires : c’est là seulement que peut se faire chez nous une propagande efficace.

La Suisse française, quoique unie politiquement à la Suisse allemande, n’est point rattachée à celle-ci par une communauté de sentiments nationaux et d’intérêts économiques. Chez nous, l’impulsion intellectuelle vient de la France ; nos socialistes ont le regard dirigé vers Paris, non vers Berne ou Zürich. Nous sommes les fils de la Révolution française et de la philosophie française du dix-huitième siècle ; et ce sera seulement quand le prolétariat de la France se sera réveillé et aura livré contre sa bourgeoisie une bataille victorieuse et définitive, que chez nous l’émancipation du travail pourra devenir à son tour une réalité.


Pour terminer la séance, Brousse fit un rapport au nom des groupes français représentés par lui et Pindy. Voici le résumé de ce qu’il dit (Compte-rendu) : « Il n’y a pas en France, comme il y a en Allemagne, un parti ouvrier qui, tout en adoptant l’agitation légale comme moyen de propagande, proclame cependant la nécessité d’une révolution sociale. Ceux des ouvriers français qui font de l’action légale ne sont pas des gens qui se couvrent de cette légalité comme d’un masque, tandis qu’au fond ils viseraient un but révolutionnaire ; non : ceux-là ne veulent réellement rien de plus que ce qu’ils disent publiquement. Ainsi, par exemple, les orateurs du récent Congrès ouvrier de Paris sont des hommes qui ne songent en aucune façon à quitter une fois le terrain de la légalité ; toutes les mesures qu’ils désirent sont exclusivement des réformes légales. Mais les membres des sections secrètes de l’Internationale française ont un programme différent et se placent sur un autre terrain ; leur activité principale s’exerce en dehors de la légalité, elle a pour but d’organiser les ouvriers pour la révolution. Cela ne les empêche pas d’ailleurs, à côté de cette action secrète, de se mêler publiquement aux organisations pacifiques ; tout en travaillant en secret à leur organisation propre, ils entrent dans tous les groupements publics, et ils y apportent leur propagande socialiste révolutionnaire. »


Dans la séance de l’après-midi, Greulich, représentant du Schweizerischer Arbeiterbund et d’une section internationale de Zürich, et J. Franz, membre du Schweizerischer Arbeiterbund, demandèrent à être admis au Congrès au même titre que l’avaient été la veille Gutsmann et Vahlteich. À l’unanimité, l’admission fut votée.

Les rapports des Fédérations italienne, espagnole, belge et hollandaise furent résumés en langue allemande par Werner, membre du Sozialdemokratischer Verein de Berne.

Vahlteich, membre du Parti socialiste d’Allemagne, prit ensuite la parole : « Je ne suis pas venu ici, dit-il en débutant, comme représentant officiel de la démocratie socialiste allemande ; mais je crois cependant que vous pouvez, sans crainte de vous tromper, regarder ce que j’ai à vous dire comme l’expression du sentiment et des opinions des socialistes allemands à l’égard de l’Internationale ; en effet, leur programme dit que, bien que leur action s’exerce pour le moment dans des limites nationales, ils reconnaissent le caractère international du mouvement ouvrier, et sont résolus à remplir tous les devoirs qu’impose aux ouvriers ce caractère, pour que la fraternité de tous les hommes devienne une vérité. » Il fit ensuite en peu de mots l’histoire du mouvement socialiste en Allemagne, raconta comment s’était opéré le rapprochement entre les lassalliens et la fraction d’Eisenach, et exposa l’organisation et la pratique du parti. Il dit que ce à quoi la démocratie socialiste s’appliquait, c’était « à faire l’éducation du prolétariat jusqu’ici écrasé et opprimé, et à le rendre capable d’exercer le gouvernement ; car il ne s’agit pas seulement de détruire l’État actuel et la forme régnante de la société ; on doit aussi se préoccuper de former, en nombre suffisant, des intelligences capables de donner une organisation durable à l’État socialiste que nous voulons réaliser ». Abordant ensuite la question d’un rapprochement entre l’Internationale et le Parti socialiste d’Allemagne, il s’exprima ainsi :


En ce qui concerne l’attitude de la démocratie socialiste d’Allemagne à l’égard des fédérations socialistes des autres pays, il y a eu quelques attaques dirigées d’Allemagne contre telle ou telle personnalité, attaques qui ont produit une dissonance. Je puis vous assurer que la masse des socialistes allemands est restée indifférente à ces manifestations ; il n’y a chez nous ni marxistes ni dühringiens[11] ; et les lassalliens d’autrefois se sont joints sans arrière-pensée au mouvement général. Il n’existe donc en Allemagne aucune antipathie contre les personnes ou les tendances des socialistes des autres pays ; on n’y prend pas parti (sauf peut-être quelques exceptions individuelles) pour les uns ou pour les autres ; au contraire, on y professe pour tous également la plus vive sympathie, comme l’ont démontré, par exemple, l’attitude des socialistes allemands pendant la guerre franco-allemande, et tout récemment le vote du Congrès de Gotha établissant que, pour les élections au Reichstag, les socialistes d’Alsace-Lorraine auront à décider eux-mêmes la tactique qu’ils veulent suivre.

Quant aux discordes qui existent actuellement parmi les socialistes en Suisse, la démocratie socialiste d’Allemagne ne peut que garder une attitude expectante, sans renier d’ailleurs ses sentiments d’amitié pour ses vieux compagnons d’armes de la Suisse allemande. Elle exprime le souhait que, dans ces luttes, les socialistes se traitent réciproquement avec ménagement, afin que, si l’union n’est pas actuellement possible, on puisse du moins établir une certaine entente, chacun suivant en paix sa propre voie (friedliches Nebeneinandergehn). Puisse le souvenir des fautes précédemment commises en Allemagne servir d’exemple et d’avertissement, et aider à réaliser notre devise commune : Prolétaires de tous les pays, unissez- vous !


