Journal de ma vie (Bassompierre)/Deuxième tome/Appendice

Journal de ma vie. Mémoires du maréchal de Bassompiere
Texte établi par le marquis de ChantéracVeuve Jules Renouard, libraire de la Société de l’histoire de France (tome 2p. 403-433).





APPENDICE


I



Dans une histoire manuscrite de Beauvais, conservée à la Bibliothèque nationale (Fr. 8579-8583), un chanoine de Beauvais, nommé Hermant, proteste vivement contre le récit et les appréciations du maréchal :

« Bassompierre, dit-il, n’avoit point esté du voyage du Roy, parce qu’il sollicitoit un procés à Roüen contre la demoiselle d’Entragues au sujet d’une promesse de mariage qu’il ne vouloit point accomplir. Elle avoit un enfant de luy qui depuis est mort Evesque de Saintes et a porté le nom de Louis de Bassompierre. Elle se conduisoit dans la poursuitte de ce grand procés par les conseils de nostre Evesque René Potier ; et c’est ce qui a donné lieu aux plaintes que ce Mareschal fait de luy dans ses Memoires, luy attribuant l’avis qu’il avoit inspiré a sa partie de demander au Pape des juges ecclesiastiques pour en connoistre. Les termes outrageux dont il se sert contre Jean Jacques de Sault, Evesque d’Aqs[1], nommé commissaire par Sa Sainteté dans cette cause, font voir jusques a quel point sa passion le transportoit ; et quand les sentimens de la religion n’auroient pas dû l’empescher de traitter un Evesque de fou enragé dans des Memoires qui sont devenus publics apres sa mort, la seule regle de l’honnesteté dont il se piquoit plus qu’aucun autre suffisoit pour le detourner de cet exces. »

Fr. 8582 (t. IV), p. 1956.




II



Le Mémoire de diverses notes concernant le genuit de la maison de Bassompierre, déjà mentionné à l’Appendice du tome I, fournit, sous les nos 144, 145, 148, 149 et 150, des documents relatifs à l’état de fortune et aux dispositions de Mme de Bassompierre.


1o No 144. — 6 juin 1604. — « Original en papier du testament de Messire Jean de Bassompierre, par lequel ledit seigneur fait divers legs pieux, domestiques, et autres donations a Messieurs ses deux freres, donne ensuitte l’usufruit de tous ses biens a Madame de Bassompierre sa mere pour en joüir sa vie naturelle. »


2o No 145. — 9 juillet 1609. — Acte devant Malcuyt, tabellion, par lequel François, baron de Bassompierre, et African, baron de Removille, son frère, déclarent que nonobstant le partage fait entre eux le jour précédent par leur mère, Louise de Radeval, veuve de Christophe, baron de Bassompierre, « ils n’entendent neantmoins oster a laditte dame leur mere le pouvoir qu’elle a de faire et disposer des maisons, terres et seigneuries de son propre et ancien heritage, icelles scituées et assises en la province de Normandie ; » ladite dérogation au partage étant faite toutefois « a charge et condition expresse que si laditte dame vend ou alienne aucune desdittes terres et seigneuries, d’autant qu’elles sont données en partage audit seigneur de Removille, ledit seigneur de Bassompierre, son frere, promet et s’oblige par ces presentes de rendre et restituer audit seigneur de Removille, incontinent apres le decès de laditte dame, la moitié d’autant de rente et de meme nature et qualité que celles que laditte dame de Bassompierre, leur mere, auroit vendue et alienée. »


3o No 148. — 10 juin et 7 juillet 1614. — « Original en papier du testament avec codicile ensuitte de haute et puissante Dame Madame Louise de Radeval, veuve de Messire Christophe de Bassompierre, chevalier, seigneur du meme lieu, Harrouel, Ormes, Removille, Baudricourt, grand maistre de l’hostel de S. A. Monseigneur le duc de Lorraine, chef de ses finances, par lequel laditte dame fait divers legs..... ; ensuitte desquels est ecrit : Et d’autant que par les partages faits et agreés tant des immeubles de feu Messire Christophe de Bassompierre, chevalier, mon mary, que des miens, entre lesdits seigneurs François et Affrican nos enfants, le 8e juillet 1609, le pouvoir et liberté m’est expressement reservé de disposer de mesdits biens compris ésdits partages, je les affecte, hippoteque et oblige specialement et chacun d’iceux pour satisfaire a tous et chacun les legs, ordonnances et donations cy dessus pour les executer et accomplir entierement ; les dits partages faits en conformité de l’intention de mon dit mary et de la mienne ; ordonne que ses meubles soient pour moitié aux enfants masles et a faute de masles aux filles nais et a naistre de son fils François en legitime mariage, d’autres neantmoins que de Damoiselle Marie Charlotte de Balsac au cas qu’il l’espouse, auquel cas je l’exherede et prive de tous et chacun mes biens, luy ayant expressement deffendu de contracter mariage avec elle, etc. »

On voit par cet acte que Bassompierre avait un grand intérêt à ne pas épouser Mlle d’Entragues.

4o No 149. — 27 avril 1615. — « Original en papier d’un autre codicile fait par haute et puissante dame Louise de Radeval, veuve etc.... portant qu’ayant reconnu, reveu et examiné de nouveau le testament par elle fait le 10e juin 1614, declare qu’elle veut et entend que la moitié des meubles par elle leguée aux enfants de haut et puissant seigneur François de Bassompierre, chevalier, baron et seigneur de Bassompierre, Harrouel, Ormes et autres lieux, colonel de Suisses de la garde du corps du roy de France et son conseiller d’Estat, son fils aisné, nais en loyal mariage, soient et appartiennent a defaut d’iceux, aux enfants de haut et puissant seigneur Messire Affrican de Bassompierre, chevalier, seigneur de Removille, du Chastellet, Baudricourt, grand escuier de Lorraine ; et veut qu’a deffaut d’enfants dudit seigneur de Removille, l’autre moitié desdits meubles soit et appartienne a ceux du dit seigneur de Bassompierre, nais en legitime mariage et non autrement ; entend laditte dame que lesdits meubles soient et appartiennent aux enfants masles et a deffaut a ceux des dames ses filles. Item ladite dame donne pour bonne considération audit seigneur de Bassompierre seul tous les meubles d’Harrouel qu’elle avoit ordonnés par son testament estre partagés entre luy et le dit seigneur de Removille son frere... »


5o No 150. — En avril. — Original en papier par lequel il est rappelé entre Louise de Radeval, veuve etc......, et haut et puissant seigneur messire François de Bassompierre, etc...... que madame de Bassompierre avait conservé la libre disposition de ses biens propres sis en Normandie, et l’usufruit des autres terres contenues au partage fait entre ses enfants : « Neantmoins la ditte dame pour donner moyen audit seigneur de Bassompierre de supporter les dépenses ordinaires qu’il est obligé de faire tant a la suitte du Roy que dans les armées de Sa Majesté, luy a cedé et abandonné la propriété, possession et jouissance de la baronie, terre et seigneurie de Moustier sur Saulx[2], ensemble les maisons, terres et seigneuries a elle appartenantes scises en Normandie. »

Dans l’Inventaire fait apres le deceds de Mr le mareschal de Bassompierre, déjà mentionné à l’Appendice du tome I, on lit la cote suivante :

« Item un contract en papier datté du 8e avril 1615, signé Malcuit, qui est une disposition faite par feu Made de Bassompierre par laquelle elle change les lots de partage qu’elle avoit auparavant fait entre messieurs ses enfants, inventorié au dos 135. »

Le contrat de cession des biens de Normandie, dont la date précise est donnée par la cote ci-dessus et se rapporte à l’époque du voyage de M. de Bassompierre en Lorraine, dut l’obliger, conformément à l’acte du 9 juillet 1609, à tenir compte à son frère d’une valeur égale à la moitié des biens cédés.

