Journal (Eugène Delacroix)/3 mars 1850

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 1p. 422-423).

Dimanche 3 mars. — A l’Union musicale : Symphonie en fa, de Beethoven, pleine de fougue et d’effet ; puis l’ouverture d’Iphigénie en Aulide y avec toute l’introduction, airs d’Agamemnon, et le chœur de l’arrivée de Clytemnestre.

L’ouverture, un chef-d’œuvre : grâce, tendresse, simplicité et force par-dessus tout. Mais il faut tout dire : toutes ces qualités vous saisissent fortement, mais la monotonie vous endort un peu. Pour un auditeur du dix-neuvième siècle, après Mozart et Rossini, cela sent un peu le plain-chant. Les contrebasses et leurs rentrées vous poursuivent comme les trompettes dans Berlioz.

Tout de suite après venait l’ouverture de la Flûte enchantée ; à la vérité, c’est un chef-d’œuvre. J’ai été aussitôt saisi de cette idée, en entendant cette musique qui venait après Glück. Voilà donc où Mozart a trouvé, et voici le pas qu’il lui a fait faire ; il est vraiment le créateur, je ne dirai pas de l’art moderne, car il n’y en a déjà plus à présent, mais de l’art porté à son comble, après lequel la perfection ne se trouve plus.

Je disais à la princesse Radoïska, chez laquelle j’ai été en sortant de là : « Nous savons par cœur Mozart et tout ce qui lui ressemble. Tout ce qui a été fait à leur imitation et dans ce style ne le vaut pas, et nous a d’ailleurs fatigués ou rassasiés. Que faire pour être émus de nouveau ?… surtout surpris ? Se contenter des tentatives hardies, mais moins souvent heureuses, des génies quelquefois très éminents que le siècle produit. Que feront ces derniers, quand les modèles semblent n’être là que pour montrer ce qu’il faut éviter ? Il est impossible qu’ils ne tombent pas dans la recherche. »