Enfin, Greulich, représentant du Schweizerischer Arbeiterbund, fit l’historique du mouvement ouvrier dans la Suisse allemande depuis 1867[12] . Il rappela que des sections de l’Internationale avaient été créées à Zürich et à Bâle ; mais la guerre de 1870 arrêta le développement commencé, et il ne fut plus possible ensuite de reprendre l’organisation sur le terrain international ; c’est alors qu’en 1873, au Congrès d’Olten, fut fondé le Schweizerischer Arbeiterbund, qui se plaça sur le terrain national, et se donna un programme de politique légale. Greulich entra ensuite dans quelques détails sur la tactique adoptée par l’Arbeiterbund et sur les services que celui-ci rendait aux idées socialistes, en les faisant pénétrer dans des milieux qui leur étaient demeurés jusques-là complètement inaccessibles.


La série des rapports des Fédérations et des diverses organisations socialistes se trouvait épuisée. Le Congrès suivit à son ordre du jour en abordant la discussion de cette question : « De la solidarité internationale dans l’action révolutionnaire ». Il fut entendu que les détails du débat ne figureraient pas au procès-verbal. Le Compte-rendu résume cette dernière partie de la séance par ces simples lignes : « Sanchez, Reinsdorf, Ferrari, Joukovsky prennent successivement la parole. La suite de la discussion est renvoyée au lendemain matin. »


Il y eut le vendredi soir, à huit heures et demie, une seconde séance publique. Comme la veille, la salle était comble. Au nom de la commission chargée de rapporter sur la guerre d’Orient, Perron lut un projet de Manifeste adressé aux travailleurs d’Europe. Ce manifeste montrait l’hypocrisie des libéraux anglais qui se lamentaient sur le massacre des Bulgares, mais qui n’avaient rien dit quand les soudards de Versailles avaient mitraillé les Parisiens par milliers ; celle des libéraux russes qui avaient aidé à faire l’ordre dans Varsovie, et qui n’avaient par conséquent pas le droit de protester contre ceux qui faisaient l’ordre en Bulgarie. Il se terminait ainsi : « Parce que nous aimons les Slaves, ils ne nous feront pas haïr les Turcs ; parce que nous sympathisons avec les paysans bulgares qu’on opprime, nous n’avons aucune malveillance contre les ouvriers et artisans turcs, victimes, eux aussi, de la tyrannie... Nous crions aux peuples qu’on fait s’entr’égorger : Comprenez donc que vos tsars et vos sultans, que vos empereurs et vos rois ne sont et ne peuvent être que vos ennemis... ; laissez-les à leurs guerres et continuons la nôtre. Restons sur notre champ de bataille, qui est celui du droit contre l’injustice, de la morale contre le crime, du travail contre le vol. » Ce projet de Manifeste fut adopté.

Il fut ensuite donné lecture des lettres et adresses parvenues au Congrès, savoir :

Une adresse de la Société démocratique de Patras, Grèce ;

Une adresse de la Section internationale de Montevideo, Amérique du Sud ;

Une adresse d’un groupe de socialistes révolutionnaires de Paris ;

Une adresse du Conseil central du Parti socialiste de Portugal, signée Azedo Gnecco, etc. ;

Une adresse du Comité central du Parti ouvrier socialiste du Danemark, signée Louis Pio, etc.[13] ;

Une adresse du Cercle tchèque de Londres ;

Une adresse d’un groupe de socialistes allemands habitant Londres, signée Sapesz et Kaufmann ;

Une adresse d’un groupe de socialistes russes habitant Londres, signée Goldenberg, Lieberman, etc. ;

Une lettre de la Section internationale de Lausanne ;

Diverses lettres d’Angleterre.

Puis la discussion fut ouverte sur cette question : « Des rapports à établir entre les individus et les groupes dans la société réorganisée » (proposition jurassienne).

Cette discussion remplit tout le reste de la séance, qui ne fut levée qu’à minuit ; elle continua dans la séance du samedi soir ; elle occupe, pour les deux séances, plus de trente-huit pages du Compte-rendu. Elle roula sur la conception de l’État socialiste et sur celle de la libre fédération des libres associations. Malgré l’intérêt que peuvent offrir ces débats au point de vue théorique, je dois renoncer à les reproduire in-extenso. Sur les dix orateurs qui prirent successivement la parole, un seul, J. Franz (vendredi), représenta l’opinion strictement étatiste : il expliqua qu’après la destruction de la domination capitaliste, il faudrait, comme aujourd’hui, des lois et un gouvernement ; seulement ces lois seraient votées directement par le peuple, et ce gouvernement serait élu par le suffrage universel. De Paepe (vendredi), reprenant les idées qu’il avait exposées en 1874 dans le rapport de la Section bruxelloise sur les services publics, déclara qu’il ne tenait pas au mot État, et qu’il était prêt à employer celui d’administration publique si on le désirait ; il expliqua que, « dans l’avenir, l’État serait, selon toute probabilité, en partie la représentation des groupes corporatifs [la Chambre du travail], ayant pour mandat de servir de lien entre ces groupes pour tout ce qui regarde la production en particulier et les faits économiques en général ; et en partie la fédération des groupes locaux ou communes, ayant pour mandat de servir de lien entre les communes pour tous les intérêts généraux qui nous regardent en tant qu’hommes et non plus en tant que producteurs : Chambre régionale du travail et Fédération des communes, tels nous semblent donc être les deux aspects de l’État dans l’avenir ». Tous les autres, moi-même (qui parlai le premier), Gutsmann, Brousse, Reinsdorf, Malatesta, Joukovsky, Betsien, Werner, se montrèrent, avec des nuances diverses, anti-étatistes. — Je m’exprimai ainsi (vendredi) : « On a prétendu que les anarchistes ou les bakounistes (c’est ainsi qu’on nous appelle) voulaient supprimer entre les hommes tout lien social, toute action collective ; qu’ils voulaient non seulement la destruction des institutions politiques, armée, magistrature, police, clergé, etc., mais encore la suppression de ce qu’on appelle services publics. Comment a-t-on pu nous prêter des absurdités pareilles ?… L’abolition de l’État, c’est pour nous l’abolition du gouvernement d’une classe… La conception d’avenir que nous autres collectivistes, c’est-à-dire communistes anti-autoritaires, nous opposons à l’idée du Volksstaat, de l’État populaire, est celle de la libre fédération des libres associations industrielles et agricoles, sans frontières artificielles et sans gouvernement. » — Malatesta dit (samedi), en termes presque identiques, les mêmes choses : « On a presque laissé supposer que nous voulions détruire la poste, le télégraphe, les chemins de fer et tous les autres services qui ont besoin d’une organisation unique et centralisée… Nous aussi, nous voulons le fonctionnement de ce qu’on appelle les services publics ; bien plus, nous croyons que, par le développement du principe de solidarité et l’universalisation du travail collectif, la production et l’échange dans tous les domaines deviendront des services publics. Mais ces services ne devront pas être organisés d’en haut, par l’État ; ils sont la conséquence spontanée, naturelle, nécessaire de la vie sociale, du progrès de la science, du développement des besoins ; et de même que la circulation et la respiration dans la vie animale, ils ont leur raison d’être et trouvent leur moyen d’action dans le corps même de la société… Il me semble que nos contradicteurs confondent l’État avec la société. La société n’est pas l’agrégation artificielle, opérée par la force ou au moyen d’un contrat, d’individus naturellement réfractaires : c’est au contraire un corps organique vivant, dont les hommes sont les cellules concourant solidairement à la vie et au développement du tout ; elle est régie par des lois immanentes, nécessaires, immuables comme toutes les lois naturelles. Il n’existe pas un pacte social, mais bien une loi sociale. Que peut donc représenter l’État au sein de cet organisme ? Il ne peut avoir qu’une mission de résistance, un rôle d’oppression et d’exploitation… Nous voulons la destruction radicale de toutes les institutions bourgeoises et autoritaires d’aujourd’hui, et la prise de possession, par tous, de tout ce qui existe… Mais ensuite, comment s’organisera la société ? Nous ne le savons pas et nous ne pouvons pas le savoir. Nous aussi, sans doute, nous nous sommes occupés de projets de réorganisation sociale, mais nous ne leur accordons qu’une importance très relative. Ils doivent être nécessairement erronés, peut-être même complètement fantastiques… Par dessus tout, nous devons détruire, détruire tous les obstacles qui s’opposent aujourd’hui au libre développement des lois sociales, et nous devons empêcher que, sous n’importe quelle forme, ces obstacles puissent se reconstituer ou qu’il s’en crée de nouveaux. Ce sera au fonctionnement libre et fécond des lois naturelles de la société à accomplir les destinées de l’humanité… S’il en est qui éprouvent le besoin d’enrayer et de ralentir le mouvement social, à nous la marche en avant de l’humanité ne nous paraît pas plus semée de périls que ne l’est le cours des astres. »