La terre de Moutier-sur-Saulx fut vendue par décret et adjugée au duc de Guise. On lit dans l’Inventaire la cote suivante :

« Item une copie en papier de la sentence d’ordre des deniers du prix de la terre et baronnie de Moustiers sur Saux, expedié au baillage de Bar le 14e novembre 1616, signé Rigodin, inventorié 104. »

En outre des dons vérifiés à la cour des comptes, le sr de Bassompierre reçoit sur l’« Estat des pentions ordonnées par le roy en son conseil durant l’année mil six cens quinze », sous le titre des « Pentions des seigneurs, gentilzhommes et autres depuis xviijm lb. et au dessoubs jusques à vjm lb. exclusivement », une pension de 7500 livres (Manuscrits de Dupuy, n° 852, fol. 114).


III



Malgré l’arrêt définitif du parlement de Rouen, Bassompierre eut encore quelques démêlés avec Mlle d’Entragues, ou peut-être dut-il, comme il est dit à la page 6, achever et terminer le procès devant des commissaires délégués par le pape. Je transcris ici quelques cotes de l’Inventaire fait apres le deceds de Mr le mareschal de Bassompierre :

« Item une sentence donnée entre led. seigneur mareschal et la de dlle d’Antragues par Mrs le cardinal de la Rochefoucauld, evesque de Senlis, et cardinal de Retz, evesque de Paris, juges commissaires delegués de notre St Pere le pape, en date du 29 janvier 1621, signé Baudouin, greffier commis, et scellé, au dessous de laquelle est la signification qui en a été faitte à lade dlle le 10e fevrier ensuivant, inventorié au dos 89. »

« Item un acte d’appel en adherant de lade dlle des ordonnances desdits seigneurs cardinaux de la Rochefoucauld et de Retz du 18 janvier 1620 : avec l’acte d’appel de lade damlle contre lesdites ordonnances du 20 dud. mois, inventorié l’un comme l’autre 90. »

« Item une signification faite a la requete de lade dlle d’Antragues aud. seigneur mareschal, dattée du 9e mars 1620, signée Marie de Balsac dame de Bassompierre, et Lambert, inventorié au dos 91. »

« Item une copie d’acte de comparution faitte par led. seigneur mareschal par devant lesdits seigneurs cardinaux, au dessous de laquelle est une protestation faite contre icelle par led. seigneur mareschal le 2e decembre 1619, signé de Bassompierre, reconnu par devant notaires le 2e mars 1620, inventorié 92. »

« Item une copie d’un acte d’appel fait par lade dlle d’Antragues a la sentence desdits seigneurs cardinaux, du 10e fevrier 1621, inventorié 93. »

Du reste, malgré tous les arrêts et toutes les sentences, Mlle d’Entragues persista toujours à s’intituler « dame de Bassompierre », dans des actes notariés au bas desquels toutefois elle signait seulement « Charlotte » ou « Charlotte Marie de Balsac. » Cette obstination donna lieu à quelques mots piquants du maréchal, que l’on peut lire dans Tallemant des Réaux (Historiette de Bassompierre), et ailleurs. Après la mort du maréchal, Mlle d’Entragues se qualifie « illustre et puissante dame, dame Marie Charlotte de Balsac, veufve d’illustre et puissant seigneur messire François de Bassompierre, seigneur du dit lieu, marquis d’Haroué, chevalier des ordres du Roy, conseiller en ses conseils, mareschal de France, et colonel general des Suisses » (contract d’acquisition de quatre arpens et demy de pré de madame la mareschalle de Bassompierre), ou « vefue de feu hault et puissant seigneur, Mre François de Bassompierre, viuant cheualier des ordres du Roy, mareschal de France, collonel des Suisses » (quittance notariée du 2 décembre 1651), ou encore « haulte et puissante dame Charlotte Marie de Balsac, vefue de Mre François de Bassompierre, viuant mareschal de France » (quittance notariée du 10 mai 1660) ; mais elle signe toujours « Charlotte Marie de Balsac. »


IV



Ce léger exploit eut l’honneur d’être raconté assez pompeusement dans le Recit veritable de la deffaite des trouppes de Monsieur le Prince de Tingry, par Monsieur de Praslain, lieutenant de Monsieur le Mareschal de Bois Daulphin en l’armée de Sa Majesté. Ou sont desnommez tous les capitaines tant d’une part que d’autre (Paris, Jean Bourriquant. M. DC. XV).

On voit dans ce récit que « ce brave Capitaine Monsieur de Praslain, hardy comme un autre Brasidas, appuyé de l’authorité de son Roy, marchoit allegrement en ce conflict d’honneur », et que « les autres Capitaines l’ayants en teste n’y alloient aussi froidement : de façon qu’en les voyant aller, il n’y avoit subject de doubter qu’ils n’enfonçassent tout, et n’esbrechassent les resolutions de leurs ennemis. »

La vigueur de la résistance ne fut cependant pas en rapport avec la grandeur de l’effort ; car le même récit ajoute :

« Presque tous ces gens là avoient déja le ventre à la table, et le cœur à piller le bonhomme, ne songeant rien moins qu’à telles visites ny a tels hommes de chambres pour leur apporter le vin de couche et leurs besongnes de nuict : de sorte qu’aussi tost ils perdirent tout courage, et firent faire une chamade par une trompette, et en mesme temps se rendirent, à condition de sortir la vie sauve, avec le baston blanc, faisans serment de ne porter jamais les armes contre le service du Roy : Ce qui leur fut accordé par le sieur de Praslin, la presence duquel ne leur fut un foible canon pour se rendre. Pour tous les chefs il fut arresté qu’ils demeureroient prisonniers de guerre. Voila toute la resistance et resolution de ces gens d’armes, qui bien dissemblables de Granius Petronius, lequel Scipion ayant prins en Afrique dans un des navires de Cesar, et ayant fait mettre en pieces tous les soldats qui y estoient, et luy voulant donner la vie, respondit que les soldats de César n’avoient pas accoustumé de recevoir la vie en don, mais de la donner aux autres : et en disant cela se passa l’espée au travers du corps et se tua luy-mesme. Ceux cy, dis-je, bien dissemblables à ce Petronius, n’attendirent qu’on leur donnast la vie, mais la demanderent sans coup ferir. Ils meritoient de subir la peine des poltrons, portée par la loy de Charondas : laquelle peine estoit qu’ils demeuroient trois jours en place publique en habit de femme. »

