Journal (Eugène Delacroix)/9 mai 1824

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 1p. 113-114).

Dimanche 9 mai. — Déjà le 9 ! Quelle rapidité !

J’ai été vers huit heures à l’atelier. Ne trouvant pas Pierret, j’ai été déjeuner au café Voltaire. J’étais passé chez Comairas, lui emprunter les Pinelli.

Je me suis senti un désir de peintures du siècle. La vie de Napoléon fourmille de motifs.

— J’ai lu des vers d’un M. Belmontet[1], qui, pleins de sottises et de romantique, n’en ont que plus, peut-être, mis en jeu mon imagination.

— Mon tableau prend une tournure différente. Le sombre remplace le décousu qui y régnait. J’ai travaillé à l’homme au milieu, assis, d’après Pierret. Je change d’exécution.

— Sorti de l’atelier à sept heures et demie. Dîner chez un traiteur nouveau pour moi ; puis chez la cousine.

Hier samedi 8. — Déjeuné avec Fielding et Soulier ; puis chez Dimier, pour voir ses antiquités : quatre vases d’albâtre magnifique et d’une belle exécution ; un sarcophage fort original : se souvenir du caractère des pieds de deux statues égyptiennes assises, qu’on prétend de la plus haute antiquité.

— Puis chez Couturier. — À l’atelier : Pierret y était. J’ai fait la veste de l’homme du milieu et fait détacher en clair sur elle l’homme couché sur le devant, ce qui change notablement en mieux.

— Dîné avec Pierret. Ce soir, une petite promenade par les Tuileries, jusque chez moi. Rentré à onze heures et demie.

— La sérénade de Paër[2] est ce qui m’a frappé davantage.

  1. Delacroix veut sans doute parler d’un recueil élégiaque, les Tristes, que M. de Belmontet fit paraître en 1824.
  2. Ferdinand Paër, compositeur et pianiste, aujourd’hui bien oublié, jouissait à cette époque d’une grande réputation. Il naquit à Parme, en 1774, et mourut en 1839. À quatorze ans, il fit représenter à Venise l’opéra de Circé. Il séjourna à Padoue, Milan, Florence, Naples, Rome et Bologne, et y composa de nombreux ouvrages avec cette facilité qui caractérisait les musiciens de l’École italienne. Emmené en France, en 1806, par Napoléon, il dirigea à plusieurs reprises le Théâtre-Italien. Ses principaux ouvrages sont : la Clémence de Titus, Cinna, Idoménée, la Griselda, l’Oriflamme, la Prise de Jéricho. En 1838, Delacroix, qui se présentait à l’Institut, écrivait à Alfred de Musset : « Avez-vous la possibilité de me faire recommander à Paër, pour l’élection prochaine à l’Institut ? Si cela ne vous engage pas trop, ni ne vous dérange, je vous demanderai le même service que l’année dernière ; mais surtout ne vous gênez pas, si vos rapports ne sont plus les mêmes. » (Corresp., t. I, p. 235.)