Naturellement, le Congrès n’avait pas de décision à prendre sur une question d’une nature purement théorique ; aussi aucune résolution ne fut-elle votée.


Le samedi, la séance du matin, ouverte à neuf heures, fut consacrée tout entière à la continuation de la discussion sur la question : « De la solidarité dans l’action révolutionnaire » ; la discussion n’étant pas épuisée à une heure, la suite en fut renvoyée à la séance de relevée.

Dans la séance de l’après-midi, ouverte à deux heures et demie, la discussion fut reprise. Un projet de résolution, résumant les opinions émises dans le débat, fut présenté par Perron, Portillo [Soriano], Sanchez [Viñas], Brousse, Joukovsky, Malalesta, Cafiero, Ferrari. Ce projet, amendé ensuite par Franz, fut mis aux voix et adopté à l’unanimité en la teneur suivante :


Considérant que le respect réciproque relativement aux moyens employés dans les différents pays par les socialistes pour arriver à l’émancipation du prolétariat, est un devoir qui s’impose à tous et que tous acceptent,

Le Congrès déclare que les ouvriers de chaque pays sont les meilleurs juges des moyens les plus convenables à employer pour faire la propagande socialiste. L’Internationale sympathise avec ces ouvriers en tous cas, pour autant qu’ils n’ont pas d’attaches avec les partis bourgeois quels qu’ils soient.


On vient de voir que le texte de cette résolution avait été rédigé, en sa forme définitive, non par un membre de l’Internationale, mais par un membre du Schweizerischer Arbeiterbund (Franz). Le Bulletin (5 novembre) fit ressortir en ces termes cette particularité caractéristique :


La discussion sur cette question conduisit le Congrès à voter, à l’unanimité, une résolution manifestant la sympathie des socialistes de tous les pays pour les prolétaires que la tyrannie de leur gouvernement oblige à tenter des mouvements révolutionnaires[14]. Eh bien, le texte de cette résolution, exprimant la communauté de principes qui unit les diverses organisations ouvrières et le lien qui les rattache les unes aux autres malgré la différence du mode d’action qu’elles doivent adopter dans les divers pays, le texte de cette résolution, disons-nous, a été présenté au Congrès par le citoyen Franz, qui y assistait, comme le citoyen Greulich, à titre de membre de l’Arbeiterbund. Nous tenons à faire ressortir cet incident caractéristique, qui indique clairement que l’entente amicale — ou ce que les Allemands appellent friedlisches Nebeneinandergehn — s’est réellement établie entre l’Arbeiterbund et nous.


L’ordre du jour appelait ensuite la discussion sur la question : « Institution d’une cotisation régulière à verser entre les mains du Bureau fédéral » (proposition espagnole). La résolution suivante, proposée par la commission, fut votée à l’unanimité :


Le Congrès décide :

1° De repousser l’établissement d’une caisse mise à la disposition du Bureau fédéral ;

2° D’établir une caisse internationale de propagande, dont le Bureau fédéral serait simplement dépositaire et dont il ne pourrait pas se servir ;

3° Une partie de cette caisse sera mise à la disposition de la Fédération qui le demandera, si les autres Fédérations, consultées par l’intermédiaire du Bureau fédéral, y consentent.


Le taux de la cotisation à payer à la caisse internationale fut fixé à trois centimes par mois et par membre.


Le Congrès, ensuite, s’occupa de la question : « Convocation d’un Congrès socialiste universel en 1877 » (proposition belge).