Il parait du moins que le profit de l’expédition fut considérable ; le Recit veritable ne parle point du prélèvement fait par les deux entremetteurs ; suivant lui, au contraire, « tout le butin de ladite avant garde fut donné aux soldats, et se monte à plus de cent mil escus : le prince de Tingry tout seul y a faict perte de plus de cinquante mil escus. Il luy fut pris de sa despense ordinaire quatre mil escus, douze mil escus pour le payement de ses gens de guerre, vingt pieces de grands chevaux estimez vingt mil escus, et pour dix-huict mil escus de pierreries. »

Ce fut le duc de Mayenne qui parut quelques instants après, avec trois gros de cavalerie : « ce magnanime Prince, tournant les yeux vers le Ciel, mouroit de regrets de ce qu’il ne s’estoit trouvé pour montrer qu’il ne degeneroit de ceux de sa maison. Nonobstant tout cela, voyant que la partie estoit mal faicte de son costé, pour n’encourir le nom de temeraire, et pour ne perdre beaucoup de bons soldats qu’il avoit, fust contrainct de remettre la partie à une autre fois, et ainsi retourna sur ses pas. »


V



Le régiment des gardes suisses, alors institué pour faire partie de la maison militaire du roi, fut tiré du régiment du colonel Gallaty, formé en 1614, et réformé la même année de trois cents à cent soixante hommes par compagnie. Il fut composé à ce moment de cinq enseignes de gens de guerre à pied suisses, chacune de cent soixante hommes. Bientôt il reçut des augmentations : le décompte de 1617 (17 janvier) marque que le régiment des gardes suisses était composé de huit enseignes, chacune de cent soixante hommes ; depuis le 2 mai 1619 le régiment eut dix compagnies de deux cents hommes, et depuis le 15 juin 1628 jusqu’à 1633 il en eut onze.

D’après un décompte du régiment des gardes suisses en 1645, ce régiment avait alors dix-huit compagnies de cent quatre-vingt-dix hommes, et une de deux cents. À cette même date le maréchal de Bassompierre avait deux mille livres par mois « pour son estat et appointement ordinaire audit regiment. ».

Gallaty fut le premier colonel de ce régiment, et il jouit de cette charge jusqu’à sa mort en juillet 1619. Il conserva en outre le commandement particulier de la compagnie ancienne des gardes suisses, qui était alors de deux cents hommes, et qui resta distincte du régiment des gardes suisses, avant lequel elle passait, le rang des gardes suisses étant du reste fixé immédiatement après celui des gardes françaises. À la mort de Gallaty le commandement de la compagnie ancienne passa à M. de Bassompierre, comme colonel général des Suisses.

Le colonel général avait dans le régiment des gardes suisses une compagnie particulière que l’on appelait la générale, et que commandait sous lui un capitaine-lieutenant, avec rang de capitaine aux gardes ; cette compagnie portait seule le drapeau blanc.

Toutes les troupes suisses au service de France étaient subordonnées au colonel général, à l’exception de la compagnie des Cent-Suisses de la garde du corps.

Ces divers détails sont empruntés à l’Histoire de la milice françoise du P. Daniel (t. II), et à l’Histoire militaire des Suisses au service de France, par le baron de Zurlauben (t. I).


VI



M. de Bassompierre était-il fondé à prétendre que le comte d’Auvergne n’était pas rétabli dans sa bonne fame et renommée ? Le texte des lettres de commutation de peine, rapporté dans les manuscrits de Dupuy, contredit cette assertion. On y lit en effet :

« Arrest de verification pure et simple sur les lettres y inserées tout au long, obtenues par Mrs les comtes d’Auvergne et d’Antragues le 15 avril 1605 pour la commutation de la peyne de mort en prison perpetuelle, en quoy ils avoyent esté condampnéz par arrest du parlement du premier febvrier 1605. Extrait des registres du parlement. »

« Henry, etc..... avons commué et commuons la peine de mort desd. comte d’Auvergne et sr d’Antragues en prison perpetuelle aux lieux et soubz telle garde qu’il sera cy apres par nous particulierement desclaré, a laquelle peyne de prison perpetuelle nous avons moderé et moderons l’arrest de nostre dite court, les remettant a cette fin en tous et chascuns leurs biens, mesme en leur bonne fame et renommée, sans toutes fois en ce comprendre les charges et offices dont ils ont esté pourveuz par les roys noz predecesseurs ou par nous, etc....... Donné a Paris le xve jour d’apvril l’an de grace mil six cent cinq. »

« La court entherinant lesdites lettres ordonne que les supplians jouiront du contenu en icelles. » (Du 22 août 1605.)

(Manuscrits de Dupuy, no 32, fol. 166 et 167.)


Toutefois M. de Praslin avait raison de dire que le comte d’Auvergne n’était ni déclaré innocent, ni absous (voir p. 97) ; car la commutation de peine accordée par le roi Henri IV avait modéré, et non infirmé le jugement, et la reine avait mis le comte d’Auvergne en liberté sans autre forme de procès.


VII



Une lettre de Claude Séguier, seigneur de la Verrière, à M. de Nérestang, conservée dans la collection Godefroy, portefeuille CCLXVIII, no 75 (Bibliothèque de l’Institut), confirme le dire de Bassompierre, et le met en même temps d’accord avec l’Histoire de la mère et du fils, et avec l’Histoire de Louis XIII. C’était le maréchal de Thémines qui était chargé de la garde du prince de Condé dans la Bastille ; mais ce fut Lauzières, son second fils, qui en fut expulsé par le stratagème que raconte Séguier. La lettre est datée du 14 décembre 1616, d’où il résulte que cette « invention subtile » d’une cour qui craignait même ses amis, aurait été pratiquée le 12, et non le 19, encore moins au mois de février 1617. Au reste il est possible que l’auteur de ces mémoires ait placé par mégarde cette addition marginale en regard de février 1617, tandis qu’elle devrait se rapporter à décembre 1616.

Voici quelques passages de la lettre :

« ..... Ce qui est icy le plus nouveau est que Mr de Temines a esté mis hors la Bastille par une invention assez subtile : c’est qu’estant demeuré a disner en ville, le sieur de Vouzay fit croire au sr de Loziere, second fils dud. sr de Temines, que ceulx qu’il avoit dans la Bastille pour la garde de Monsieur le Prince se battoient ensemble, a quoy voullant remedier il sortit dans la basse court et incontinent le pont levis luy fut fermé.... On dit maintenant qu’il (le maréchal) estoit trop a charge et qu’il demandoit tout ce qui se presentoit et ne pouvoit estre contenté. Cella arriva avant hier... On ne sçayt pas encore qui sera pourveu du gouvernement (de la Bastille) ; quelques uns ont dit que ce sera monseigneur le mareschal d’Ancre. »


VIII



Le discours touchant la prise des villes et chasteaux de Chasteau Porcien, et Pierre-fons. Par Messieurs le Duc de Guise, et Comte d’Auuergue (Paris, chez la vefue Jean Renoul. M. DC. XVII), raconte ainsi cette surprise :

« Cela estant fait, Monseigneur de Guise eut aduis que le Regiment du sieur de Balagny, et deux compagnies de cheuaux legers, de Monsieur de Vendosme, estoient logez dans les Faulx-bourgs de la ville de Laon : ne pensant à rien moins qu’à ce qui leur arriua, partit de l’armée le samedy premier jour d’Auril, à six heures du soir, accompagné de Messieurs de Bassompierre, et marquis de Themines, auec quatre cens cheuaux, et quatre cens Mousquetaires, qui trop lents pour un tel effect, furent laissez en chemin, par mondit Seigneur de Guise : lequel arriuant sur la Diane, le Dimanche matin, fit mettre pied à terre, à sa Cauallerie, donnant dans les susdits faux-bourgs : où il fut par eux tué vingt, ou vingt-cinq hommes, autant de prisonniers, trente cheuaux pris, et tout le reste mis en desordre : se retirant peu apres mondit Seigneur en son armée. »


IX



Le maréchal d’Ancre écrivait au roi, du Pont-de-l’Arche, le 13 mars 1617 :

« Sire, »

« Dernierement que j’eus l’honneur de prendre congé de vostre Majesté en vostre gallerie du Louvre, en luy faisant la reverence, je l’asseuray qu’au besoing, en quoy je la voyois, je ne luy dirois comme force gens de ceux qui estoyent obligez autant que j’ai l’honneur de l’estre à vostre Majesté, estoient accoustumez de luy dire, que si vostre Majesté leur commandoit, et leur donnoit les moyens, qu’ils vous ameneroient nombre de gens de guerre pour la servir : mais que lors qu’il seroit temps, je la servirois avec six mil hommes de pied, et huict cens chevaux quatre mois à mes despens ; J’ay tenu, Sire, ma parolle, et satisfait a ceste obligation. J’ay levé en vertu de vos commissions trois mille deux cens hommes de pied, Liegeois, et cinq cens chevaux, et deux mil huict cens François, et trois cens chevaux. Je meneray là où il plaira à vostre Majesté cinq mil hommes de pied, et huit cens chevaux, et le surplus de l’infanterie, je la laisseray dans les places plus importantes de ma charge, pour les garentir de tous accidents qui leur pourroient arriver. J’attendray donc, Sire, vos commandemens, etc. »

Lettre escrite au Roy par Monsieur le Mareschal d’Ancre. Paris, Joseph Guerreau. M. DC. XVII.


X



M. le duc de Mouchy, que la Société de l’Histoire de France compte au nombre de ses membres, a bien voulu m’autoriser à publier quelques pièces originales extraites des manuscrits de la précieuse bibliothèque de son château de Mouchy. Je lui adresse ici mes remerciements pour sa gracieuse obligeance.

Parmi ces pièces la suivante donne une idée du jugement que portait sur l’esprit et le caractère du jeune roi un des personnages qui l’approchaient de plus près :

« Mr de Seaux, secretaire d’Estat a Mr de Noailles, Henry, 18 fevrier 1618[3].

« .... Cependant nostre maistre se fortifie tous les jours de corps et de jugement et graces a Dieu donne de signalez tesmoignages du dernier et de ses bonnes intentions ; mais croyéz qu’il veut estre obey et qu’il prendra mal a ceux qui manqueront a ce qu’ils luy doiuent, si ce n’est par ignorance ; car en ce cas il excuse volontiers et entend raison tres facilement. Il s’occupe maintenant aprez le temps qu’il donne aux affaires, a la foire St Germain et a la chasse et a vn ballet que fera Sa Majesté a l’exemple de laquelle la reyne en fait vn autre qui sera l’entretien de ce carneval. Mais je crois que bien tost aprez rien ne pourra plus retenir Sa Majesté en cette ville ou il n’y a maintenant autre nouueauté que ce qui est arriué en Leuant dont vous deuéz estre aduerty, c’est pourquoy je ne vous diray autre chose sinon, etc. »

Signé : Seaus.
De Paris, le xviije feurier 1618.

Lettres, etc. a Mr de Noailles par les rois, etc. T. II, fol. 321. (Bibliothèque du château de Mouchy-Noailles.)


XI



Le grand ballet du roi en l’année 1619 représenta l’aventure de Tancrède dans la forêt enchantée. Le roi était un des quatre chevaliers des aventures ; mais le premier d’entre eux et le véritable héros du ballet était le duc de Luynes sous les traits de Tancrède.

Après les scènes de l’enchantement de la forêt, et avant l’intermède des quatre chevaliers des aventures qui triomphaient de cet enchantement, il y eut trois entrées successives de quatre bûcherons, de quatre scieurs de bois, et enfin de quatre sagittaires qui étaient MM. de Bassompierre, de Brantes, de Courtenvaux et de la Rochefoucaud.

Ces quatre sagittaires « s’en vindrent faire leur entrée, avec des arcs et des fleches, faisans gestes et contenances guerrieres. Ils avoyent un pourpoint de satin blanc, en forme de cuiracine, avec des mufles de lyon, le tout en broderie d’or fort relevée, deux bas de saye l’un sur l’autre, incarnadin et blanc, brodez d’argent, le bas de soye incarnadin avec des bottines brodées d’or, et sur la teste une bourguignotte argentée avec forces plumes. »

(Relation du grand ballet du roy, dancé en la salle du Louvre, le 12 fevrier 1619. Lyon, pour Jean Lautret, 1619.)

On peut lire dans cette relation les quatrains licencieux que le poëte Porchères, inventeur du ballet, adressait « aux dames » par la bouche de ces seigneurs.


XII



Le roy a Mr de Noailles, Henry, 24 fevrier 1619.

« Monsr de Nouailles, Ayant esté aduerty du depart inopiné de la royne, Madame ma mere, et de son acheminement vers Loches, peu suiuie des siens mais bien accompagnée d’aultres, j’ay estimé necessaire de vous en donner aduis. Cette nouuelle comme non preueue m’a esté bien estrange et d’aultant plus que j’estois sur le point de partir pour l’aller visiter ainsy que je l’en auois fait asseurer par le sr du Fargis que je luy auois despesché depuis huit jours comme en toutes occasions je me suis efforcé a luy donner toutes sortes de contentements : autrefois il sembloit qu’ils se trouueroient a me voir, et lors que je pensois m’acheminer vers elle pour cest effect, je la trouue partie. Je veux croire toutesfois que ce n’est a mauuaise intention et que me conseruant les debuoirs et affections de mere elle se contiendra aux termes que je doibs non seullement souhaiter mais esperer, et neantmoins crains que sur ce bruit il n’y en ayt qui vuellent se mesler d’entreprendre ; vous y donnerez ordre, etc. — Escript a Paris le xxiiije jour de feburier 1619.