De Paepe annonça que la commission n’avait pu présenter un projet de résolution sur cette question, vu les divergences de vues qui s’étaient produites dans son sein. Il donna lecture du mandat qu’il avait reçu à cet égard de la Fédération régionale belge, et qui était ainsi conçu :

« Le Congrès des fédérations belges charge le compagnon De Paepe, son délégué au Congrès international de 1876 à Berne, de proposer à ce dernier Congrès l’adoption des clauses suivantes :

« 1° Le Congrès international de Berne adhère à l’organisation d’un Congrès socialiste universel, à tenir en 1877, et auquel seraient admis les délégués des diverses organisations socialistes, que ces dernières soient des branches de l’Internationale, ou qu’elles existent en dehors de cette association ;

« 2° Ce Congrès aurait pour objet de cimenter, le plus étroitement possible, un rapprochement entre les diverses organisations socialistes, et de discuter des questions d’un intérêt général pour l’émancipation du prolétariat ;

« 3° Ce Congrès devrait être convoqué, non pas uniquement au nom de l’Internationale, mais en même temps au nom des autres organisations socialistes qui auront adhéré à l’idée du Congrès ;

« 4° Le Congrès socialiste de 1877 aura lieu en Belgique.

« Si, par une raison ou l’autre, le Congrès de Berne pense que le susdit Congrès socialiste ne peut avoir lieu en Belgique, nous proposons la Suisse. »

Voici, d’après le Compte-rendu, un résumé de la discussion :

Brousse dit qu’en principe tout le monde est favorable à l’idée d’un Congrès ; mais qu’il faut d’abord savoir de façon plus précise ce que serait ce Congrès, par qui et sur quelles bases de représentation il serait convoqué, quelles questions y seraient discutées, et ce qu’en espèrent ceux qui ont mis cette question à l’ordre du jour.

Perron dit qu’il a mandat d’appuyer la proposition belge ; mais il faut, ajoute-t-il, que nous prenions des précautions pour assurer, dans cette tentative de rapprochement, le maintien de notre autonomie et l’indépendance de nos principes.

Guillaume pense que le Congrès proposé ne peut avoir pour but de créer une nouvelle organisation. Il a été question, dans certains journaux, de reconstituer l’Internationale ; mais l’Internationale n’a pas besoin d’être reconstituée, elle existe. Peut-on songer à faire adhérer à l’Internationale certaines organisations nationales, comme celle du Parti socialiste allemand, qui, tout en partageant les principes de l’Internationale, ont une existence à part ? Non, cela est impossible pour le moment. Par conséquent, le seul résultat pratique qu’on puisse attendre du Congrès socialiste universel proposé par les Belges serait l’établissement de relations amicales et d’une correspondance régulière entre les diverses organisations qui s’y feraient représenter. Chacune des organisations participant au Congrès aurait naturellement à faire des propositions pour l’ordre du jour ; et l’Internationale devrait s’occuper dès maintenant des questions qu’elle demandera à faire inscrire au programme des délibérations. En conséquence, il dépose la proposition suivante :


Le Congrès de Berne propose aux Fédérations régionales d’établir, pour le projet de Congrès universel des socialistes à tenir en 1877 , les bases suivantes :

Les diverses Fédérations régionales se feront représenter à ce Congrès comme Fédérations appartenant à l’Internationale.

Elles demanderont l’inscription à l’ordre du jour de ce Congrès des questions suivantes :

1. Pacte de solidarité à conclure entre les diverses organisations ouvrières socialistes ;

2. De l’organisation des corps de métier ;

3. De l’attitude du prolétariat à l’égard des divers partis politiques ;

4. Des tendances de la production moderne au point de vue de la propriété.

S’il est voté sur les questions de principe, ce vote n’aura qu’un caractère de statistique des opinions, et ne sera pas regardé comme destiné à constituer une opinion officielle du Congrès sur ces questions.


Gutsmann exprime l’avis qu’une organisation internationale nouvelle, sous quelque nom que ce soit, ne saurait êre établie pour le moment : ni l’Allemagne, ni les syndicats ouvriers français ne pourraient en faire partie, les lois s’y opposent.

Portillo [Soriano] dit que le Congrès proposé ne pourrait pas avoir d’utilité pour nous. Nous ne pourrions pas y aller avec l’idée de faire des concessions pour rallier à nous certaines organisations : l’Internationale ne peut rien céder de ses principes. Le seul résultat pratique qu’on puisse attendre du Congrès proposé par les Belges, nous l’avons déjà obtenu ici : c’est un rapprochement amical entre des organisations différentes. Il paraît donc inutile de convoquer à cet effet un Congrès spécial.

Reinsdorf dit que le Congrès universel de 1877 nous ferait faire un grand pas dans la voie d’un rapprochement, qui pourrait plus tard amener à une union complète des diverses fractions du grand parti socialiste.

De Paepe dit que le Congrès de 1877 n’eût-il d’autre résultat que celui dont vient de parler Reinsdorf, ce serait déjà beaucoup. On a dit que l’ancienne Internationale de 1866 ne pouvait plus être reconstituée. C’est là une affirmation hasardée ; nous ne savons pas quels événements politiques pourraient se produire dans un avenir peut-être prochain, et si ces événements n’auraient pas pour résultat une extension de la liberté d’association dans certains pays. La Fédération belge n’attend pas un grand résultat de ce premier Congrès ; mais il pourra être suivi d’autres, et plus tard pourra sortir de ces réunions la reconstitution d’une Internationale nouvelle qui groupera, comme autrefois celle de 1866, les socialistes de tous les pays. Il n’est pas prouvé qu’on ne puisse pas créer, dès l’année prochaine, une organisation où trouveraient leur place les partis socialistes d’Allemagne, de Danemark, de Portugal, l’Arbeidersbond de Hollande, l’Arbeiterbund suisse, etc.; il y aurait seulement à examiner, pour l’Allemagne, la question des difficultés légales. Toutefois, il est possible qu’une autre raison empêche le groupement en un seul faisceau de toutes les organisations socialistes : ce serait la différence radicale qui existe, au point de vue de la tactique, entre le mode d’action adopté par les socialistes des pays latins et celui qui est suivi par les socialistes des pays germaniques. Peut-être cette divergence amènera-t-elle la création de deux Internationales ; mais s’il devait y avoir une Internationale du Nord et une Internationale du Midi, ce ne seraient pas deux organisations hostiles l’une à l’autre, ce seraient au contraire deux associations unies par une communauté de but et de principes, et il serait possible de maintenir entre elles des relations d’amitié et de pratiquer la solidarité. Aujourd’hui, peut-être les inimitiés, les rancunes personnelles sont-elles encore trop vives pour que rien de tout cela puisse se réaliser immédiatement ; eh bien, alors le Congrès universel de 1877 sera au moins un jalon sur la voie qui doit nous conduire à une Association réellement internationale de tous les travailleurs socialistes.