Signé : Louis.

Lettres, etc., a Mr de Noailles par les rois, etc. T. II, fol. 265. (Bibliothèque du château de Mouchy-Noailles.)


XIII



Arnaud d’Andilly a tracé, dans une belle page de ses mémoires, le tableau de la vie que l’on menait à Tours, particulièrement chez M. de Bassompierre.

« ... M’étant trouvé logé à Tours près de M. le maréchal de Bassompierre, qui tenoit une table que l’on pouvoit dire être l’une des plus grands Seigneurs de la Cour, puisqu’elle en étoit toûjours pleine, il me fit l’honneur de me venir prier d’y aller toûjours, et m’en pressa de telle sorte, que n’y ayant pas un de ces Grands que je ne connusse si particuliérement que je crois pouvoir dire qu’il n’y a personne en France de ma condition qui ait eu tant d’habitude et de familiarité avec eux, je ne pus refuser une civilité si obligeante. C’étoient, outre leur qualité, des personnes d’un si grand mérite, que les uns remplissoient déja, et les autres ont rempli depuis les plus grandes charges de l’État, et commandé les armées. Ainsi il y avoit beaucoup à apprendre dans leur conversation, et rien n’est plus agréable que l’honnête liberté avec laquelle ils vivoient ensemble. On ne sçavoit là ce que c’étoit que cérémonie, dont la contrainte est insupportable à ceux qui sont nourris dans l’air du grand monde. Chacun se plaçoit où il se rencontroit. Ceux qui venoient le plus tard ne laissoient pas de se mettre à table, encore qu’il y eut deja longtemps que les autres y fussent. Quelque grande que fut cette bonne chere, on n’y parloit jamais de manger. De même que l’on étoit venu sans se dire bonjour, on s’en alloit sans dire adieu, les uns tôt, les autres plus tard, selon leurs affaires. Et on s’entretenoit sur toutes sortes de sujets, non seulement agréablement, mais utilement. »

(Mémoires d’Arnauld d’Andilly. Hambourg, 1734, 1re partie, p. 136.)


XIV



On trouve dans le Repertoire de M. de Bassompierre, écrit de sa main (Bibliothèque nationale, Lat. 14224), deux pièces de vers inspirées par la promotion du 31 décembre 1619.

La première est en vers latins ; elle est particulièrement adressée à M. de Bassompierre :

Illusmo Exllmo que D. de Bassompierre regiæ torquatæ militiæ equiti recens inaugurato.


Clara triumphales circum tua tempora lauri
Sint modo laurigeri nobile vatis opus :
Personet illustres et belli et pacis honores
Qui volet, et priscæ stemmata prisca domus.
Non ego tot laudes nec tot censere triumphos
Institui, musæ luxuriantis opus.
Quòd rex helveticæ tibi credidit agmina gentis
Et datur invictis ponere jura viris,
Quòd nova torquatæ fulgent insignia pompæ
Quâ gerit angustam cerula vitta crucem,

Quòd te militiæ socium caput ordinis optat,
Hoc uno est verbo dicere quanta sapis.
Nam quidquid magnumque sonat dignumque videri,
Regius effuso flamine torquis habet.
O felix, radiant auro cui libera colla
Et latus argento nobiliore nitet !
Nunc juvat, et gratum est Gallis meruisse catenas,
Quis putet ? et decori est promeruisse crucem.


L’autre pièce, en vers français, s’adresse aux chevaliers en général :


Superbes chevalliers dont la pompe est sy grande
Que des autres mortels elle offusque les yeux,
Quelle ardeur vous commande
Et vous fait aspirer aux offices des cieux ?

Je veus bien que l’honneur de vos tiltres insignes
De vostre sanc illustre et de vos faits divers
Vous rende les plus dignes
Du plus glorieus nom quy soit en l’univers.

Je veus bien que la foy du plus grand des monarques
Consacrant aujourdhuy la fleur de ses guerriers,
Le ciel donne ses marques
A ceus a quy la terre a donné ses lauriers.

Mais ne vous flattés pas de ces vaines louanges
On triumphés du vice a vos piés abbatu ;
Sy des saints et des anges
Vous affectés la gloire, ayés en la vertu.

Ne pensés pas unir a des impures flammes
L’esprit dont vous portés quelque image au dehors ;
S’il ne luit a vos ames
En vain le ferés vous luyre dessus vos corps.




XV



Malgré son brusque départ, le duc de Mayenne cherchait encore à ménager les apparences, et le roi acceptait ses raisons, comme on le verra par les deux lettres suivantes :

1o Le roy a Mr de Noailles, Henry, 30 mars 1620.

« Monsr de Nouailles, l’on m’apporta hier au soir aduis de Paris que mon cousin le duc de Mayenne en estoit party la nuit precedente en grand haste et auec peu de suitte, publiant que c’estoit pour aller voir le marquis de Villars son frere qui est fort malade, et de là passer en son gouuernement, ce que je ne puis croire qu’il face a mauuais desseing ; mais d’aultant qu’il s’en est allé sans prendre congé de moy et mesmes sans m’en aduertir, je ne sçay quelle peult estre son intention ; en attendant que j’en sois esclaircy comme je m’asseure de l’estre bien tost, j’ay mandé a mes seruiteurs dans ma prouince de Guyenne de prendre garde a tout ce qui peut importer a mon seruice et me tenir auerty de tout ce qui s’y passera, de quoy je vous ay aussy voulu donner aduis par ceste lettre. — Escrit a Fontaynebleau le xxxe jour de mars 1620. »

Signé : Louis.

Lettres, etc., a Mr de Noailles par les rois, etc. T. II, fol. 266. (Bibliothèque du château de Mouchy-Noailles.)


2o Le roy a Mr de Noailles, Henry, 4 avril 1620.

« Monsr de Nouailles, je vous ay faict depuis peu de jours vne depesche sur le subject du soudain depart de mon cousin le duc du Mayne ; maintenant je vous faicts celle cy pour vous aduertir que durant le petit voyage que j’ay faict a Vallery vn gentilhomme m’est venu trouuer de sa part auec vne sienne lettre plaine d’excuses de la façon dont il s’achemine en son gouuernement, me suppliant de l’auoir agreable en suitte du commandement que je luy auois faict de se tenir prest pour y aller et me protestant qu’il y va en intention de me rendre le seruice auquel il est tenu et qu’il ne manquera jamais a la fidelité et obeissance qu’il me doibt ; ce que j’ay pris en bonne part m’asseurant qu’il fera ce qu’il me mande, et luy ay faict response par laquelle je luy declare ainsi ; a quoy je n’ay rien a adjouster pour cette heure sinon, etc. — Escrit a Fontainebleau, le iiije jour d’auril 1620. »

Signé : Louis.
Ibid. T. II, fol. 267.




XVI



M. de Puységur a laissé des mémoires dans lesquels il raconte cet incident, et ajoute :

« Je fis si bien que je les portay à se rendre, dont je donnay avis à Monsieur de Bassompierre, maréchal de camp dans l’armée, et qui étoit au bout du pont qui attendoit. La capitulation fut faite, et il leur fut accordé qu’ils sortiroient avec la méche allumée et bale en bouche ; et comme Monsieur de Bassompierre se presenta pour entrer dans le château, il fut surpris quand il vit que je luy ouvris la porte, et me demanda par quel moyen, et comment j’étois entré dedans. Je luy répondis que j’y étois entré pêle-mêle avec les ennemis, et que j’avois bien de la joye que c’estoit moy qui luy ouvrois la porte. Ce que je dis icy se justifie par les Memoires de mondit sieur de Bassompierre, où il met Que Poisigut luy a ouvert la porte du pont de Scé ; et quoique mon nom ne soit pas bien écrit, c’est pourtant de moy qu’il entend parler, parce que les uns m’appelloient Poysigut, et d’autres Puysegur, qui est mon nom veritable. »

(Les memoires de messire Jacques de Chastenet, chevalier, seigneur de Puysegur. Wolfgang, 1690, p. 4.)


XVII



Pendant sa captivité, le maréchal de Bassompierre engagea cette enseigne, ou au moins un des diamants qui la composaient ; deux ans après il parvint à s’acquitter, et dut par conséquent retirer son gage : c’est ce qui résulte d’une cote de son inventaire où se trouvent les énonciations suivantes :

« Item sept pieces attachéez ensemble, la 1re du 3 juillet 1639, signé Andreossy, contenant que led. seigneur mareschal luy a led. jour mis es mains un diamant taillé a fassette qu’il a promis rendre aud. seigneur quand il luy aura payé la somme de 6300 livres portée par sa promesse. — La 6e est un autre morceau de papier ecrit d’un coté de la main dud. seigneur mareschal, commençant par ces mots : Le diamant du roy d’Espagne a esté mis en gages pour 6300 livres le 3e juillet 1639, et finissant en ces mots : Partant je ne dois que 1200 livres de touttes les sommes cy dessus jusqu’a huy 18 mars 1641 qu’il a esté arresté entre Mr Andreossy et moy, sur quoy je luy ay donné 1000 livres, partant reste 200 livres. — Inventorié sur chacune desdittes pieces l’une comme l’autre 53. »

Toutefois le diamant du roi d’Espagne ne figure pas à l’inventaire des pierreries ; peut-être avait-il été de nouveau mis en gage, peut-être même aliéné.


XVIII



Le capitaine Mazères, Béarnais, avait été investi par le duc de Savoie du titre de comte de Bourgfranc en récompense des services qu’il lui avait rendus à la guerre.

Lebret parait admettre la supposition que le comte de Bourgfranc fut tué par les siens. Voici comment il raconte sa mort :

« Le comte de Bourgfranc y perdit la vie, frappé d’une balle à la tête par derrière au moment où il se retournait, disent les uns ; assassiné selon les autres par la jalousie de La Rivière-Marsolan, avec lequel il était en désaccord sur la rupture du pont, ou plutôt par les farouches soupçons du conseil qui, depuis l’affaire de Sauvage[4], s’était toujours défié de lui. »

Mais suivant le récit de Joly, journal d’un témoin oculaire, le comte de Bourgfranc fut tué par l’ennemi, et fort regretté des siens.

« Le comte de Bourgfranc, dit cet auteur, estoit encores occupé dans ce bastion à ranger les piquiers de Barthe quand l’assaut se donna, et qu’on luy vint dire que l’ennemi forçoit l’espaule du bastion ; il y monte, y jette une grenade sans l’allumer ; son pistolet luy faict faux feu, descend pour en prendre un autre des mains de son laquais et remonté le tire. S’en voulant retourner un plomb le touche à la teste par derriere et le jette à terre. Soudain on le couvre d’un manteau, de peur que le soldat le voyant ne perdit courage. La nouvelle de cette mort après l’assaut remplit la ville de dueil pour la confiance qu’on avoit en la valeur et experience de ce brave capitaine. »


XIX



Le P. Dominique a Jesu Maria jouissait depuis longtemps de cette réputation de haute sainteté, et Philippe II d’Espagne l’avait tenu en grand honneur. Depuis il était venu à Rome, d’où il avait passé en Allemagne, et il avait en effet pressé le duc de Bavière de livrer bataille devant Prague en lui annonçant une victoire qui paraissait inespérée. Ses prédictions eurent moins de succès à Montauban. S’il faut en croire les écrivains Protestants, le P. Dominique ne se découragea pas, et il annonça la prise de la ville pour le 15 octobre. Voici ce que dit à ce sujet l’auteur de l’Histoire particuliere :

« Durant la grande presse de ces affaires, un bruit couroit, dont l’origine estoit ignorée, qu’un assaut nous seroit livré au quinziesme de ce mois, par le conseil d’un certain P. Dominique, l’estime duquel relevoit le courage des assiegeans, et enfloit les voiles de leurs esperances de ces bouffées, que la ville seroit alors emportée : car c’estoit (disoit-on) ce Religieux, sur la parole et exhortation duquel l’Empereur gaigna la bataille devant Prague. Cette monnoye fut incontinent au descry, et au billon parmy un peuple, auquel les Ministres preschoyent, que tels Prophetes ne rencontrent pas tousjours, et que Balaam ne maudit pas Israël toutes les fois qu’il en est requis. »

Et un poëte huguenot consacre à l’insuccès de cette prophétie la strophe suivante :


Aux discords nous faisons la nicque
Et n’en avons ny peur ny mal
De ce beau pere Dominique
Ce faux Prophete de Baal,
Trompeur, il avoit mesurée
La longueur de nostre durée
Au quinziesme d’Octobre passé,
Mais nous voyons que c’est un songe
Et l’esprit qui l’avoit poussé
Estoit un esprit de mensonge.


(Meditation d’un advocat de Montauban sur les mouvemens du temps present. M. DC. XXII.)