Joukovsky dit que le Congrès proposé semble avoir un double but : le rapprochement de tous les groupes socialistes pour une étude commune des questions de théorie ; et l’organisation d’une nouvelle Internationale. Il n’y a rien à dire contre le rapprochement des groupes : nous l’avons toujours désiré ; il est déjà fait, du reste, la présence parmi nous du citoyen Vahlteich en est une preuve. Quant à l’organisation d’une nouvelle Internationale, Joukovsky ne s’explique pas comment il pourrait en être question. L’Internationale est faite, elle est ouverte à tous les travailleurs ; elle sauvegarde toute leur liberté d’action, en ne leur imposant aucune théorie. Le Congrès de 1877 peut-il demander davantage ? Que les groupes socialistes entrent en relations avec nous, notre Bureau fédéral est organisé pour correspondre avec eux, et le rapprochement tant désiré par nous tous se fera de plus en plus ; c’est ainsi que nous arriverons à la possibilité d’un pacte, et, si nous n’arrivons pas à la fusion complète des forces du prolétariat dans l’Internationale, nous vivrons du moins en paix et entreprendrons une action commune dans la mesure du possible.

La discussion fut interrompue à huit heures du soir, et trois quarts d’heure après s’ouvrit la troisième séance publique, dans laquelle s’acheva le débat sur la question : « Des rapports à établir entre les individus et les groupes dans la société réorganisée », débat qui a déjà été analysé plus haut (p. 104).


Une dernière séance fut tenue le dimanche matin, à neuf heures.

On y termina d’abord la discussion relative au Congrès socialiste universel.

Franz déclara qu’il était partisan d’une reconstitution de l’Internationale, mais que les bases proposées par Becker, dans la Tagwacht, pour cette reconstitution, lui paraissaient tellement vagues que tous les groupes possibles pourraient y entrer, sociétés de secours mutuels, sociétés politiques, etc. Franz trouve que l’entrée de pareilles sociétés dans l’Internationale serait non-seulement inutile, mais nuisible, car elle empêcherait l’Association d’aller de l’avant. L’Internationale doit rester une sorte d’avant-garde des masses travailleuses, le groupement des socialistes conscients, des propagandistes.

Greulich dit que l’Internationale telle que Franz venait de la définir serait une véritable aristocratie. La masse des travailleurs manque d’instruction théorique, mais elle n’en marche pas moins dans la véritable voie du socialisme : à preuve les Trade Unions anglaises et les syndicats parisiens. Tout mouvement qui part des travailleurs est bon et doit être respecté, quelque imparfait qu’il puisse paraître au début.

Reinsdorf répondit à Greulich que l’Internationale n’était pas une aristocratie, mais qu’elle ne pouvait, sans renoncer à son programme socialiste, admettre pêle-mêle chez elle tous les éléments, même les éléments réactionnaires. L’Internationale devra se faire représenter au Congrès universel pour faire mieux connaître ses idées et tâcher de les faire prévaloir.

De Paepe constata que Franz et Reinsdorf parlaient d’une Internationale qui lui paraissait n’être pas tout à fait celle d’autrefois. En effet, ils semblent mettre comme condition d’entrée dans l’Internationale l’adhésion à une doctrine sociale déterminée ; il n’en était pas ainsi dans les premières années, et rien, dans les considérants des statuts généraux, ne permet une aussi étroite interprétation. S’il en était autrement, nous ne serions plus l’Association internationale des travailleurs, mais celle des initiateurs. Chaque fois qu’une association ouvrière demande à entrer dans l’Internationale, il faut l’accepter. De Paepe ajouta que, quant à lui, il se ralliait complètement à la proposition de Guillaume, et qu’il pensait seulement qu’on pourrait ajouter, aux questions qui y étaient contenues, celle qui a été proposée par les socialistes du Danemark, l’établissement d’un bureau international de correspondance et de statistique.

Vahlteich se déclara d’accord avec De Paepe, ajoutant qu’il espérait qu’il serait possible de reconstituer, sur les bases d’autrefois ou sur d’autres, l’ancienne Internationale, à laquelle les socialistes d’Allemagne se joindraient volontiers de nouveau.

Malatesta s’exprima ainsi : « À notre point de vue, à nous autres Italiens, l’Internationale ne doit pas être une association exclusivement ouvrière ; le but de la révolution sociale, en effet, n’est pas seulement l’émancipation de la classe ouvrière, mais l’émancipation de l’humanité tout entière ; et l’Internationale, qui est l’armée de la révolution, doit grouper sous son drapeau tous les révolutionnaires, sans distinction de classe. En Italie, ce n’est pas par le trade-unionisme qu’on pourra jamais obtenir aucun résultat sérieux ; les conditions économiques de l’Italie et le tempérament des ouvriers italiens s’y opposent. Du reste, je tiens à déclarer que les Trade Unions, telles que les offre l’Angleterre et que De Paepe les préconise, sont à mes yeux une institution réactionnaire. »

Guillaume répondit : « Je ne puis m’associer au jugement que vient de porter Malalesta sur les Trade Unions. Ce n’est pas l’institution des Trade Unions, prise en elle-même, qui est réactionnaire : cette institution, qui n’est autre chose que la solidarisation des intérêts des ouvriers d’un même métier, est un fait économique naturel, nécessaire ; et c’est précisément sur la base de ces corporations ouvrières nées du développement de l’industrie moderne que devra s’élever un jour la société du travail affranchi. Ce qui est vrai et ce que Malatesta a probablement voulu dire, c’est que l’esprit d’un très grand nombre d’ouvriers des Trade Unions est encore un esprit réactionnaire. Dans le Jura, nous partageons l’opinion exprimée par De Paepe, c’est-à-dire que nous pensons qu’il faut chercher à faire entrer les associations ouvrières dans l’Internationale. Quand la chose n’est pas possible, nous ne demandons pas une adhésion collective formelle ; nous nous contentons de tâcher de faire entrer individuellement dans l’Internationale les hommes les plus actifs des associations ouvrières, de manière à amener, par leur intermédiaire, la propagande des idées socialistes au sein de ces associations. Ce n’est pas là constituer, de propos délibéré, une aristocratie socialiste : c’est tout simplement accepter la situation telle qu’elle est, et chercher à en tirer le meilleur parti possible. Relativement à la proposition faite par les socialistes de Danemark, je pense qu’en répondant à leur lettre nous pourrions les engager à présenter eux-mêmes leur proposition au Congrès universel dont nous discutons le projet. »

Brousse, tout en acceptant l’idée du Congrès universel ainsi que les questions proposées par Guillaume pour l’ordre du jour, signala un danger de division pour l’Internationale : la Fédération belge, par exemple, peut se trouver attirée, d’une part, par sympathie historique, vers l’Internationale existante, et d’autre part, par les tendances à l’action légale, vers celle que quelques-uns parlent de former. Brousse, lui, n’admet que l’Internationale existante, qui est assez large pour que toutes les organisations socialistes puissent y trouver place.

Portillo [Soriano] répéta que le Congrès proposé lui paraissait inutile, car, si les organisations constituées en dehors de l’Internationale veulent se rapprocher de nous, elles ont un moyen bien simple : entrer dans l’Internationale, où elles conserveront leur entière liberté d’action.

La proposition que j’avais formulée, relativement à l’ordre du jour du Congrès universel de 1877, fut ensuite mise aux voix : elle fut adoptée par les délégués des Fédérations belge, française, hollandaise et jurassienne ; ceux des Fédérations espagnole et italienne s’abstinrent.

Il fut ensuite voté sur la proposition de la Fédération belge : adhésion à l’idée d’un Congrès universel des socialistes à tenir en 1877. Cette proposition fut adoptée par les délégués des Fédérations belge, française, hollandaise et jurassienne ; ceux des Fédérations espagnole et italienne s’abstinrent.

« Après quelques explications échangées entre les délégués espagnols et italiens, d’une part, De Paepe et Guillaume d’autre part, les délégués italiens déclarent qu’ils se sont abstenus parce que la proposition présentée au Congrès leur paraît susceptible de produire des équivoques ; mais ils ajoutent qu’ils la voteront néanmoins, sous la condition de faire insérer au procès-verbal la déclaration suivante :

« Pour nous, l’Internationale est l’unique organisation existante qui représente véritablement le socialisme populaire ; par conséquent, nous croyons que notre association doit se faire représenter au Congrès socialiste, non pour s’y fondre dans une organisation nouvelle, mais seulement pour défendre ses principes et ses moyens d’action, et chercher à attirer à elle les organisations ouvrières qui ne sont pas encore entrées dans ses rangs. »

« Sanchez [Viñas] se rallie à cette déclaration ; Portillo [Soriano] persiste dans son abstention. »

Il restait une question à l’ordre du jour, celle du « Pacte de solidarité à établir entre les différentes organisations socialistes ». De Paepe proposa que cette question fût renvoyée au Congrès universel à tenir en 1877, et demanda que, en attendant, le Congrès de Berne exprimât le vœu de voir un rapprochement plus grand s’opérer entre les diverses fractions du parti socialiste. Sa proposition fut votée à l’unanimité.

Pindy, secrétaire du Bureau fédéral, présenta ensuite les comptes de ce Bureau. Ils furent approuvés par le Congrès, et la répartition des frais fut faite séance tenante entre les Fédérations régionales.

Il y avait encore à désigner la Fédération qui devait remplir les fonctions de Bureau fédéral pendant l’année 1876-1877. La Fédération belge fut proposée. Mais ensuite, prenant en considération le fait que les socialistes de Belgique seront chargés de la convocation et de l’organisation du Congrès universel des socialistes, le Congrès décida, à l’unanimité, de confier de nouveau les fonctions de Bureau fédéral de rinternationale à la Fédération jurassienne.

Une commission, chargée de reviser ceux des procès-verbaux qui n’avaient pas encore été lus, et de répondre, au nom du Congrès, aux diverses lettres qui avaient été adressées à celui-ci, fut ensuite nommée. Elle fut composée de Cafiero, Brousse, Kahn, Guillaume et Malatesta.

Puis le huitième Congrès général de l’Association internationale des travailleurs fut déclaré clos, et la séance fut levée à midi et trois quarts.


Le dimanche après midi, les délégués, qui n’avaient pas eu un seul moment de répit depuis le jeudi matin, s’accordèrent quelques heures de farniente consacrées à la causerie ou à la promenade. Pour moi, je me rappelle que Soriano, qui voulait m’entretenir en particulier, m’entraîna au jardin du Petit-Rempart ; là, assis sur un banc, nous parlâmes longuement des affaires d’Espagne, et aussi de ses affaires personnelles. Il me parut très exalté, et je m’efforçai — sans y réussir, d’ailleurs — de le ramener à des idées un peu plus calmes.

Le dimanche soir, un banquet réunit, dans la salle où avait eu lieu le Congrès, les délégués et un certain nombre de socialistes et de membres de l’Internationale.

Ce fut De Paepe qui ouvrit la série des toasts, en rappelant la mémoire des socialistes morts pour la défense de la Commune de Paris, et particulièrement celle de Varlin, qui, après avoir participé, comme délégué, à plusieurs Congrès de l’Internationale, a scellé de son sang son inébranlable attachement à ses convictions.

Je portai la santé d’Andrea Costa, qui eût dû être au Congrès un des représentants de l’Italie, si la police de M. Nicotera ne l’eût replongé dans la prison d’où il venait à peine de sortir ; et à Costa j’associai tous ceux qui, en Italie, luttaient et souffraient pour la défense de nos principes.