Il est vrai que l’écrivain catholique répond à l’avocat de Montauban :

« C’est ce qui te cause de dire qu’aux discords vous faictes la nicque, et que les propheties du pere Dominique n’y ont rien faict, que tu dis Prophete de Baal, prenant le nom qui convient à tes ministres, pour en revestir nos Religieux. Les Prophetes de Baal ne peurent jamais faire descendre le feu pour brusler leurs sacrifices ; Helie le fit. Ce bon Pere de quoy tu parles, n’est ce pas un autre Helie qui a attiré le juste courroux et le feu de la vengeance Divine sur vous ? Tu dis qu’il avoit prefix le temps de vostre ruyne, cela est faux, c’est une imposture que tu luy donnes pensant par ceste calomnie luy concilier la honte du peuple : mais tu ne trouveras pas de mensonge en son faict ; tost ou tard vous perirez : le mesme accident qui arriva jadis à Penthée, capitaine Athenien, pour s’estre mocqué de la prophetie de Teresias, augure des Dieux, et qui avoit puissance sur les destinées, te menace et tous ceux qui ont negligé les advis de cet homme de Dieu. »

(Apologie pour le roy et response aux calomnies et meditations injurieuses de l’advocat de Montauban. Paris, M. DC. XXII.)

Quoi qu’il en soit, cette époque du 15 octobre correspond effectivement aux dates rectifiées des préparatifs d’assaut général, et de la tentative avortée que raconte Bassompierre aux pages 352 et suivantes.

Le P. Dominique vint aussi à Paris où il fut l’objet de la vénération générale et où « il n’y avoit bonne femme qui ne luy coupast un lopin de sa robbe. » (Chronique des favoris.)


XX



Quelques jours avant cette affaire le comte d’Ayen avait reçu du roi les instructions suivantes :

17 septembre 1621. Le roy a Mr le comte d’Ayen, François de Noailles.

« Monsr le comte d’Ayen, L’on m’a donné aduis que vous auez assemblé bon nombre de vos amys et de mes seruiteurs pour me seruir en ceste occasion contre le duc de Rohan, dont je vous sçay fort bon gré, et affin que vous ne demeuriez du tout inutile en ceste troupe, j’estime qu’il sera a propos que vous ameniez tout ce que vous auez assemblé es enuirons de St Anthonin et que vous vous en logiez le plus proche que vous pourrez pour leur faire la guerre et courre sus aux troupes qui entre et sortent dans lade ville, prenant mesmes soigneusement garde s’il partira quelque troupe de la dedans pour venir de deça et en ce cas la vous essayerez de la combattre si vous vous trouuez assez fort ou pour le moins de l’amuser et cependant m’en donner aduis et a ceux qui commandent en mon armée comme aussy vous m’aduertirez soigneusement et a toutes occurrences de ce que vous apprendrez. Vous vous rendrez donc au plus tost es enuirons dud. St Anthonin. Je vous depesche ce valet de pied expres par lequel vous me ferez sçauoir de vos nouuelles. Sur ce je prie Dieu, Monsr le conte d’Aien, vous auoir en sa saincte garde. Escrit au camp deuant Montauban ce xvije jour de septembre 1621.

Signé : Louis.
et plus bas : Phelypeaux.

Lettres, etc., a Mr de Noailles par les rois, etc. T. II, fol. 357. (Bibliothèque du château de Mouchy-Noailles.)


La « défaite du secours » fut aussitôt annoncée par le roi à M. de Noailles dans une lettre détaillée, pleine d’espérances qui furent promptement déçues.

Le roi a Mr de Noailles, Henry, 28 septembre 1621.

« Monsr de Nouailles, La benediction de Dieu parroist sur moy en tout ce quy arriue, et par sa prouidence il conduict les choses jusques a un tel point qu’il en veult estre recongnu l’auteur. Vous auez sceu comme depuis quelques jours ceulx qui se sont reuoltez ayant assemblé des forces, partie en furent deffaictes par les miennes commandées par mon cousin le duc d’Angoulesme, ce qui leur fist perdre esperance d’oser entreprendre de secourir Montauban de viue force et les porta (s’aduantageant du pays), a chercher l’enuoy et le refreschissement des leurs par d’autres voyes ; du costé ou estoit logé led. duc d’Angoulesme ils firent la teste de leur armée, d’où a la fille ils firent desbander quinze cens hommes qui gaignerent Lomber et de la passans par des lieux inaccessibles pour la cauallerie se rendirent dans St Anthonin, ce que je sceus a l’instant et commençay a donner ordre qu’ils ne peussent se jetter dans Montauban ; de faict apres auoir gaigné une forest distante d’une lieue de la ville, ils n’oserent tenter le hazard et par diuerses fois ils ont esté contraincts de regagner leur fort, ce qui leur estoit facille a cause de l’assiette du pays ; mais en fin vaincus par la necessité, portez d’un courage temeraire, ils sont partis ceste nuict et ayant passé par des lieux qu’ils auoient faict recognoistre et ou il estoit impossible de faire garde, ils s’estoient coulez jusques aupres de mon camp ; la ils commencerent a croire d’estre a sauueté, mais les retranchemens les ayant obligés a se preparer a les forcer, ils ont esté descouuerts et ont si viuement esté repoussés que quatre ou cinq cens sont demeurés sur la place, le reste a pris la fuitte, la pluspart blessez, quelques ungs pourtant au nombre de soixante ou quatre vingts, par les costez de ceux qui les combatoient, se sont jettez dans les fossés de la ville, les hommes de commandement restez sur la place, pris, blessés ou tués, et forse de leurs drapeaux. En ceste deffaicte et action il se peut cognoistre ce que je vous ay dit de la prouidence de Dieu qui aussy a fortifié le courage aux miens qui y ont fait merueille et notamment le sr de Bassompierre, le coronnel et les Suisses et le regiment de Normandie qui ont hardiment soustenu et chargé. De ceste bonne nouuelle j’ay pensé qu’il estoit a propos de vous faire part, d’ou vous en pourrez encores esperer une meilleure qui sera en bref de la prise de la ville. Du depuis trois cens qui s’en estoient fuys et qui se rassembloient ont esté rencontrés par le comte d’Ayen et deffaicts, et leurs chefs pris, Beaufort qui estoit le chef de tous et celuy qui commandoit dans St Anthonin, qui auoit charge d’une partie, ont esté de ceux qui sont restéz prisonniers des le matin. Vous pourrez faire part de ce que je vous mande a ceulx que vous congnoissez affectionnez au bien de mon seruice, affin qu’ils participent a ma joye, priant Dieu qu’il vous ayt, Monsr de Nouailles, en sa saincte garde. Escrit au camp deuant Montauban le xxviije jour de septembre 1621. »

Signé : Louis.
et plus bas : de Lomenie.

Monsr de Nouailles, conser en mon conseil d’estat, cappne d’une compagnie de mes ordonnances et mon lieutenant general au gouuernement du Hault-Auuergne.

Ibid. T. Il, fol. 292.


Cette lettre, qui fut aussi adressée au Conseil de ville de Paris, a été imprimée (Paris, 1621).


XXI



Les deux lettres suivantes offrent un contraste curieux avec les vrais sentiments du roi, tels que les fait connaître Bassompierre :

Le roy a madame la connestable de Luynes.