Viñas buta la santé d’Alerini, l’un des combattants de la Commune de Marseille en 1870 et en 1871, l’un des représentants de l’Espagne au Congrès général de 1873, et qui depuis plus de deux ans était enfermé dans les prisons de Cadix avec d’autres martyrs de la cause socialiste ; il rappela en même temps le souvenir de ces nombreux travailleurs que la bourgeoisie espagnole avait déportés ou exilés, ou qu’elle tenait en captivité dans ses cachots, pour le seul crime d’avoir appartenu à l’Internationale,

Schwitzguébel — qui était venu passer le dimanche à Berne — but aux déportés de Nouvelle-Calédonie, et rappela que ce n’était pas d’une amnistie qu’il fallait attendre leur délivrance, mais seulement d’une révolution victorieuse.

Cafiero but aux socialistes allemands, qui fournissent aussi leur contingent de martyrs et paient aussi, dans les prisons de Bismarck, leur dette à la cause de la Révolution sociale.

Enfin De Paepe, reprenant la parole, but à la mémoire de Michel Bakounine, qui, après une vie consacrée tout entière à la cause de la Révolution, était venu terminer sa longue et douloureuse carrière dans la ville même où le Congrès était réuni.

Le compte-rendu donné par le Bulletin (5 novembre) s’achève par ces lignes : « Au moment où le banquet se terminait eut lieu un incident que nous croyons devoir mentionner, pour prévenir toute fausse interprétation. Deux membres de la Fédération jurassienne[15] protestèrent avec vivacité contre la présence au banquet du citoyen Greulich, demandant comment ce citoyen, après avoir publié contre le Congrès et une partie des délégués les calomnies qui ont paru dans la Tagwacht, pouvait avoir l’hypocrisie de venir fraterniser avec les hommes qu’il a insultés. Cette proteslation eût pu, selon notre opinion, revêtir une autre forme ; mais nous tenons à bien constater qu’elle était dirigée, non point contre le représentant de l’Arbeiterbund, — car entre l’Internationale et l’Arbeiterbund, comme associations, il ne peut et ne doit exister que des relations fraternelles, — mais exclusivement contre la personne du citoyen Greulich. »

Le Bulletin fit ressortir la signification du Congrès dans l’article suivant (5 novembre) :


Les résultats du Congrès de Berne.

On attendait du Congrès de Berne un double résultat.

Il devait, en première ligne, manifester l’énergique vitalité de l’Internationale, malgré les persécutions acharnées dont les socialistes sont l’objet en France, en Espagne et en Italie.

En second lieu, il devait fournir aux socialistes de l’Internationale et à ceux de diverses organisations ouvrières qui ont une existence à part, comme par exemple le Schweizerischer Arbeiterbund et le Parti socialiste d’Allemagne, l’occasion de se voir et de s’expliquer, et d’examiner la possibilité d’un rapprochement amical.

À ce double point de vue, le Congrès de Berne a rempli et même dépassé notre attente.

L’Internationale, tout d’abord, s’est affirmée d’une manière éclatante. Six Fédérations régionales s’étaient fait représenter. On a pu constater publiquement qu’en Espagne, cent douze fédérations locales sont encore groupées autour du drapeau du socialisme révolutionnaire ; qu’en Italie, la Fédération italienne a rallié autour d’elle toute la portion véritablement avancée du prolétariat de ce pays ; qu’en France, les ouvriers des villes, malgré la loi Dufaure, continuent à rester secrètement affiliés à notre Association ; qu’en Suisse, l’Internationale a gagné beaucoup de terrain depuis deux ans ; qu’en Belgique et en Hollande, où l’action socialiste s’exerce sous une forme un peu différente de celle qu’elle prend dans les pays du Midi, l’Internationale se trouve dans une période de transformation qui lui prête des forces nouvelles.

L’influence de l’Internationale n’est pas restreinte aux pays où notre Association est régulièrement constituée ; cette influence s’étend — et le Congrès en a fourni la preuve — à des contrées où le mouvement socialiste ne fait que de naître ; la Grèce, le Mexique, l’Amérique du Sud saluent déjà dans l’Internationale la messagère d’un meilleur avenir.

Quant au rapprochement amical qu’on espérait établir entre l’Internationale et les organisations formées en dehors d’elle, il a été réalisé.

Le Schweizerischer Arbeiterbund s’était fait représenter à Berne par un délégué. Ce délégué eût pu être mieux choisi, car la conduite que le citoyen Greulich a tenue comme rédacteur de la Tagwacht a soulevé dans les rangs des internationaux une juste réprobation, et a attiré à ce citoyen, en plein Congrès, de la part d’un délégué étranger à l’Internationale, une exécution sévère, mais méritée[16] ; toutefois, malgré l’indignité personnelle du représentant, la démarche de l’Arbeiterbund a été accueillie comme une preuve que cette Association était disposée à pratiquer, envers l’Internationale, la solidarité que celle-ci, en vertu de ses statuts, pratique de son côté à l’égard de toutes les organisations ouvrières...

Le citoyen Vahlteich, député au Reichstag, était venu au Congrès de Berne comme membre du Parti socialiste d’Allemagne, que les lois existantes l’empêchaient de représenter officiellement. Il a exprimé, de la façon la plus franche, les sympathies des socialistes allemands pour l’Internationale, et les dispositions amicales où ils se trouvent à l’égard des socialistes d’autres pays, dont la tactique est différente de la leur. Il est résulté des explications échangées au Congrès à ce sujet, que de même que les Italiens et les Espagnols, obligés chez eux, par les circonstances, à procéder révolutionnairement, reconnaissent que la propagande légale adoptée par les Allemands est actuellement la seule tactique qui puisse convenir à l’Allemagne ; de même les socialistes allemands, tout en suivant leur tactique à eux sur le terrain national, reconnaissent que les socialistes d’Espagne et d’Italie sont seuls juges de la ligne de conduite qu’ils ont à tenir de leur côté.

Des lettres amicales du Conseil central du Parti socialiste de Portugal et de l’Association ouvrière socialiste de Danemark témoignèrent également des sentiments de solidarité que professent les ouvriers danois et portugais à l’égard de leurs frères des autres pays.