« Ma cousine, puisque la volonté de Dieu qui ne doit trouuer resistance en nos cœurs a esté de retirer a sa gloire celuy qu’il auoit destiné icy bas a mon seruice pour posseder la meilleure part en mes bonnes graces, il faut prendre de sa main ce qu’il luy plaist nous enuoyer, moderant nos ressentimens pour la (sic) rendre digne de son secours aux afflictions qui nous surviennent. L’exemple que je vous en donne doibt estre tres puissant par (sic) vostre esprit, personne au monde ne pouuant mieux juger que vous de l’ennuy que je reçois de la perte de mon cousin le connestable, vostre mary, ayant une plus particuliere cognoissance que nul aultre, je ne diray pas du bien que je luy voulois, mais plus tost de l’affection que je luy porte sy viue et sy forte qu’elle durera encores sans diminution apres sa mort et passera aux siens et a ce qu’il a laissé au monde de plus cher, comme vous et voz enfans dont je vous prie croire que j’auray tout le soing qu’il a desiré lors qu’il m’a faict prier a l’heure de sa mort de les auoir en ma protection, ce que je feray auec tant de tesmoignages d’une bonne volonté que sy quelque chose peut amoindrir vostre douleur, vous en receurez de la consolation. Cependant je prie Dieu vous la donner entiere et vous auoir, ma cousine, en sa garde. »

Ce ... décembre 1621.


Le roy a Monsr de Montbazon.

« Mon cousin, il ne pouuoit m’arriuer ny a vous pareillement une perte plus sensible que celle que je reçois par la mort de mon cousin le connestable vostre gendre, vous qui sçauez comme je l’aymois, pouuez mieux juger de l’ennuy que j’en ay. Sy chose au monde me pouuoit atrister, c’est cet accident qui, venant de la main de Dieu, doit estre receu auec resignation de nostre volonté a la sienne. Je vous en dirois dauantage, n’estoit que j’ayme mieux faire paroistre mes affections vers ce qu’il a laissé au monde de plus cher que mes regrets pour luy qui n’est plus. C’est en cette sorte que je tesmoigneray l’auoir aymé, prenant soing de sa famille. Ce que je vous prie croire que je feray si puissamment que tous ceux qui y ont interrest auront subject de se louer de ma bonté. Sur ce je prie, etc. »

Ces deux lettres sont extraites du recueil intitulé : Registre de monsieur Tronçon secretaire du cabinet, de plusieurs lettres escrittes de la main du Roy Louys treisiesme, a diuers princes, seigneurs et autres, ez années 1619, 1620, 1621, 1622, 1623, 1624, 1625, et 1626. (Bibl. nat. Fr. 3722.)


XXII



Au moment où s’achève l’impression de ce volume, je rencontre une pièce très-rare contenue au no 34613 (45) de la bibliothèque Mazarine ; c’est une plaquette de 6 pages intitulée : La reception faicte a monsieur le comte de Bassompierre par les Maire, Eschevins et Bourgeois de la Rochelle, et autres particularitez. (Paris, Joseph Bouillerot, M. DC. XX.) Cette pièce, que je reproduis comme document historique, semble indiquer que M. de Bassompierre ne fut pas seulement autorisé à se rendre à La Rochelle, mais qu’il avait reçu du roi une mission particulière auprès des magistrats de cette ville.

« Apres le voyage de Xaintes, où Monsieur le Duc d’Espernon eut l’honneur de traicter le Roy, et tenir table ouverte à toute la Cour, et faire faire à Sa Majesté une reception parfaictement royalle, Sadicte Majesté s’est acheminée avec son armée és environs de Blaye pres de la ville de Bourdeaux ; mais au precedent elle deputa la personne de Monsieur le Comte de Bassompierre avec quelques particuliers de son Conseil, et beaucoup de Noblesse à sa suitte, pour envoyer à la ville de la Rochelle, et y faire entendre ses bonnes et loyalles intentions.

Messieurs les Maire, Eschevins et Bourgeois de la ville, sentans venir ledict Seigneur Comte de Bassompierre, se sont disposez a luy faire une reception digne d’un tel Ambassade, luy ont faict tous les honneurs à eux possibles, et tesmoigné en sa personne toute sorte de devoir et affection a Sa Majesté, et d’abondant sur les choses proposées par ledict Seigneur de la part de Sadicte Majesté, ont rendu une si honneste responce, que le Roy n’a eu sujet de se plaindre d’eux, ont protesté toute sorte d’obeyssance et service, et confirmé les mesmes choses qu’ils avoient protestées par leurs Agents, et Deputez, envoyez de leur part a Sadicte Majesté, lors estant en sa ville de Poictiers, ont traicté et accuilly ledict Seigneur Comte, selon son merite, et l’ont rendu fort satisfaict de leur courtoisie.

Le Roy, ainsi que tesmoignent les nouvelles de Blaye en datte du dix huictieme de ce present mois de septembre, part dudict Blaye pour s’en aller en sa ville de Bourdeaux, ayant laissé son armée au deça de la riviere de la Garonne, où l’on dit qu’est Monsieur le Marquis de la Force, Vice-roy, ou Gouverneur pour le Roy en son pays et Souveraineté de Bearn, y attendant Sa Majesté, chargé des submissions des Bearnois, prests à rendre tout devoir et obeyssance, là aussi est Monsieur le Duc de Mayenne donnant ordre à ce que le Roy y soit receu, avec tout honneur et magnificence, par les habitans dudit Bourdeaux, ou comme on espere Sa Majesté partira en brief pour reprendre son chemin vers Paris.

Et ainsi par la grâce de Dieu tout obeit a Sa Majesté, et n’y a ville qui n’ait demonstré toute promte obeyssance soit a sa personne, soit a ceux qu’il a pleu a Sadicte Majesté y envoyer de sa part, ni ayant aucun sujet de craindre et redouter le trouble a l’advenir, veu une si bonne intelligence du Roy avec ses Princes, villes et communautez du Royaume. »





fin de l’appendice.

  1. Le chanoine de Beauvais, trompé par l’édition qu’il avait sous les yeux, confond Jean-Jacques du Sault, évêque de Dax, avec Paul Hurault de l’Hôpital, archevêque d’Aix.
  2. Moutier-sur-Saux, au bailliage de Bar, aujourd’hui chef-lieu de canton de l’arrondissement de Bar-le-Duc, avec forges et hauts-fourneaux.
  3. Antoine Potier de Sceaux, secrétaire d’État. — Henri de Noailles, comte d’Ayen, fils ainé d’Antoine, seigneur de Noailles, et de Jeanne de Gontaut, était lieutenant général au gouvernement d’Auvergne.
  4. Sauvage était un capitaine huguenot qui s’était introduit dans Montauban après avoir pratiqué des intelligences dans le camp royal, et qui avait cherché à négocier la reddition de la ville. Il était chargé d’offres pour différents chefs, et entre autres pour le comte de Bourgfranc. Il fut condamné comme traître, et exécuté.