Un Congrès socialiste universel, auquel seront invitées toutes les organisations ouvrières socialistes d’Europe et d’Amérique, quel que soit le nom qu’elles se donnent, sera convoqué l’année prochaine, par les soins d’un groupe de socialistes belges. À ce Congrès, l’Internationale se fera représenter ; elle pourra entrer ainsi directement en contact avec les organisations ouvrières d’Allemagne, d’Angleterre, de Danemark, de Portugal, etc. ; et de ce rapprochement sortira sans doute une entente complète.


Le lundi 30 octobre, les délégués reprirent le chemin de leurs foyers, excepté Cafiero et Malatesta, qui devaient prolonger leur séjour en Suisse pendant quelques semaines encore.




  1. Ce deuxième membre du Parti socialiste allemand ne vint pas.
  2. Le Compte-rendu du Congrès contient (p. 4), à propos de ce délégué, la déclaration suivante, dont Cafiero et Malatesta donnèrent lecture et demandèrent l’insertion au procès-verbal :
    « Les délégués de la Fédération italienne élus par le Congrès régional, en acceptant la solidarité du compagnon Oreste Vaccari, ont constaté en présence du Congrès que ce délégué repousse toute solidarité avec Carlo Terzaghi, expulsé une première fois par la Fédération italienne, et déclaré indigne de faire partie de l’Internationale par le Congrès général de 1873. Ils constatent aussi que le compagnon Vaccari, revenant sur le jugement qu’il avait porté contre le compagnon Andrea Costa, dans un document publié dans plusieurs journaux, déclare avoir été indignement trompé et lui accorder son estime. — Malatesta, Cafiero. »
  3. Une observation imprimée à la fin du Compte-rendu du Congrès (p. 112) indique que les délégués italiens nommés par le Congrès de Florence, Cafiero et Malatesta, déclarèrent, lors de la vérification des mandats, que la Section dite du Ceresio ne faisait pas partie de la Fédération italienne, et que, si elle eût demandé à y entrer, le Congrès de Florence l’aurait repoussée ; ces deux délégués demandèrent la mention de cette déclaration au procès-verbal. La Section du Ceresio étant par conséquent une section isolée, le délégué qui la représentait, et dont le mandat fut d’ailleurs reconnu valable, ne put obtenir voix délibérative au Congrès (en vertu d’une décision prise, dans la seconde séance, relativement aux délégués des sections isolées). Si donc Ferrari a pris part aux votes, ç’a été non comme représentant de la Section du Ceresio, mais parce qu’il représentait en outre trois autres sections (Palerme, Trapani et Termini-Imerese) qui, celles-là, appartenaient à la Fédération italienne.
  4. Malgré cette promesse, le rapport n’a pas été publié.
  5. Le Comité italien pour la Révolution sociale.
  6. Lodovico Nabruzzi, Tito Zanardelli, etc.
  7. On voit que, dans la pensée des socialistes espagnols d’alors, la grève et la révolution s’opposaient l’une à l’autre, tandis que, pour les syndicalistes modernes, la grève est un acte révolutionnaire.
  8. À propos de la Chambre du Travail de Bruxelles, De Paepe s’exprimait ainsi : « À Bruxelles, la Section de l’Internationale n’est plus qu’un groupe d’études sociales ; les sociétés ouvrières qui s’y étaient affiliées l’ont toutes quittée les unes après les autres ; mais elles n’ont pas tardé à se fédérer entre elles sous le titre de Chambre du Travail, et j’ajouterai en passant que les membres de l’Internationale bruxelloise sont loin d’être hostiles à cette institution nouvelle, bien que celle-ci se meuve tout à fait en dehors d’elle. »
  9. Je ne sais comment concilier cette affirmation de De Paepe au sujet des fédérations de Charleroi, de Liège, et du Borinage, avec ce fait qu’au Congrès de la Fédération belge de l’Internationale tenu à Bruxelles sept mois plus tard, le 3 juin 1877, il y avait, parmi les quatre-vingt-huit délégués, des représentants de Charleroi, Huy, Jolimont, Haine-Saint-Pierre, Haine-Saint-Paul, Fayt, et Jemappes. Les renseignements de De Paepe devaient être partiellement erronés.
  10. Il sera parlé de cette brochure plus loin, au chap. IX.
  11. Le Dr Eugène Dühring, Privat-Docent à l’université de Berlin, avait commencé depuis peu à exposer les bases d’un système socialiste rattaché au système philosophique dont il était l’inventeur, et s’était fait un certain nombre de partisans en Allemagne. Engels allait bientôt l’attaquer dans une série d’articles que publia le Vorwärts en 1877 et 1878.
  12. Greulich, bien qu’il fût venu au Congrès, n’avait pas désarmé, et conserva l’attitude d’un adversaire. Le Bulletin, dans le numéro (5 novembre) où il apprécia « les résultats du Congrès de Berne », note l’incident suivant, que ne mentionne pas le Compte-rendu du Congrès :
    « Il y a des gens qui trouvent commode, pour les besoins de leur cause, de nier l’évidence. C’est ainsi que le citoyen Greulich, admis à parler au Congrès de Borne à titre de représentant du Schweizerischer Arbeiterbund, a imaginé de commencer son discours par cette incroyable affirmation : L’Internationale est morte ! Et celui qui parlait ainsi, notez-le bien, s’adressait précisément au Congrès général de l’Internationale, qui venait d’entendre les rapports de six fédérations régionales ! Aussi la déclaration du citoyen Greulich fut-elle accueillie par un éclat de rire homérique ; c’était la seule réponse qu’elle méritât. »
  13. La lettre du Parti ouvrier socialiste danois proposait qu’il fût tenu en Suisse, en janvier 1877, une conférence de délégués des différentes organisations socialistes ; cette conférence s’occuperait de la création d’un bureau international de correspondance et de statistique. La Congrès de Berne répondit aux socialistes danois en leur communiquant la proposition belge pour la convocation d’un Congrès socialiste universel.
  14. C’est là, en effet, l’interprétation qu’il faut donner à ce texte, que « les ouvriers de chaque pays sont les meilleurs juges des moyens les plus convenables à employer pour faire la propagande socialiste », et que « l’Internationale sympathise avec ces ouvriers en tous cas ».
  15. Brousse et Werner.
  16. Il s’agit de quelques rudes vérités dites à Greulich par Gutsmann. L’incident n’a pas été mentionné dans le Compte-rendu.